Noël, Tamiflu et Relenza sont bien là !
Quand le kit bogue
Nouvelle, petite mais bien éclairante controverse ; ou quand le kit bogue. Avec cette précision liminaire : il ne faudrait jamais omettre de lire le Journal officiel de la République Française (JO) ; un JO qui ose user du « kit » (pourquoi avoir abandonné « panoplie » ou « attirail » et laisser croire à tous qu’il s’agit d’un « ensemble de pièces prêtes à monter » ?). « Kit », donc, faute de pouvoir parler de « bug ». Pour ce qui nous concerne (Antoine, vous, moi) il ne fallait surtout pas rater l’édition datée du 4 décembre. Notre JO publiait alors l’ « arrêté du 3 décembre 2009 relatif à la distribution de kits destinés au traitement des patients atteints par le virus de la grippe de type A (H1N1) 2009 » ; un texte signé par Roselyne Bachelot ministre de la santé et des sports et par Eric Woerth ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’Etat.
Mme Bachelot et M. Woerth y rappellent la situation épidémiologique sévissant dans le monde, et notamment le fait que « selon l’Organisation mondiale de la santé, plus de 206 Etats ou territoires ont été, à ce jour, concernés par l’épidémie provoquée par le virus de la grippe de type A (H1N1) 2009 et que plus de 6 770 personnes résidant dans ces Etats ou territoires en sont décédées ». Les deux ministres rappellent aussi que l’Organisation mondiale de la santé a déclaré la mise en œuvre de la phase 6 du plan mondial de préparation à une pandémie de grippe et que le gouvernement français a déclaré la mise en œuvre de la phase 5A du plan national de prévention et de lutte « pandémie grippale ».
Il faut en outre compter avec « l’évolution de la situation épidémique sur le territoire national décrite par l’Institut de veille sanitaire depuis le début de la pandémie » ainsi qu’avec « le caractère pathogène et contagieux du virus de la grippe A (H1N1) 2009 et la menace sanitaire grave qu’il constitue ».
Omniprésence vaccinale oblige on en avait presque oublié que la France disposait de volumineux stocks nationaux de traitements antiviraux et de masques anti-projections individuels. Et le gouvernement juge aujourd’hui (mais pourquoi donc aujourd’hui ? sur quelles bases ? sur quelles expertises ? sur quelles publications et échanges européens ?) « nécessaire d’organiser l’accès de ces traitements antiviraux et masques anti-projections individuels aux personnes atteintes ou exposées au virus de la grippe de type A (H1N1) 2009 et prises en charge en dehors des établissements hospitaliers lorsque leur état de santé le permet ».
D’où cet arrêté en quatre articles :
« Art. 1
Un kit, comprenant un traitement antiviral et une boîte de masques anti-projections issus du stock national, est délivré gratuitement sur prescription médicale par les officines de pharmacie, les pharmacies mutualistes ou de secours minières telles que définies à l’article L. 5125-9 du code de la santé publique. Cette délivrance est limitée à un kit par personne et par ordonnance. Il peut être délivré, conformément à la prescription médicale établie, un seul des produits composant le kit. Cette délivrance est également gratuite.
Art. 2
La distribution effectuée conformément à l’article 1er donne lieu au versement d’une indemnité financée par l’établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires dont le montant est fixé comme suit :
― pour l’entreprise dont relève l’établissement pharmaceutique de distribution en gros : 0,50 € hors taxes pour la distribution du kit ou du traitement antiviral seul ou des masques seuls conformément à la prescription médicale ;
― pour le pharmacien titulaire ou le pharmacien gérant dont relève la dispensation au détail : 1 € hors taxes pour la délivrance du kit ou du traitement antiviral seul ou des masques seuls conformément à la prescription médicale.
Art. 3
Les mesures prévues par le présent arrêté seront levées par arrêté du ministre chargé de la santé dès qu’elles ne sont plus justifiées.
