Comment insulter l’arbitre sans prendre de carton rouge

Michael Ballack hurle sur l'arbitre Tom Henning Ovrebo en 2009.

Le football est régi par 17 lois du jeu. La loi 12 traite des “fautes et incorrections” et leur assigne des sanctions (coups francs direct ou indirect, coup de pied de réparation, sanctions disciplinaires). On y lit notamment qu’“un joueur, un remplaçant ou un joueur remplacé est exclu s’il (…) tient des propos ou fait des gestes blessants, injurieux et/ou grossiers”. On peut donc supposer que le “je préfère ta putain de sœur” adressé par le défenseur italien Marco Materazzi à Zinedine Zidane en finale de la Coupe du monde 2006, qui fut suivi d’un célébrissime coup de boule, aurait dû valoir un carton rouge à son auteur. Encore eût-il fallu que ces paroles tombassent dans l’oreille de l’arbitre. Et encore eût-il fallu que ledit arbitre estimât qu’il s’agissait vraiment de propos “injurieux et/ou grossiers”.

Car, en la matière, tout est laissé à l’interprétation de l’homme-qui-jadis-était-en-noir, la FIFA n’ayant malheureusement pas publié l’encyclopédie des noms d’oiseau méritant l’expulsion. Or, une expérience réalisée en Autriche et publiée récemment dans le Journal of Sports Science and Medicine montre que, pour les arbitres, toutes les insultes ne se valent pas et ne sont pas sanctionnables de la même façon. Y compris lorsqu’eux-mêmes constituent les cibles de ces attaques verbales. Les auteurs de l’étude ont tout d’abord recruté 13 personnes pour jauger une liste de 100 injures en allemand. Elles devaient assigner une note à chaque mot, de 1 (pas du tout insultant) à 7 (fortement insultant), puis le classer dans une catégorie : s’attaquait-on à la capacité de jugement de l’arbitre (du genre “t’es aveugle ou quoi ?”), à son intelligence (“crétin”), à son apparence physique (“gros lard”), à ses préférences sexuelles (le très courant “enculé”) ou à ses parties génitales. Je ne sais pas si le “couille molle” de La guerre des boutons faisait partie de la liste…

Suite à cette évaluation, 28 mots ont été retenus (5 à 6 par catégorie) dont le score allait de “légèrement insultant” à “extrêmement insultant”. On ne peut que regretter que cette sélection n’ait pas été publiée dans l’étude, sans doute par pudeur… Quoi qu’il en soit, dans la seconde phase de l’étude, 113 arbitres (dont 82% d’hommes) officiant en Autriche ont été soumis au petit examen suivant. Un scénario simple leur était présenté mettant en scène un des mots retenus : “Jusqu’à la trentième minute, le match avait été disputé dans un bon esprit de la part des deux équipes. L’arbitre n’avait dû avertir personne ni sortir un carton jaune ou rouge. Lors d’un tir, un défenseur de l’équipe en déplacement a été touché par la balle à l’épaule. Le ballon a été détourné. En tant qu’arbitre, vous avez vu l’événement de près et décidé de laisser jouer. Vous avez observé que le bras du défenseur n’était pas impliqué et que, en particulier, le bras n’était pas allé en direction du ballon. De plus, de votre point de vue, le défenseur avait été percuté par un joueur de l’autre équipe. Alors que la balle est sortie du terrain juste après, le capitaine de l’équipe jouant à domicile vient à vous et dit : “Monsieur/Madame, cela s’est passé dans la surface de réparation et cela exige clairement un penalty. Le haut du bras du défenseur s’est vraiment déplacé vers le ballon.”  Vous expliquez que le joueur a été touché à l’épaule. Sur ce, le capitaine de l’équipe dit… (le mot sélectionné), tourne les talons et s’éloigne.” Comment réagir ?

Alors qu’en théorie, tous les mots figurant sur la liste valaient l’expulsion, le carton rouge virtuel n’a été sorti que dans 55,7 % des cas ! Un carton jaune a été brandi une fois sur quatre (25,2 %), sans doute parce que les arbitres ont estimé, toujours conformément à la loi 12, que le joueur avait manifesté “sa désapprobation en paroles”. Dans 12,1 % des cas, l’arbitre a adressé un avertissement verbal et dans les 7 % restants, il n’a pas réagi. Sur les 113 arbitres testés, seulement 11 ont donné un carton rouge à chaque insulte présentée. Tous les autres ont été incapables d’appliquer cette partie du règlement à la lettre, sans doute, expliquent les auteurs, parce qu’ils ont été plus sensibles à l’esprit de la loi qu’à la loi elle-même. Le fait que l’action se déroule alors qu’il reste une heure de jeu est probablement pris en compte dans la décision, tout comme le fait qu’il s’agit du capitaine de l’équipe jouant à domicile… En réalité, ces personnes se comportent plus en en “managers de match” qu’en arbitres.

