GrippAfrique

De retour de Dakar

Je reviens du Sénégal où j’étais invité aux doctoriales de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar pour y faire une conférence sur la pandémie grippale. Devant les 135 premiers doctorants que l’Université a entrepris de former dans son histoire (l’école doctorale de l’université a juste un an), je pensais en préparant mon intervention aux paroles de Marc Gentilini et à l’indécence qu’il évoquait de parler en Afrique sub-saharienne de cette pandémie de grippe. Ces jeunes chercheurs devaient se préoccuper davantage des problèmes de paludisme, d’infection par le VIH, de tuberculose multi-résistante, d’environnement insalubre, de difficultés d’accès aux soins et aux assurances santé, bref des “véritables” problèmes de santé publique du moment. La réalité fut toute autre. Aucun cas n’a encore officiellement été identifié et rapporté à l’OMS par le Sénégal. L’Institut Pasteur de Dakar, dont plusieurs chercheurs étaient présents lors de ces doctoriales, est équipé pour détecter et isoler le virus H1N1pdm dans un laboratoire aux normes de sécurité requises (L3). Quelques détections de saison de virus H3N2 ont été faites au cours des dernières semaines, mais pas de virus pandémique jusqu’à présent. Ce n’est pas tout à fait exact, le labo a bien identifié du H1N1pdm, mais ces prélèvements positifs venaient des îles du Cap-Vert, Etat indépendant voisin que dessert volontiers l’Institut Pasteur de Dakar. Il est possible selon les experts Sénégalais que par insuffisance du système de surveillance, l’on n’ait pas isolé le virus dans le pays, toujours est-il que malgré une recherche sur de nombreux prélèvements, il n’a pas encore été repéré.

Les autorités de Dakar ne prennent cependant pas du tout cette pandémie à la légère. Ils ne la dramatisent pas non plus, ils ont vu ce qui s’était passé dans l’hémisphère sud durant l’hiver austral, ils constatent l’évolution actuelle dans l’hémisphère nord. Ce dont ils ont peur, c’est l’effet “Ukraine” si l’on veut simplifier. C’est-à-dire l’inadéquation des moyens à mettre en oeuvre face à la situation même modérée à laquelle ils auront à faire face lorsque le virus débarquera sur le continent Africain, et la panique dans la population que cette inadéquation pourrait susciter. Car H1N1pdm débarquera, ils en sont sûrs, dès janvier et jusqu’en mars, pronostiquent-ils. Le retour récent du pèlerinage de La Mecque offrant à leurs yeux un potentiel d’ensemencement actuel dans de nombreuses villes et villages du pays. Ce qu’ils redoutent ? C’est justement le visage que nous avons connu de cette pandémie qui frappe les enfants, les jeunes adultes, parfois au hasard, en pleine santé, ou sinon avec des facteurs de risque fréquemment rencontrés dans le pays, asthme, diabète… “Vous avez 18 appareils d’ECMO (NDLR : technique lourde et coûteuse d’oxygénothérapie extra-corporelle) à l’hôpital de la Salpêtrière, à Paris” me confiaient-ils, “alors que nous n’avons pas beaucoup de lits disponibles de réanimation : comment sauverons-nous les centaines de patients qui relèveront de la réanimation et qui auront besoin d’oxygénothérapie simple, sans même parler de ceux qui n’auront jamais accès à l’ECMO ?“. La grippe saisonnière frappe probablement le Sénégal comme tout le continent Africain, mais l’Afrique ne la voit pas, n’en parle pas, ne la diagnostique pas. Encore aujourd’hui, comme il y a cinquante ans, de nombreux cas de fièvre sont trop rapidement étiquetés “paludisme”, alors que les essais cliniques conduits sur le paludisme montrent que moins de 60% des personnes se présentant pour une fièvre dans cette région du monde sont porteurs du plasmodium (responsable du paludisme). Les 40% autres ? On ne sait pas. On ne recherche pas la cause. Peut-être de la grippe. Sans doute de la grippe durant la saison sèche (hiver) pendant laquelle les températures baissent notablement et l’hygrométrie aussi. “Lorsqu’elle tuait, comme au Nord, des personnes très âgées ou très malades par ailleurs, alors on disait que la faux passait dans le champ, mais si la souche pandémique atteint des jeunes adultes, on nous demandera de les réanimer, et l’on manquera d’infrastructures pour y faire face“. Un comité anti-pandémie s’est mis en place et se réunit chaque semaine à Dakar. Il associe les autorités sanitaires et les experts du pays. Nous organisons ensemble un programme de recherches sur le sujet (WHO-CoPanFlu-Sénégal), dont l’investigatrice principale est la Professeure Anta Tall Dia, directrice de l’Institut de Santé et Développement de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, associant l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (EHESP, Rennes), l’Institut de Recherches pour le Développement (IRD, Dakar et Marseille), et l’Institut Pasteur de Dakar. Ce projet vise avant tout à documenter l’impact de la pandémie au Sénégal, à savoir si moins de 1%, 10% ou 50% de la population sera concernée par l’infection H1N1pdm, si le virus saisonnier disparaîtra progressivement comme ailleurs, et comment les formes cliniques s’y présenteront. Nous évaluerons aussi l’impact social et économique de la pandémie dans les familles volontaires se prêtant à ces recherches. Le Sénégal va suivre ainsi 500 foyers (=ménages) autour de la ville de Dakar, et les suivre pendant 2 ans. L’étude va démarrer en janvier. Le bouclage financier est enfin réalisé, entièrement sur fonds publics, grâce au support de l’IRD, de la nouvelle Alliance nationale pour les Sciences de la Vie et de la Santé (Institut thématique multi-organismes de microbiologie et des maladies infectieuses, JF Delfraissy) et de l’EHESP. Nous pourrons enfin connaître un peu mieux l’impact de la grippe dans cette partie du globe si exclue des écrans radar de la science et de la médecine moderne. Restons donc vigilants dans les semaines à venir, et je l’espère prêts à venir en aide si les moyens et les infrastructures venaient momentanément à manquer. Sans redouter l’hécatombe, 10 à 40 % des hospitalisations ont requis les soins intensifs (source OMS, pdf en français et anglais), mais la mortalité dans les réanimations a été de moins de 20% dans les pays développés. Ce que redoutent les pays en développement avec cette même souche virale, pays dont la structure de la population est constituée en majorité de jeunes adultes et d’enfants, ce sont des évolutions beaucoup moins favorables que dans les pays développés.

