La sélection du Globule #64

La nouvelle scientifique de la semaine est incontestablement cette annonce selon laquelle des neutrinos auraient été mesurés en excès de vitesse : plus rapides, de 6 kilomètres par seconde, que la vitesse de la lumière, censée être la limite infranchissable selon la théorie de la relativité énoncée par Albert Einstein il y a un siècle. Après le déferlement médiatique des premières heures, les physiciens commencent à reprendre les choses en main avec la prudence qui s’impose. Bien des vérifications restent à faire et quelques hypothèses peuvent expliquer le phénomène sans qu’on ait besoin de mettre tout de suite la relativité à la poubelle ni tirer plus que nécessaire sur ce pauvre Albert. Lequel, au cours de sa vie, a commis des erreurs bien plus graves sur lesquelles je reviendrai dans mon prochain billet. Comme quoi tout est vraiment relatif…

L’autre buzz de la semaine concernait la rentrée dans l’atmosphère du satellite UARS, qui allait tomber sur la tête de tout le monde si l’on en croyait l’excitation médiatique. Résultat : à l’heure où j’écris, personne ne sait où il a chu

– Des myriades de microparticules de plastique polluent les côtes. C’est une menace pour les poissons et les oiseaux marins qui les ingurgitent car ces minuscules déchets fixent des polluants chimiques qui s’accumulent dans les organismes.

– Oasis en plein désert, Las Vegas a longtemps pompé inconsidérément sur ses réserves en eau. La ville du jeu fait désormais machine arrière pour préserver l’or bleu. Et se prépare aussi à aller chercher de l’eau encore plus loin, avec un projet de pipeline de 500 kilomètres.

– La NASA a découvert qu’un certain nombre de ses astronautes présentaient des problèmes de vision après des séjours, même courts, en impesanteur. Embêtant si on veut les envoyer sur Mars et qu’ils y arrivent aveugles…

– Est-ce pour des raisons politiques que Goya a peint le portrait de Don Ramon Satue par dessus celui d’un haut dignitaire français (peut-être Joseph Bonaparte lui-même, qui fut quelques années roi d’Espagne) ? Le tableau caché vient d’être découvert par spectrométrie de fluorescence X.

Pour finir : je ne saurai trop vous conseiller la lecture, tous les vendredis, du nouveau supplément scientifique du Monde, d’abord parce que cela comble un vide dans l’offre du quotidien vespéral, mais surtout parce que j’y tiens une chronique sur la science improbable. Pour le premier numéro, un article sur ces chercheurs qui sont allés dans des clubs de striptease pour vérifier que la femme avait vraiment ses “chaleurs”, à l’instar des autres mammifères femelles (désolé, le lien ne fonctionne que pour les abonnés)… Que ne chercherait-on pas comme prétexte pour se rincer l’œil…

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Illusion d’optique : les jolies filles deviennent monstrueuses

A la longue liste des découvertes par hasard, de la tarte Tatin à la pénicilline, il va falloir ajouter une petite entrée : l’illusion d’optique qui rend les visages monstrueux. Comme, dans ce domaine, les images parlent beaucoup mieux que les mots, voici la vidéo. Il vous suffit de fixer la croix située entre les deux portraits pendant la petite minute que dure le montage.

Si on joue le jeu et que l’on se concentre sur la croix centrale, on a vite l’impression que les visages qui défilent à vive allure à droite et à gauche de l’écran sont déformés par des effets de morphose (morphing pour les anglophones), comme si un facétieux retoucheur les avait transformés en la caricature d’eux-mêmes. En fait, il n’en est rien. Il suffit d’appuyer à plusieurs reprises sur le bouton “pause” pour s’apercevoir que les visages de femmes n’ont subi aucune transformation. Le retoucheur, c’est votre cerveau.

Comme le racontent les psychologues australiens qui publient un article sur cette illusion d’optique dans la revue Perception, cette découverte s’est faite par hasard. L’un d’eux, Sean Murphy, un étudiant, préparait une série de portraits, obtenus à partie d’une base d’images slovaque, pour une expérience sur l’identification. Dans ce but, il devait aligner tous les portraits sur les yeux. En les faisant défiler pour vérifier que tout était correct, il lui sembla au bout de quelques secondes que les visages prenaient des apparences grotesques. “Si une personne avait une grosse mâchoire, dit l’étude, celle-ci paraissait particulièrement grande, presque ogresque. Si une personne avait un nez fin, alors il semblait remarquablement effilé.” J’ajouterai que les femmes au nez retroussé semblent dotées d’un groin, que celles dont les oreilles sont pointues passent pour les cousines de Monsieur Spock et que celles dont le front proéminent est bien dégagé pourraient presque jouer sans postiche dans Coneheads. Cependant, poursuit l’article, “si nous stoppions la séquence et regardions de nouveau les visages pris séparément, ils redevenaient rapidement normaux. Nous avons entretenu l’idée que des visages slaves étaient bizarres par nature, mais nous avons reproduit le même effet avec des visages provenant d’autres bases de données.”

Pour le moment, les auteurs ne savent pas bien comment fonctionne l’illusion d’optique. Cela ne les a pas empêché de noter que plus un trait spécifique s’éloigne de la “normale”, plus l’indice de distorsion est élevé. Le fait d’avoir aligné tous les visages sur les pupilles, en facilitant la comparaison à grande vitesse, a un rôle important dans l’effet : c’est comme si les différences sautaient littéralement aux yeux. Autre point important : l’illusion s’affaiblit en deçà d’une certaine vitesse. Les chercheurs ont donc optimisé l’effet en faisant défiler entre quatre et cinq portraits par seconde. Par ailleurs, si un bref écran blanc est inséré entre les visages, l’illusion disparaît presque complètement. Enfin, je trouve pour ma part qu’elle fonctionne mieux avec la présentation de deux séries de portraits de part et d’autre d’une croix centrale, comme sur la vidéo ci-dessus, qu’avec la présentation initiale où les chercheurs se contentaient de faire défiler une série de visages. Comme si l’utilisation de la vision périphérique, moins précise, forçait notre cerveau à la caricature en l’obligeant à sélectionner les points les plus saillants.

