Je ne saurais laisser passer la fin de la semaine des prix Nobel, qui s’achève ce lundi 10 octobre avec l’annonce du Nobel d’économie, sans évoquer la belle histoire de deux des médailles d’or attribuées avec le prix, qui disparurent pendant la Seconde Guerre mondiale et renaquirent ensuite. C’est une histoire de chercheurs, d’ingéniosité, d’or et de nazis, qui aurait pu se trouver au détour d’un épisode d’Indiana Jones. Elle commence à Copenhague en avril 1940, alors que les Allemands envahissent le Danemark. L’un des plus grands scientifiques de l’époque, Niels Bohr, Prix Nobel de physique 1922 et directeur de l’Institut de physique théorique de Copenhague qui porte aujourd’hui son nom, est plus que soucieux. Celui qui est également un des pères de la mécanique quantique a de l’or qui lui brûle les doigts. En tout bien tout honneur cependant : cet or est celui des deux médailles Nobel que lui ont confiées deux chercheurs allemands opposés aux nazis, Max von Laue, Prix Nobel de physique 1914, et James Franck, qui reçut la même distinction en 1925.
A cette époque, les médailles Nobel sont faites d’or quasiment pur (23 carats, contre de l’or 18 carats aujourd’hui), pèsent 200 grammes, pour un diamètre de 66 millimètres et, surtout, sont gravées du nom du lauréat. Comme c’est un crime de faire sortir de l’or d’Allemagne, Bohr veut donc faire disparaître au plus vite les deux médailles, à la fois pour ne pas qu’elles tombent entre les mains de l’armée hitlérienne et pour éviter d’attirer des ennuis à leurs légitimes propriétaires. Se doutant bien que les Allemands vont passer son Institut au peigne fin, il juge trop risqué d’essayer de les dissimuler. Le Hongrois George de Hevesy, qui travaille alors à l’Institut racontera ainsi plus tard : “J’ai suggéré que nous enterrions les médailles, mais Bohr n’aima pas cette idée car elles risquaient d’être déterrées.” Futur Prix Nobel de chimie en 1943, Hevesy a alors une idée plus en rapport avec ses compétences. Si on ne peut pas cacher les médailles, pourquoi ne pas… les dissoudre ?
Tout le problème, c’est que l’or n’est pas un élément qui se laisse faire aussi aisément, et c’est en partie ce qui lui confère sa valeur. Le métal jaune est d’une stabilité quasiment à toute épreuve et ne réagit pour ainsi dire avec rien. Aucun acide pris seul ne peut en venir à bout. En revanche, l’eau régale le peut. Connue depuis le Moyen-Age, cette “eau royale” (nommée ainsi parce qu’elle peut dissoudre les métaux nobles que sont l’or et le platine) est en réalité un mélange d’acide nitrique et d’acide chlorhydrique. Le premier parvient à arracher des électrons à l’or, ce qui permet aux ions chlorures du second de s’y attacher. La réaction est longue et prendra la journée mais quand les Allemands débarquent à l’Institut de physique de théorique et le fouillent de fond en comble, ils ne font pas attention à ce grand récipient plein d’une solution orangée, posé sur une étagère.
L’histoire ne s’arrête pas à cette première victoire de la science sur les nazis. Hevesy, qui est juif, doit en 1943 quitter Copenhague pour la Suède, plus sûre. Lorsqu’il revient à l’Institut après la fin de la guerre, le récipient est là où il l’a laissé, avec l’or des deux médailles Nobel dissous à l’intérieur. “Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme”, disait Lavoisier, père de la chimie moderne. Il n’y a donc qu’à inverser la réaction, séparer l’or des ions chlorures et le récupérer. Le précieux métal est renvoyé à la Fondation Nobel qui fera ensuite frapper de nouveau les médailles et les remettra à Max von Laue et James Franck. Un magnifique tour de passe-passe chimique.
Pierre Barthélémy
lire le billetC’est sur un amusant exercice de cartographie-fiction que je suis tombé au hasard de mes pérégrinations sur Internet. Quelqu’un s’est demandé comment les nations se redistribueraient à la surface de la planète si au pays le plus peuplé on attribuait le territoire le plus grand, et ainsi de suite jusqu’au pays le moins peuplé qui prendrait le territoire national le plus petit. La carte qui en résulte (consultable ici en grand) est rigolote et bien souvent involontairement ironique. Elle a été réalisée avec les données Wikipedia. Le but premier de l’exercice consiste à harmoniser, autant que faire se peut, les énormes disparités de densité de population à travers le monde. Entre Monaco et ses plus de 16 000 habitants au kilomètre carré et la Mongolie qui en compte moins de 2, certains se marchent plus sur les pieds que d’autres.
