Tau Ceti : une autre Terre, à 12 “pas” ?

Le rêve de découvrir une autre Terre n’en finit pas de se régénérer. Il faut dire que l’avalanche permanente des annonces de nouvelles exoplanètes ne risque pas de le laisser s’évanouir. Et puis, plus notre planète semble mal partie – trop peuplée, polluée, réchauffée…- plus l’appel de l’exode devient puissant. L’instinct explorateur, voire colonisateur, ne demande qu’à se rallumer. Et quelques heures avant une “fin du monde”, même aussi fausse que stupide, le sentiment de vulnérabilité, d’insécurité, nous étreint. Un jour, peut-être, sans doute, faudra-t-il partir. Mais pour aller où ?

En cadeau de Noël, les astronomes nous apportent ce qu’ils ont trouvé de mieux: un autre système solaire, avec son étoile, Tau Ceti, et 5 planètes. Pas de quoi être déboussolés par rapport à notre système actuel, avec son étoile, le Soleil, et ses 8 planètes. Si Tau Ceti fait rêver, c’est aussi, sans doute, parce qu’elle est visible à l’oeil nu dans le ciel, depuis l’Europe. Comme à portée de la main… Toutes proportions gardées. Nous parlons d’une étoile, certes parmi les plus proches puisqu’elle ne se situe que trois fois plus loin qu’Alpha du Centaure. Ce dernier est un système à trois étoiles ce qui se semble guère propice à la présence de planète à une distance suffisante d’une étoile pour que des conditions compatibles avec la vie y règnent. La fameuse zone habitable.

A 120 000 milliards de km

Tau Ceti, elle, est seule. Et c’est l’étoile la plus proche de nous dans cette situation. Toutefois, la distance à parcourir pour l’atteindre est tout de même de 12 années-lumière. Le chiffre est faible mais l’unité est grande. D’où un voyage de 120 000 milliards de km. Aujourd’hui, les vaisseaux spatiaux les plus rapides atteignent des vitesses encore inférieures à 100 000 km/h. Admettons qu’ils l’atteignent un jour. Sauf erreur de calcul, ils pourraient alors parcourir 876 millions de km par an, soit environ 0,9 milliard de km par an. Pour atteindre Tau Ceti, il faudrait alors plus de 130 000 ans. Ce qui paraît très excessif, même en plongeant l’équipage dans un sommeil profond. A titre de comparaison, les vaisseaux qui ont parcouru la plus grande distance sont aujourd’hui les sondes Voyager qui sont en passe de sortir du système solaire. Lancées en 1977, elles ne se trouvent qu’à environ 18 milliards de km de la Terre. Pour parvenir à la distance de Tau Ceti, il leur faudrait encore pas loin de 240 000 ans.


Stuck In The Sound – Let's Go (Official Video) par Discograph

On constate donc que le voyage vers les étoiles ne peut se concevoir, à l’échelle de temps de la vie des êtres humains, que si l’on atteint des vitesses très proches de celle de la lumière. Cette limite indépassable, même par les neutrinos, fixe à un peu plus de 12 ans la durée minimale de l’exode vers Tau Ceti. Avant de parvenir à créer des vaisseaux capables de telles performances, dans le style de l’hyperespace des romans de science-fiction, pas mal d’eau coulera, sans doute, sous les ponts. Le temps de vérifier que les planètes détectées aujourd’hui par les astronomes sont effectivement hospitalières.

Une étoile moins lumineuse que le Soleil

Il reste l’exploit de l’observation. Obtenus à l’aide de trois télescopes, situés au Chili, en Australie et à Hawaï, les résultats obtenus par une équipe internationale dirigée par Mikko Tuomi de l’université du Hertfordshire en Angleterre ont été publiés dans la revue Astronomy & Astrophysics le 19 décembre 2012.  Les 5 planètes détectées ont des masses comprises entre 2 et 7 fois celle de la Terre. Leur distance par rapport à leur étoile, Tau Ceti, est inférieure à celle qui sépare notre Soleil de Mars. Toutefois, l’étoile émet seulement 45% de la lumière du Soleil. Si trois des planètes détectées semblent trop proches de Tau Ceti et donc trop chaudes pour le développement de la vie, il en reste deux…

Michel Alberganti

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Le jour d’après : la vidéo du lendemain de la fin du monde

La Nasa vient de publier une vidéo datée… du lendemain de la fin du monde qui, comme tout le monde le sait désormais est programmée pour le 21 décembre 2012. Avec 10 jours d’avance, la NASA tente de désamorcer la panique. “La preuve que le monde ne s’est pas terminé hier”,selon l’agence spatiale américaine.

