Puisque l’heure médiatique est à la curée envers ce pauvre Albert Einstein, hurlons avec les loups. Il n’est pas un mystère pour les spécialistes de la vulgarisation scientifique que dénoncer les erreurs du savant a longtemps fait – ou fait toujours ? – vendre du papier. Donc, nous qui avons soif d’audience, crions-le en caractères gras :
Il n’a pas su prévoir que les neutrinos pourraient aller plus vite que la lumière. En me faisant l’avocat du diable et avec toute la mauvaise foi qui me caractérise, je dirai tout de même que la théorie de la relativité restreinte date de 1905, que le neutrino a été postulé en 1930 et découvert en 1956, soit un an après la mort d’Einstein. J’ajouterai, toujours fielleux, qu’il faudrait peut-être attendre de vérifier les résultats annoncés vendredi avant de remiser la relativité à la poubelle. D’une part parce que la vérification est un principe cardinal de la science et d’autre part parce que, depuis les années 1960, des théories plus ou moins exotiques (tachyons, dimensions cachées) peuvent permettre d’expliquer un tel phénomène dans le cadre de la relativité restreinte. Enfin, nous savons tous que la science avance en détricotant ce que les prédécesseurs ont patiemment monté, Einstein n’ayant pas fait autre chose avec Newton. D’ailleurs, pour ce que nous en savons, la relativité ne marche quand même pas trop mal puisque grâce à elle, l’homme a converti la matière en énergie (vive E=mc2 !), envoyé des sondes aux confins du système solaire, des Américains sur la Lune, des satellites un peu partout et fait du GPS avec une précision incroyable. Donc, prudence sur ce coup-là. Mettons entre parenthèses, jusqu’à plus ample informé, l’histoire, juteuse médiatiquement, du neutrino (en nous demandant tout de même pourquoi, si leur vitesse est de 0,002 % plus élevée que celle des photons, ceux qui ont été émis lors de la supernova de 1987, située à 168 000 années-lumière, ne sont pas arrivés avec des années d’avance sur la lumière). Mais que cela ne nous empêche pas de tartiner sur les trois vraies plus grandes âneries d’Einstein qui, je le regrette à l’avance, risque de passer pour un crétin à la fin de ce billet.
Médaille de bronze : avoir été un époux et un père déplorable. Einstein s’est marié deux fois, la première avec Mileva Maric en 1903, après lui avoir fait, en dehors des liens sacrés du mariage, une petite fille née en 1902, Lieserl, dont on n’a jamais connu le sort : abandon ou mort précoce… Cela commence bien. Avec Mileva, Albert a deux autres enfants, Hans Albert et Eduard, dont il s’occupera au bout du compte très peu car le couple divorce en 1919, après cinq années de séparation. Il faut dire que le savant moustachu a, depuis 1912, une relation avec sa cousine Elsa (qu’il épousera en secondes noces) et qu’il traite Mileva d’une manière que décrit bien ce “contrat” qu’il lui impose par écrit en 1914 :
« A. Vous veillerez à ce que : 1) mon linge et mes draps soient tenus en ordre ; 2) il me soit servi trois repas par jour dans mon bureau ; 3) ma chambre et mon bureau soient toujours bien tenus et ma table de travail ne soit touchée par nul autre que moi.
B. Vous renoncerez à toute relation personnelle avec moi, exceptées celles nécessaires à l’apparence sociale. En particulier, vous ne réclamerez pas : 1) que je m’assoie avec vous à la maison ; 2) que je sorte ou voyage en votre compagnie.
C. Vous promettrez explicitement d’observer les points suivants : 1) vous n’attendrez de moi aucune affection ; et vous ne me le reprocherez pas ; 2) vous me répondrez immédiatement lorsque je vous adresserai la parole ; 3) vous quitterez ma chambre ou mon bureau immédiatement et sans protester lorsque je vous le demanderai ; 4) vous promettrez de ne pas me dénigrer aux yeux de mes enfants, ni par des mots, ni par des actes. » Et là je pose une question : que faisaient les Chiennes de garde ? Il ne traitera pas Elsa beaucoup mieux. Pour compléter le tableau, ajoutons que, de 1933 à sa mort en 1955, Einstein ne verra plus jamais son fils Eduard, atteint de schizophrénie.
