C’est une molécule chimique commune, si commune qu’on la retrouve quasiment partout. Vous en avez forcément chez vous, tout comme vous en avez ingéré un certain nombre de milligrammes depuis votre naissance. Et vous en avez donné à vos bébés. Pourtant, cette substance dont les industriels se servent tous les jours, notamment dans le milieu de l’agro-alimentaire mais aussi dans celui du nucléaire, et qui n’est pas considérée comme à risque par la majorité des chercheurs, n’est pas un produit anodin. Il s’agit de l’acide hydroxyque, plus connu sous son acronyme anglais DHMO et les dangers qu’il peut présenter dans certaines conditions sont loin d’être négligeables.
La liste de ces dangers, publiée sur le site DHMO.org tenu par le scientifique américain Thomas Way, fait froid dans le dos au point que l’on finit par se demander par quel miracle (ou plutôt grâce à quel complot) le rôle potentiellement toxique du DHMO n’a pas été souligné auparavant. Pour la bonne lisibilité de cette liste, j’ai reclassé les risques en les regroupant dans l’ordre suivant: risques sanitaires, risques environnementaux, risques technologiques. Voici ce que cela donne: «Des décès dus à l’inhalation accidentelle, même en faibles quantités; l’exposition prolongée à sa forme solide entraîne des dommages graves des tissus; sous forme gazeuse, il peut causer des brûlures graves; l’ingestion en quantités excessives donne lieu à un certain nombre d’effets secondaires désagréables, bien que ne mettant pas habituellement en cause le pronostic vital; a été trouvé dans des biopsies de tumeurs et lésions pré-cancéreuses; le monoxyde de dihydrogène est un constituant majeur des pluies acides; il contribue à l’érosion des sols; il entraîne la corrosion et l’oxydation de nombreux métaux; la contamination de dispositifs électriques entraîne souvent des court-circuits; son exposition diminution l’efficacité des freins automobiles.» Même si je n’ai pas toujours récupéré les liens y afférents, tous ces risques sont documentés et pour certains depuis très longtemps. En revanche, j’en ai trouvé un de plus, sous la forme d’une étude publiée par Nature Geoscience, montrant que le produit était également un puissant gaz à effet de serre. Au total, même si aucun chiffre n’existe officiellement, il ne fait guère de doute que, chaque année sur la planète, l’acide hydroxyque est directement ou indirectement responsable de plusieurs milliers voire dizaines de milliers de décès.
Pour qui s’y plonge, le dossier du DHMO n’en finit pas de surprendre. Le composant de base de cette molécule est le radical hydroxyle «qu’on retrouve dans de nombreux composés caustiques, explosifs et toxiques tels que l’acide sulfurique, la nitroglycérine et l’éthanol», explique le site. Le DHMO était utilisé par les nazis dans les camps d’extermination et, plus récemment, on l’a retrouvé dans les prisons de nombreux pays comme l’Irak ou la Serbie de Milosevic. Les enquêtes en cours sur les exactions à Guantanamo montre que cette molécule très facile à produire et peu chère y était aussi présente. Bien évidemment, les laboratoires pratiquant l’expérimentation animale y ont systématiquement recours, tout comme les agriculteurs-éleveurs, soit dans l’aspersion de pesticides, soit dans l’alimentation du bétail.
Pourtant, le DHMO n’est le plus souvent pas signalé dans la composition d’un certain nombre de produits dans lesquels il figure. Là aussi, la liste établie par DHMO.org après enquête est édifiante: la substance se retrouve «comme additif à certains produits alimentaires, dont les repas en pot et les préparations pour bébés, et même dans de nombreux potages, boissons sucrées et jus de fruits prétendument “entièrement naturels”; dans des médicaments contre la toux et d’autres produits pharmaceutiques liquides; dans des bombes de décapage de fours; dans des shampoings, crèmes à raser, déodorants, et bien d’autres produits d’hygiène; dans des produits de bain moussant destinés aux enfants; en tant que conservateur dans les rayons de fruits et légumes frais des surfaces alimentaires; dans la production de bières de toutes les grandes marques; dans le café vendu dans les principaux “coffee-shops”» des États-Unis et d’autres pays.»
