Les chauves-souris sont prisonnières de la nuit

Samedi 27 et dimanche 28 août, aura lieu la quinzième édition de la Nuit européenne de la chauve-souris. Une occasion de mieux connaître ces mammifères volants dont les mains se sont transformées en ailes il y a plusieurs dizaines de millions d’années. Qu’elles s’appellent vespertilion à moustaches, grand rhinolophe, pipistrelle pygmée, molosse de Cestoni, barbastelle d’Europe, etc, toutes les espèces de chauves-souris vivant sur le territoire français métropolitain sont plus ou moins menacées (fragmentation de leur habitat, usage intensif des insecticides qui tuent leurs proies ou les chauves-souris elles-mêmes) et donc protégées. Malheureusement, le public a plus de mal à se mobiliser pour cette famille d’animaux qui, s’ils fascinent parfois en raison de leur capacité à utiliser l’écholocation, ne bénéficient pas d’un capital de sympathie énorme. Au mieux associés à un héros sombre comme Batman, au pire à un monstre comme Dracula.

Il n’en faut pas beaucoup pour faire peur. Une face peu avenante, une mauvaise réputation de suceur de sang, une couleur sombre et des mœurs mystérieuses parce que nocturnes. Batman et Dracula ne sortent que la nuit, les chauves-souris aussi. En général, trois hypothèses sont avancées pour expliquer pourquoi l’animal est nocturne. Les deux premières, plus populaires, ont trait aux oiseaux. La première dit que les chauves-souris, en chassant les insectes la nuit, évitent la concurrence de la gent aviaire. La deuxième assure qu’en choisissant la niche nocturne, ces petits mammifères se gardent des rapaces, même si cela ne les empêche pas, de temps en temps, de se faire croquer par des hiboux ou des chouettes. La troisième, plus audacieuse, dit que si les chauves-souris ne sortent pas (ou très peu) le jour, c’est parce qu’à l’instar des vampires de fiction, cela risque de les tuer.

Une étude allemande publiée en janvier dans les Proceedings of the Royal Society B, lesquels traitent de biologie, a voulu explorer cette hypothèse “physiologique” en comparant la température et les dépenses métaboliques d’une chauve-souris sud-américaine, Carollia perspicillata, lorsqu’elle évoluait de nuit et à la lumière du soleil. Les résultats sont plutôt éloquents. Après un vol nocturne, la température de ce petit mangeur de fruits tropical monte à 40,2°C tandis qu’après un vol diurne, elle grimpe à 41,9°C, soit près de la zone dangereuse. Même chose pour ce qui est du métabolisme, qui est 15% plus dépensier en cas de vol diurne. La faute en revient évidemment au soleil et à… un manque d’isolation. Contrairement aux oiseaux, dont les plumes constituent un excellent isolant, les grandes ailes sombres des chauves-souris absorbent jusqu’à 90% du rayonnement solaire et ne sont pas équipées pour dissiper ce surcroît de chaleur : elles risquent par conséquent l’hyperthermie et la mort. Pour ne rien arranger, les membranes de ces animaux ne sécrètent pas de sueur grâce à laquelle ils pourraient faire descendre leur température. Le seul moyen d’y parvenir consisterait à modifier la manière de voler, par exemple en battant des ailes plus vite… ce qui se paye cash sur le plan énergétique.

Cette étude donne du poids à l’hypothèse physiologique, sans toutefois invalider les deux autres. Ses auteurs expliquent qu’il n’est pas exclu que les chauves-souris s’aventurent à chasser de jour si nécessaire. Simplement, le rapport risque-bénéfice devient nettement moins bon : le risque d’entrer en compétition avec les oiseaux augmente, ainsi que celui de trouver un prédateur sur sa route, tandis que la dépense en énergie d’un vol diurne est nettement plus importante. Les chercheurs s’interrogent pour savoir si, à l’origine, ces animaux n’ont pas évolué vers des couleurs sombres, moins visibles des prédateurs, ce qui les a ensuite, en raison des contraintes physiologiques que j’ai évoquées plus haut, obligés à un mode de vie nocturne. Finalement, la comparaison avec les vampires, quoique peu flatteuse, n’est sans doute pas si dénuée de justesse : tous deux sont prisonniers de la nuit.

Pierre Barthélémy

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