Il y a les vivants, les morts, et il y a l’entre-deux. On l’appelle état végétatif chronique et ceux qui s’y trouvent sont parfois péjorativement qualifiés de “légumes” par ceux qui jouissent de tous les attributs de la vie. D’où le débat qui surgit de manière récurrente (et vive) pour savoir si l’on peut ou non les “débrancher” des appareils qui les alimentent. Une étude qui vient d’être publiée par la revue Cognition montre que, d’une certaine façon, les personnes en état végétatif chronique sont considérées comme… plus mortes que les morts eux-mêmes.
En introduction, les auteurs, chercheurs en psychologie de l’université du Maryland et de Harvard, écrivent que “les morts ont une certaine présence dans nos perceptions et nos pensées, qu’on les voie comme des fantômes, des habitants du paradis ou de l’enfer, ou comme des souvenirs. Par contraste, une personne en état végétatif chronique (EVC) semble généralement perçue comme n’ayant pas de présence du tout – le patient en EVC est simplement vu comme un corps soutenu par des machines, dénué de capacité mentales. Ces images antagonistes suggèrent que, même si l’EVC peut, sur le plan biologique, être catalogué entre la vie et la mort, il est possible que les patients en EVC soient, curieusement, perçues comme plus mortes que les morts, avec des capacités mentales moindres que celles des morts.”
A priori, il peut sembler étrange que l’on trouve aux morts des capacités mentales, mais il faut compter avec les forces de l’esprit que les vivants peuvent leur attribuer. C’est ainsi que l’étude a proposé un sondage aux résultats étonnants. Les chercheurs ont inventé une petite histoire dans laquelle un personnage nommé David a un accident de voiture au cours duquel il est gravement blessé. Dans le scénario A, il se rétablit parfaitement. Dans le scénario B, il meurt. Dans le scénario C, il entre dans un état végétatif, qui est décrit sans ambiguïté ainsi : “Tout le cerveau de David a été détruit, à l’exception de la partie qui lui permet de continuer à respirer. Ainsi, alors que son corps est techniquement toujours en vie, il ne se réveillera jamais.” Chacune des quelque 200 personnes sondées a reçu un fiche résumant un des trois scénarios. On lui a ensuite posé six questions sur l’esprit de David (qui, je le rappelle, est soit guéri, soit mort, soit en EVC) : peut-il influencer l’issue d’une situation, faire la différence entre le bien et le mal, se souvenir des événements de sa vie, avoir des émotions et des sentiments, être conscient de ce qui l’entoure et avoir une personnalité ? Les sondés devaient noter chaque question de -3 (“Pas du tout d’accord”) à 3 (“Tout à fait d’accord”), en passant par 0 (“Ni d’accord ni pas d’accord”).
Il y a au moins un résultat rassurant : c’est le David guéri de ses blessures et en pleine possession de ses capacités mentales qui obtient le score le plus élevé, avec en moyenne 1,77. En deuxième position, arrive… le David mort, avec un résultat faiblement négatif (-0,29). Bon dernier est le David en EVC, avec -1,79, plus mort que les morts. Pour affiner les résultats, les chercheurs ont réalisé deux autres sondages. Dans le premier, ils se sont aperçus que les personnes croyantes et/ou croyant à la vie après le trépas plaçaient l’esprit des décédés nettement au-dessus de zéro et reléguaient dans les limbes spirituelles les patients en EVC. Les non-croyants quant à eux estimaient que les cadavres et les personnes en EVC disposaient des mêmes capacités mentales… faibles mais pas nulles. Dans le dernier sondage, les personnes interrogées ont clairement dit qu’elles préféraient la mort à l’EVC, ce qui est finalement logique avec le reste.
Les auteurs de l’étude rappellent que d’autres recherches ont déjà montré que “mettre l’accent sur le corps d’humains vivants normaux tend à les dépouiller de leur esprit et que la nature biologique des patients en EVC pourrait de manière similaire conduire les gens à les “démentaliser”. En d’autres mots, les patients en EVC pourraient être vus comme des corps sans esprit tandis que les morts pourraient être vus comme des esprits sans corps.” Une hypothèse qui s’appuie sur le fait que l’on a fréquemment une vision dualiste des êtres, en les considérant soit comme des corps, soit comme des esprits, mais pas comme un assemblage indissoluble des deux.
Depuis 2006, d’étonnantes expériences ont prouvé que certains patients en EVC étaient parfaitement conscients. Lorsqu’on leur demandait d’imaginer jouer au tennis ou de se promener par la pensée dans leur appartement, deux zones bien différentes de leur cerveau s'”allumaient” en IRM, les mêmes qui s’activaient lorsqu’on soumettait des personnes saines au même exercice mental. Un résultat que, jusqu’à preuve du contraire, on aura du mal à obtenir avec des morts.
Pierre Barthélémy
lire le billet– La catastrophe de la centrale nucléaire de Tchernobyl, c’était le 26 avril 1986. Un quart de siècle plus tard, alors que le monde vient de connaître un nouvel incident nucléaire au Japon, beaucoup de médias se souviennent : Le Monde, Le Figaro, Libération, Arte, Sciences et Avenir, etc. A lire aussi, un point de vue de Ban Ki-moon publié par le New York Times.
– Autre anniversaire : il y a un an, l’éruption du volcan islandais Eyjafjallajökull provoquait l’annulation de cent mille vols au départ de ou vers l’Europe. Beaucoup de questions s’étaient posées sur l’utilité de ces mesures et notamment pour savoir s’il ne s’agissait pas d’un abus du principe de précaution. Douze mois plus tard, une étude de chercheurs islandais et danois montre que les particules projetées par le volcan étaient effectivement dangereuses pour les avions.
– Le nombre de communes françaises soumises à des normes de construction parasismiques passe de 5 000 à 21 000, nous apprend Le Figaro. Le sous-sol hexagonal ne s’est pas soudain transformé mais ce sont les exigences pour les constructions neuves qui ont été renforcées.
– Un portfolio sur le site de Libération, consacré aux tornades qui ont provoqué la mort de centaines de personnes aux Etats-Unis. Les villes sinistrées, dit Le Monde, ressemblent à “des zones de guerre”.
– J’ai déjà parlé dans ce blog des ambitions spatiales chinoises. Pékin vient de réaffirmer son intention de construire une station orbitale d’ici dix ans.
– Autre grande ambition, celle du projet scientifique Explaining Religion : caractériser les aspects du sentiment religieux et en comprendre les causes. Un point d’étape est fait par The Economist.
– Le SETI Institute, principal acteur de la recherche de signaux provenant d’une civilisation extra-terrestre, a des soucis budgétaires. Si ET appelle la Terre, il risque d’entendre que la ligne a été coupée suite à une facture impayée…
– Pour terminer, si les cochons se vautrent dans la boue, c’est parce que c’est essentiel à leur bien-être.
Pierre Barthélémy
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