Variations chiffrées sur la réalité
Saura-t-on un jour expliquer les raisons d’une cacophonie décidemment récurrente ? En France les autorités sanitaires laissent entendre que le « pic est atteint » avant que l’OMS nous informe que la France est l’un des rares pays européens où le H1N1pdm continue sa progression… Comment comprendre ? Seule certitude objective dans l’Hexagone, celle des chiffres de l’Institut de veille sanitaire qui, le 11 décembre, signalait 13 nouveaux décès liés au virus de la grippe en métropole en deux jours, soit 139 depuis le début de l’épidémie. Le même Institut a, en deux jours, recensé 80 nouveaux cas graves. Au total, depuis le début de l’épidémie, 710 cas graves ont été hospitalisés en métropole. Parmi ces personnes, 184 sont toujours en réanimation ou unités de soins intensifs.
Une autre comptabilité nous vient de Grande Bretagne où un travail épidémiologique officiel vient de conclure que les infections dues au H1N1pdm seraient associées à une mortalité moins importante que celle initialement redoutée. Publiée par le British Medical Journal (pdf de l’article en anglais) la première analyse complète (jusqu’au 8 novembre) des décès dus au nouveau virus pandémique en Angleterre conclut à un taux de mortalité de 0,026%, soit environ un décès pour environ 3.800 infections. Ces résultats font suite au taux de 0,048% publié il y a quelques jours par une équipe de chercheurs américains. En Angleterre près de deux tiers des personnes décédées des suites de l’infection grippale souffraient de maladies préexistantes. Ce travail conclut d’autre part que si les personnes âgées de plus de 65 ans sont moins exposées au risque de contamination celles qui sont infectées risquent plus d’en mourir.
« La première pandémie de grippe du XXIe siècle est considérablement moins mortelle que ce que l’on a pu le redouter au début » résume Sir Liam Donaldson principal conseiller du gouvernement britannique en matière de santé et responsable de cette étude menée par l’Agence britannique de protection de la santé. En toute hypothèse les auteurs expliquent que le taux de mortalité actuellement observé est nettement inférieur à celui des trois pandémies du XXe siècle: celle de 1918 avec un taux de mortalité de 2 à 3%, et celles de 1957-1958 et 1967-1968 (environ 0,2%). Pour Sir Donaldson il faut peut-être compter ici avec les améliorations progressives réalisées, à l’échelon collectif, dans le domaine de la nutrition, du logement, de la prise en charge médicale et tout particulièrement de réanimation intensive.
Mais ce travail très pragmatique apporte d’autres enseignements chiffrés : les taux de mortalité les plus bas ont été enregistrés chez les 5-14 ans et les plus élevés chez les plus de 65 ans. L’âge moyen des victimes a été de 39 ans (et le plus souvent compris entre 17 et 57 ans). La majorité d’entre elles n’aurait pas été susceptibles d’être protégées par la première phase de vaccination telle qu’elle avait été programmée en Angleterre. Plus de trois victimes sur quatre avaient reçu une prescription de médicament antiviral mais parmi celles-ci la même proportion n’avait pas pu le prendre avant les 48 premières heures de l’infection déclarée.
Conclusions de ces responsables britanniques : l’affaire est peut-être moins grave que prévu. Pour autant aucune raison de baisser la garde, notamment pour ce qui est de la vaccination des groupes à risque et de l’amélioration de l’accès le plus rapide possible aux médicaments antiviraux. Une nouvelle fois l’ambiguïté du message à faire entendre : moins grave que prévu mais pas anodin quand même… Une vache anglaise atteinte d’une pseudo-variole peinerait durablement ici à retrouver ses veaux et ses fermières.
Il faut ici ajouter que les dernières données épidémiologiques de mortalité en provenance du Japon (une mort pour 50 000 infections) semblent fortement plaider en faveur du recours à la fois précoce et massif aux deux antiviraux antigrippaux que sont le Tamiflu (de chez Roche) et le Relenza (GlaxoSmithKline). Est-ce dire que le Japon (premier consommateur mondial du Tamiflu-Roche nous dira-t-il un jour pourquoi sinon comment ?)) aurait mieux su anticiper que les autres pays industriels ? Ou faut-il comme souvent appeler à l’aide, pour mieux comprendre, les experts en santé publique ?
Jean-Yves Nau
Bilan provisoire : une mortalité indirecte basse, et une mortalité directe élevée
Cet article britannique est d’une grande importance : il est le premier à tenter une évaluation documentée de la mortalité liée à la grippe H1N1pdm à l’échelle d’un pays. L’étude est rigoureuse. Elle est basée sur les 138 certificats de décès portant la mention « infection par le virus de la grippe H1N1pdm » durant la période du 1er juin au 8 novembre 2009. Cela constitue le numérateur. Le dénominateur est basé sur les estimations produites par la veille sanitaire britannique évaluant à 540 000 le nombre total d’infections symptomatiques par le virus pandémique durant la même période.
Le résultat : un taux de létalité compris entre 22 et 34 pour 100 000 avec de fortes variations selon l’âge (les plus de 65 ans ayant un taux de létalité de l’ordre de 1%). Les auteurs notent qu’il est heureux de constater que ces résultats sont très en dessous de ce que l’expérience des pandémies passées laissaient présager : 2-3% en 1918, 0,2% en 1957 et 1968. Le film n’est cependant pas terminé préviennent les auteurs, qui redoutent, si l’activité épidémique devait remonter durant l’hiver comme en 1957, que les personnes âgées soient davantage touchées (et donc davantage exposées au risque de décès) venant alors alourdir le bilan. Les auteurs remarquent cependant qu’un tel scénario ne s’est pas produit jusqu’à présent dans l’hémisphère Sud avec H1N1pdm (mais là-bas, leur hiver austral s’est terminé avec la fin de la vague épidémique).
