Que les pédophiles soient tentés d’exploiter Facebook pour entrer en relation avec des enfants n’est guère surprenant. On sait que, depuis qu’Internet est utilisé par les plus jeunes, cette pratique existe sur le réseau mondial et que les forces de police spécialisées traquent les suspects en permanence. Mais qu’un site privé comme Facebook, connu pour analyser avec minutie le comportement de ses membres à des fins commerciales, soit également un repère de pédophiles semblait moins probable. D’où la surprise d’une journaliste de la publication en ligne World Net Daily (WND) lorsqu’elle s’est lancée dans une enquête sur le sujet en créant un faux profil sur Facebook. Très vite des pédophiles la contactent, comme elle le raconte dans l’interview vidéo ci-dessus (en anglais) réalisée à la suite de son article publié en mai 2012 sur WND et qui comptabilise plus de 10 000 “likes” des utilisateurs de… Facebook. Echanges de photos explicites, création de groupes d’amis au label sans ambiguïté, propositions de rencontres… Tout y est.
Deux mois plus tard, le 13 juillet 2012, le directeur de la sécurité de Facebook, Joe Sullivan, dans un entretien à Reuteurs repris par ZDNet, explique que “le réseau social a mis en place une méthode de détection automatique des comportements suspects, notamment pédophiles”. Il s’agit d’un robot qui analyse l’ensemble des conversations sur Facebook et qui signale celles qui sont suspectes. Sur quels critères ? Les relations “lointaines’, indique Joe Sullivan, entre des utilisateurs situés à loin les uns des autres et affichant une grande différence d’âge, mais également le contenu des conversations entre les 900 millions d’utilisateurs de Facebook dans le monde… La tâche est considérable et les garanties quant à l’utilisation de cet espionnage des conversations privées ne sont pas précisées par Joe Sullivan. En effet, si l’on peut se réjouir de la prise de conscience par Facebook, même tardive, du problème de la pédophilie sur son réseau, on peut noter que la solution, comme souvent en matière de surveillance, conduit à espionner tout le monde pour détecter les suspects.
Une autre solution est proposée par l’université Ben Gourion du Negev (BGU) en Israël. Il s’agit d’une approche similaire en matière de détection mais proposée sous la forme d’une application utilisable par les parents d’enfants inscrits sur Facebook. Le Social Privacy Protector, c’est le nom de l’application, promet, en un clic, de prévenir la collecte d’informations personnelles et de protéger les enfants contre les pédophiles. L’application gratuite téléchargeable est décrite dans un article de Phys.org du 6 juillet 2012. Michael Fire, doctorant du département d’ingénierie des systèmes d’information de la BGU, explique que l’algorithme de l’application “détermine scientifiquement qui doit être retiré de la liste des amis”. Sans plus de précisions, là encore, sur les critères utilisés. Il faut dire que la divulgation de ces informations seraient probablement très utile aux pédophiles pour tenter de les contourner.
Ainsi, l’espionnage centralisé ou le filtrage personnel semblent être les deux seuls moyens permettant d’espérer assurer une protection des enfants sur Facebook. Cette réponse technologique à un problème essentiellement humain fait l’impasse, semble-t-il, sur une autre voie. Est-il véritablement impensable d’éduquer les enfants pour qu’ils puissent, d’eux mêmes, détecter les “prédateurs” pédophiles ? Si c’est impossible, est-il raisonnable de laisser ces mêmes enfants voyager librement sur un réseau de 900 millions de personnes, dont 26 millions en France ? Laisserions-nous ces enfants voyager seuls ou se promener au milieu d’une foule d’inconnus sans accompagnement ? La question posée par Facebook rappelle celle des enlèvements d’enfants. Un instant d’inattention peut être fatal. La même prudence et l’exigence d’éducation ne sont-elles pas de mise sur Facebook ?
Michel Alberganti
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Le nombre d’utilisateurs actifs de Facebook est passé de 1 million fin 2004 à 900 millions en mars 2012. A la même date, dans le classement des sites les plus visités, Facebook se place en deuxième position derrière Google et devant Youtube. Twitter est huitième, Linkedin douzième. C’est dire l’importance prise par les réseaux sociaux sur Internet. D’où vient un tel succès ? Des chercheurs de l’université de Géorgie, à Athens aux Etats-Unis, se sont penchés sur cette question en essayant de comprendre ce que tant d’internautes “aiment” (like) dans ces réseaux sociaux. La réponse est simple: eux-mêmes…
“En dépit de la dénomination “réseaux sociaux”, la plus grande partie de l’activité des utilisateurs de ces sites est centrée sur eux-mêmes”, note Brittany Gentile, une doctorante qui s’est intéressée à l’impact des réseaux sociaux sur l’estime de soi et le narcissisme dans une étude publiée le 5 juin 2012 dans la revue Computers in Human Behavior. Ainsi, les 526 millions de personnes qui se connectent à Facebook tous les jours pourraient bien rechercher davantage à renforcer leur estime d’eux-mêmes qu’à se faire de nouveaux “amis”. Pour Keith Campbell, professeur de psychologie à l’université de Géorgie et co-auteur de l’article, “il semble que l’utilisation, même pendant un court moment, de ces réseaux sociaux aient un effet sur la façon dont les utilisateurs se voient eux-mêmes. Soit en s’éditant, soit en se construisant. Dans les deux cas, les utilisateurs se sentent mieux avec eux-mêmes mais le premier renvoie au narcissisme et le second à l’estime de soi”.