Art. 4
Le directeur général de la santé, le directeur de la sécurité sociale et le directeur du budget sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent arrêté, qui sera publié au Journal officiel de la République française. »
Quelques heures après la publication de cet arrêté le ministère de la santé faisait savoir, en urgence, que ce nouveau dispositif ne serait en réalité pas opérationnel avant, au mieux, la « mi-décembre » ; un délai incompressible compte tenu de la nécessité « de positionner ce stock dans les 22 000 officines pharmaceutiques et d’informer les professionnels de santé concernés des nouvelles modalités de prescription, ce qui prendra quelques jours ». Interrogés par différentes stations radiophoniques (au risque d’être accusée de superficialité la radio est bel et bien, après les sites d’information, le média le plus réactif dans ce domaine) des pharmaciens d’officine fulminent (autant que peut fulminer un pharmacien d’officine) : « Nous ne sommes, malheureusement, au courant de rien… ! On ne nous a rien dit ! »
Mardi 1er décembre le Premier ministre François Fillon avait cru pouvoir indiquer que ce dispositif serait en place « dans les tout prochains jours ». Après des années de répétition des différents aspects du plan national de lutte contre les pandémies grippales il semble donc bien que des rouages grincent encore, que l’intendance sanitaire manque d’huile. Voilà qui fait désordre après la toute récente ire publique de Nicolas Sarkozy apprenant, sous d’autres longitudes, que les files d’attente vaccinale s’allongeaient sans fin devant les portes, parfois fermées, des gymnases-dispensaires. Des sanctions vont-elles bientôt tomber ?
Mais, à dire vrai, faudrait-il que des sanctions tombassent ? Quelques jours de retard avant de pouvoir disposer gratuitement du kit salvateur ? Quelle importance quand on se souvient que de nombreuses voix d’experts s’étaient élevées ces dernières semaines et ces derniers mois pour que l’on use au plus vite et au mieux des stocks d’antiviraux et de masques individuels de protection ? Antoine Flahault rappellera sans doute sous peu ici son analyse et ses prises de position publiques.
L’AFP garde en mémoire que le mois dernier, plusieurs experts qui rencontraient la presse « à l’initiative du ministère de la santé » (on appréciera comme il convient la précision) avaient défendu un usage élargi des antiviraux antigrippaux, en s’ inspirant notamment d’observations faites en Argentine. Le Pr Catherine Weil-Olivier, spécialiste de pédiatrie (Université Paris 7) avait quant à elle critiqué l’usage « très conservateur » des antiviraux.
En septembre, l’OMS s’était déclarée contre un usage des antiviraux à titre préventif, en cas d’exposition à une personne contaminée par exemple, pour éviter toute résistance. Et depuis l’apparition du H1N1pdm des cas –toujours isolés- d’une même mutation du virus au Tamiflu ont été signalés en Norvège, au Brésil, en Chine, à Taïwan, en Finlande, en France, en Italie, au Japon, au Mexique, en Espagne, en Ukraine et aux Etats-Unis. Ces cas auraient-ils été plus nombreux (plus dangereux ?) si les autorités sanitaires françaises avaient, bien avant la Noël 2009, accepté que les personnes présentant le petit cortège des symptômes grippaux puissent avoir gracieusement recours au Tamiflu ou au Relenza et disposer –enfin !- de masques ? Voilà bien une question, parmi tant d’autres, à laquelle spécialistes et experts ne pourront jamais répondre de manière indiscutable. Et c’est, sans doute, grand dommage.
Question connexe (qui ne manquera pas d’être soulevée lors d’une future commission d’enquête parlementaire) : pourquoi les citoyens n’ont-ils pas disposé en temps et en heure de toutes les informations concernant la chaîne de décision de la mise en disposition des « kits » ? Quid des raisons précises de ce petit gap temporel concernant nos kits à venir et qui prend, déjà, les dimensions d’un nouveau bug ?
Jean-Yves Nau
Comme si le pays passait du 220 au 110 volts
Au fur et à mesure que l’on progresse dans l’histoire de l’actuelle pandémie H1N1 on saisit mieux certains des effets, pas toujours bénéfiques, de la préparation à une autre pandémie : celle qui aurait pu émerger à partir du H5N1, de la grippe aviaire. Les rigidités observées au moment de l’adaptation à la pandémie H1N1pdm se sont souvent révélées pénalisantes. On a aujourd’hui une impression étrange : il semble presque aussi difficile de passer du plan H5N1 (sur lequel toute notre réponse est construite) à un nouveau plan H1N1 que si le pays voulait faire passer nos habitations brutalement du 220 volts au 110 (ce que personne n’envisage, grâce à Dieu !).
