On pouvait se douter que la consommation croissante d’appareils électroniques, qu’il s’agisse d’ordinateurs ou de téléphones mobiles devait engendrer une masse considérable de déchets. Mais on pensait que cette industrie de pointe avait mis en place des systèmes de recyclage aussi sophistiqués que ses produits. Quelle naïveté ! Les chiffres des déchets électroniques, baptisés E-waste en anglais, dépassent largement l’imagination.
L’industrie électronique n’utilise pas moins de 320 tonnes d’or et 7500 tonnes d’argent par an. Ce qui revient à ajouter chaque année 21 milliards de dollars à la mine potentielle que représentent les déchets de ces appareils, soit 16 milliards de dollars d’or et 5 milliards de dollars d’argent. Ces 21 milliards de dollars représentent le produit intérieur brut de pays comme le Salvador (7 millions d’habitants), l’Estonie ou le Paraguay. Et la grande majorité de ces métaux précieux est gaspillée puisque seulement 15% sont récupérés, aussi bien dans les pays développés que dans ceux qui sont en développement.
Résultat: l’accumulation de ces richesses éparpillées au fil des années a conduit la valeur des métaux présents dans les “mines urbaines” à représenter 40 à 50 fois celle des minerais extraits du sol… Tel est le diagnostic des experts rassemblés, du 25 au 29 juin 2012 à Acra (Ghana), pour le premier événement baptisé e-Waste Academy, organisé par les Nations Unies et la Global e-Sustainability Initiative (GeSI) pour les représentants de 12 pays.
La mine d’or des déchets high-tech est promise à un bel avenir avec l’essor des tablettes numériques, par exemple. Il devrait s’en vendre 100 millions d’unités cette année et près du double en 2014. Si l’on considère l’or seul, les industries électroniques et électriques consommaient 5,3%, soit 197 tonnes, de la production mondiale d’or en 2001. Cette part est passée à 7,7% (320 tonnes) en 2011. Soit 2,5% des réserves d’or des Etats-Unis dans les fameux coffres de Fort Knox et de la banque de la réserve fédérale de New York. Au cours de cette même décennie (2001 – 2011), alors que la production d’or mondiale a augmenté de 15% (3900 tonnes à 4500 tonnes), le prix de l’once a grimpé de 300$ à 1500$. Il semble que la crise de confiance envers les banques ne soit pas la seule cause de cette flambée du cours de l’or.
Le plus étonnant, c’est que le recyclage des produits électroniques existe bien. Dans les pays développés, il atteint même des taux de 80 à 90%. Néanmoins, dans les pays en voie de développement, environ 50% de l’or est perdu lors des opérations de démontage des appareils (contre 25% dans les pays développés). Et seulement 25% de ce qui est vraiment recyclé, contre 95% dans les pays développés. Mais il semble qu’au final, pays riches et pauvres confondus, seulement 10 à 15% de l’or présent dans les déchets électroniques est réutilisé. Les 85% restants disparaissent, perdus dans les montagnes d’ordures électroniques.
Certains des participants à la e-Waste Academy, comme Alexis Vandendaelen de l’entreprise belge Umicore Precious Metals Refining, estiment qu’il ne faut pas considérer cette situation comme un fardeau mais comme une opportunité. Il recommande de remplacer la notion de “management des déchets” par celle de “management de la ressource”. Nul doute que les chiffres plaident pour ce glissement sémantique. Cela suffira-t-il pour établir une véritable filière de recyclage des métaux précieux contenus dans les déchets électroniques ? Rien n’est moins sûr.