Antoine Flahault

6 commentaires pour “GrippAfrique”

  1. Enfin un expert exprime des craintes justifiées en ce qui concerne l’Afrique !
    Il nous met face à la réalité …

    Jusqu’à présent , il me semblait et je l’avais écrit ici , que, à voir le comportement des pays industrialisés, « ON » considérait que le H1N1 était un moyen de régler le problème de la faim dans le monde : d’où, peut être, l’absence de tous les pays riches, sauf l’Italie, à la dernière conférence sur le sujet, alors qu’il meurt de faim un enfant toutes les 6 secondes.
    Le problème qu’évoque le Pr Flahault est important et devrait être pris en compte par nos responsables politiques!
    L’Afrique n’a pas de vaccin, n’a pas de matériel en quantité suffisante, ou n’en a pas du tout d’adapté.
    Il peut y avoir des problèmes sociaux et économiques graves en plus d’un nombre de morts élevé. C’est ce que les responsables craignent et disent, selon le Pr Flahault.
    Mais hélas, quand on laisse mourir un enfant de faim, toutes les 6 secondes, sera-t-on capable de les aider face aux H1N1 ? Le veut-on simplement ?

    Nous les avons colonisés pendant des années, nous continuons à les exploiter de façon éhontée et nous les laisserons, une fois de plus, se débrouiller seuls…
    Et si les choses tournent mal nous y enverrons des unités d’élite pour sauver nos intérêts, et cela coûtera plus cher que de les avoir aidés à temps!

    L’histoire est bien un « éternel recommencement ».

  2. Antoine FLAHAULT ne pouvait trouver de meilleur exemple que le Sénégal pour illustrer « la pandémie de l’indécence » mais pas vraiment au sens où l’entend Marc Gentilini, l’auteur de cette formule. En effet, l’indécence des pays riches n’a d’égal que l’indécence de certains pays pauvres, et le Sénégal en est le parfait exemple.

    Pour faire face à la pandémie de grippe A H1N1, et en attendant le vaccin, le Sénégal disposerait — selon le directeur de la Pharmacie nationale d’approvisionnement, le Dr Pape Birame Ndiaye — de 221 120 comprimés de Tamiflu, soit moins que pas grand-chose. Le stock de Tamiflu serait donc 2312 boîtes de 10 comprimés achetées plus 19 800 boîtes de 10 comprimés offertes par l’OMS.

