Vaccination : en rase campagne
A échéance régulière (et dans un fort louable souci de transparence) les autorités gouvernementales françaises font le point sur le « déroulement de la campagne de vaccination ». C’est ainsi qu’il y a quelques jours Gérard Gachet, porte-parole du ministère de l’Intérieur et le Pr Didier Houssin, directeur général de la santé tenaient un « point presse » au ministère de l’Intérieur (qui persiste curieusement ici à user, le concernant, d’un accent aigu sur son e). Résumé général : « La mobilisation se maintient à un niveau élevé et le cap des 4 millions de Français vaccinés et ainsi protégés du virus a été franchi le 17 décembre ». Les détails chiffrés de la communication gouvernementale imposent toutefois de relativiser l’enthousiasme du titre.
Qu’en est-il de la situation épidémiologique ?
Selon le dernier bilan (en date du 21 décembre de l’Institut de veille sanitaire (InVS) 168 décès liés au virus de H1N1pdm ont été recensés,
en métropole, depuis le début de l’épidémie. Au total, depuis cette date 918 cas graves ont été hospitalisés. Parmi ces personnes, 221 sont toujours en réanimation ou unités de soins intensifs.
Quid de la campagne de vaccination ?
« La mobilisation se maintient à un niveau élevé et le cap des 4 millions de Français vaccinés et ainsi protégés du virus a été franchi hier, 17 décembre, cinq semaines après le lancement de la campagne nationale de vaccination, affirme le gouvernement. A partir du 4 janvier, le régime normal de fonctionnement des centres de vaccination reprendra ; et dès le 5 janvier une relance de la campagne de vaccination en milieu scolaire aura lieu : les enseignants et l’ensemble de la communauté éducative pourront bénéficier de la vaccination. «
Pourquoi ? Tout simplement parce que « même si à la date du 17 décembre 352 651 collégiens et lycées se sont fait vacciner, cette première campagne, qui a débuté le 25 novembre, n’est que moyennement satisfaisante ». En effet ce chiffre de 352 651 ne représente que 10% des collégiens et lycées appelés à se faire vacciner jusqu’à présent (ce qui est moins que pour les populations prioritaires dont la proportion qui s’est fait vacciner s’élève à 15%). Et ce n’est pas ici une affaire de pénurie vaccinale.
Quel est l’état des stocks des vaccins ?
Sur les 94 millions de doses commandées par la France aux laboratoires pharmaceutiques, 26,7 millions ont déjà été livrés. Cette quantité est comparable au nombre de bons envoyés jusqu’à maintenant. Le nombre de vaccins encore disponibles (répartis entre les répartiteurs grossistes, et les centres de vaccinations) est tout à fait suffisant pour assurer la vaccination. Le gouvernement ajoute, transparent autant que sibyllin : « Des dons de vaccins sont envisagés à l’Organisation mondiale de la Santé et des contacts ont été pris avec quelques pays pour la vente des vaccins ». Le citoyen pourra-t-il en savoir plus ? Et, si oui, quand ?
Les contradictions d’un modèle « étatico-militaire »
Nous avons pour notre part déjà plusieurs fois filé la métaphore jacobine et guerrière. La formule est aujourd’hui reprise par Claude Le Pen, http://www.dauphine.fr/eurisco/claude.lepen.html, spécialiste d’économie de la santé, dans les colonnes du Figaro daté du 21 décembre.