L’intérêt de cette vidéo réside dans ses motivations et dans la méthode narrative utilisée. Pour en comprendre l’objectif, il faut suivre les informations qui proviennent des Etats-Unis et d’autres pays au sujet des croyances de fin du monde liées aux interprétations apocalyptiques du calendrier maya. Les Américains, en particulier, craignent des réactions incontrôlables de leurs concitoyens, comme des suicides, des vagues de panique, la construction d’abris antiatomiques et autres actes désespérés. C’est pour tenter de désamorcer de tels mouvements que la Nasa a réalisé cette vidéo et mis en place un groupe de chercheurs chargé de répondre aux questions des Américains angoissés. L’exercice de la vidéo se révèle ainsi plein de leçons :

1°/ Le procédé du “jour d’après”

L’idée de proposer, dix jours avant, une vidéo censée se passer le lendemain de la fin du monde semble relever d’une manœuvre désespérée ou insultante. Désespérée parce que cela révèle que les responsables de la Nasa, à cours d’arguments rationnels, acceptent de jouer le jeu des croyances qu’ils dénoncent. Les voilà en train de faire un exercice d’anticipation pour contrecarrer une croyance… anticipatrice. Le mal par le mal, en somme. Légèrement insultante, ou méprisante, vis à vis du public aussi. Si l’on décrypte le message, cela donne : Vous croyez n’importe quoi. Eh bien pourquoi ne croiriez-vous pas aussi à ceci !”

La Nasa, très sérieuse agence spatiale, verse ainsi dans la technique de la projection futuriste à vocation pédagogique inaugurée explicitement par le film : “Le jour d’après”, réalisée par Roland Emmerich en 2004. Il s’agissait alors d’alerter la population mondiale sur les effets du dérèglement climatique. Un autre catastrophe. La pédagogie réside dans le fait de montrer ce qui va se produire grâce à la science fiction. La Nasa, elle, fait de la fiction grâce à la science.

2°/ La pédagogie de l’anticipation

Sur un ton extrêmement sérieux, la voix off souligne le titre du clip: “Le monde ne s’est pas terminé hier”, sur le mode du message à la postérité : “22 décembre 2012. Si vous regardez cette vidéo, cela signifie une chose : le monde ne s’est pas terminé hier”. Vient ensuite la mention de la croyance en la prédiction du calendrier Maya. Et, bien entendu, le démontage scientifique des fondements même de cette croyance. Entrée en scène d’un spécialiste, le docteur John Carlson, directeur du centre pour l’archéoastronomie, qui explique que le calendrier Maya ne prédit pas la fin du monde le 21 décembre 2012 mais seulement la fin d’un cycle. Ainsi, au lieu d’un lendemain de cataclysme, le 22 décembre sera le premier jour d’une nouvelle période de 5125 ans, soit 13 baktunob ou 1 872 000 jours, suivant celle que les mayas ont connu pendant plus de 2500 ans.

3°/ Le rationnel contre la croyance

Après avoir démonté la croyance en une fin du monde fondée sur le calendrier maya, la Nasa semble considérer que cela ne suffit pas. Revenant dans son domaine de prédilection, elle s’attaque à deux des principales causes de fin du monde réellement possibles : la collision avec un astéroïde et l’activité du soleil. Dans le premier cas, la Terre exploserait sous l’impact, dans le second elle se consumerait. Pour démontrer qu’aucune rencontre avec un objet céleste n’est programmée pour le 21 décembre, la Nasa déclare d’abord que les observations des scientifiques ne montrent aucun danger. Et puis, et c’est sans doute le meilleur moment du clip, la voix off, sans changer de ton, indique qu’il n’est d’ailleurs pas nécessaire d’appeler le gouvernement pour s’en convaincre. Il suffit de sortir de chez soi et de regarder le ciel. Si un astéroïde géant devait heurter la Terre le 21 décembre, il serait déjà l’objet le plus gros et brillant visible dans le ciel… Petit demi-tour temporel. Le spectateur auquel s’adresse alors la Nasa n’est plus celui du 22 décembre mais bien celui du 12 décembre…

Michel Alberganti

A retrouver sur Slate.fr: notre dossier «Fin du monde»

» C’est à quelle heure, la fin du monde?