Ainsi, il avait été planifié que pour prévenir toute violence (pour éviter que les Français se battent pour obtenir du Tamiflu, voire qu’ils vandalisent les officines pharmaceutiques) que ce serait l’armée qui allait gérer les stocks qui sont à l’origine de ces fameux « kits ». Il a dû cependant être plus simple aujourd’hui de faire évoluer cette partie du dispositif (qui s’est révélé totalement inadapté à la pandémie que nous connaissons) que d’ouvrir la vaccination aux médecins généralistes et aux pédiatres, quand bien même seules contre presque tous, les autorités françaises persistent à ne pas le proposer.
Nos stocks de Tamiflu et de Relenza s’accumulaient et ne servaient à rien, ils périssaient tandis que la sécurité sociale remboursait les prescriptions d’antiviraux sans puiser dans les stocks de l’Etat puisque ces derniers n’étaient pas libérés. En toute rigueur il aurait fallu attendre le passage officiel au niveau 6 pour libérer ces stocks ; tout comme les masques. On est évidemment clairement, épidémiologiquement, en niveau pandémique avéré (donc 6). Mais l’expérience des rigidités d’un plan jacobin qui a tant de difficultés à s’adapter, à s’assouplir, a conduit les autorités dans leur sagesse à différer le passage au niveau pandémique. Demi-aveu d’échec concernant le plan et son adaptatibilité à la situation d’aujourd’hui. Mais preuve aussi de pragmatisme d’autorités qui souffrent évidemment sous le poids d’une organisation complexe et lourde mise en place pour lutter contre des fléaux autrement plus redoutables.
Nous étions nombreux à penser : « qui pouvait le plus, pouvait le moins ». La préparation contre H5N1, un virus grippal certes aviaire, certes d’une virulence inouïe (60% de létalité attendue) devait être utile à la préparation contre un virus H1N1pdm à très faible létalité, et pour la plupart des patients, extrêmement bénin. Les antiviraux seraient efficaces (tant que la nouvelle souche ne serait pas résistante), les masques auraient le même pouvoir protecteur, le lavage des mains aussi, les fermetures des écoles également. Quant au vaccin, les usines “d’armement” fraîchement construites pour faire face à l’hécatombe seraient ainsi prêtes à se reconvertir.
Beaucoup de ces présupposés devaient fonctionner puisqu’ils répondaient à une cohérence des arguments avancés. Qu’il est difficile de prévoir et de prévenir les événements inattendus ! La réalité fut différente. La population a rapidement compris qu’elle n’avait pas affaire à une peste noire : elle ne porte pas les masques de protection, les préfets ne ferment pas les écoles dès le troisième cas signalé, fut-il confirmé, bien peu se lavent les mains trente fois par jour. Le niveau d’adhésion à la campagne vaccinale reste très faible. A-t-il augmenté ces dernières semaines ou bien sont-ce ceux, les 17 à 20% qui avaient déclaré très tôt vouloir être vaccinés qui se précipitent aujourd’hui vers les centres ? Les études en cours et à venir nous le diront.
Ce n’est pas un phénomène français : de Hong Kong (qui a connu le SRAS en 2003), en passant par l’Amérique du Nord et la plupart des pays européens, les réactions sont très voisines, malgré quelques différences notables qu’il conviendra d’analyser de près. La réalité est que nous sommes très mal préparés contre cette pandémie massivement bénigne mais qui tue rarement (mais pas exceptionnellement) des adultes jeunes et des enfants, dont une proportion importante était en très bonne santé auparavant. Cette pandémie est à la fois singulière, mais très proche des grippes saisonnières que l’on négligeait jusque dans le passé récent. On sent bien aujourd’hui que la meilleure préparation contre une telle pandémie aurait été de se préparer à affronter efficacement les épidémies de grippe saisonnière plutôt que de les contempler comme nous l’avons fait pendant un siècle. Contempler, sans jamais s’atteler sérieusement à en diminuer l’impact en dehors de campagnes de vaccinations destinées à protéger les personnes à risque et âgées. Sans d’ailleurs véritablement en évaluer rigoureusement l’efficacité auprès de ces populations.
Plusieurs blogueurs l’ont rappelé utilement dans le Journal de la Pandémie 2.0 :, T. Jefferson a publié dans le Lancet en 2005 (résumé gratuit en ligne en anglais) une revue systématique de la littérature sur le sujet, remettant en question l’efficacité de la vaccination anti-grippale saisonnière chez les personnes âgées (le vaccin semble plus efficace chez les adultes jeunes). Les chiffres parfois avancés par certains d’une efficacité de 80% dans la population ne reposent donc pas aujourd’hui sur des études cliniques sérieuses, seulement sur des niveaux d’anticorps, un critère biologique dont le niveau de corrélation avec la clinique reste encore à établir formellement.
