Un doyen de faculté qui s’avance vers les caméras pour annoncer que le doctorat de philosophie de la ministre de l’éducation et de la recherche, Annette Schavan, est invalidé 33 ans après lui avoir été décerné… La scène s’est déroulée en Allemagne, le 5 février 2013, à l’université de Düsseldorf. Quelque chose me dit qu’elle est difficilement imaginable en France. Mais pourquoi, au fond ?
Alors qu’en France, seuls les docteurs en médecine peuvent espérer voir leur titre accolé à leur nom, en Allemagne, Herr Doktor jouit d’une aura considérable quelle que soit la discipline. Le paradoxe de l’université française conduit ainsi son diplôme le plus prestigieux a n’être jamais mis en avant par ceux qui l’ont obtenu après, au moins, une dizaine d’années de laborieuses études. Ainsi, alors que je reçois chaque année environ 200 scientifiques dans Science Publique, l’émission que j’anime sur France Culture, très rares sont ceux qui se présentent comme docteurs alors que bon nombre le sont. Pourquoi ? Il semble que la filière du doctorat reste refermée sur l’université. La vocation d’un docteur est de devenir professeur et/ou directeur de recherche. Même s’ils entrent au CNRS, les docteurs ne sortent guère des murs de ces institutions.
En Allemagne, après leur thèse, la plupart des Doktor font leur carrière dans l’industrie. Leur visibilité n’a alors pas de commune mesure. Surtout dans un pays où l’industrie est également fortement valorisée.
En France, conscient de ce problème qui leur barre souvent la route vers des emplois dans les entreprises alors que l’université est saturée, les docteurs se sont réunis dans une association nationale des docteurs, l’ANDès dont l’objectif affiché est de “promouvoir les docteurs”. Étonnant paradoxe… Le titre le plus élevé a donc besoin de “promotion”. C’est pourtant justifié. Le docteur reste loin d’avoir la même cote, dans l’industrie, d’un polytechnicien ou d’un centralien. Résultat, le faible nombre de docteurs dans les entreprises est l’une des principales causes du retard français en matière de pourcentage du PIB consacré à la recherche.
En Allemagne, donc, on ne badine pas avec le doctorat. Et même, ou surtout, un ministre de la recherche ne saurait avoir usurpé son titre. En France, ce cas de figure a d’autant moins de chances de se produire que… les ministres de la recherche sont rarement docteurs. A partir d’Hubert Curien, docteur es sciences, ministre de la recherche jusqu’en 1993, on ne trouve guère que 3 docteurs sur ses 19 successeurs: Claude Allègre, docteur es sciences physiques, ministre de 1997 à 2000, Luc Ferry, docteur en science politique, ministre de 2002 à 2004 et Claudie Haigneré, docteur ès sciences, option neurosciences, ministre déléguée de 2002 à 2004.
Force est de constater que ces trois ministres n’ont pas laissé un souvenir impérissable. Lorsque Luc Ferry et Claudie Haigneré étaient aux commandes, l’un des plus forts mouvements de révolte des chercheurs s’est produit avec “Sauvons la recherche“, en 2003. Il a fallu un autre couple, beaucoup plus politique, François Fillon et François d’Aubert, pour rétablir l’ordre et redonner un peu d’espoir dans les laboratoires.
C’est peut-être ce qui fait le plus mal à l’image de l’université française. Et c’est peut-être lié à la sous-valorisation du doctorat. Même s’ils peuvent paraître anecdotiques, trois exemples publics ont suffi pour jeter un discrédit tenace sur l’institution qui délivre les doctorats. Il s’agit du diplôme décerné à Elizabeth Teissier, docteur en sociologie en 2001 avec sa thèse intitulé “Situation épistémologique de l’astrologie à travers l’ambivalence fascination-rejet dans les sociétés postmodernes”. Ex mannequin et comédienne, Elizabeth Teissier est surtout astrologue depuis 1968. Elle avait, certes, obtenu un DEA en Lettres modernes… en 1963.
Les autres exemples de doctorats ayant défrayé la chronique sont, bien entendu, ceux des frères Bogdanoff en mathématiques appliquées et en physique théorique. Ces cas sont-ils des exceptions ou la partie émergée de l’iceberg ? C’est toute la question.
Mais la France aurait sans doute besoin d’une “affaire Schavan”. Pas forcément, d’ailleurs, concernant le doctorat, rare, d’un ministre de la recherche. Mais juste une reconnaissance d’erreur. Histoire de montrer que l’institution universitaire est capable de revenir sur la décision de l’un de ses directeurs de thèse et d’un jury. L’erreur étant humaine, son absence est d’autant plus suspecte. Lorsqu’un peu moins de 10 000 thèses sont soutenues chaque année en France (contre environ 15 000 en Allemagne), une faute devrait être pardonnée. Encore faudrait-il qu’elle soit avouée ou déclarée…
Michel Alberganti
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