    Pour ne rien arranger si la pandémie venait à sévir, le pays ne dispose que de très peu de lits de réanimation et encore moins de respirateurs artificiels ou d’ECMO (Extra Corporeal Membrane Oxygenation, Oxygénation par membrane extra-corporelle).

    Mais pour se consoler, et prendre de la hauteur, les Sénégalais ont maintenant… une statue de bronze de 50 mètres de haut (plus grande que la statue de la Liberté) qui a coûté la bagatelle de 22 millions d’euros.

    Le Sénégal connaît des émeutes de la faim et ses infrastructures sanitaires sont très insuffisantes (lire les articles de Pierre Malet dans Slate.fr), et pour répondre aux besoins élémentaires de la population, son président n’a rien trouvé de mieux que d’ériger ce « monument de la renaissance africaine » censée représenter selon ses propres mots « l’Afrique sortant des entrailles de la terre, quittant l’obscurantisme pour aller vers la lumière » !

    Aux dernières nouvelles, le président sénégalais aurait eu l’idée géniale d’inaugurer en grandes pompes sa statue par visioconférence avec les présidents Obama et Sarkosy : lui, à Dakar, au sommet de son monument (!), le président Obama au sommet de la statue de la Liberté (!!) et le président Sarkosy au sommet de la Tour Eiffel (!!!). Les présidents Obama et Sarkosy ont poliment mais fermement décliné l’invitation, officiellement pour une question d’agenda, et officieusement pour ne pas se couvrir de ridicule, et surtout pour ne pas cautionner cette gabegie et cette folie des grandeurs.

    Plus sérieusement, car cette affaire ne prête pas vraiment à rire et ne fait pas rire du tout les Sénégalais, la pandémie de grippe A H1N1 pose le problème des priorités de santé et la part minimum de PIB que chaque pays devrait y consacrer. Bien sûr, les pays en voie de développement ont des ressources limitées pour la santé de leurs populations mais ces ressources sont encore plus limitées lorsqu’elles sont détournées…

  3. Trois elements toutefois qui sont rassurants
    la grippe aime le froid humide et en zone intertropicale elle ne trouve que peu de conditions favorables habituellement
    Lors de la pandemie de 1918 avec le virus le plus cousin qui soit du H1N12009 si ce n’est son frere jumeau , on a constaté une sous mortalité aux USA des sujets d’origine africaines et on connait les predispositions genetiques de certains groupes de par le monde (il semble que les indiens d’amerique et aborigenes australiens soit au contraire particulierement à risque de pulmonite fulminante )
    Les citoyens africains sont deja decimés par d’autres fleaux au premier rang desquels le paludisme faisant en sorte que les sujets ayant resisté et donc actuellement en vie (hormis les nourrissons de l’année ) resistent parfaitement au virus de la grippe qui tue de par le monde les individus dont l’immunité est dereglée (soit trop faible soit trop forte) aussi bien lors des grippes dites saisonnieres que lors des grandes pandemies .
    Donc de dire que l’Afrique payera un lourd tribu à cette grippe temoigne d’une parfaite meconnaissance de la question .
    ce qui ne veut pas dire qu’il ne faille pas preparer un vaccin pour les sujets à risque en afrique mais la vaccination de masse ne se justifie evidement pas .
    les stocks de tamiflu excedentaires francais pourraient servir au traitement des rares malades fragiles qui le necessiteraient . Je pense que 5 à 10 milllions de boites suffiraient .le plus urgent etant plutot d’adresser des stocks de nourriture car on a largement demontré en particulier chez les personnes agées que la denutrition etait un facteur de risque non seulement de la grippe mais de tant d’autres pathogenes infectieux . la supplementation en zinc a fait l’objet de la demonstration d’une diminution nette ( en double aveugle contre placebo) de la mortalité de la grippe chez les personnnes agées , l’âge restant le facteur de risque le plus important y compris lors de cette pandemie !
    4e element rassurant : la moyenne d’âge est moins elevée en Afrique .

  4. Bien que ne comprenant rien à la médecine et à fortiori à la virologie, j’ai le « pressentiment », depuis longtemps, que ce sont les pays dits en « voie de développement » qui vont payer un lourd tribu à cette grippe A.

    Ce pressentiment est induit par le recoupement de toutes les informations concernant les différentes pandémies et tout particulièrement de celle de 1918.

    Je compare, à tort peut-être, l’Afrique « profonde » (pas Dakar avec une structure moderne) à la France de 1918 sur le plan de la structure hospitalière…avec quelques antibiotiques en plus.