» Ce qui se passera vraiment le 21 décembre selon le calendrier maya

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12/12/12 : le jour où l’astéroïde Toutatis rase la Terre “de près”

La date du 12 décembre 2012, soit le 12/12/12, aurait pu attirer l’attention des Mayas. Mais, pour la fin du monde, ils lui ont préféré le 21… Dommage car la prédiction apocalyptique se serait appuyée sur le passage d’un bon gros astéroïde, digne de donner une sueur froide aux petites fourmis humaines. Avant même ce gros calibre, un autre caillou céleste nous a frôlé aujourd’hui même, 11 décembre 2012. Il s’agit de 2012-XE54 dont la découverte ne date que du… 9 décembre. C’e’st à dire 3 jours avant le croisement. Par chance, et c’est ce qui explique son approche incognito, la taille de l’astéroïde est comprise entre 20 et 40 mètres. Aujourd’hui, XE54 est passé à 60% de la distance entre la Terre et la Lune, soit 384 000 km. A l’échelle du cosmos, cela représente à peine un poil, un cheveu. Mais c’est pourtant loin des records de frôlement. En juin 2011, l’astéroïde 2011MD, d’environ 9 mètres de diamètre, n’est passé qu’à 12 000 km.

4,5 km de long

Heureusement que 4179 Toutatis, celui qui nous croise ce 12 décembre, restera à une distance plus respectable. Car c’est un bien plus gros morceau. Découvert en 1989 par un astronome de l’observatoire de la Côte d’Azur, le français Christian Pollas, il doit bien entendu son nom au Dieu des Gaulois, bien connus pour craindre que le ciel ne leur tombe sur la tête… Toutatis nous rend visite tous les quatre ans. Sa taille laisse mal augurer des conséquences d’une collision: 4,5 km de long, 2,4 km de large pour 1,9 km de haut. Même si le diamètre de l’astéroïde qui pourrait avoir contribué à la disparition des dinosaures, il y a 65 millions d’années, est estimé à 10 km, on comprend que Toutatis engendrerait un peu plus de bouleversements sur Terre que le changement climatique que nous redoutons d’ici la fin du siècle.

Croisement à 7 millions de km de la Terre

Par bonheur, il ne rasera la Terre qu’à une distance “cosmiquement” proche, comme l’écrit joliment Wired. Toutatis doit passer le 12 décembre 2012 à 7 millions de km de nous, soit environ 18 fois la distance de la Terre à la Lune. En 2004, il s’était approché à seulement 1,5 million de km. D’après les calculs des astronomes, le risque d’une collision entre Toutatis et la Terre est nul pour les 600 prochaines années. Dommage pour les prévisionnistes mayas. Voilà la plus probable des causes de fin du monde qui s’éloigne dans l’espace… Erreur de date et de visée. Au fond, tant mieux.

Free live streaming by Ustream – Le passage de Toutatis en Direct

Michel Alberganti

Lire aussi sur Globule et Télescope : Peindre les astéroïdes en blanc : une idée pour les détourner de la Terre…

Et écouter Science publique sur France Culture pour ne savoir plus sur les astéroïdes qui menacent la Terre :

26.10.2012 – Science publique
Un astéroïde peut-il provoquer la fin du monde? 57 minutes Écouter l'émissionAjouter à ma liste de lectureRecevoir l'émission sur mon mobilevideo

La fin du monde, que certains prévoient pour le 21 décembre 2012 à partir d’une interprétation du calendrier maya,pourrait-elle être provoquée par une collision entre un astéroïde géant et la Terre ? Nous en débattons avec nos invités : jean-Pierre Luminet, astrophysicien,Patrick Michel,astrophysicien et David Bancelin, astronome.

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Dans le Tarn, des poissons-chats pratiquent la chasse aux pigeons

Qui les connaît, surtout s’il est pêcheur, n’a guère de sympathie pour les poissons-chats. Outre leur aspect peu esthétique de prime abord, les Ameiurus melas et autres Silurus glanis, avec leur 6 barbillons et leurs trois épines aux piqûres douloureuses, ont la désagréable habitude de dépeupler les eaux de leurs autres habitants. Ils se nourrissent en effet essentiellement de poissons. Et ils grossissent très rapidement. Le Silure glane peut atteindre 1 à 2 mètres de long, voire 2,5 mètres, et peser jusqu’à 100 kg. Espèce invasive, les étangs et autres cours d’eau qu’ils investissent ne laissent rapidement aux pêcheurs d’autres possibilités que d’abandonner les gardons et les brèmes pour se résoudre à pêcher… des poissons-chats.