Médaille d’argent : avoir pesé de tout son poids pour la fabrication de la bombe atomique. Einstein doit, en 1933, se décider à ne plus vivre dans son pays natal, l’Allemagne, après l’arrivée au pouvoir de Hitler. Etant juif et pacifiste, il risque plus que gros. Il émigre aux Etats-Unis et, le 2 août 1939, sous la pression d’amis physiciens, il signe une lettre adressée au président Franklin D. Roosevelt, l’avertissant que Berlin travaille sur la fission de l’uranium et le pressant (très poliment), d’“accélérer le travail expérimental” réalisé sur le sol américain dans ce domaine. Roosevelt entendra le savant et mettra en route le projet Manhattan, qui conduira, six ans plus tard, aux bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki. Si je range cette lettre dans la catégorie des erreurs d’Einstein, c’est parce qu’il l’a fait lui-même. En 1954, un an avant sa mort, il confiait à son ami, le chimiste et physicien Linus Pauling, son regret d’avoir tourné casaque, d’être passé, si l’on schématise, de pacifiste à pro-nucléaire : “J’ai commis une grande erreur dans ma vie, quand j’ai signé la lettre au président Roosevelt recommandant la fabrication de bombes atomiques ; mais il y avait des raisons, le risque que les Allemands les fassent…” Après la guerre, Einstein se rangera, sans jamais varier, dans le camp de ceux qui exigeaient la fin des essais nucléaires et le démantèlement des arsenaux atomiques.
Médaille d’or : avoir pensé que l’Univers était statique. Une fois mise la dernière main à sa théorie de la relativité générale, qui n’est rien d’autre qu’une théorie de la gravitation, Einstein s’aperçoit assez vite que l’Univers qui en résulte ne peut être statique. Ce qui est contraire à ce qu’il croit profondément, sans doute par fidélité culturelle au vieux modèle d’Aristote d’un Univers immuable et aussi, plus pragmatiquement, parce qu’aucune observation à l’époque n’autorise à penser vraiment autrement. Or ses équations conduisent à un cosmos instable, qui est soit en expansion, soit en contraction. Pour stabiliser son modèle, il va donc, en 1917, introduire une constante ad hoc, censée cadenasser l’Univers sous une forme statique. Tout cela était aussi vain que d’essayer empêcher des enfants jouant dans un bac à sable de mettre du sable partout à côté et d’en emporter dans leurs chaussettes. Quelques années après l’invention de cette “constante cosmologique”, l’astrophysicien américain Edwin Hubble montre que les galaxies s’écartent les unes des autres et que l’Univers est en expansion. Einstein est obligé de reconnaître que cette constante était une rustine pourrie à sa théorie et “la plus grosse gaffe” de sa carrière. L’ironie de l’histoire, c’est que la constante cosmologique a, depuis quelques années, fait son retour en astrophysique par la grande porte, non pas pour justifier un Univers statique mais pour expliquer pourquoi le cosmos est en expansion accélérée ! Erreur d’hier, vérité de demain, tout est relatif…
Pierre Barthélémy
Post-scriptum : j’aurais pu aussi citer la très grande réticence qu’Einstein a manifestée vis-à-vis de la mécanique quantique mais je trouve que la barque est assez chargée comme ça, pour ce pauvre Albert et pour ce deux centième billet de Globule et télescope…
lire le billetLa scène s’est passée jeudi 6 janvier en la basilique Saint-Pierre de Rome. Comme le rapporte une dépêche de l’agence Reuters, dans son homélie de la fête de l’Epiphanie, Benoît XVI a déclaré devant 10 000 fidèles que “l’Univers n’est pas le résultat du hasard, comme certains voudraient le faire croire”. “En le contemplant, nous sommes invités à y lire quelque chose de profond: la sagesse du Créateur, la créativité illimitée de Dieu, son amour infini pour nous”, a ajouté le pape. Celui-ci a évoqué le côté “limité” de certaines théories scientifiques qui “ne parviennent qu’à un certain point (…) et ne peuvent expliquer le sens ultime de la réalité”, faisant directement allusion (mais sans la citer) à la théorie du Big Bang, qui décrit les début de l’Univers sans pouvoir toutefois remonter à un point zéro. En effet, en-deçà de 0,0000000000000000000000000000000000000000001 seconde, les équations de la physique actuelle n’ont plus de sens. De la même manière, l’origine de la vie sur Terre reste pour le moment un mystère scientifique. Face à ces questions sans réponse, Benoît XVI a expliqué que “dans la beauté du monde, dans son mystère, dans sa grandeur et dans sa rationalité (…), nous ne pouvons que nous laisser guider vers le Dieu unique, créateur du Ciel et de la Terre”.