    Si je rapproche le contenu du post « les poumons des morts parlent » de celui-ci, je crois y discerner la justification de mes craintes. Notre H1N1 aurait quelques points communs avec celui de 1918.

    En Afrique le H1N1 ne risque-t-il pas de faire plus de morts que le VIH ou la faim chez les enfants ?
    Quelqu’un aurait-il des informations permettant d’un peu mieux appréhender la question ?

    Par exemple y a-t-il eu une simulation de faite, via un processus aléatoire ?

    Ne devrions-nous pas leur « donner » Dame Bachelot comme ministre de la santé ? A condition, bien sûr, qu’elle parte avec du Tamifflu (avant qu’il ne périme), quelques millions de doses de vaccin et quelques bataillons d’élite, pour organiser la vaccination, avec comme consigne, pour faire plaisir à Marc PEREZ, de ne pas vacciner le président du Sénégal…

  5. Jean Rabat, attention, je considère au contraire que les potentats font partie des personnes prioritaires à protéger de la grippe H1N1, ne serait-ce que pour laisser aux tribunaux ou à l’Histoire le soin de les juger… Et de toute façon, un patient reste un patient, quel qu’il soit.

    Plus sérieusement, et pour revenir à notre sujet, il faut lire, par exemple les articles de Pierre Malet sur Slate.fr pour comprendre l’état sanitaire dans lequel se trouve le Sénégal au moment où il serait touché par la grippe A :

    http://www.slate.fr/story/11261/senegal-un-regime-qui-prend-leau

    « Les banlieues de Dakar sont victimes de terribles inondations. La colère populaire est d’autant plus grande que certains quartiers sont inondés depuis…2005. Les autorités locales prennent tout leur temps pour pomper l’eau. Parfois faute de moyens. Souvent du fait de détournements de fonds. »

    « La révolte gronde d’autant plus que le régime a dépensé des sommes considérables pour embellir les quartiers résidentiels. En bord de mer, sur la Corniche, là où vivent les nouveaux riches du régime, des routes, des ponts et un tunnel parfaitement bitumés servent de terrain de jeu aux derniers modèles de Porsche ou de BMW. Pendant ce temps-là, les charrettes tirées par des chevaux étiques et les 4L déglinguées «pataugent» dans les eaux stagnantes de Pikine, banlieue de la capitale sénégalaise. »

    Que les doctorants sénégalais de la faculté de médecine de Dakar — que Antoine FLAHAULT a rencontrés — soient intéressés par la grippe A, c’est tout à fait normal. Il n’en demeure pas moins vrai que les Sénégalais sont confrontés à de graves problèmes sanitaires, d’autant plus urgents maintenant qu’ils ne sont pas traités depuis des années.

    Plus généralement — les priorités sanitaires ne concernant pas seulement les pays pauvres mais aussi nos pays riches —, il va bien falloir faire des choix car les moyens financiers ne sont pas élastiques à l’infini.

    Dans les pays en voie de développement, les pandémies avérées et celles que l’on nous annonce dans le futur, risquent de porter le coup de grâce à des systèmes de santé déjà insuffisants. Leur salut ne peut venir que par des décisions prises à l’ONU ou à l’OMS pour contraindre ces pays à consacrer un minimum de leur PIB à la couverture des risques sanitaires. Quitte à ce que les pays riches leur apportent un complément de ressources.

    On peut toujours nouer, de ci, de là, des coopérations médicales mais elles ne seront jamais que des gouttes d’eau dans cet océan de misère tant que les pays en voie de développement n’auront pas placé la santé en première priorité… de développement, quitte à donner des coupes sombres à leurs budgets de défense, par exemple.

    Evidemment, ce qui est valable pour eux l’est aussi pour nous…

  6. Bonjour,

    J’ai toujours l’impression qu’il existe plusieurs mondes,et que l’humain reste l’humain ,mais les réalités culturelles et économiques font les différences .
    Pour l’Afrique,ou d’autres continents en voie de développement,les réalités sanitaires sont à aborder différemment! J’avais lu,il ya longtemps qu’il s’agissait de faire d’abord de la prévention dans ces continents là , à la différence d’avec nos pays riches qui avaient surtout une médecine curative.
    Qu’en est il du traitement de la grippe saisonnière habituellement,là bas? N’ont ils pas d’autres “chats “à fouetter?N’est ce pas encore une façon très “occidentale” d’aborder Le Monde?
    Je me souviens d’un slogan:”la santé pour tous en l’an 2000.”L’OMS je crois!!!

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