Vaccination : en rase campagne
A échéance régulière (et dans un fort louable souci de transparence) les autorités gouvernementales françaises font le point sur le « déroulement de la campagne de vaccination ». C’est ainsi qu’il y a quelques jours Gérard Gachet, porte-parole du ministère de l’Intérieur et le Pr Didier Houssin, directeur général de la santé tenaient un « point presse » au ministère de l’Intérieur (qui persiste curieusement ici à user, le concernant, d’un accent aigu sur son e). Résumé général : « La mobilisation se maintient à un niveau élevé et le cap des 4 millions de Français vaccinés et ainsi protégés du virus a été franchi le 17 décembre ». Les détails chiffrés de la communication gouvernementale imposent toutefois de relativiser l’enthousiasme du titre.
Qu’en est-il de la situation épidémiologique ?
Selon le dernier bilan (en date du 21 décembre de l’Institut de veille sanitaire (InVS) 168 décès liés au virus de H1N1pdm ont été recensés,
en métropole, depuis le début de l’épidémie. Au total, depuis cette date 918 cas graves ont été hospitalisés. Parmi ces personnes, 221 sont toujours en réanimation ou unités de soins intensifs.
Quid de la campagne de vaccination ?
« La mobilisation se maintient à un niveau élevé et le cap des 4 millions de Français vaccinés et ainsi protégés du virus a été franchi hier, 17 décembre, cinq semaines après le lancement de la campagne nationale de vaccination, affirme le gouvernement. A partir du 4 janvier, le régime normal de fonctionnement des centres de vaccination reprendra ; et dès le 5 janvier une relance de la campagne de vaccination en milieu scolaire aura lieu : les enseignants et l’ensemble de la communauté éducative pourront bénéficier de la vaccination. «
Pourquoi ? Tout simplement parce que « même si à la date du 17 décembre 352 651 collégiens et lycées se sont fait vacciner, cette première campagne, qui a débuté le 25 novembre, n’est que moyennement satisfaisante ». En effet ce chiffre de 352 651 ne représente que 10% des collégiens et lycées appelés à se faire vacciner jusqu’à présent (ce qui est moins que pour les populations prioritaires dont la proportion qui s’est fait vacciner s’élève à 15%). Et ce n’est pas ici une affaire de pénurie vaccinale.
Quel est l’état des stocks des vaccins ?
Sur les 94 millions de doses commandées par la France aux laboratoires pharmaceutiques, 26,7 millions ont déjà été livrés. Cette quantité est comparable au nombre de bons envoyés jusqu’à maintenant. Le nombre de vaccins encore disponibles (répartis entre les répartiteurs grossistes, et les centres de vaccinations) est tout à fait suffisant pour assurer la vaccination. Le gouvernement ajoute, transparent autant que sibyllin : « Des dons de vaccins sont envisagés à l’Organisation mondiale de la Santé et des contacts ont été pris avec quelques pays pour la vente des vaccins ». Le citoyen pourra-t-il en savoir plus ? Et, si oui, quand ?
Les contradictions d’un modèle « étatico-militaire »
Nous avons pour notre part déjà plusieurs fois filé la métaphore jacobine et guerrière. La formule est aujourd’hui reprise par Claude Le Pen, http://www.dauphine.fr/eurisco/claude.lepen.html, spécialiste d’économie de la santé, dans les colonnes du Figaro daté du 21 décembre.
