Vaccin, Tamiflu et peurs françaises
Nous sommes déjà à la mi-décembre de l’année 2009. La France grelotte et tremble encore pour Hallyday (Johnny). L’icône nationale a été hospitalisée en Californie. Elle est victime d’une complication infectieuse survenue après une nouvelle intervention, chirurgicale et parisienne, sur une hernie discale. Comas artificiels, règlements de compte et médiatisation à haute dose. Comme toujours les mythes qui souffrent réclament la compassion.
Mi-décembre. Dans le grand froid (et inquiets des possibles manquements hexagonaux de la fée Electricité) nous nous rapprochons de la Noël. Huit mois déjà que la pandémie grippale a émergé sous le soleil du Mexique ou du sud de la Californie. Huit mois qui, face à cette nouvelle menace, ont vu progresser les réponses à la fois collectives et éclatées, coordonnées et disparates, planétaires et nationales. Et puis (est-ce ou non une spécificité française ?) ces serpents de mer récurrents que sont la vaccination d’une part, le Tamiflu de l’autre ; soit les deux axes de la réponse scientifique (raisonnée et raisonnante) face à l’agression virale.
Vaccination. Deux dernières nouvelles en provenance du front. Tout d’abord celle, comme toujours militaire, formulée le 15 décembre par Roselyne Bachelot. Face à la représentation nationale la ministre de la Santé a affirmé qu’avec 3,5 millions de personnes vaccinées, la France avait « l’un des meilleurs taux de vaccination des pays qui ont lancé des campagnes ». Certitudes ministérielles : 35% des personnels soignants des hôpitaux sont vaccinés tout comme 60% des médecins et 270.000 élèves des établissements du secondaire. « Il faut forcer le pas » affirme, martiale, Mme Bachelot. Elle sera auditionnée mardi le 22 décembre par la commission des Affaires sociales de l’Assemblée sur l’évolution de la pandémie et la campagne de vaccination.
Peut-être évoquera-t-on alors les troublants résultats d’une « enquête on line » réalisée (1) les 10 et 11 décembre 2009 auprès d’un échantillon de plus de 14 000 personnes âgées de 18 ans et plus, issu de la base de données de 12 millions d’internautes acceptant de participer au programme d’enquêtes EmailetVous. Bien évidemment il ne s’agit que d’un sondage, avec tous les aléas toutes les limites de ce genre d’entreprises. Faudrait-il pour autant en taire les conclusions ? Résumons-les ici en quelques points.
Tout d’abord (et cela ne surprendra personne tant le phénomène est aisément perceptible) la pandémie grippale est bel et bien devenue une préoccupation majeure des Français : 95% d’entre eux déclarent en parler régulièrement avec leur entourage. Mais une préoccupation
Que l’on pourrait, au choix, qualifier d’ambiguë ou de schizophrénique: 64% des répondants estiment que le H1N1pan n’est pas ou peu dangereux tandis que 62% estiment qu’il peut provoquer le décès de personnes ne présentant pas de pathologie, ni de fragilité particulière. Mais de quel droit parler ici d’ambiguïté ou de dédoublement de personnalité puisque toutes les informations rationnelles (que nous ne cessons, Antoine Flahault et moi, de rapporter sur ce Blog) converge pour dessiner une épidémie au double visage.
« Cette ambiguïté exacerbe le sentiment des Français concernant l’information autour de la grippe, croit pouvoir commenter l’entreprise sondagière. Ils se disent plutôt mal informés : 59% d’entre eux se considèrent mal informés par le gouvernement et 56% mal informés par le corps médical. Par réaction à ce phénomène, 69% pensent que les médias ne relaient pas correctement l’information. La confusion ambiante, la méconnaissance et le sentiment d’être mal informé conduisent à un véritable paradoxe puisque les Français ont plus peur du vaccin que de la grippe. » De fait les résultats confirme avec des chiffres le palpable ambiant concernant le grand scepticisme à l’égard du geste vaccinal : 90% des Français ne se sont pas (encore) fait vacciner et 78% d’entre eux n’envisagent pas de le faire ; 84% des parents n’ont pas fait vacciner leurs enfants et 79% d’entre eux n’ont pas l’intention de le faire.
Pourquoi une telle allergie collective ? Essentiellement, semble-t-il, du fait de la peur des effets secondaires à long terme que redoutent 73% des répondants ; une proportion équivalente à celle de ceux qui estiment que le dispositif de vaccination est mal organisé. Au total plus de trois répondants sur quatre estiment que le gouvernement français a « sur-réagi » face à la menace pandémique. Et ils sont -cruel constat pour celle qui en fait tant et tant- deux sur trois a juger que “Roselyne Bachelot ne fait pas du bon travail et qu’elle communique mal”.
Tamiflu. Le serpent de mer est ici d’une longueur nettement supérieure à celui de la vaccination. Nous l’avions découvert avec l’émergence de la grippe aviaire et des premiers cas de contamination humaine par le A(H5N1). Il émerge lui aussi – depuis plus de cinq ans et à échéances régulières dans des eaux pas toujours très claires – montrant différentes facettes, plumes ou écailles. De qui parlons-nous ? D’un produit élaboré et commercialisé par une seule multinationale pharmaceutique (Roche), vendu à prix d’or pour une efficacité toute relative et qui plus est dans une indication tenue pour marginale.