Que nous dit ici M. Le Pen ? Tout d’abord, sans surprise, que nous aurions grand tort de nous en prendre à la ministre de la Santé. « Disons-le tout net : il n’y a pas beaucoup de reproches à faire à Roselyne Bachelot dans sa gestion de la grippe A(H1N1). Certes elle a été alarmiste et s’est fortement engagée pour la vaccination. Mais que n’aurait-on dit, maintenant que le virus a tué, si elle ne l’avait pas fait… Elle ne serait pas loin de la Cour de Justice de la République ! Certes on dénonce la pagaille dans les gymnases transformés en centres de santé, mais peut-on l’en tenir personnellement responsable ? Face à la versatilité de l’opinion, à l’incertitude des experts, aux folles et parfois scandaleuses rumeurs de l’Internet, à la pression de la presse et aux chausse-trappes de ses amis et ennemis politiques, elle a plutôt bien tenu le cap. »
Que nous dit encore M. Le Pen ? « Le problème est plus profond. Il vient me semble-t-il d’une inadéquation entre le modèle quasi militaire de gestion de crise et que l’Etat a mis en œuvre et les exigences nouvelles d’une société hyperdémocratique qui fait du citoyen de base, nonobstant son émotivité et son inexpertise, la mesure indépassable de toutes choses (…) Mais pour faire une guerre –et pour la gagner- encore faut-il disposer de toute l’autorité, de toute la légitimité pour mobiliser les Français et pour s’en faire obéir. Or dans la santé l’Etat n’a cessé de perdre de la légitimité, allant même jusqu’à transférer ses compétences techniques à une dizaine d’autorités administratives indépendantes, des « agences » (…) L’Etat a du mal à être crédible quand il se proclame chef d’état-major de la lutte contre le H1N1 ! »
A cette contradiction interne il faut, selon M. Le Pen, en ajouter deux autres, majeures. D’une part la place de plus en plus grande accordée sinon à la voix des « patients », du moins à celle des associations qui parlent au nom de leurs « droits ». De l’autre la rupture chaque jour un peu plus consommée avec les « médecins de base » ; des médecins « dont le moindre bulletin syndical dézingue au lance-flammes sa politique de santé en général et sa conduite de la vaccination en particulier ».
Le recours, ici, au verbe « dézinguer » comme à l’expression « lance-flamme » a, dans ces colonnes, quelque chose de rafraîchissant.
Jean-Yves Nau
De grâce, attendre un peu avant de jeter le bébé !
Les propos de Claude Le Pen sont intéressants à plus d’un titre. Tout d’abord parce que l’économiste de la santé de l’Université Paris-Dauphine remet en cause le modèle « étatico-militaire » proposé pour la gestion de cette pandémie. Ensuite parce que, dans le même élan, il discute la création récente en France (1998) des Agences de sécurité sanitaire qui diluent, selon lui, le principe même d’autorité de l’Etat. Rien de moins !
Il me semble cependant que nous allons devoir nous poser ces questions de manière plus globale ; au sens ango-saxon du terme. Il est en effet souvent trop rapide de jeter, d’emblée, le bébé avec l’eau du bain. Nous allons devoir ici étudier, pays par pays (et à niveau de développement comparable) les déterminants possibles des échecs ou des succès de ces campagnes de vaccination.
Un exemple : le commentaire du blogueur canadien (Jean-Michel C.) est édifiant. Comment et pourquoi les autorités canadiennes sont-elles parvenues à une couverture vaccinale de 50 à 56% dans leur population ? N’y aurait-t-il pas d’ « Agences sanitaires » au Canada ? Notre ami blogueur avance d’autres hypothèses tout aussi crédibles qu’il faudra explorer de près. Et notre ami helvète (Fabmul) qui montre comment, sans bruit, la Suisse est arrivée à 15% de couverture en quelques semaines…. tout en ajoutant qu’il n’y a là de quoi se vanter.
A n’en pas douter cette pandémie va permettre une introspection de nos systèmes de santé, de notre réaction au risque, de notre capacité d’expertise, de notre gestion de la crise, et ce à un niveau international. Et nous allons probablement découvrir que les déterminants auront été multiples et bien nombreuses les interactions entre ces déterminants. Ce qui n’enlève rien, bien au contraire à l’acuité de l’analyse de l’économiste de l’Université Paris-Dauphine.
Antoine Flahault
« Nous allons devoir ici étudier, pays par pays (et à niveau de développement comparable) les déterminants possibles des échecs ou des succès de ces campagnes de vaccination » nous dit Antoine Flahault.
Mais que faut-il entendre pas succès ou échec ? Succès si l’adhésion populaire est grande, échec dans le cas contraire ?
Ou succès si on peut établir que la campagne a eu un véritable impact favorable sur la marche de l’épidémie ? Les 2 aspects ne sont pas forcément dissociables en ce sens que si on vaccine peu ou trop tardivement, l’impact sur l’épidémie risque d’être très faible, voire imperceptible.
Aussi, de ce point de vue, la conclusion risque fort d’être indécidable. Ce serait bien de ne pas oublier que c’est une des conclusions à disposition des chercheurs.
En mathématiques il existe des propositions indécidables en ce sens qu’il est possible de démontrer qu’on ne pourra démontrer si elles sont vraies ou fausses. C’est costaud !