Pour aboutir à ces conclusions, les chercheurs ont réalisé des expériences avec des étudiants utilisateurs de MySpace (classé 62ème site) et de Facebook. Dans les deux cas, les participants ayant le plus niveau de narcissisme le plus élevé étaient ceux qui déclaraient le plus grand nombre d’amis. Un groupe de 151 étudiants âgés de 18 à 22 ans ont rempli le formulaire d’évaluation du narcissisme qui faisait partie de l’étude. “Le narcissisme est un trait de personnalité stable, indique Brittany Gentile. Pourtant, après 15 minutes passées sur l’édition d’une page de MySpace et sur l’écriture de ce qu’elle signifie, l’auto-évaluation du trait narcissique s’est révélé modifiée. Cela suggère que les sites de networking social peuvent avoir une influence significative sur le développement de la personnalité et de l’identité”.
Plus étonnant encore, les chercheurs ont noté des différences d’impact qui semblent liées, au moins en partie, au format et au type des pages éditées sur les deux sites. Ainsi, MySpace augmenterait le narcissisme alors que Facebook renforcerait l’estime de soi. Brittany Gentile souligne ainsi des différences dans le fonctionnement des deux réseaux sociaux. “Sur MySpace, vous n’interagissez pas vraiment avec les autres et les pages du site ressemblent à des pages personnelles. Ces dernières ont permis à une grand nombre de personnes de devenir célèbres. En revanche, Facebook propose des pages standardisées et le message de l’entreprise est que “le partage rendra le monde meilleur””.
D’autres études ont constaté une croissance, au fil des dernières générations, à la fois de l’estime de soi et du narcissisme. Les travaux des chercheurs de l’université de Géorgie suggèrent que la popularité croissante des réseaux sociaux peut jouer un rôle dans ces tendances. Néanmoins, les auteurs soulignent que le phénomène est observé depuis les années 1980, bien avant la création de Facebook en 2004. Keith Campbell estime que les réseaux sociaux sont à la fois un produit d’une société de plus en plus absorbée par elle-même, et la cause d’un renforcement des traits de personnalité correspondants. “Dans l’idéal, l’estime de soi nait lorsque l’on a de fortes relations et que l’on atteint des objectifs raisonnables pour l’âge que l’on a. Dans l’idéal, l’estime de soi ne peut pas être atteinte par un raccourci. C’est la conséquence d’une vie réussie, pas quelque chose que l’on peut poursuivre”, note-t-il sagement.
Moralité : Les réseaux sociaux semblent avoir plus d’influence sur l’égo de leurs utilisateurs que sur leurs aptitudes relationnelles. Ils conduisent, au mieux, à fabriquer une estime de soi artificielle, plus fondée sur l’apparence que sur la réalité. Au pire, ils développent un fort égo-centrisme en contradiction avec la vocation “sociale” de ces réseaux. Notons, toutefois, que l’architecture du site, tout comme le slogan de l’entreprise qui l’a créé, peuvent influencer fortement ses impacts sur la personnalité des utilisateurs. A choisir, mieux vaut quand même une amélioration de l’estime de soi, même artificielle, qu’une plongée dans le narcissisme exacerbé, non ?
Michel Alberganti
lire le billetDepuis qu’il est facile de s’exprimer grâce à Facebook, Twitter, les blogs et autres moyens électroniques, on peut de demander pourquoi tant de personnes éprouvent le besoin d’utiliser ces outils pour parler d’elles-mêmes. D’où vient ce puissant désir de raconter sa vie, de donner son avis sur tout, de s’exposer au regard de tous ? Comment expliquer le recours permanent au “moi, je…” qui scande également l’expression orale ? Plusieurs études scientifiques se sont penchées sur ces interrogations. Le résultat est concluant: parler de soi excite le système mésolimbique, qui, dans le cerveau, libère de la dopamine.