Nous croyions, depuis des années, l’affaire entendue. Nous avions tort ; mal éteint le feu peut toujours courir sous la cendre, parfois même sous la neige. Ainsi des représentants des médecins généralistes français viennent-ils de critiquer les nouvelles recommandations des autorités sanitaires concernant cet antiviral antigrippal. Il ya quelques jours la Direction générale de la santé (DGS) annonçait que les traitements antiviraux (jusqu’alors uniquement recommandés dans les formes sévères et chez les personnes à risque) pouvaient désormais être prescrits chez toutes les personnes présentant les symptômes de la grippe.
Révolte dans les rangs : le Collège national des généralistes enseignants (ou CNGE) qui réunit les médecins généralistes chargés d’enseignement dans les facultés de médecine vient de prendre position : il «ne recommande pas l’utilisation systématique de médicaments antiviraux en cas de suspicion de grippe A(H1N1)». Selon lui «les données actuelles sont trop fragmentaires et de très faible niveau de preuve» et dans un geste sans précédent il ose –fait sans précédent- demander à la DGS «d’indiquer les arguments scientifiques et les niveaux de preuve sur lesquels s’appuie ce changement soudain de recommandation».
En arrière-plan une toute récente publication du British Medical Journal (BMJ) qui, après analyse détaillée d’une vingtaine d’analyses spécifiques, conclut (ce qui était amplement connu) que cet antiviral réduit d’environ une journée la durée des symptômes cliniques et que ses bénéfices sur les complications de l’infection sont, tout bien pesé, bien peu convaincants. Prescrire ou pas prescrire ?
(1) Cette enquête a été menée à l’initiative de « MediaprismGroup » qui se présente comme ‘’ le 1er groupe intégré de marketing services en France’’. Cette société explique être « nourrie par une base de plus de 34 millions de consommateurs français dont 12 millions d’internautes ». Elle explique aussi que (sic) ses données sont « déclinables en marketing relationnel, opérationnel, interactif, publicité commerciale, enquêtes d’opinion et sondages, data consulting et location d’adresses on et off line… et dans des secteurs aussi différents que la Distribution, la Banque-Assurance ou le Caritatif »
Jean-Yves Nau
Tamiflu : la polémique émergente
Une nouvelle fois cette pandémie est donc, à bien des égards, hautement instructive. Nous avons souvent rappelé tout au long de nos précédents billets à quel point nous ne nous étions pas si bien préparés que cela à une pandémie H1N1, en nous préparant à la grippe aviaire H5N1.
Aujourd’hui la polémique sur le Tamiflu émerge simultanément dans le British Medical Journal (article de Tom Jefferson et coll. du 8 décembre 2009, en anglais, gratuit en ligne) et chez les médecins français (par exemple, éditorial du 8 décembre 2009 et une lettre ouverte au DGS du 15 décembre sur le site de formation et d’information médicales, Formindep). Un nouvel argument pour dire que notre système de santé et nos politiques sanitaires ne sont pas encore véritablement « fondés sur des preuves » ; ou alors de manière très partielle. Nous dépensons des énergies considérables pour disposer de médicaments et des vaccins répondant à des exigences réglementaires concernant l’efficacité et la tolérance individuelles ; exigences fondées sur des niveaux de preuve les plus élevés possibles. En revanche, une fois ces médicaments et vaccins mis sur le marché, les stratégies d’utilisation collective ne reposent généralement que sur une démarche empirique, sans aucune expérimentation clinique préalable et sans évaluation subséquente. Nous avons été capables de mettre en œuvre, pendant plusieurs décennies consécutives, une politique vaccinale coûteuse contre la grippe saisonnière sans pour autant disposer d’essais cliniques montrant que cette vaccination était de nature à réduire (ne serait-ce qu’un peu), la mortalité ou la morbidité par grippe.
Nous n’avons jamais non plus évalué de stratégies de vaccination de masse concernant les populations adultes jeunes et les professionnels de santé (à part en maisons de retraite). Nous n’avons pas davantage d’expérience sur l’utilisation de masse du Tamiflu, à part quelques données empiriques japonaises. Continuons : rien sur les masques ni sur le lavage des mains, et des données fragmentaires sur l’impact des vacances scolaires de février en France sur la morbi-mortalité attribuable à la grippe.
Cette grippe est un révélateur. Elle met en lumière le fait que dans le domaine de la santé (où désormais s’impose théoriquement une culture « evidence-based » fondée sur les preuves) on n’a fait qu’un bout du chemin. Plus précisément on impose aux industriels de faire ce bout de chemin ; à prix d’or d’ailleurs, la mise sur le marché d’un nouveau produit coûtant au bas mot désormais un milliard d’euro. Or la puissance publique se refuse encore ou presque à goudronner le dernier tronçon qui reste à peine carrossable.
Pour ce qui est de la grippe on ne peut même pas dire que l’on applique une recette éprouvée pour d’autres maladies infectieuses. La vaccination contre la polio ou la variole était obligatoire, le plan d’éradication partagé au niveau international et appliqué de manière systématique et l’évaluation conduite exhaustivement. Durant cette pandémie de grippe, l’absence d’expérience, la variabilité des décisions des différents Etats, même à l’échelle de l’Europe, et la forte réticence des populations – pas seulement française – semblent avoir eu raison de toute stratégie coordonnée de politique sanitaire. Nous devrons sans doute nous contenter d’une couverture vaccinale à peine supérieure à celle de la grippe saisonnière, voire inférieure, et sans s’assurer de la protection satisfaisante des groupes à risque ; il nous faudra constater des stocks de Tamiflu sous-utilisés, des stocks de masques de protection (un milliard en France attendent la fin de la péremption) non utilisés, et les écoles auront été sporadiquement fermées de-ci, de-là, puis à nouveau ouvertes. A l’image des lumières de Noël dans nos villes.
Antoine Flahault
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