Bien sûr, cela existe en mathématique, mais on pose comme axiome, quand on construit une théorie, celle du calcul des probabilités par exemple, qu’il n’y a pas de proposition indécidable !
Sinon on ne peut rien construire. Donc on se simplifie la vie..C’est l’axiome de Cantor.
Dilution de l’autorité de l’Etat dans les agences ? Peut-être, mais le pire est sans doute dans la dilution des compétences et des centres de décision entre les différentes agences ayant trait à la santé ou à la prévention. Je suis médecin, parfois je reçois la même semaine des informations sanitaires de quatre ou cinq instances différentes sur le même sujet (INPES, AFFSAPS, CNAM, Ordre des médecins, DRASS…) ! Et c’est le même bazar pour l’évaluation des médicaments – vaccin antigrippal compris. Tout cet empilement bureaucratique paraît brouillon et incoordonné, c’est dommage et on voit bien les conséquences lorsqu’il y a un VRAI problème sanitaire grave (chikungunya).
Pour qu’il y ait une vaccination de masse ,comme son nom l’indique,il doit falloir que la population soit massivement impliquée,convaincue du bien fondé de cette action: cela dans le cas où il n’y a pas d’obligation :c’est donc un pari difficile;,qui demande d’avoir entendu ,compris l’état d’esprit d’un peuple à ce moment donné,sinon on va droit dans le mur avec un échec à la clef. Peut on se permettre un échec avec les risques annoncés pour cette pandémie et les moyens engrangés?
La deuxième solution c’était la vaccination Obligatoire avec là aussi un discours sans aucuns doutes sur les dangers de la pandémie;
Notre société demande au citoyen d’avoir une idée sur tout:donc sur la grippe;est ce un Fait de nos démocraties?
Je me demande à partir de combien de personnes vaccinées ,on peut considérer faire un sérieux barrage à la pandémie?
Finalement,au total,aujourd’hui,entre autorités,experts,et Français moyens,sur cette grippe,avons nous avancé? ou bien attendons nous de Voir Plus pour Savoir Mieux? Ne sommes nous pas logés à la même enseigne? Quelles étaient les questions ,les réponses de ces guerres de chiffres et d’interprétations?!.
Bon réveillon à tous!
Les Français se seraient probablement vaccinés en masse si 1) la maladie avait présenté une gravité réelle, fréquente et indéniable, ce qui a été infirmé dès le début de l’automne par les premiers cas en France et, surtout, par les premiers résultats épidémiologiques de l’hémisphère Sud et si 2) les vaccins (et les antiviraux…) avaient prouvé de façon claire tant leur sécurité que leur efficacité. Faute de ces deux précautions, il s’agissait de choisir entre deux risques faibles : risque faible d’une forme grave de la grippe d’un côté, risque faible d’un effet secondaire grave du vaccin de l’autre.
La comparaison faite, y compris par la ministre, avec la poliomyélite ou d’autres maladies qui s’avèrent systématiquement graves était une insulte à l’intelligence du citoyen.
Lequel citoyen a déjà vécu ce genre de sentiments lors de récents débats nationaux : “on vous laisse choisir par vous-mêmes entre la réponse A et la réponse B, mais si vous cochez la réponse B vous êtes le dernier des crétins” (référendum sur la constitution européenne, pour ne citer que ça). On s’étonne, ensuite…
« Que n’aurait-on pas dit si… » : la marque de fabrique du discours officiel de justification
Jean-Yves NAU et Antoine FLAHAULT ont bien raison de citer l’article de Claude Le Pen publié dans Le Figaro du 21 décembre car, derrière l’apparente critique des autorités se dessine la construction du discours officiel de justification du ratage du plan gouvernemental de prévention de la pandémie de grippe A.
Il faut vraiment lire et même analyser le billet de Claude Le Pen tellement il fourmille d’indices nous indiquant ce que sera le discours officiel de justification.
Pour reprendre la formulation martiale qui emprunte plus au langage des militaires qu’à celui des soignants, on pourrait dire qu’avec Claude Le Pen, « tout le monde en prend pour son grade » mais, in fine, les responsables de ce ratage sont, selon lui,… les patients (!), et les médecins (!!).