Shoot de dopamine
Grâce à l’imagerie cérébrale, les chercheurs ont pu mettre en évidence que cette activité actionne le processus de récompense primaire, tout comme le sexe ou la nourriture. On peut noter que ce système mésolimbique est souvent associé aux addictions à différentes drogues. Parler de soi engendre donc rien de moins qu’un shoot de dopamine. De quoi expliquer que certains soient accros. Les autres, sans doute, ignorent encore ce plaisir qui a l’avantage social de ne pouvoir s’exercer en solitaire. Pour parler de soi, il faut l’une, voire les deux oreilles d’un “autre”. Les réseaux sociaux démontrent que cet autre peut être à la fois distant et multiple. Si, dans ce cas, il ne répond pas directement, il doit néanmoins manifester son écoute d’une quelconque manière. D’où les “J’aime” de Facebook ou le nombre de Retweet de Twitter. Les dialogues électroniques se révèlent donc être une succession de discours univoques sur soi adressés à tous. Les réponses sont d’autant plus rares qu’il n’y a pas vraiment de questions…
80% des conversations sur les réseaux sociaux
On comprend mieux pourquoi les êtres humains consacrent de 30 à 40% de leurs conversations quotidiennes à transmettre aux autres des informations sur leurs propres expériences ou leurs relations personnelles. Les études ont montré que ce taux monte à 80% dans les billets de médias sociaux comme Twitter. Il ne s’agit alors, pour l’émetteur, que de relater sa dernière expérience en date. Parfois, souvent, on ne peut plus banale: “Je sors de chez moi”, “J’arrive au bureau”. “Il pleut, je suis trempé”…
Dans la dernière étude sur ce phénomène, publiée le 7 mai 2012 dans les Proceedings of the National Academy of Science des Etats-Unis (PNAS), deux chercheurs de l’université d’Harvard, Diana Tamir et Jason Mitchell, ont affiné l’analyse des réactions du cerveau humain dans différentes conditions d’expérience. Ainsi, ils ont découvert une activité supérieure dans le système de récompense chez les participants qui recevaient une petite somme d’argent (2 $). En revanche, les deux groupes (avec ou sans argent à la clé) ont réagi de la même façon lorsque les chercheurs ont comparé l’activité cérébrale des participants exprimant leurs propres opinions ou leurs goûts et lorsqu’ils parlaient des opinions et des goûts des autres. Sans surprise, leur cerveau est nettement plus stimulé dans le premier cas.
Renoncer à de l’argent pour parler de soi
Diana Tamir et Jason Mitchell sont allés encore plus loin. Ils ont mesuré la quantité d’argent à laquelle les participants étaient prêts à renoncer pour avoir le plaisir de révéler des informations sur eux-mêmes. L’étude, semble-t-il, n’est pourtant pas financée par les psychanalystes… Les 37 participants devaient choisir entre trois tâches: parler de leurs opinions et de leurs comportements (“Aimez-vous les sports d’hivers comme le ski?”), juger le comportement d’une autre personne (“Barak Obama aime-t-il faire du ski?”) ou répondre par oui ou par non à un questionnaire factuel (“Léonard de Vinci a peint la Joconde”). A chacun des 195 choix faits par les participants était associée une récompense variable (0.01 $ à 0.04 $), sans qu’il existe de corrélation systématique entre le montant de la récompense et le type de choix. Les chercheurs ont ainsi pu confirmer, une fois de plus, la préférence des participants pour les exercices leur permettant de parler d’eux-mêmes. Lorsque la récompense était équivalente pour les trois types de choix, les participants ont choisi ces tâches dans 66% des cas face aux tâches où ils devaient parler des opinions des autres et dans 69% des cas face aux questions factuelles. Plus probant encore, en moyenne, les participants ont sacrifié 17% de leurs gains en préférant parler d’eux-mêmes face à d’autres choix rapportant plus. “Tout comme des singes prêts à renoncer à leur jus de fruit pour voir le mâle dominant ou des étudiants prêts à donner de l’argent pour voir des personnes séduisantes du sexe opposé, nos participants ont accepté de renoncer à de l’argent pour penser à eux et parler d’eux”, concluent les chercheurs.
Payer pour être lu
Un tel constat pourrait donner des idées à Facebook, entre autres. Si ses utilisateurs sont si accros à la possibilité de parler d’eux, seraient-ils prêts à payer pour cette drogue ? En fait, Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook y pense déjà. Comme vous avez pu le lire sur Slate.fr, le site néo-zélandais Stuff a révélé une première tentative. Un test propose une nouvelle fonction, Highlight, qui, pour 2 $ permet à un billet d’être davantage vu par les “amis”. Même si Facebook s’en défend pour l’instant, la tentation de faire payer le shoot d'”égo-dopamine” risque d’être très forte à l’avenir.
Michel Alberganti
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