On est donc en droit de se demander ce que font les gouvernements et les autorités sanitaires. Toujours selon DHMO.org, «historiquement, les dangers du monoxyde de dihydrogène (DHMO) ont été, pour la plupart, considérés comme mineurs et ne nécessitant pas de mesures particulières. Alors que les dangers plus graves du monoxyde de dihydrogène sont maintenant pris en compte par plusieurs institutions dont la Food and Drug Administration, la FEMA et les CDC, la conscience qu’a le public des dangers réels et quotidiens du monoxyde de dihydrogène est inférieure à ce que d’aucuns estiment nécessaire. Des opposants au gouvernement des États-Unis rappellent fréquemment que de nombreuses personnalités politiques et autres personnes ayant un rôle dans la vie publique ne considèrent pas le monoxyde de dihydrogène comme un sujet “politiquement profitable” à soutenir». J’ignore si des lobbies agissent dans l’ombre mais il faut signaler que, à la suite de la divulgation de ce dossier noir du DHMO, un site Internet créé par d’anonymes «Amis de l’hydroxyde d’hydrogène» (autre nom de la molécule) a mis en avant les qualités de la substance, la présentant comme un produit bénin, bénéfique pour la santé et bon pour l’environnement.
Il y a de quoi se laisser gagner par une énième théorie du complot. Mais même si tout ce qui est écrit au-dessus est rigoureusement vrai, ne vous alarmez pas, tout simplement parce que nous sommes le 1er avril et qu’acide hydroxyque, ou monoxyde de dihydrogène ou encore hydroxyde d’hydrogène sont autant de noms «savants» que l’on peut donner à la molécule… d’eau (deux atomes d’hydrogène et un d’oxygène). Si vous vous êtes laissé berner, vous pouvez relire le billet depuis le début pour vous apercevoir que vous connaissiez toutes ces propriétés de l’eau, dans laquelle on peut se noyer, qui vous brûle sous forme de vapeur ou bien de glace, qui fait rouiller les métaux, provoque des électrocutions, etc.
Je dois évidemment rendre à César ce qui lui appartient et aux chimistes la paternité de cette blague. Selon Wikipedia, ce sont trois étudiants américains qui ont popularisé ce canular en 1990. En 2004, la petite ville californienne d’Aliso Viejo a failli tomber dans le panneau et se ridiculiser en votant des mesures contre le DHMO, c’est-à-dire contre l’eau…
Ce poisson d’avril est en réalité assez inquiétant: il souligne l’ignorance dans laquelle le public se trouve dès qu’il s’agit d’information scientifique et technique. Il montre que la quête médiatique du sensationnel, comme cela a pu être le cas depuis le début de l’accident nucléaire au Japon, se nourrit de cette ignorance. Le véritable “dossier noir” de l’acide hydroxyque, c’est celui-là. Susciter l’inquiétude, et donc manipuler le public pour l’inciter à consommer davantage d’actu, est d’une simplicité enfantine et, comme le montre ce billet, point n’est besoin de mentir pour y parvenir. D’où la nécessité de sortir la vulgarisation scientifique du ghetto où la presse l’a trop souvent reléguée. Car, au même titre que l’information politique, diplomatique, économique ou culturelle, une bonne information scientifique est nécessaire pour que les citoyens prennent part en connaissance de cause à de nombreux débats de société, qu’ils soient consacrés au nucléaire, aux médicaments, aux nanotechnologies ou au réchauffement climatique. La science est une des grilles de lecture et de compréhension du monde, tous les jours, et pas seulement quand une catastrophe s’abat quelque part.
Pierre Barthélémy
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