Comment font les mouches pour voler à une vitesse de plusieurs mètres par seconde en évitant les obstacles ? Depuis leur apparition sur Terre, il y a 400 millions d’années, ces insectes ont mis au point une technique visuelle aussi efficace qu’économe. Le fameux œil sphérique est doté, chez la mouche bleue, de 5000 facettes correspondant à autant de pixels sur une image numérique. Une bien pauvre résolution, en fait, si on la compare aux quelque 20 millions de pixels captés par l’œil humain. Alors comment voler à cette vitesse avec aussi peu d’informations ? C’est la question que s’est posée Nicolas Franceschini, directeur de recherche CNRS à l‘Institut des sciences du mouvement de l’université de la Méditerranée Aix Marseille. Cette équipe a découvert que le secret des mouches réside dans un système d’analyse des images compatible avec les capacités de l’oeil des mouches et avec celles de leur cerveau. Les insectes se concentrent sur une vision du mouvement des différents éléments du paysage pendant leur vol. “Les objets à très grande distance défilent à une vitesse angulaire faible, alors que les objets proches défilent avec une vitesse très élevée”, explique Nicolas Franceschini à l’AFP (25 février 2012).
“Flux optique”
Les mouches analysent ce que les chercheurs nomment le “flux optique”. En fait, elles ne distinguent que les différences de contraste entre les objets et analysent leur distance grâce à leur vitesse de défilement. Cela suffit pour éviter les obstacles, poursuivre des congénères, faire du vol stationnaire et maîtriser des atterrissages précis. Autant de performances qui ne peuvent que séduire les roboticiens. Ces derniers sont en effet confrontés à un grave problème dès lors qu’ils conçoivent des engins volants de très faible poids, comme les fameux insectes espions dont nous avons parlé récemment : comment embarquer des grosses puissances de calcul dans des volumes microscopiques, des masses très réduites et sans consommer trop d’énergie.
Moins de calculs
La mouche avec son œil simplifié et son analyse sommaire des images apporte une solution intéressante. Il lui suffit de quelques dizaines de neurones de détection des mouvements et de 18 paires de muscles à chaque aile pour obtenir une autonomie remarquable. Ce dispositif exige “moins de capacités calculatoires que tous les autres systèmes proposés dans la robotique jusqu’ici”, note Nicolas Franceschini. Son laboratoire à l’Institut des sciences du mouvement a déjà conçu un robot hélicoptère d’une centaine de grammes qui exploite la vision par analyse du flux optique. Parallèlement, le projet européen Curvace (Curved Artificial Compound Eyes) piloté par l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne et auquel participe l’université de la Méditérannée Aix-Marseille a pour objectif de fabriquer un oeil artificiel pesant 1,7 gramme et disposant de 700 facettes, équivalent à l’oeil de la drosophile ou mouche du vinaigre.
Détection d’obstacles par vibrations
Le capteur panoramique pourra se présenter sous une forme sphérique ou cylindrique ou bien en bandes flexibles de 1 mm d’épaisseur. Une telle “caméra” miniaturisée dotée d’une analyse de mouvement inspirée par celle du cerveau des mouches pourrait bouleverser l’assistance aux personnes aveugles. C’est l’un des objectifs du programme Curvace. Il reste à réaliser l’interface entre les signaux captés et les handicapés visuels. Les chercheurs évoquent une transformation en vibrations permettant, par exemple, d’alerter sur l’approche d’un obstacle. On pense aux radars installés sur les automobiles pour faciliter les manœuvres de parking. Dans ce cas, l’appareil émet des sons de plus en plus rapprochés lorsque la distance diminue. Le conducteur se trouve dans une situation proche de celle d’un aveugle puisqu’il ne voit pas les obstacles de faible hauteur qui se trouvent à l’arrière de la voiture. On peut donc espérer que la caméra de Curvace permette de mettre au point des systèmes d’assistance moins invasifs que les rétines artificielles ou les implants dans le cerveau.
Biorobotique
Voici donc une preuve supplémentaire des précieuses ressources pour l’homme que les scientifiques peuvent exploiter à partir des mécanismes mis au point par la nature au cours de millions d’années d’évolution. Le biomimétisme appliqué à la robotique a ainsi fait l’objet d’un atelier international à l’Ecole des Mines de Nantes du 6 au 8 avril 2011.
Michel Alberganti
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