Il est donc à espérer que cette pandémie ne sera pas associée à une mortalité totale élevée. Pour autant restons prudent (peut-on le dire sans être aussitôt accusé de faire du catastrophisme ?) puisque l’hiver n’a pas encore seulement commencé dans l’hémisphère Nord. Et l’on peut aussi noter que la mortalité directe est plus élevée que la moyenne habituelle. Ce qui est inexplicablement bas, c’est la mortalité indirecte chez les personnes âgées.
En France (la chose est vraie dans d’autres pays) selon les derniers chiffres recensés par l’Institut de Veille Sanitaire, cités par Jean-Yves Nau, il y a tout lieu de penser que l’on est – vis-à-vis de cette mortalité directement liée au virus H1N1pdm – dans des rapports de fréquence de l’ordre de 100 fois supérieur, comme nous l’estimions au mois d’août, avec l’expérience acquise dans l’hémisphère sud (Plos Currents Influenza, en ligne, en anglais). Attention, je n’ai jamais dit comme le suggèrent certains blogs déformant mes propos que la pandémie serait cent fois plus meurtrière que la grippe saisonnière, je n’ai parlé que de la mortalité directe, celle que l’on observe et qui est rapportée chaque jour, lorsque l’issue est fatale au sortir d’un séjour en unité de soins intensifs pour pneumonie virale. C’est elle et seulement elle qui semble être beaucoup plus fréquente qu’habituellement. Or habituellement cette mortalité directe ne représente que moins d’un millième de la surmortalité totale liée à la grippe, qui est donc essentiellement indirecte.
Car il faut le redire : cette mortalité directe est, habituellement, exceptionnelle ; entre 2004 et 2008, seuls 5 cas de pneumopathies virales avec syndrome de détresse respiratoire aigüe (SDRA) ont été recensés en moyenne chaque année, dont 1 à 3 avaient connu une issue fatale. Or voici qu’en quelques mois l’épidémie, en France, a causé 710 cas graves dont la plupart directement liés à l’infection par le virus, et 138 décès, dont un très grand nombre de SDRA. Soit des proportions jamais observées dans le passé saisonnier récent. Ce qui s’est passé dans l’hémisphère Sud durant l’hiver austral s’est ainsi reproduit de façon assez fidèle dans l’hémisphère Nord durant l’automne, sans présumer encore de l’évolution de l’activité de ce nouveau virus durant l’hiver à venir.
Ainsi donc, vis-à-vis de la mortalité nous sommes dans une situation apparemment paradoxale et totalement inédite. La mortalité totale attribuée au virus H1N1pdm (somme de la mortalité directe et de la mortalité indirecte) semble faible, peut-être même plus faible que la mortalité liée à la grippe saisonnière. Et ce parce que la mortalité indirecte serait très faible, alors que la mortalité directe serait, elle, beaucoup plus élevée, et frapperait des jeunes inhabituellement victimes de la grippe. En proportion relative, la mortalité directe passerait du millième de la mortalité totale à une fraction qui pourrait dépasser la moitié, c’est un résultat assez stupéfiant.
Notons que les Britanniques ont changé de « thermomètre » en cours de route. Ils reconnaissent qu’habituellement ils faisaient référence au concept d’ « excès de mortalité » (que nous avons déjà exposé dans ces colonnes) et qui repose sur l’analyse des statistiques de mortalité « toutes causes». Comme tous les pays développés jusqu’à présent, et depuis les années 80. Or il est encore trop tôt pour disposer des statistiques de mortalité « toutes causes ». Ils travaillent donc à partir des certificats de décès dont on sait (en France et aux USA notamment) qu’ils ne représentent que moins de 10% de l’estimation de la mortalité en excès au cours de la grippe saisonnière (en France 600 certificats rapportant l’infection grippale pour une mortalité en excès de 6000, en moyenne). Les auteurs tablent cette année sur une faible sous-notification des décès ; ce qui est possible en raison de la médiatisation et des efforts faits pour favoriser le recueil des données par les médecins. Ce n’est cependant pas encore certain. Il faut donc rester prudent, même si l’on a l’impression qu’une forte surmortalité liée à H1N1pdm est probablement à exclure, car elle aurait été sans doute repérée par les cliniciens ou les services de pompes funèbres. Ce qui n’a pas été le cas à ce jour. On n’est pas dans une configuration du type de la canicule, que l’on redoutait.
Que conclure ? Si la pandémie devait disparaître au terme de cette vague automnale il est possible (mais pas encore certain) que nous aurions été confrontés à un virus responsable d’une surmortalité inhabituelle chez les adultes jeunes et les jeunes enfants, souvent atteints préalablement d’affections chroniques, parfois non. Dans le même temps ce virus n’aurait été à l’origine que d’un faible excès de mortalité dans la population générale et notamment des personnes âgées encore épargnées car peu infectées par ce virus à ce jour. Les auteurs de cette publication importante recommandent de vacciner les personnes âgées et à risque (comme pour la grippe saisonnière) de manière à les protéger contre une prochaine vague épidémique, toujours possible. Il n’est pas interdit de les entendre.
Antoine Flahault
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