Quels sont les principaux changements qui en résultent (je vais oublier le conditionnel…) ? Commençons par les poids lourds. Le pays le plus peuplé de la planète, la Chine, s’installe donc dans le plus grand appartement, celui de son voisin russe, et récupère au passage des territoires dont elle a été dépouillée au XIXe siècle… Les Chinois réalisent un rêve : conquérir la Sibérie, rester un géant asiatique tout en posant un gros pied en Europe. Quant aux Russes, dont la démographie part en capilotade depuis de nombreuses années, ils se retrouvent en pays de connaissance, dans un de leurs anciens fiefs, le Kazakhstan. Ils se consolent en se disant qu’ils pourront toujours tirer leurs fusées à Baïkonour…
Le deuxième pays le plus peuplé de la Terre, l’Inde, change de continent en s’emparant du territoire canadien et devient un nouveau géant américain. Si Christophe Colomb était toujours de ce monde, il pourrait enfin réaliser son rêve de rejoindre les Indes en traversant l’Atlantique. Dans ce grand jeu de chaises musicales, le Canada fait quasiment le chemin inverse puisqu’il prend la place du Pakistan, tandis que l’ex-territoire indien est attribué, non sans une certaine ironie, à son voisin actuel, le Bangladesh, pays issu de la partition des Indes…
Nous arrivons enfin aux Etats-Unis, troisième nation la plus peuplée de la planète. Et ce n’est pas sans un certain sadisme que nous nous frottons les mains pour savoir dans quel coin ils vont atterrir. En Irak ? Au Soudan ? En Chine ? Eh bien non, rien de tout cela. Il se trouve que l’oncle Sam fait bien les choses car les Américains, dotés du troisième plus grand territoire, restent chez eux et s’économisent un colossal déménagement. Trois autres peuples ne goûtent pas non plus aux joies de l’émigration : les Irlandais (qui ont pourtant une longue tradition en la matière…), les Brésiliens et les Yéménites.
Bon. Et la France dans tout cela ? Nous sommes à l’étroit dans l’Hexagone et comme notre population croît à un rythme plutôt soutenu, nous avons besoin de nous agrandir… Nous continuons à aller à la montagne et à la mer, mais la Riviera se transporte sur les bords du Pacifique puisque nous atterrissons au Pérou. Ce qui ravit les fans d’archéologie, de Tintin au Temple du Soleil et de Serge Lama… Mais qui récupère nos vignes, notre tour Eiffel et notre douceur angevine ? La Malaisie, dont la population jeune et en expansion aspire aussi à plus d’espace. Les Belges qui se demandent s’ils ne doivent pas couper leur pays en deux se retrouvent dans un territoire actuellement occupé par un peuple ayant des préoccupations du même ordre, le Sahara occidental… Ce sont les Mongols qui débarquent au plat pays, passant d’un ranch immense à une coquette studette. Pour ce qui concerne les Helvètes, ils récupèrent la place laissée vacante par les Bangladais. La Suisse se retrouve battant pavillon panaméen…
Parmi les nombreuses coquetteries de cette grande redistribution, j’ai noté que les deux Corées ne pouvaient pas se quitter et continuent donc à se quereller, la Corée du Nord au Botswana et celle du Sud en Afrique du Sud ; les Britanniques ne sont plus un peuple d’insulaires puisque les sujets de sa Majesté Elisabeth II se retrouvent au Niger, sans accès à la mer ; enfin, le choc thermique risque d’être rude pour certains, comme les Vietnamiens transportés au Groenland, les Nicaraguayens en Islande ou les Libanais au Spitzberg… Je n’ai évidemment pas cherché à tout dire et les commentaires sont ouverts à ceux qui auront noté d’autres curiosités amusantes.
Pierre Barthélémy
Post-scriptum : une autre manière, plus sérieuse, de représenter les choses consiste à gonfler ou amaigrir les territoires des nations en fonction de leur population. Cette technique a été exploitée avec brio dans l’Atlas du monde réel, publié en 2008 aux Editions de la Martinière.
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