Arnaques, grippe et polémiques

Etrange période sur les fronts de la pandémie. Quand Barak Obama décrète l’état d’urgence aux Etats-Unis, l’Hexagone se prend de passion pour un match de football (Olympique de Marseille –Paris Saint-Germain) annulé en catastrophe au motif que trois joueurs parisiens étaient infectés par le nouveau virus. Etrange réglementation sportive née avec le A(H1N1), qui impose le diagnostic virologique spécifique, et met les supporters en fureur. Que se serait-il passé si les trois joueurs avaient été victimes de la grippe saisonnière ? Interrogés avec véhémence les responsables du football professionnel français cachent bien mal leur embarras. Comme les responsables politiques ils se réfugient derrière les « experts », évoquent le principe de précaution, se drapent dans le nécessaire respect de la santé publique  et y ajoute, c’est nouveau, celui de l’équité sportive. Quant aux responsables politiques il a fallu que ce soit Le Premier ministre lui-même qui  monte en première ligne. Et François Fillon d’intervenir ainsi publiquement  pour réclamer désormais « un préavis de 24 heures » avant une annulation de match pour cause de grippe pandémique. On imagine d’ores et déjà la suite des évènements.

Dans un tel contexte deux questions méritent d’être posées. La première est de savoir pourquoi personne n’a songé à pouvoir vacciner en priorité les joueurs de football professionnels. La seconde est de savoir s’ils auraient accepté.

Car parallèlement à celle du virus les étranges rumeurs anti-vaccinales ne cessent de circuler. La dernière en date vise le groupe pharmaceutique suisse qui vient de démentir que l’un de ses vaccins pourrait ne pas recevoir le feu vert des autorités sanitaires helvétiques en raison de mystérieuses contaminations bactériennes. Dénommé Celtura, ce vaccin est produit à partir de cultures cellulaires à la différence des autres vaccins anti-grippaux qui sont presque tous produits à partir d’œufs de poules embryonnés.

Citant une même source à la fois qualifiée d’ « anonyme » et de « proche du dossier » le quotidien Tages-Anzeiger affirmait samedi 24 octobre que des contaminations bactériennes avaient été relevées dans les lots vaccinaux testés par Swissmedic, l’autorité sanitaire suisse chargée d’accorder ou pas le feu vert au vaccin. Contactée par différents médias, dont l’Agence France Presse Swissmedic  a indiqué qu’elle ne pouvait « ni confirmer, ni infirmer »  les informations publiées par le Tages-Anzeiger.
La réponse de l’autorité de régulation sera connue dans quelques jours. « Il n’y a pas de contamination pour le Celtura, le procédé de production est bien plus propre que  par des  oeufs de poules » a déclaré depuis Bâle un porte-parole du géant pharmaceutique suisse oubliant que ce dernier commercialise déjà Focetria, vaccin adjuvanté produit …. sur œufs de poules.

Peu avant cette nouvelle controverse Roselyne Bachelot, ministre française de la Santé s’était une nouvelle fois mise en colère à propos des oppositions persistantes à la vaccination dans la population française et dans la sous-population des professionnels de santé.  La ministre était, jeudi 22 octobre l’invitée du LEEM (Les Entreprises du Médicament) dans le cadre de  la soirée de clôture de la « semaine de dialogue sur le médicament ». La ministre a profité de cette occasion pour rappeler fermement à l’ordre tous ceux, patients et professionnels de santé, qui ont « un réflexe d’enfant gâté » en refusant de se faire vacciner contre le virus H1N1, et qui risquent ainsi, selon elle, «de se contaminer eux-mêmes, de contaminer leurs proches, ou de contaminer leurs patients s’ils sont professionnels de santé».