De plus, certains types d’insultes fâchent moins que d’autres. Les arbitres ont été nettement plus sévères lorsqu’on s’attaquait à leur orientation sexuelle (73,7 % de cartons rouges) ou à leurs parties génitales (80,7 %). Ils ont été moins sévères lorsqu’on remettait en cause leur intelligence (58,8 % d’exclusions) et presque laxistes lorsque l’injure touchait leur capacité de jugement (39,9 %) ou leur apparence physique (33,8 %). Je n’ai évidemment pas à donner de conseils pour choisir l’insulte que vous irez proférer dimanche prochain à l’arbitre qui aura oublié de siffler un pénalty en votre faveur, mais si vous vous sentez en verve, au lieu de le traiter d’étable à vits“, dites-lui plutôt qu’il “n’a pas inventé la machine à cintrer les bananes”. Ou mieux, taisez-vous.

Pierre Barthélémy

lire le billet

Les tennismen ont les fesses de travers

Jo-Wilfried Tsonga l’a dit récemment dans une interview donnée à Cosmopolitan, illustrée par la photo ci-dessus, les fesses sont la partie de son corps qu’il préfère. Dont acte. Pourtant, il est fort probable qu’en raison de la pratique intensive de son sport, le joueur de tennis français ait le derrière de travers. En effet, si l’on en croit une étude espagnole publiée le 29 juillet dans PLoS ONE, courir derrière une balle jaune et frapper dedans avec une raquette entraîne une asymétrie dans le développement des groupes de muscles reliant le tronc aux jambes, et donc une asymétrie des muscles fessiers. Ce qui ne se produit pas chez les footballeurs, lesquels courent pourtant aussi derrière une balle et frappent aussi dedans.

Qu’ont fait ces chercheurs espagnols pour en arriver à ce résultat ? Pour leur expérience, ils ont recruté quinze joueurs d’une équipe de football disputant la Liga, le championnat espagnol, huit tennismen professionnels et… six quidams n’ayant jamais fait de sport, pour servir de groupe de contrôle. Et ils ont fait passer à cette trentaine de cobayes une IRM allant du tronc au haut des jambes. Le but de la manœuvre : mesurer le volume de deux groupes de muscles. Le premier, situé sur l’avant du corps, appelé ilio-psoas, qui regroupe le muscle iliaque et le grand psoas, lesquels servent principalement à fléchir la cuisse. Le second, situé sur la face postérieure de notre anatomie et qui, sous la dénomination de muscles fessiers, associe le petit glutéal, le moyen glutéal et le grand glutéal, qui donnent son aspect rebondi à notre séant et permettent de tendre la jambe vers l’arrière.

Il ne surprendra personne d’apprendre que, par rapport aux sportifs du dimanche ou aux non-sportifs, les professionnels du football et du tennis disposent de musculatures hypertrophiées. Le tapeur de ballon pro a près de 50% de volume musculaire fessier en plus par rapport à celui qui le regarde évoluer vautré dans son canapé. Le joueur de tennis est un petit peu moins bien doté mais là n’est pas l’important. Autant le footballeur présente une musculature bien symétrique, que ce soit au niveau de l’ilio-psoas ou des muscles glutéaux (alors même que le quidam est toujours un peu plus musclé du côté de sa jambe préférée, celle avec laquelle il tape dans le ballon), autant le tennisman est le roi de l’asymétrie. Et c’est à chaque fois du côté inverse du bras qui tient la raquette que son ilio-psoas et ses fesses sont le mieux armés. La fesse gauche d’un joueur de tennis droitier a près de 100 centimètres cubes de muscles en plus par rapport à la fesse droite…

