Dans l’abondante littérature que produisent la police scientifique et la médecine légale, il n’est pas rare de trouver quelques étonnantes études de cas, l’imagination des hommes, quand il s’agit de donner la mort, à un tiers ou à soi-même, étant apparemment sans limites. Il advient notamment que les clients des médecins légistes leur soient livrés en plusieurs morceaux. C’est ce qui est arrivé il y a quelques années à une équipe canadienne, appelée sur une exploitation agricole pour un cas purement extraordinaire, au sens premier du terme.
Ce matin-là, le futur décédé, un fermier de 45 ans, et son fils s’étaient levés de bonne heure, comme tous les jours, pour traire les vaches. Depuis plusieurs mois, l’homme, dépressif, semblait perpétuellement fatigué. Quelques heures plus tard, son fils, en revenant d’un rendez-vous avec le vétérinaire, le trouva dans une étrange posture. Assis sur une marche au pied d’un silo contre lequel il était adossé. Et surtout, décapité. Juste devant lui, un tracteur muni d’une pelle comme sur la photo ci-dessus, labourait le sol de ses roues, la pelle heurtant le silo et l’empêchant d’avancer. La même pelle qui contenait la tête du fermier, ainsi que sa casquette. Comme l’explique l’étude publiée en 2006 dans le Journal of Forensic Sciences, l’enquête a écarté les thèses du meurtre et de l’accident, et conclu à un suicide. Elle a notamment montré que le fermier, une fois son tracteur mis en route, disposait de 20 secondes pour se placer en face de lui, contre le silo, et regarder le bord de la pelle venir lui sectionner le cou.
L’article rappelle que les suicides par décapitation sont très rares (moins de 1% du total). La plupart du temps, les candidats au trépas se sont allongés sur les rails et ont attendu que le train ou le tramway passe. Il arrive également que la perte de la tête soit un corollaire involontaire du mode de suicide retenu. Quelques cas ont ainsi été décrits où la pendaison s’est terminée par une séparation du corps en deux parties, en particulier si le suicidé était lourd, s’il était tombé de haut et si la corde, mince, s’avérait très peu élastique (le nylon, par exemple, remplit ces conditions et peut trancher les chairs). Une variante de la pendaison présente de bonnes chances d’aboutir au même résultat, lorsque la personne attache une extrémité de la corde à un mur, l’autre à son cou, et démarre au volant de sa voiture, comme pour imiter la fin de la danseuse Isadora Duncan qui, après avoir pris place dans l’automobile conduite par un ami, eut quasiment la tête arraché par son voile, lequel s’était pris dans les rayons d’une roue. Autre cas de figure possible, le suicide à la dynamite, au cours duquel la tête et différents membres peuvent être emportés lors de l’explosion. Enfin, dans le registre original de l’auto-décollation, il faut absolument citer le cas de ce veuf américain qui construisit de ses mains une guillotine dans sa cave. Et s’en servit pour écrire le point final de sa propre existence.
Pierre Barthélémy
lire le billet– Le protocole de Kyoto sur la limitation des émissions des gaz à effet de serre prend fin en 2012. Mais son remplaçant n’est pas sûr de voir le jour : les Etats-Unis, le Japon, le Canada et la Russie ne veulent pas d’un nouvel accord contraignant. Le réchauffement climatique a de très beaux jours devant lui.
– Mon ancien collègue du Monde, Jérôme Fenoglio, est retourné au Japon, plus de deux mois après le tsunami meurtrier du 11 mars et la catastrophe nucléaire de Fukushima qui l’a suivi. Il s’est rendu, avec le photographe Hirashi Narayama, dans les vallées et montagnes dont on croyait qu’elles seraient épargnées par la radioactivité mais qui, en réalité, ne le sont pas. Un portfolio bref, mais touchant. Le reportage au long cours est ici.
– Selon le Muséum national d’histoire naturelle et l’Union internationale pour la conservation de la nature, plus d’un quart des oiseaux nicheurs français seraient menacés de disparition.
– Si la planète Mars est si petite (un peu plus de 10 % de la masse de la Terre), c’est peut-être parce qu’elle s’est formée très rapidement et est restée ensuite dans un état embryonnaire.
– Le New York Times raconte l’émouvante destinée post-mortem de Julio Garcia, mort en 2010, dont les organes ont été transplantés dans les corps d’au moins 8 personnes (on ignore si les cornées on été données à une ou deux personnes). Un an après, sa famille a rencontré une partie des receveurs.