Selon Le Quotidien du Médecin Roselyne Bachelot a trouvé des « accents lyriques » pour tenter de les convaincre de se rendre dans les centres de vaccination : « Je demande aux Français de ne pas avoir la mémoire courte. Je vois se développer des campagnes qui dénigrent globalement la vaccination. Est-il si loin le temps où notre pays était émaillé de sanatoriums, est-il si loin le temps où des dizaines de milliers de Français restaient handicapés, parfois lourdement, après une poliomyélite, est-il si loin le temps où l’on mourrait du tétanos en faisant son jardin (on en meurt encore un peu quand on n’a pas fait les rappels de vaccination), est-il si loin le temps où les enfants mourraient dans les bras de leur mère de la diphtérie, de la coqueluche ou de la rougeole ? Réfléchissez un peu à ce que demandent les mères africaines qui voient mourir leurs enfants dans leurs bras : elles veulent des vaccins ! Réfléchissez à ce que nous demandons, nous les militants de la lutte contre le sida: ce que nous attendons, c’est un vaccin ». Pour la ministre de la Santé, il convient d’aborder la question d’une manière « rationnelle et citoyenne », et de reconnaître « les bénéfices tirés de la politique vaccinale ». Nous sommes ici dans un registre argumentaire connu. Le propos n’est en effet pas sans rappeler les exhortations rituelles à participer aux élections au motif que des citoyens se sont battus pour que nous puissions avoir la chance de pouvoir voter dans un espace démocratique; où à finir son assiette au motif que des enfants meurent de faim.

Etrange période sur les fronts de la pandémie. Le lendemain, depuis Grenoble, on apprenait que neuf personnes habitant en Isère venaient de porter plainte en dénonçant cette campagne de vaccination contre la grippe H1N1 comme « une véritable tentative d’empoisonnement » de la population. Cette plainte avec constitution de partie civile a également déposée pour « tentative d’administration de substances (…) de nature à entraîner la mort », a été déposée auprès du tribunal de grande instance de Grenoble. Les plaignants sont neuf habitants de la vallée du Grésivaudan (dont une professionnelle de santé, une animatrice de radio et une enseignante) qui, précise l’AFP, se sont rencontrés dans des réunions publiques consacrées notamment aux risques supposés du vaccin contre la grippe.

«Le but est d’arrêter ce que nous considérons comme un empoisonnement, a expliqué leur avocat. L’intérêt de cette action est que des gens en France aient une attitude citoyenne et disent publiquement: ‘’nous avons compris que la campagne de vaccination est une arnaque’’. » Selon lui des plaintes similaires seront déposées prochainement en Isère, ainsi qu’à Paris, Pau et Nantes. Il précise encore que quelques centaines de personnes, opposées au vaccin, habitant différentes régions de France et se contactant via l’internet, ont l’intention de se regrouper en collectif.

Etrange période sur les fronts de la pandémie. Aux Etats-Unis, le Dr Thomas Frieden, directeur des Centres de contrôle et de prévention des maladies vient de s’alarmer publiquement  de la trop lente livraison des vaccins : 16,1 millions de doses étaient prêtes il y a quelques jours à être livrées, mais à la fin du mois d’octobre  30 millions de doses seulement seront disponibles au lieu des 40 millions prévues initialement. Cette pénurie coïncide avec la décision de l’État de New York de ne plus imposer la vaccination à ses professionnels de santé. Les autorités sanitaires de l’État avaient fixé comme date limite le 30 novembre pour que ces derniers se fassent vacciner faute quoi ils pourraient perdre leur emploi. Confrontées à une contestation qu’ils n’avaient sans doute pas prévue ces mêmes autorités ont décidé de suspendre l’obligation. Raison invoquée : privilégier  en priorité les catégories à risque : « Les vaccins, disponibles en quantités limités, seront réservés prioritairement aux femmes enceintes, aux enfants et aux jeunes », a ainsi indiqué un communiqué du département de la Santé de l’État.

En proclamant  l’état d’urgence sanitaire face à la pandémie  Barack Obama a expliqué, dans une note adressée au Congrès, que les Etats-Unis devaient  « être prêts dans l’éventualité d’une rapide augmentation des cas qui pourrait submerger le pays ». La pandémie a aujourd’hui touché 46 États sur 50. L’état d’urgence renforce les capacités des centres médicaux face à l’afflux de malades en leur permettant notamment de prendre des initiatives  sans se conformer à certaines exigences fédérales.

Jean-Yves Nau

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