Claude Le Pen est l’un de nos meilleurs économistes de la santé — respecté et respectable — et son article du Figaro reprend l’analyse qu’il avait faite de la situation, lors de son audition le 1er décembre, par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (intervention de Claude Le Pen à la 50e minute de cette vidéo) :
http://www.assemblee-nationale.fr/commissions/opecst-20091201-videos-2.asp
Le titre de son article est pourtant sans ambiguïté — Grippe A : les contradictions d’un modèle « étatico-militaire » — mais d’emblée, Claude Le Pen tient à préciser :
« Disons-le tout net : il n’y a pas beaucoup de reproches à faire à Roselyne Bachelot dans sa gestion de la grippe A (H1N1). Certes, elle a été alarmiste […] ». C’est bien justement, là, ce qui lui a été reproché. Quant au modèle « étatico-militaire » de gestion de la crise sanitaire, qui l’a conçu, préparé, organisé ? Les concierges des gymnases ? Les chefs des centres de vaccination ? Les élèves-infirmiers réquisitionnés ?
Pour dédouaner la ministre de la Santé, Claude Le Pen utilise la formule magique qui nous a été servie maintes et maintes fois pour couper court à tout débat :
« Mais que n’aurait-on dit, maintenant que le virus a tué, si elle ne l’avait pas fait… Elle ne serait pas loin de la Cour de justice de la République ! ». — « Que n’aurait-on pas dit si… » Combien de fois n’a-t-on pas entendu cette formule complètement déplacée : pour risquer de se retrouver un jour devant la Haute cour de justice de la République, il aurait fallu que la ministre de la Santé nie la réalité de la grippe A et ne fasse rien contre cette pandémie. Mais justement, l’opinion publique ne lui reproche pas d’avoir rien fait mais d’en avoir trop fait.
Claude Le Pen pose alors la question à tomber à la renverse : « Certes, on dénonce la pagaille dans les gymnases transformés en centre de santé, mais peut-on l’en tenir personnellement responsable ? »
Et de rajouter de suite en guise de réponse : « Face à la versatilité de l’opinion, à l’incertitude des experts, aux folles et parfois scandaleuses rumeurs de l’Internet, à la pression de la presse et aux chausse-trappes de ses ennemis et amis politiques, elle a plutôt bien tenu le cap. »
Mais quelle « versatilité de l’opinion » ? Depuis des mois, les études d’opinion indiquent que les Français, dans une grande majorité (de 70 à 80 %), n’adhérent pas au plan de vaccination qui leur est proposé. Et si les autorités ne croient pas aux sondages, il est toujours possible au ministère de l’Intérieur de communiquer la synthèse des notes des Renseignements généraux qui lui parviennent de tous les départements.
Les Français auraient boudé les gymnases les dix premiers jours pour ensuite vite s’y engouffrer les jours suivants pour s’y faire vacciner. Mais le soudain afflux qu’ont connu les centres de vaccination ces dernières semaines ne prouve pas que les Français avaient enfin « adhéré » en masse au plan de vaccination. Les 20 % seulement de Français qui ont exprimé leur souhait d’être vaccinés représentent tout de même 13 millions de personnes. C’est donc normal de les voir dans les gymnases.
Quelle « incertitude des experts » ? Depuis le début de la pandémie, nous trouvons des experts avec des certitudes et d’autres experts avec d’autres certitudes. Et même nous nous trouvons avec autant de certitudes qu’il y a d’experts. Ceux qui ont émis une hypothèse optimiste restent toujours optimistes et ceux qui ont émis une hypothèse pessimiste restent toujours pessimistes. Sans compter qu’il y a une troisième catégorie d’experts : ceux qui ont émis plusieurs hypothèses allant de la plus optimiste à la plus pessimiste.
Le problème, c’est que les autorités ont « picoré » dans les expertises pour ne retenir que celles qui les arrangeaient, c’est-à-dire les plus pessimistes, celles qui les confortaient dans leur choix d’achat massif de vaccins et d’antiviraux. C’est ainsi que l’on a fait dire à des experts ce qu’ils n’avaient pas dit, à savoir que si le pire est toujours possible, il n’était pas certain.
Mais quelles « folles et parfois scandaleuses rumeurs de l’internet » ? Lors de son audition, Claude Le Pen était encore plus précis : « Internet c’est le media qui conteste , qui dit “non” contre une parole publique perçue comme “mensonge”. De ce fait les pouvoirs publics n’ont plus qu’une issue “en faire le plus possible pour se protéger” ».