– Toujours dans le NYT, l’incroyable histoire de deux sœurs siamoises reliées par le crâne, les Canadiennes Krista et Tatiana Hogan. Incroyable parce que les cerveaux des deux fillettes semblent eux aussi reliés : ce que l’une perçoit, l’autre le ressent…
– Comment la police scientifique britannique a, plus de vingt ans après les faits, résolu deux doubles meurtres.
– Les rennes de l’Arctique peuvent voir dans la partie UV du spectre électro-magnétique, qui est inaccessible à l’œil humain. Peut-être une adaptation au “white-out” (un brouillard blanc des régions enneigées où la visibilité est parfois de moins d’un mètre), qui permet à ces animaux de se repérer et de détecter nourriture et prédateurs dans le blizzard.
– Quand un reptile mange un insecte, cela n’émeut personne. Mais quand un insecte géant (et un seul) dévore une tortue ou un serpent, cela fait un article et l’impressionnante photo ci-dessus qui, je le précise aux sceptiques en tous genres, n’est pas truquée (crédit : Shin-ya Ohba).
– Pour terminer : dans sa précédente sélection, le Globule relevait que la prédiction selon laquelle le jour du Jugement dernier tombait le 21 mai ne s’était pas avérée. La faute à une erreur de calcul, s’est excusé Harold Camping, l’auteur de la prophétie ratée. L’erreur est humaine, doivent se dire ceux qui ont dépensé tout leur argent à l’approche de ce jour fatidique. Camping a refait ses comptes et on se donne désormais rendez-vous devant l’Eternel le 21 octobre. Espérons que, cette fois, notre homme a pris une calculette. Il faut au moins ça pour annoncer l’apocalypse.
Pierre Barthélémy
lire le billetC’est une mode macabre qui semble saisir les meurtriers ces temps-ci : découper et cacher les cadavres de leurs victimes, comme dans l’assassinat de Lætitia Perrais ou dans l’affaire, plus récente, de cette famille nantaise disparue, dans le jardin de laquelle au moins un corps démembré a été découvert ce jeudi 21 avril. La première question qui se pose, lorsque l’on retrouve des restes humains est : à qui appartiennent-ils ? Et, tout de suite après, les enquêteurs veulent savoir quand et comment la personne est morte.
Pour le savoir, il faut reconstituer ce que Patricia Cornwell a nommé la séquence des corps, titre de l’un de ses romans : la décomposition d’un cadavre se fait dans un ordre biologique bien précis et prend plus ou moins de temps suivant les conditions dans lesquelles elle se déroule. En découvrant un corps, la police scientifique peut remonter le temps et donner une date voire une heure du décès. Pour y arriver, il a fallu étudier toutes les manières dont un corps mort retourne à la nature. En général, ces travaux de recherche sont effectués sur des cochons, qui sont de bons analogues au corps humain. Mais il existe un endroit unique dans le monde où ces études sont réalisées sur de vrais cadavres humains : l’Anthropological Research Facility (ARF), à Knoxville (Tennessee), plus connue sous le nom de The Body Farm, littéralement “la Ferme des corps”, qui est aussi le titre anglais du livre de Cornwell que j’ai cité plus haut.
En lisant ce roman, j’ai senti que l’endroit dont parlait l’auteur n’était pas un lieu de fiction et j’ai décidé d’y partir en reportage. J’ai donc été le premier journaliste français à mettre les pieds dans ce lieu de science incroyable qu’est la Ferme des corps de l’université du Tennessee, laquelle est avant tout le domaine du chercheur qui l’a créée, le docteur William Bass, Bill pour ses invités. C’était en septembre 2000 et l’article est paru quelques jours après dans Le Monde. Voilà comment il commençait :
« Vous n’avez jamais vu de mort ? Eh bien, dans un instant, vous ne pourrez plus prononcer cette phrase ! » Les cheveux blancs coupés en brosse, jean, polo et tennis comme pour un pique-nique à la campagne, William Bass descend du pick-up climatisé qu’il vient de garer sur le parking étouffant de l’hôpital universitaire de Knoxville. Même en septembre, l’été a de beaux restes au Tennessee, et ce n’est pas la meilleure saison pour franchir la porte que le docteur Bass débarrasse de ses chaînes et cadenas. Un grand papillon jaune folâtre. Le grillage est doublé d’une haute palissade surmontée de rouleaux de fil barbelé.