Même s’ils ignorent par quel mécanisme exact nous nous abusons nous-mêmes, les chercheurs soupçonnent l’implication d’un effet mis en évidence dans un article publié en 1998 : quand on montre brièvement un trait horizontal puis un cercle, ce dernier s’allonge verticalement et prend une forme d’ellipse. Voir rapidement et consécutivement deux formes différentes a pour résultat d’amplifier le contraste existant entre les deux, comme si le couple œil-cerveau, en cherchant frénétiquement à cerner les différences, était incapable de s’arrêter à leurs limites exactes et les étirait au-delà de leur forme réelle.

On en aurait presque envie de tenter l’expérience inverse, de faire défiler les visages d’immondes laiderons et de voir si Miss Monde n’apparaît pas sur l’écran. Ou bien, étant donné qu’il ne semble pas y avoir de sexisme en la matière, d’empiler les photos de crapauds et d’attendre l’apparition du prince charmant…

Pierre Barthélémy

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Voir sans cône ni bâtonnet

Docteur-MouseSi vous avez reconnu la bestiole figurant sur l’image ci-dessus, c’est probablement parce que vos yeux fonctionnent assez bien. Ce n’est malheureusement pas le cas de tout le monde mais une étude parue dans la revue Neuron du 15 juillet, à défaut de rendre la vue aux aveugles et malvoyants, ouvre un nouvel axe de recherche pour les aider. Avant tout, ce travail vient bousculer une idée reçue selon laquelle les cônes et les bâtonnets seraient les seuls photorécepteurs à tapisser notre rétine.

Pour ceux qui auraient oublié leurs cours de sciences naturelles (on dit SVT aujourd’hui, je sais…), un petit rappel peut s’avérer nécessaire. Contrairement à ce que certains croient, les images du dehors ne se contentent pas d’entrer dans votre tête par vos yeux… C’est un petit peu plus compliqué que cela. Quand la lumière a traversé votre œil puis le multicouche qu’est votre rétine, elle termine son chemin sur les quelque 120 millions de bâtonnets, ceux qui vous font voir (en noir et blanc) dans la quasi obscurité, et les quelque 7 millions de cônes, qui vous ont permis de passer à la télé couleur. D’où la formule mnémotechnique de mon invention, un peu bancale, mais qui me sert depuis un quart de siècle : Cône comme Couleur et Bâtonnet comme… Black and white. Une fois que les photons, les particules de lumière, les frappent, que se passe-t-il ? Les pigments photosensibles que contiennent cônes et bâtonnets changent momentanément de forme, ce qui induit une cascade de réactions chimiques aboutissant à la création d’un signal électrique qui va courir tout droit dans le cerveau.

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Et, jusqu’à présent, on pensait que sans cônes ni bâtonnets, point de salut, point de vue. Mais, depuis le début des années 2000, on sait que nous (je parle des mammifères, hommes compris) calons notre horloge biologique interne sur la lumière du jour SANS l’aide des cônes et des bâtonnets, grâce à un autre photopigment appelé mélanopsine, contenu dans les cellules ganglionnaires de la rétine, les premières que la lumière touche quand elle arrive au fond de notre œil (voir schéma ci-dessus). C’est précisément à cette mélanopsine et à ces cellules ganglionnaires que se sont intéressés les auteurs de l’étude publiée dans Neuron. Sans entrer dans les détails extrêmement pointus de leur travail, on peut résumer ainsi leur recherche : en ayant désactivé les cônes et les bâtonnets de souris, ces biologistes basés aux Etats-Unis ont prouvé que les animaux “aveuglés” étaient toujours capables de se diriger par la “vue”, de reconnaître des structures, et que cette prouesse était due aux cellules ganglionnaires photosensibles, dont le rôle ne se réduit pas à régler l’horloge biologique ou à ajuster le diamètre des pupilles en fonction de la lumière. Un des tests réalisés a consisté à faire nager des souris dans un circuit plein d’eau en forme de Y et, au carrefour où le bassin se divisait en deux, à leur indiquer, grâce à une image, la branche au bout de laquelle une plateforme les sortirait de la piscine. Les rongeurs privés de cônes et de bâtonnets mais qui avaient conservé leur mélanopsine, ont réussi, avec un bon entraînement, à trouver la sortie. Les souris sans cône, sans bâtonnet et sans mélanopsine, n’y sont pas parvenues, si ce n’est par hasard (je vous rassure, on ne les laissait pas se noyer).

Sur le plan fondamental, c’est donc une vraie découverte. Les chercheurs soupçonnent le couple mélanopsine-cellules ganglionnaires d’être le reste d’un système de vision archaïque qui aurait été supplanté par nos amis les cônes et les bâtonnets. Quoi qu’il en soit, sur le plan pratique, un des auteurs de l’étude, Samer Hattar, professeur assistant de biologie à la Johns Hopkins University, estime “qu’en théorie du moins, [ce résultat] signifie qu’une personne aveugle pourrait être entraînée à utiliser ses cellules ganglionnaires photosensibles de la rétine pour réaliser des taches simples qui nécessitent une acuité visuelle faible”. Pour avoir lu quantité d’articles et de communiqués de presse censés faire naître ou renaître l’espoir chez des malades, j’apprécie la prudente réserve du docteur Hattar.

Pierre Barthélémy

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