Mais franchement, et dans les mêmes termes martiaux qu’il emploie : les anti-vaccinalistes et autres conspirationnistes, c’est combien de divisions ? Bien sûr, Internet permet la libre circulation des idées les plus farfelues ou les plus paranoïaques mais il ne faut pas leur prêter plus d’impact qu’elles n’en ont. Les internautes savent faire le tri dans toutes les informations qu’ils reçoivent pour se forger leur propre opinion.
Mais quelle est cette « pression de la presse » dont parle Claude Le Pen ? Les médias et surtout les JT de 20 heures ont toujours relayé les messages des autorités. Elles ont consenti à communiquer les fameux contrats des vaccins non pas sous la pression de la presse mais sur l’injonction de la Commission d’accès aux documents administratifs, la CADA.
Quant « aux chausse-trappes de ses ennemis et amis politiques » dont notre ministre de la Santé aurait été la victime, Claude Le Pen ne les précise pas, au risque à son tour de faire courir des rumeurs. Au contraire, dans cette affaire, les partis politiques de tous bords n’ont pas critiqué les autorités et se sont montrés « responsables » comme ils disent en langage politiquement correct.
« Que n’aurait-on pas dit si… » : la marque de fabrique du discours officiel de justification
(suite et fin de l’analyse de l’article de Claude Le Pen publié dans Le Figaro)
Comme « la versatilité de l’opinion », « l’incertitude des experts », les « folles et parfois scandaleuses rumeurs de l’Internet », la « pression de la presse », etc., sont des arguments plutôt minces ou en tout cas insuffisants pour expliquer les dysfonctionnements de la campagne de lutte contre l’épidémie, Claude Le Pen avance une autre explication :
« Le problème est plus profond. Il vient plutôt, me semble-t-il, d’une inadéquation entre le modèle quasi militaire de gestion de crise que l’État a mis en œuvre et les exigences nouvelles d’une société hyperdémocratique […] »
Dans la construction du discours officiel de justification, les autorités protesteront contre cette accusation de gestion « quasi militaire » de la crise et ne la trouveront pas sérieuse. Il ne restera plus de cet axiome que « les exigences nouvelles d’une société hyperdémocratique » pour expliquer les ratages.
Mais au juste, c’est quoi une société « hyperdémocratique » ? Faut-il comprendre que notre société serait trop démocratique ? Trop permissive ? Insuffisamment contraignante ?
Claude Le Pen donne une réponse presque ésotérique en parlant « d’une société hyperdémocratique qui fait du citoyen de base, nonobstant son émotivité et son inexpertise, la mesure indépassable de toutes choses ». Donc une société « hyperdémocratique » serait une société où le « citoyen de base » (le bas-peuple ?, la France d’en-bas ?), malgré son « émotivité » (comme sous l’emprise de ses émotions ?) et son « inexpertise » (et pourquoi pas son ignorance crasse ?) ferait la loi.
Une société « hyperdémocratique » serait donc en inadéquation avec une gestion de crise car pour Claude Le Pen : « Une «épidémie», une maladie qui touche le peuple et non seulement des individus, est de ce fait un phénomène politique autant – sinon plus – que médical. »
Oui, mais encore ? Claude Le Pen sort carrément l’artillerie lourde du discours officiel de justification :
« En période épidémique, les États (c’est universel) prennent les choses en main et s’octroient des pouvoirs spéciaux pouvant aller, comme dans le niveau 6 du plan gouvernemental, jusqu’à la fermeture des frontières et des lieux publics, à l’annulation des spectacles et des divertissements, à la limitation des déplacements individuels, à la réquisition des personnels de santé, à la distribution gratuite de médicaments, à l’obligation du port de masques de protection, à la mobilisation des forces armées et à l’enterrement précipité des morts ! Le tout sous la direction d’une cellule de crise où les représentants des ministères de l’Intérieur et de la Défense prennent le pas sur celui de la Santé. »
Un officier ne demande pas à ses troupes « d’adhérer » mais d’obéir, d’obtempérer à ses ordres. Sauf que dans le cas qui nous occupe les autorités ne s’adressent pas à des militaires mais à des civils, et plus exactement à des patients.