Trois acres boisées à flanc de colline, surplombant la Tennessee River. La quarantaine de locataires que compte en permanence cet endroit si secret ne se lèvent jamais. A plat ventre, torse nu, la barbe éparse, un homme nous regarde. Arrivé récemment, il se parchemine au soleil. Les autres s’en protègent sous des bâches que le maître des lieux soulève sans répugnance. La cage thoracique de celui-ci (ou peut-être est-ce « celle-là », comment savoir ?) ne soutient plus rien, ne contient plus grand-chose. Chair, muscles et organes ont coulé entre les os, qui barbotent dans une bouillie brunasse. Ici dépasse un pied cramoisi. Là, un squelette blanc, presque poli, touche à la fin du voyage. Ils sont partout. Ailleurs, enfin, ne reste plus qu’un scalp, gisant sur une tache noire en forme de silhouette. Le cadavre a été emporté mais ses fluides ont empoisonné le sol, l’herbe a disparu, les arbustes alentour agonisent d’avoir aspiré la mort par les racines. Bienvenue à la Ferme des corps. « Si vous ne vous sentez pas bien, vous n’avez qu’à marcher un peu », avait conseillé Bill Bass. Marcher, pour aller où ? Ils sont partout, par terre, sous terre, peut-être dans le coffre de la vieille Chevrolet ou de l’Oldsmobile blanches qui rouillent près de l’entrée. Ils sont partout et surtout dans l’air. Car même si l’on réussit à fixer ses yeux sur une zone vierge, on ne peut faire abstraction d’une chose : l’odeur. Une pestilence insoutenable comme celle qui doit régner sur un champ de bataille quelques semaines après les combats. Contrairement aux autres sens, l’odorat n’a pas de transcription directe dans le langage. Il existe autant de référents qu’il y a d’odeurs. Cela fleure bon le jasmin, mais cela ne sent pas rouge, ni grave, ni amer, ni rugueux… Ici, cela sent plus que la charogne, parce que l’on sait qu’il ne s’agit pas d’un simple chien crevé. Une puanteur douceâtre, insidieuse et agressive à la fois, presque insoutenable, qui semble regrouper toutes les odeurs de la vie quotidienne et dont on croit retrouver ensuite un composant dans son eau de toilette, dans le papier d’un livre que l’on feuillette, dans la viande que l’on mange ou dans sa propre sueur.
Bill Bass a créé la première version de l’ARF en 1971 car la littérature scientifique manquait de données pour aider la police scientifique à déterminer la date du décès pour les cadavres en décomposition. Huit ans plus tard, après s’être aperçu qu’il devait multiplier les expériences dans toutes les conditions imaginables, il obtient un grand terrain proche du centre-ville où la véritable aventure scientifique de la Ferme des corps commence, ainsi que je l’écrivais en 2000 :
P OUR analyser les processus post mortem, les facteurs biologiques et environnementaux participant à la décomposition d’un cadavre, plusieurs centaines de corps ont séjourné sur l’ARF. Habillés, nus, enveloppés dans du plastique ou dans un tapis, au soleil, à l’ombre, sous l’eau, sous terre, dans le coffre des deux Américaines blanches, toutes les situations ont été testées et le sont encore. Grâce à ces recherches, la « séquence » des morts est désormais bien établie, explique le docteur Bass : « Cela commence de manière interne. Les enzymes du système digestif commencent par manger les tissus, ce qui engendre la putréfaction. La première chose que vous voyez, c’est la décoloration de la région intestinale. Puis le corps saigne et entame sa décomposition. S’il se trouve à l’air libre, les insectes vont y avoir ac1cès. Ils sont là pour aider à la disparition des tissus morts. Leurs oeufs vont donner naissance à des larves qui mangeront la matière. Au bout de trois semaines, elles seront devenues adultes. C’est pour cela que, en général, si vous découvrez sur un cadavre les cocons vides ayant contenu les pupes de ces mouches, vous pouvez dire qu’il s’est écoulé au moins vingt et un jours depuis la mort. »
Les habitants de la Ferme des corps y séjournent en moyenne une année. Et tels des Attila involontaires, là où ils ont couché, l’herbe ne repousse pas avant deux ans, en raison des acides gras qui l’empoisonnent. Le sol est ainsi analysé de manière à savoir, même en l’absence de cadavre, combien de temps celui-ci y a résidé. Idem pour l’odeur. Directement importés de l’industrie du parfum, des nez artificiels reniflent les arômes pestilentiels et dessinent les courbes de différents marqueurs chimiques au fil du temps. Si l’ordre des événements advenant après la mort ne varie jamais, la vitesse du processus, elle, est sujette à des fluctuations, avant tout en raison de la température. Un corps pourrit moins vite à Chicago qu’à Miami.