Une fois de plus, la non prise en compte du recyclage dans la conception même des appareils rend délicate et improbable une récupération efficace des métaux précieux a posteriori. En attendant la possibilité de démonter facilement les parties contenant le plus d’or et d’argent, la reprise des appareils par leurs fabricants serait sans doute la solution la plus efficace. Pourquoi pas en échange d’une somme d’argent ? Un peu comme le font les concessionnaires automobiles. Ou bien des tablettes consignées…
Michel Alberganti
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Je ne saurais laisser passer la fin de la semaine des prix Nobel, qui s’achève ce lundi 10 octobre avec l’annonce du Nobel d’économie, sans évoquer la belle histoire de deux des médailles d’or attribuées avec le prix, qui disparurent pendant la Seconde Guerre mondiale et renaquirent ensuite. C’est une histoire de chercheurs, d’ingéniosité, d’or et de nazis, qui aurait pu se trouver au détour d’un épisode d’Indiana Jones. Elle commence à Copenhague en avril 1940, alors que les Allemands envahissent le Danemark. L’un des plus grands scientifiques de l’époque, Niels Bohr, Prix Nobel de physique 1922 et directeur de l’Institut de physique théorique de Copenhague qui porte aujourd’hui son nom, est plus que soucieux. Celui qui est également un des pères de la mécanique quantique a de l’or qui lui brûle les doigts. En tout bien tout honneur cependant : cet or est celui des deux médailles Nobel que lui ont confiées deux chercheurs allemands opposés aux nazis, Max von Laue, Prix Nobel de physique 1914, et James Franck, qui reçut la même distinction en 1925.
A cette époque, les médailles Nobel sont faites d’or quasiment pur (23 carats, contre de l’or 18 carats aujourd’hui), pèsent 200 grammes, pour un diamètre de 66 millimètres et, surtout, sont gravées du nom du lauréat. Comme c’est un crime de faire sortir de l’or d’Allemagne, Bohr veut donc faire disparaître au plus vite les deux médailles, à la fois pour ne pas qu’elles tombent entre les mains de l’armée hitlérienne et pour éviter d’attirer des ennuis à leurs légitimes propriétaires. Se doutant bien que les Allemands vont passer son Institut au peigne fin, il juge trop risqué d’essayer de les dissimuler. Le Hongrois George de Hevesy, qui travaille alors à l’Institut racontera ainsi plus tard : “J’ai suggéré que nous enterrions les médailles, mais Bohr n’aima pas cette idée car elles risquaient d’être déterrées.” Futur Prix Nobel de chimie en 1943, Hevesy a alors une idée plus en rapport avec ses compétences. Si on ne peut pas cacher les médailles, pourquoi ne pas… les dissoudre ?
Tout le problème, c’est que l’or n’est pas un élément qui se laisse faire aussi aisément, et c’est en partie ce qui lui confère sa valeur. Le métal jaune est d’une stabilité quasiment à toute épreuve et ne réagit pour ainsi dire avec rien. Aucun acide pris seul ne peut en venir à bout. En revanche, l’eau régale le peut. Connue depuis le Moyen-Age, cette “eau royale” (nommée ainsi parce qu’elle peut dissoudre les métaux nobles que sont l’or et le platine) est en réalité un mélange d’acide nitrique et d’acide chlorhydrique. Le premier parvient à arracher des électrons à l’or, ce qui permet aux ions chlorures du second de s’y attacher. La réaction est longue et prendra la journée mais quand les Allemands débarquent à l’Institut de physique de théorique et le fouillent de fond en comble, ils ne font pas attention à ce grand récipient plein d’une solution orangée, posé sur une étagère.
L’histoire ne s’arrête pas à cette première victoire de la science sur les nazis. Hevesy, qui est juif, doit en 1943 quitter Copenhague pour la Suède, plus sûre. Lorsqu’il revient à l’Institut après la fin de la guerre, le récipient est là où il l’a laissé, avec l’or des deux médailles Nobel dissous à l’intérieur. “Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme”, disait Lavoisier, père de la chimie moderne. Il n’y a donc qu’à inverser la réaction, séparer l’or des ions chlorures et le récupérer. Le précieux métal est renvoyé à la Fondation Nobel qui fera ensuite frapper de nouveau les médailles et les remettra à Max von Laue et James Franck. Un magnifique tour de passe-passe chimique.
Pierre Barthélémy
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