Claude Le Pen est conscient des difficultés d’une pareille mobilisation : « Mais pour faire une guerre – et pour la gagner – encore faut-il disposer de toute l’autorité et de toute la légitimité pour mobiliser les Français et pour s’en faire obéir. »
Donc c’est la guerre ! Peut-être une nouvelle guerre contre le terrorisme international mené cette fois par les virus ! Non, il serait temps de ramener enfin les choses à leurs justes proportions : il ne s’agit pas d’une guerre mais d’une crise sanitaire.
Même si le discours officiel de justification sera édulcoré de toutes ces références guerrières, il en restera tout de même l’esprit, à savoir « disposer de toute l’autorité […] pour mobiliser les Français et s’en faire obéir ». Puisque le devoir d’altruisme ne marche pas il ne reste plus qu’à marteler le devoir d’obéissance. Faut-il encore rappeler que l’on s’adresse à des patients, dans le respect du Code de la santé publique et non pas du Code militaire.
L’autorité ne suffit pas, il faut aussi de la légitimité — ah, quand même ! — et Claude Le Pen avoue sa déception :
« Or, dans la santé, l’État n’a cessé de perdre de la légitimité, allant même jusqu’à transférer ses compétences techniques à une dizaine d’autorités administratives indépendantes, des « agences » comme l’Agence de sécurité sanitaire de produits de santé, la Haute Autorité en santé, l’Institut national de veille sanitaire, l’Institut national du cancer, l’Établissement français du sang, etc. S’étant lui-même avoué incompétent pour ce qui est du cancer, de la sécurité des médicaments et des aliments, de l’épidémiologie, de la santé au travail, des produits dérivés du sang, du sida, etc., l’État a du mal à être crédible quand il se proclame chef d’état-major de la lutte contre le H1N1 ! »
Dans cette affaire de grippe A, on n’a pas entendu une seule de ces agences s’exprimant d’une voix discordante de l’expression officielle de leurs autorités de tutelle. Où est donc leur problème de légitimité ?
Le problème serait que ces agences sont « aux mains d’experts nommés par l’État mais jaloux de leur indépendance, [qui] ont promu dans le monde de la santé une culture davantage orientée vers la discussion et la recommandation et que vers l’action et la décision. » Bref, on aurait donc affaire à une bande d’irresponsables qui passent leur temps à parler plutôt qu’à agir ! Et les agences — l’AFSSAPS, la HAS, l’InVS, etc. — seraient des électrons libres !
Mais le tir groupé contre les agences sanitaires n’est rien à côté de ce qui suit après :
« À cette contradiction interne à la machinerie étatique, il faut en ajouter deux autres, plus graves, qui touchent les patients et les médecins. ». Et de lancer une salve d’artillerie en direction des patients et une autre sur les médecins. Attention, il ne s’agit pas de stigmatiser Claude Le Pen mais bien de comprendre que derrière ses propos se dessine le prochain discours officiel de justification du ratage du plan de prévention de pandémie grippale.
— Concernant les patients : « Depuis une dizaine d’années, l’État ne cesse de vouloir « responsabiliser » les assurés sociaux – et pas seulement sur le plan financier – et d’accorder une voix et une place toujours plus grande aux patients en les poussant à être gestionnaire de leur propre santé. Le thème de l’«éducation thérapeutique du patient» occupe une place importante dans la loi Bachelot. Le mouvement des associations de patients s’est structuré ; il est devenu incontournable et il a de fait remplacé les centrales syndicales comme représentants de la «société civile » dans les discussions et dans organes de gestion collective de la santé. »
A-t-on vu une seule association de patients s’élever contre le plan de prévention grippale ? Faut-il déplorer la place importante que prendrait « l’éducation thérapeutique » ou au contraire déplorer qu’elle soit insuffisante ?
