Un récent bilan anniversaire de la pandémie de grippe vient de paraître, sous la plume de Declan Butler, dans la célèbre revue scientifique britannique Nature, dans son numéro du 22 avril 2010 (article en anglais, disponible en ligne gratuitement). Il tente, comme nous le faisons sur ce blog depuis plusieurs mois, de tirer les premières leçons “à chaud” de cette crise sanitaire planétaire.
Il résume des informations publiées récemment par une équipe nord-américaine des National Institutes of Health (Cécile Viboud et coll. PLoS Currents Influenza, article disponible en ligne, 21 mars 2010, gratuit, en anglais). Les auteurs revisitent la comptabilité des décès attribuables à la grippe H1N1pdm aux USA. Leur résultats sont intéressants, car quelle que soit l’hypothèse qu’ils retiennent, le nombre d’années de vie perdues à cause du H1N1pdm aura été supérieur aux USA à celui enregistré en moyenne lors des épidémies de grippe saisonnière de ces dernières années.
Selon l’hypothèse la plus conservatrice – en langage scientifique et non politique (!) ce terme signifie que les auteurs sous-estiment très probablement et peut-être largement la réalité – c’est-à-dire en s’en tenant aux seuls certificats de décès mentionnant la grippe H1N1pdm comme cause du décès, alors il y aurait eu entre 7 500 et 12 000 décès dus à cette grippe aux Etats-Unis, soit au moins deux fois moins, en nombre absolu, qu’en période de grippe saisonnière. Avec une autre méthode de calcul, selon les mêmes auteurs, si l’on compare les chiffres de mortalité totale durant la période de circulation de la souche pandémique avec la mortalité moyenne observée les années précédentes, l’excès de mortalité attribué à H1N1pdm est de 44 100 décès, clairement supérieur à celui observé en moyenne durant les grippes saisonnières (36 000 décès par an, par grippe saisonnière, aux USA).
Puis ils se sont attachés à estimer le nombre d’années de vie perdues, un indicateur qui permet de chiffrer la différence entre le décès, par exemple, d’une personne de plus de 95 ans qui décède de la grippe alors que son espérance de vie n’est plus que de quelques mois, à une personne de 17 ans en bonne santé qui a une espérance de vie de l’ordre de 80 ans (moins 17). Eh bien, le nombre d’années de vie perdues a été, quelle que soit la méthode retenue pour l’estimation de la mortalité par grippe H1N1pdm aux USA, très supérieur à celui calculé pour les grippes saisonnière, et voisin du nombre d’années de vie perdues enregistré lors de la pandémie de 1968-69 (pandémie de grippe A(H3N2) de Hong Kong).
Par ailleurs, le virus extrêmement compétitif a supplanté totalement les autres sous-types saisonniers circulant qui ont quasiment disparu des écrans radars, dans tous les pays du monde. La souche H1N1pdm se serait donc comportée comme une vraie souche pandémique, avec tous les attributs d’une souche provoquant une pandémie… des temps modernes. On n’est plus en 1918, on dispose désormais d’antiviraux, d’antibiotiques, de lits d’hôpitaux et de soins intensifs, de vaccins (livrés à partir d’octobre 2009, donc pour le seul hémisphère nord en 2009), de masques, bref de tout l’arsenal pour éviter les désastres sanitaires des siècles passés. Au moins dans les pays développés. Pour les pays en développement, l’absence de retour d’expérience ne signifie pas nécessairement grippette, gardons-nous des messages trop rapides.
Lorsque l’on voit qu’un an après le début de la pandémie, on ne sait toujours pas estimer avec une précision meilleure que “entre 7 500 et 44 100” le nombre de décès aux Etats-Unis, alors que la “Mecque” de la veille sanitaire y officie (CDC d’Atlanta), on peut pensr qu’il faudra attendre encore plusieurs mois ou années avant d’avoir les premières estimations de l’impact de cette pandémie dans les pays en développement, et encore si l’on en dispose un jour. Car comment penser que ceux qui manquent – presque comme en 1918 – d’antiviraux, d’antibiotiques, de vaccins et d’infrastructures sanitaires pour les dispenser auront pu s’en tirer à meilleur compte que nos voisins nord-américains ?
Il semble donc, comme le faisaient remarquer certains de nos amis blogueurs sur le Journal de la Pandémie 2.0 récemment, que l’on se situera in fine, avec cette pandémie H1N1pdm, cru 2009-2010 dans l’un des scénarios que l’on avait envisagé assez précocement dans l’histoire de cette pandémie (Libération du 2 mai 2009, en ligne, gratuit), celui d’une pandémie des temps modernes. Comme le résume mon collègue Marc Lipsitch, épidémiologiste de la Harvard School of Public Health dans le papier de Nature du 22 avril, “la plupart des gens ont été moins souvent infectés que durant les pandémies passées, ils ont été moins souvent malades lorsqu’ils ont contracté l’infection, et ils en sont moins souvent décédés lorsqu’ils en sont devenus malades”, une saine vision de ce que les temps modernes, et leur cortège de progrès, peuvent apporter à nos concitoyens… quand ils ont la chance de pouvoir en profiter.
Antoine Flahault
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