Faut-il utiliser le Tamiflu en masse ? Comment ? A quel moment de la pandémie ? En traitement curatif ou préventif ? Le réserver aux seules formes sévères ? Personne ne peut réellement répondre à toutes ces questions de stratégie collective de lutte contre la grippe. La seule réponse que l’on peut apporter aujourd’hui, un peu comme nous l’avons proposé pour la vaccination, est d’ordre individuel. Oui, à un niveau individuel, les essais cliniques sont unanimes : face à une infection par une souche sensible de grippe de type A, le Tamiflu et le Relenza pris à dose curative réduisent chacun de 1 jour la durée des symptômes s’ils sont administrés dans les 48 premières heures après les premiers symptômes et l’efficacité est d’autant plus importante qu’ils sont administrés précocémment.
Face à une infection avérée, l’administration préventive réduit de l’ordre de 90% le risque d’infection des personnes en contact avec un malade vivant dans le même foyer. La question qui a été soulevée par plusieurs d’entre nous concerne la dose de ces traitements que l’on appelle (un peu à tort) préventifs et qui sont en réalité des traitements « post-exposition ». On sait qu’environ 30% des contacts d’un malade dans un même foyer sont à leur tour contaminés au moment où l’on institue une telle prophylaxie « post-infection ». Or chez ces personnes contaminées, il conviendrait de leur prescrire des doses curatives et non préventives (1/2 doses), car de facto elles sont-elles mêmes infectées et ne le savent pas (ni leur médecin). Le danger d’un traitement à mi-dose chez ces personnes est la sélection de souches résistantes de virus aux antiviraux, ce d’autant que les virus sont alors à leur phase de plus grande multiplication et donc de plus grande vulnérabilité et d’augmentation de la probabilité de mutations. Ce discours n’est pas incitatif à une prescription deux fois plus importante d’antiviraux (quelle chance pour l’expert qui écrit), car dans les deux cas il est proposé de terminer la boîte entamée qui comporte 10 comprimés (soit 2 comprimés par jour pendant 5 jours en traitement curatif ou 1 comprimé par jour pendant 10 jours en traitement « préventif »). Il conviendrait certainement de préconiser clairement un traitement de « post-exposition » de même nature que le traitement curatif et réserver la notion de traitement « préventif » aux personnes que l’on mettrait sous Tamiflu pour une durée longue en l’absence de notion de contact. Seules situations pouvant justifier une telle attitude purement préventive : la contre-indication absolue à la vaccination malgré un facteur de risque avéré et une probabilité d’exposition élevée, soit des situations rarissimes.
La pandémie n’a pas nécessairement dit son dernier mot, il est important que nos autorités de santé ne se démobilisent pas, comme elles le démontrent jusqu’à présent, sachons leur en rendre acte. Mais il est important aussi qu’elles fassent preuve de plus de souplesse dans l’application des dispositions du plan pandémique pour mieux l’adapter à la situation présente. Nous avions (impertinemment ?) suggéré dans notre livre (paru chez Plon en septembre dernier) que le plan antipandémique se devait désormais de s’écrire avec les outils du XXIème siècle, c’est-à-dire sur le web 2.0. De fait c’est bien un peu de cela dont il s’agit : évoluer vers un dispositif davantage participatif, même si la décision (toujours difficile à prendre dans ce cas) doit rester l’affaire des politiques.
Pour résumer ce long billet, les politiques vont continuer à avoir à décider non seulement dans une situation de forte incertitude (on se hasarde moins souvent aujourd’hui à proposer des scénarios précis et encore moins à y affecter des probabilités de survenue), mais aussi de forte impréparation collective. Nous disposons des résultats d’essais cliniques certifiant la qualité, bornant l’efficacité et la sécurité des produits de la « panoplie » à notre disposition (pour reprendre l’expression de Jean-Yves Nau). C’est utile pour préconiser des stratégies individuelles. Mais nous ne disposons pas encore d’essais en population apportant des preuves d’efficacité de stratégies à mettre en place. Et pourtant il faut bien décider pour la collectivité dans son ensemble.
Antoine Flahault
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