— Concernant les médecins, là, c’est carrément le tir de barrage : « Avec les médecins – les «médecins de base » bien sûr – c’est encore pire. On le sait, le gouvernement a fait le choix de ne pas faire appel aux cabinets libéraux pour sa stratégie de vaccination de masse. Pour des raisons de gros sous, entend-t-on ici et là. En fait, pour la raison plus profonde que le contrat de confiance entre les médecins et l’État, nécessaire pour mener la guerre ensemble, est cassé. Pourquoi l’État mobiliserait-il des médecins dont le moindre bulletin syndical dézingue au lance-flammes sa politique de santé en général et sa conduite de la campagne en particulier ? Des médecins qui rechignent à se faire vacciner eux-mêmes, qui dénigrent l’efficacité des vaccins et qui, finalement, expriment des vues et des opinions plus proches de celles de l’opinion publique que de celle des experts qu’ils sont censés être ? »
A-t-on vu un seul syndicat de médecins ou de soignants prendre les patients en otages pour régler ses comptes avec le ministère ? Même Sud-Santé n’y penserait même pas !
Claude Le Pen concède tout de même : « Mais d’un autre côté, comment les médecins ne pourraient-ils pas voir dans cette stratégie un nouveau signe du mépris dont ils se sentent victimes, une nouvelle preuve de ce sentiment « antimédecins » qui animerait selon eux l’administration publique, voire la ministre elle-même ? »
Après cela, comment conclure sans « passer par les armes » toutes ces bandes d’irresponsables et d’insoumis ? Comme la paix revient après la guerre ou comme le beau temps revient après la pluie, Claude Le Pen esquisse un épilogue heureux :
« Finalement cette grippe A (H1N1) est peut-être une chance. Profitons de l’expérience, tirons un bilan des limites du modèle militaire et réfléchissons à un modèle de gestion de crise qui soit bâti sur une triple relation État-patients-médecins plus confiante et plus interactive. L’écriture d’un plan exhaustif ne suffit pas, fût-il salué par l’OMS. Encore faut-il qu’il soit approprié par l’ensemble de la société. La diffusion d’une information de bonne qualité ne suffit pas. Encore faut-il qu’elle soit crédible à tous, notamment ceux qui ne disposent pas des compétences techniques d’appréciation. Et l’affirmation d’un rôle dirigeant revenant naturellement à l’État ne suffit plus. Encore faut-il qu’il ait reconquis sa pleine légitimité. »
Claude Le Pen appelle les différentes parties à fraterniser dans « une triple relation État-patients-médecins plus confiante »…
On peut toujours espérer…
On trouve sur le site de l’InVS un commentaire révélateur :
Les estimations produites à partir des données du réseau Sentinelles ont été comparées avec celles réalisées à partir d’une enquête de séroprévalence pour la grippe A(H1N1)2009 (SérogrippeHebdo [4]) Cette enquête mesure chaque semaine, dans un échantillon de femmes enceintes non vaccinées contre la grippe pandémique, la proportion des femmes ayant des anticorps contre le virus A(H1N1)2009. L’estimation du nombre de personnes de 20 à 39 ans infectées, réalisée grâce à l’enquête SérogrippeHebdo (prélèvements réalisés en semaines 47/2009 ou 48/2009), est de 1 052 800 [583 100 ; 1 538 700]. L’estimation obtenue à partir des données du Réseau Sentinelles pour la même tranche d’âge et jusqu’à la semaine 46/2009 (pour prendre en compte le délai de séroconversion) est de 951 600. Les estimations obtenues par ces deux sources de données différentes sont cohérentes.
Pas étonnant, le réseau Sentinelle n’a pas « tripatouillé » ses résultats
On lit aussi
La même comparaison avec les données du Réseau des Grog est rendue difficile par l’utilisation de tranches d’âge fixes par ce réseau dans le cadre de la surveillance européenne de la grippe (0-4 ans, 5-14 ans, 15-64 ans et 64 ans et plus), dans la mesure où qu’il est attendu des différences de séroprévalence en fonction de l’âge, y compris entre la tranche d’âge des 20-39 ans et 40-64 ans.
Il est ainsi estimé que, jusqu’au 13 décembre 2009, entre environ 8 et 14,8 millions de personnes ont été infectées par le grippe A(H1N1)2009 en France métropolitaine.
N’est-ce pas une façon élégante d’écarter tout soupon de « falsification en haut lieu » des chiffres obtenus par les GROG sur le terrain.
Falsification allant dans le sens indiqué par Dame Bachelot.
Ils sont allés trop loin pour vendre ce vaccin et sont maintenant bel et bien coincés.
Il faut aussi remarquer que l’InVS fait depuis peu à nouveau référence à Sentinelle pour, grâce à ses chiffres, se tirer du mauvais pas où ils se sont mis !