Les chercheurs espagnols, dont l’objectif premier est non pas de regarder ou de palper de la fesse mais bien de prévenir les blessures liées à la pratique intensive d’un sport et aux hypertrophies musculaires qu’elle implique, ont une explication pour toutes ces différences. Au tennis, le service et le coup droit entraînent une torsion très puissante du corps au niveau des hanches, que la musculature doit contrebalancer (tandis que le revers agit plutôt sur les épaules) : ainsi, un gaucher comme Nadal, en servant ou en frappant un coup droit, va faire tourner violemment son buste vers la droite, tandis qu’un droitier comme Federer, imprimera à son tronc une rotation vers la gauche. Pour lutter contre ces torsions, ils ont donc davantage développé le côté opposé à leur bras dominant. La même équipe de chercheurs a montré en 2010 que les abdominaux des tennismen présentaient le même genre d’asymétrie. En revanche, même s’ils ont un pied favori pour shooter, les footballeurs ont une musculature équilibrée. Pourquoi ? Parce que, à la différence du tennis, sport individuel, dans un match de football, sport collectif, les frappes sont très minoritaires par rapport aux courses.

Le championnat de France de football a repris samedi 6 août et, à la fin du mois, l’US Open de tennis va captiver les passionnés de la petite balle jaune. Les semaines qui viennent vont donc être particulièrement propices à la mise en pratique de cette étude. De cette manière, si votre conjoint vous prend à reluquer les derrières joufflus de tel(le) ou tel(le) athlète, vous pourrez toujours lui dire, sur le ton de la bonne foi : “Mais enfin chéri(e), c’est pour la science !” Soyons néanmoins honnête : comme je l’ai dit plus haut, la différence musculaire ne dépasse pas les 100 centimètres cubes entre les deux fesses, soit moins que le volume contenu dans un pot de yaourt. Il sera donc difficile de constater l’asymétrie de visu…

Pierre Barthélémy

lire le billet

La science des footballeurs truqueurs

SOCCER-SPAIN/Quand ils en auront fini avec le ballon rond, certains footballeurs auront une reconversion sportive toute trouvée dans une autre discipline olympique : le plongeon. Il fut un temps où les joueurs mettaient un point d’honneur à rester debout contre vents et marées, contre croche-pattes et coups de tatane. Aujourd’hui, des garçons encore plus musclés que l’Hercule Farnèse s’écroulent au moindre courant d’air, tenant moins bien sur leurs jambes qu’une grand-mère avec deux prothèses de hanche, comme s’ils avaient des savonnettes à la place des crampons. Bien sûr, il y a souvent faute. Mais l’art de la simulation s’est aussi répandu comme une peste sur les pelouses et quand on sait la fameuse importance des coups de pied arrêtés au football ainsi que les sommes que représente une victoire, on comprend mieux que les joueurs soient tentés de feindre ou d’exagérer l’accrochage avec un de leurs adversaires. Voici un florilège vidéo de simulations plus grossières, grotesques et lamentables les unes que les autres.

Ces mauvaises habitudes anti-sportives ont attiré l’attention d’une équipe de chercheurs australiens qui sont d’ordinaire plus intéressés par les décapodes que par les bipèdes. Ils ont ainsi notamment découvert que, chez une espèce d’écrevisse, arborer des pinces impressionnantes chez un mâle assied sa domination sur les autres mâles ainsi que sur les femelles, même s’il n’a pas assez de force pour s’en servir efficacement ! Il y a cependant un grand débat pour savoir si et comment la tromperie dans la communication animale peut se maintenir dans les systèmes naturels comme une stratégie stable. La théorie des jeux prédit que la duperie, pour être viable, doit se produire peu fréquemment (sinon on tombe dans l’histoire de l’enfant qui criait au loup) mais que cette fréquence augmente en fonction des bénéfices que l’on peut en retirer et aussi en fonction de la “naïveté” de celui qui reçoit le signal trompeur. Le problème, c’est que très peu de systèmes animaux permettent d’étudier la question. D’où l’idée de se servir des footballeurs, que ces chercheurs australiens ont présentée il y a quelques jours au congrès annuel de la Society for Integrated and Comparative Biology, qui se tenait à Salt Lake City. “C’est une manière très intelligente de tester les prédictions de la théorie du signal, commente dans Science le biologiste américain Simon Lailvaux. Il est passionnant de trouver un système avec lequel on pourra vraiment quantifier ou catégoriser les signaux trompeurs.”

Si l’on transpose au football, l’émetteur (le joueur qui tombe) envoie un signal (sa chute) au récepteur (l’arbitre). Lequel doit déchiffrer si le signal est honnête (il y a eu faute) ou malhonnête (il y a simulation) et prendre une décision en conséquence. Pour savoir si la théorie fonctionne sur les terrains de football (grosso modo pour savoir si la stratégie est payante et si l’arbitre se fait berner), Gwendolyn Davis, post-doctorante à l’université du Queensland, s’est donc attelée à une tâche ingrate (heureusement pour elle, elle aime le foot et y joue…) : visionner et décortiquer pas moins de 60 matches de première division. Dix français, dix espagnols, dix allemands, dix néerlandais, dix italiens et, bien sûr, dix australiens. A chaque faute sifflée, il lui fallait revisionner l’action en détail pour la classer dans trois catégories : faute avérée, contact et chute exagérée, plongeon sur faute imaginaire.