Voilà pour les faits. Evidemment, pour étayer ses assertions, le souverain pontife n’apporte aucune preuve, pas d’étude publiée dans une revue scientifique, pas de chiffres… Il serait d’ailleurs malséant d’en exiger de sa part. Tout comme il est malséant que Benoît XVI vienne interférer avec la cosmologie, l’astrophysique et la biologie. On pourrait attendre d’un penseur tel que lui de ne pas mélanger les genres, car science et religion n’appartiennent pas aux mêmes dimensions intellectuelles, ne sont pas miscibles et l’une ne peut servir à justifier l’autre. A chacune ses affaires, serait-on tenté de dire. Pourtant, le souverain pontife ne se prive pas et cette déclaration est un énième retour du créationnisme sous une forme atténuée, teintée d’une dose de principe anthropique fort, lequel affirme que si le cosmos est ce qu’il est, c’est pour accueillir la vie et l’homme.
Ce n’est pas la première fois que Benoît XVI intervient dans le champ de la science et de l’évolution de l’Univers puisqu’en 2005, il avait affirmé que celui-ci était soutenu par un “projet intelligent“, une référence à peine masquée à l’“intelligent design”, une version chrétienne du créationnisme née aux Etats-Unis. A l’époque, le directeur de l’Observatoire du Vatican, George Coyne, avait eu le courage de s’élever contre la tentation évidente de l’Eglise catholique de céder aux thèses de l'”intelligent design”. Benoît XVI persiste donc à mêler carottes et bananes, ce qui n’est de toute évidence pas fortuit.
Puisque le credo de ce début d’année est à l’indignation, avec la parution du petit livre de Stéphane Hessel Indignez-vous !, je dirai que deux choses me dérangent profondément dans cette histoire : la première, c’est que personne n’a l’air de trouver cela grave ; la seconde, c’est cette volonté de caser Dieu à la place la plus confortable qui soit pour lui, celle de l’ignorance des hommes, c’est-à-dire la place que les croyants se sont toujours complu à lui attribuer. On ne sait ce qu’il y a à l’origine de l’Univers, DONC c’est Dieu. C’est si pratique ! Peut-être faudrait-il admettre un jour qu’on ne sait pas et puis c’est tout. Ce serait le début de l’humilité et de la sagesse. On ne sait pas comment s’est créé l’Univers, et certains disent qu’il n’y a pas de début réel et que tout est un éternel recommencement (théorie de l’Univers cyclique). Ce qu’on sait très bien en revanche, c’est que l’homme a inventé les dieux pour répondre à ses ignorances et se rassurer sur son destin ultime, se dire qu’il y a quelque chose après la mort. C’est curieux cette façon de toujours fourrer Dieu là où on sait que la science ne pourra pas le débusquer… Comme le dit très bien Didier Bénureau dans sa Chanson du croyant : “Quand on voit pas, c’est qu’on voit, c’est comme ça la foi ! Quand on sait rien, c’est qu’on sait, faut qu’t’y croies ! Tralonlère la la itou !”
A regarder sans modération…
Pierre Barthélémy
lire le billet– Un accord modeste mais un accord quand même. Après la déception de Copenhague en décembre 2009, la conférence de Cancun, au Mexique, sur le changement climatique s’est terminée sur l’adoption d’une série de mesures pour lutter contre le réchauffement.
– Pendant ce temps-là, la NASA annonçait que l’année météorologique 2010, qui se terminait le 30 novembre, était la plus chaude jamais enregistrée en 130 ans de mesures.
– Pour terminer avec le climat, une étude vient de montrer qu’en fondant, les glaciers libèreront des polluants organiques persistants. Ce qui n’améliorera pas la santé des ours polaires ni celle du Père Noël. D’ici à ce que l’on dise que le réchauffement donne le cancer…
– Un grand débat qui agite le petit monde des cosmologistes ces temps-ci concerne l’origine de notre Univers. Certains considèrent que celui-ci est né de la collision de super-trous noirs existant dans un Univers précédent, lui-même créé de la même manière, etc. Deux chercheurs pensaient avoir trouvé des indices en faveur de cet Univers cyclique dans le rayonnement fossile qui baigne le cosmos. D’autres équipes interprètent ces données différemment…
– L’aspirine, c’est bon pour faire passer le mal de tête qui vous a pris en essayant de comprendre un article sur la cosmologie. Selon une étude anglaise, une petite dose quotidienne d’acide acétylsalicylique permet de réduire sensiblement le risque de décès par cancer.
– Pour la première fois, une équipe allemande a pu suivre un accouchement par IRM, dans une machine aménagée pour l’occasion. L’idée est de comprendre pourquoi, dans un certain nombre de cas, les bébés ne parviennent pas à se frayer un chemin par les voies naturelles, ce qui entraîne des césariennes.
– Et si la sortie d’Afrique de l’homme moderne s’était faite par le golfe Persique, à l’époque où celui-ci n’était pas une mer mais une immense oasis ? C’est l’idée d’un archéologue britannique, publiée dans Current Anthropology. Une manière de déplacer l’Atlantide et dans l’espace et dans le temps…
Pierre Barthélémy
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