William Bass a pris sa retraite en 1998 mais, aux dernières nouvelles, il est toujours actif. Il a raconté ses souvenirs dans un livre co-écrit avec le journaliste Jon Jefferson et intitulé La ferme des corps. Les deux hommes ont poursuivi leur collaboration en publiant plusieurs romans policiers qui parlent beaucoup d’ossements. Après m’avoir montré son “domaine”, Bill Bass m’avait invité à prendre un verre chez lui. J’avais profité de ce moment de détente pour lui demander à quoi il rêvait la nuit. Il m’avait répondu : “C’est curieux, vous êtes le premier à me poser la question. Je ne l’ai jamais dit à personne – y compris à ma troisième épouse, Carol – mais, de temps en temps, je rêve que je tue quelqu’un et que je tente de cacher son cadavre dans la Ferme des corps.”
Pierre Barthélémy
lire le billetDans la rubrique des faits divers ou dans les feuilletons de police scientifique, il se passe rarement une semaine sans qu’une analyse ADN confonde un suspect ou bien le mette hors de cause. Dans les enquêtes et devant les tribunaux, c’est désormais une arme fatale. Encore faut-il que l’ADN recueilli sur les scènes de crime corresponde à celui d’un suspect ou à celui d’une personne enregistrée dans le Fichier national des empreintes génétiques (Fnaeg). Si ce n’est pas le cas, les poils, le sperme, le sang, la salive, les cellules de peau retrouvés par terre, sur la victime, sous ses ongles, sur un mégot, ne servent pas à grand chose, si ce n’est à enlever des noms de la liste des coupables potentiels.
L’ADN pourrait bientôt quitter ce rôle passif, purement comparatif, et donner des pistes aux enquêteurs. Comment ? A partir de marqueurs, on va prédire avec un bon degré de confiance certaines caractéristiques physiques du criminel. On est certes encore très loin de dessiner le portrait-robot de ce dernier à partir de son ADN car la complexité biologique de ce qui donne son apparence extérieure à un être humain est immense. Néanmoins, si l’on sait que l’assassin est une femme blonde aux yeux bleus, les policiers chercheront plutôt une Grace Kelly qu’un Jackie Chan pour résoudre ce crime qui est presque parfait…
Cette prédiction des caractères observables à partir de l’ADN a commencé il y a peu avec la couleur des yeux, qui n’est pas, à vrai dire, une piste forcément discriminante sauf si l’assassin d’un restaurateur asiatique en plein Chinatown a les yeux bleus. Une nouvelle étude, néerlandaise, publiée dans Current Biology le 23 novembre pourrait intéresser davantage les spécialistes de la police scientifique, car elle parvient à déterminer avec une précision correcte l’âge d’une personne à partir de l’analyse de globules blancs. Pour comprendre comment cela fonctionne, entrons brièvement dans la machinerie du corps humain. Le “T” des lymphocytes T, puisque c’est d’eux qu’il s’agit, est l’initiale de thymus. C’est en effet dans cet petit organe situé dans la cage thoracique que les lymphocytes T, fabriqués par la moelle osseuse, sont formés à leur métier de guerriers du système immunitaire. Pour le dire simplement, ils y éduquent leurs récepteurs à reconnaître les cellules du “soi” et par conséquent à détecter les corps étrangers. Au cours de cet apprentissage, leur matériel génétique est réarrangé, ce qui produit de petites molécules circulaires d’ADN.
Or, le thymus a la particularité de régresser avec l’âge, ses tissus étant petit à petit remplacés par du tissu adipeux. Conséquence de cette évolution, les lymphocytes T présentent avec le temps de moins en moins de cercles d’ADN. Les auteurs de l’étude ont donc vérifié, avec des échantillons de sang prélevés sur 195 personnes âgées de 0 à 80 ans, que ce déclin était constant. De plus, que l’échantillon soit tout frais ou qu’il ait un an et demi ne fait pas de différence. Ces travaux permettraient donc d’évaluer assez précisément l’âge d’un criminel, ce qui donnerait des pistes aux enquêteurs. Comme le souligne l’étude, cette approche peut aussi être “appliquée à l’identification de victimes de catastrophes où des morceaux de corps (contenant du sang) sont disponibles et où la connaissance de l’âge peut être cruciale pour l’identification définitive.” Autre possibilité intéressante, l’estimation de l’âge des animaux sauvages pour les zoologues ou les responsables de parcs naturels.