Que nous dit ici M. Le Pen ? Tout d’abord, sans surprise, que nous aurions grand tort de nous en prendre à la ministre de la Santé. « Disons-le tout net : il n’y a pas beaucoup de reproches à faire à Roselyne Bachelot dans sa gestion de la grippe A(H1N1). Certes elle a été alarmiste et s’est fortement engagée pour la vaccination. Mais que n’aurait-on dit, maintenant que le virus a tué, si elle ne l’avait pas fait… Elle ne serait pas loin de la Cour de Justice de la République ! Certes on dénonce la pagaille dans les gymnases transformés en centres de santé, mais peut-on l’en tenir personnellement responsable ? Face à la versatilité de l’opinion, à l’incertitude des experts, aux folles et parfois scandaleuses rumeurs de l’Internet, à la pression de la presse et aux chausse-trappes de ses amis et ennemis politiques, elle a plutôt bien tenu le cap. »
Que nous dit encore M. Le Pen ? « Le problème est plus profond. Il vient me semble-t-il d’une inadéquation entre le modèle quasi militaire de gestion de crise et que l’Etat a mis en œuvre et les exigences nouvelles d’une société hyperdémocratique qui fait du citoyen de base, nonobstant son émotivité et son inexpertise, la mesure indépassable de toutes choses (…) Mais pour faire une guerre –et pour la gagner- encore faut-il disposer de toute l’autorité, de toute la légitimité pour mobiliser les Français et pour s’en faire obéir. Or dans la santé l’Etat n’a cessé de perdre de la légitimité, allant même jusqu’à transférer ses compétences techniques à une dizaine d’autorités administratives indépendantes, des « agences » (…) L’Etat a du mal à être crédible quand il se proclame chef d’état-major de la lutte contre le H1N1 ! »
A cette contradiction interne il faut, selon M. Le Pen, en ajouter deux autres, majeures. D’une part la place de plus en plus grande accordée sinon à la voix des « patients », du moins à celle des associations qui parlent au nom de leurs « droits ». De l’autre la rupture chaque jour un peu plus consommée avec les « médecins de base » ; des médecins « dont le moindre bulletin syndical dézingue au lance-flammes sa politique de santé en général et sa conduite de la vaccination en particulier ».
Le recours, ici, au verbe « dézinguer » comme à l’expression « lance-flamme » a, dans ces colonnes, quelque chose de rafraîchissant.
Jean-Yves Nau
De grâce, attendre un peu avant de jeter le bébé !
Les propos de Claude Le Pen sont intéressants à plus d’un titre. Tout d’abord parce que l’économiste de la santé de l’Université Paris-Dauphine remet en cause le modèle « étatico-militaire » proposé pour la gestion de cette pandémie. Ensuite parce que, dans le même élan, il discute la création récente en France (1998) des Agences de sécurité sanitaire qui diluent, selon lui, le principe même d’autorité de l’Etat. Rien de moins !
Il me semble cependant que nous allons devoir nous poser ces questions de manière plus globale ; au sens ango-saxon du terme. Il est en effet souvent trop rapide de jeter, d’emblée, le bébé avec l’eau du bain. Nous allons devoir ici étudier, pays par pays (et à niveau de développement comparable) les déterminants possibles des échecs ou des succès de ces campagnes de vaccination.
Un exemple : le commentaire du blogueur canadien (Jean-Michel C.) est édifiant. Comment et pourquoi les autorités canadiennes sont-elles parvenues à une couverture vaccinale de 50 à 56% dans leur population ? N’y aurait-t-il pas d’ « Agences sanitaires » au Canada ? Notre ami blogueur avance d’autres hypothèses tout aussi crédibles qu’il faudra explorer de près. Et notre ami helvète (Fabmul) qui montre comment, sans bruit, la Suisse est arrivée à 15% de couverture en quelques semaines…. tout en ajoutant qu’il n’y a là de quoi se vanter.
A n’en pas douter cette pandémie va permettre une introspection de nos systèmes de santé, de notre réaction au risque, de notre capacité d’expertise, de notre gestion de la crise, et ce à un niveau international. Et nous allons probablement découvrir que les déterminants auront été multiples et bien nombreuses les interactions entre ces déterminants. Ce qui n’enlève rien, bien au contraire à l’acuité de l’analyse de l’économiste de l’Université Paris-Dauphine.
Antoine Flahault
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