Comme le prédit la théorie des jeux, le nombre de fautes réelles surpasse de loin les supercheries. Seulement 6% des quelque 2 800 chutes enregistrées étaient complètement bidon. Les chercheurs ont aussi constaté que les joueurs plongeaient de deux à trois fois plus lorsqu’ils étaient proches du but adverse et qu’ils étaient aussi plus récompensés dans cette zone, peut-être parce que l’arbitre était souvent plus éloigné de l’action. Enfin, et c’est aussi un enseignement important, presque aucun truqueur n’a été sanctionné lors de ces matches… Robbie Wilson, qui a conduit l’étude, a suggéré que les institutions du football pourraient s’en servir pour placer des arbitres supplémentaires dans les zones où les truqueurs sévissent le plus.

Pour compléter ce tour d’horizon de la science des footballeurs truqueurs, je suggère au corps arbitral de lire le travail de deux chercheurs britanniques, paru en 2009 dans le Journal of Nonverbal Behavior. Paul Morris et David Lewis y décrivent notamment la posture typique du plongeur, illustrée à merveille par cette photo de Didier Drogba. Il s’agit de la posture de l’arc, nommée ainsi en raison de la courbure presque surnaturelle que le corps adopte et que l’on ne retrouve quasiment jamais en cas de faute réelle: la tête en arrière, la poitrine en avant, les bras complètement levés et pointant vers l’arrière, les jambes décollées du sol et les genoux pliés. Merci, Didier, pour cette fantastique démo. Tu peux te relever.

Pierre Barthélémy

Post-scriptum : j’ai tardivement demandé par courrier électronique d’autres statistiques à Gwendolyn Davis. Si elle a la gentillesse de me les envoyer vite, je complèterai ce billet avec des chiffres supplémentaires.

Photo: Cristiano Ronaldo plonge et se retrouve sur les mains, le 23 janvier 2011 au stade Santiago Bernabeu. REUTERS/Felix Ordonez

lire le billet

Ma sélection #1

Non, en vous présentant ma sélection, je ne me prends pas pour le remplaçant de Raymond Domenech. Je vous propose simplement une revue du web scientifique, complètement subjective. Comme le titre l’indique, il s’agira d’une rubrique régulière dans ce blog. Pour commencer, actualité oblige, quelques liens mêlant science et Coupe du monde de football…

Ballon-de-foot– Tout d’abord, une étonnante recherche sur les taux de testostérone des… fans de sport. Quand vous regardez votre équipe favorite gagner, il monte. Mais si vous avez vu les trois matches des Bleus en Afrique du Sud, votre taux de testostérone est tombé dans vos chaussettes. Je conseille donc aux cyclistes français qui entament la Grande Boucle 2010 de se repasser, avant le départ de chaque étape, la finale France-Brésil de 1998…

– Toujours dans la veine “foot et physiologie”, un amusant papier de Slate.com établit une relation a priori improbable entre la réussite d’une nation à la Coupe du monde et son taux d’infection à la… toxoplasmose.

– La rubrique “Tableau noir” de Slate.fr vous a proposé un article passionnant sur la physique du ballon rond. Voici un complément un peu plus technique, publié par Physics Today.

– Vous avez sûrement entendu parler de Paul le Poulpe, locataire de l’aquarium d’Oberhausen (Allemagne), qui a prédit sans se tromper une seule fois les résultats de la Mannshaft depuis le début de la Coupe du monde. Eh bien, le rapport entre les deux peut sembler tiré par les tentacules, mais une étude récente, rapportée par Mike Lisieski, auteur du blog Cephalove, nous révèle que les pieuvres, en plus de faire la différence entre deux équipes de foot, sont capables de faire la différence entre deux humains…

– Et, pour terminer, puisqu’on a parlé au moins autant de cet instrument de musique que de ce qui se passait sur les terrains, tout sur la physique de la vuvuzela, par Hank Campbell, l’auteur du blog Science 2.0. Un conseil : baissez le son de votre ordinateur si vous regardez sa démo…

Pierre Barthélémy

lire le billet