Les auteurs restent néanmoins prudents quant à l’application immédiate de leur méthode : en effet, il reste à déterminer si des altérations sévères du système immunitaire, qu’elles soient dues à un sida ou à une leucémie, peuvent ou non influencer la précision du procédé. Par ailleurs, le référentiel que l’étude a établi concerne la population néerlandaise. Encore doit-on vérifier que l’origine géographique des personnes ne peut pas faire varier ces critères. Il ne faudrait pas chercher une Grace Kelly de 81 printemps à la place d’un Jackie Chan de 56 ans…
Pierre Barthélémy
lire le billetC’est une histoire archéologique qui pourrait se lire comme un polar dont les héros seraient des experts de la police scientifique. Une histoire de cadavres et d’animaux plus ou moins analogue à celles qu’aime écrire l’archéozoologue Fred Vargas… Tout commence avec la fouille de tombes de la culture mochica, une civilisation précolombienne qui a fleuri entre 100 et 750 de notre ère le long de la côte nord du Pérou et a fait l’objet, au début de l’année, d’une exposition au musée du quai Branly, à Paris.
Dans ces tombes, on trouve, évidemment, des morts, des objets, ainsi que de nombreuses et étranges petites capsules (voir photo ci-dessus). Il s’agit de puparia, sortes de cocons durs dans lesquels se développent les larves de certains diptères. Que faisaient là toutes ces larves de mouches, à quoi servaient-elles ? C’est à cette question que deux entomologistes (ou peut-être devrais-je dire archéoentomologistes), le Français Jean-Bernard Huchet et l’Américain Bernard Greenberg, ont tenté de répondre dans une étude publiée dans le numéro de novembre du Journal of Archaeological Science.
Sur le grand site archéologique mochica de la Huaca de la Luna, le locataire de la tombe 45 était un homme jeune, d’une vingtaine d’années, mort il y a plus de 1 700 ans et dont le crâne conservait des traces de cinabre, un pigment minéral rouge. On a retrouvé auprès de lui quatre pièces de vaisselle en céramique et quelque 200 puparia… L’examen anthropologique a montré que le squelette était incomplet puisqu’un morceau du bras gauche et le bas des jambes manquaient à l’appel. Par ailleurs, l’humérus droit était à l’envers. De toute évidence, la tombe avait été rouverte et le cadavre un peu bousculé mais la présence du mobilier prouvait que ce n’était pas le fait de pillards. D’autres études de squelettes ont suggéré que les Mochicas avaient développé des pratiques funéraires complexes incluant des inhumations tardives ainsi que des réouvertures de tombes. Etait-ce ce qui s’était produit dans la sépulture 45 ?
C’est là que les mouches entrent en jeu. Jean-Bernard Huchet et Bernard Greenberg ont adapté à l’archéologie les méthodes de la police scientifique, laquelle exploite l’attraction qu’exercent les cadavres sur certains insectes pour dater le délai post-mortem. C’est selon un calendrier très précis que les bestioles nécrophages arrivent, mangent, pondent, se développent, etc. Un calendrier qu’influencent de très nombreux facteurs, comme la météorologie, les vêtements ou l’état du corps. Nos deux entomologistes ont donc tout d’abord analysé les puparia au microscope électronique à balayage afin d’identifier les espèces en présence. Puis Jean-Bernard Huchet a mené sur le site archéologique péruvien des expériences avec des morceaux de viande de porc, animal qui est un excellent analogue à l’être humain, pour connaître les différents “timings” de ces mouches. Une fois ces chronologies connues, les deux chercheurs ont pu conclure que le cadavre de la tombe 45 était resté un mois à l’air libre avant d’être enterré.
Pour quoi faire ? La meilleure hypothèse à ce jour est peu ragoutante si l’on en juge par nos critères… Elle consiste à dire que les Mochicas voulaient délibérément attirer les mouches et leurs larves nécrophages (qui peuvent dévorer la moitié d’un corps en l’espace d’une semaine) pour libérer l’âme des morts, une pratique que les Espagnols ont retrouvée dans les Andes un millénaire et demi plus tard et que l’iconographie mochica confirme, la mouche y tenant une place de choix près des morts ou… des futurs morts que sont les prisonniers en partance pour le sacrifice. Une vision à l’exact opposé de ce qui était pratiqué dans l’Egypte antique, notent judicieusement les auteurs de l’étude, où l’on déployait des stratégies complexes pour empêcher la putréfaction du corps (embaumement, momification, prières, amulettes) et permettre au défunt d’accéder à l’immortalité. Dans un cas, l’âme se libère lorsque le corps est détruit, dans l’autre lorsqu’il est préservé…
Pierre Barthélémy
(Crédit photo : C. Chauchat, J.-B. Huchet)
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