La voracité de ces envahisseurs est telle que cette pêche peut se révéler sportive. Une voracité que l’étude publiée dans la revue PLOS One du 5 décembre 2012 par Julien Cucherousset, biologiste du CNRS à l’université de Toulouse, confirme au delà de ce que l’imaginait jusqu’à présent. Avec son équipe, il a étudié les pratiques de chasse au pigeon de ces prédateurs d’eau douce.

Les scientifiques rappellent d’abord plusieurs stratégies de captures des carnassiers dont la fameuse technique des crocodiles pour sauter à la gorge des gazelles ou des gnous en Afrique. Difficile de ne pas y penser lorsque l’on observe la technique des poissons-chats vis à vis des pigeons.

L’équipe de Julien Cucherousset a analysé 24 scènes de chasse dans le Tarn, rivière dans laquelle les poissons-chats ont été introduits en 1983. De 1 à 9 poissons-chats de 90 cm à 1,5 mètre de long chassaient tandis que, sur la berge, un groupe de pigeons était venu boire et faire toilette. Les chercheurs ont ainsi analysé et filmé 54 attaques de silures sur les pigeons. Dans 28% des cas, le poisson a capturé l’oiseau sur la terre, est retourné dans l’eau et l’a avalé. Une seule fois, le poisson est entièrement sorti de l’eau, mais sans succès. Dans environ 40% des attaques, plus de la moitié de la longueur du corps du poisson-chat est sorti de l’eau. Dans tous les cas, l’assaut a été rapide puisqu’il a duré de 1 à 4 secondes. Les chercheurs ont remarqué que seuls les pigeons en mouvement étaient attaqués, même lorsque l’un d’entre eux était plus proche mais restait immobile. La vue du poisson-chat n’est pas son point fort. Il semble ainsi que ce soit plutôt leurs barbillons détectant les vibrations de l’eau qui les guident.

Pour tenter d’évaluer la part prise par les pigeons dans l’alimentation des poissons-chats, les chercheurs ont analysé la chair de 14 d’entre eux mesurant entre 90 cm et 2 mètres. Ils ont ainsi découvert une grande dispersion dans la part des volatiles dans le menu des poissons. Il semble donc qu’il s’agisse d’une pratique de certains individus seulement. En revanche, le pigeon se substitue au poisson dans le régime. Cette chasse, coûteuse en énergie, est-elle causée par un manque de nourriture aquatique ou bien par l’attrait du goût du volatile ? L’étude ne répond pas à cette question. Néanmoins, la taille semble jouer un rôle. Celle des chasseurs de pigeons varie entre 90 cm et 1,5 mètre lorsque celle de l’échantillon total observé va de 90 cm à 2 mètres. Cela pourrait indiquer que les plus gros poissons sont moins habiles chasseurs sur terre.


La découverte de l’équipe de Julien Cucherousset apparaît comme totalement inédite. Elle induit d’autres questions concernant l’impact de la part de nourriture terrestre sur la capacité invasive de l’espèce. Sur le plan écologique, la chasse aux pigeons des poissons-chats interroge sur leur équilibre avec les ressources de leur milieu. Sont-ils trop nombreux par rapport aux poissons ? Leurs proies aquatiques sont-elles devenues moins nombreuses, peut-être à cause, justement, de l’augmentation de la population de poissons-chats ?

Ce dont les chercheurs sont sûrs, à ce stade, c’est qu’ils ont observé un cas assez extraordinaire d’adaptation d’une espèce à son milieu. Une pratique entièrement nouvelle a été développée par les poissons-chats, malgré la difficulté. Cela montre une espèce en pleine évolution. Mais la chasse au pigeon est sujette à l’absence d’évolution… des pigeons eux-mêmes. Combien de temps leur faudra-t-il pour apprendre à se méfier de l’eau qui ne dort qu’en apparence ?

Une autre vidéo, glanée sur Flickr, montre, ci-dessous, que la prochaine victime des poissons-chats pourrait bien être le canard. Un futur sujet d’étude, peut-être, pour les chercheurs toulousains.

La revanche de l’oiseau :

Michel Alberganti

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Doha 2012 : le climat échec et mat

Après quinze années d’efforts diplomatiques, quinze jours de négociations, prolongés de 24 heures, ont suffi pour sonner le glas des conférences internationales sur le réchauffement climatique. Comme on pouvait s’y attendre, Doha 2012 restera comme le sommet de l’enterrement des espoirs de réduction volontaire des émissions de CO2 par les pays industrialisés et les pays en développement.

Depuis le protocole de Kyoto signé en 1997 et entré en vigueur en 2005, les conférences internationales ont toutes donné le sentiment d’une lente évolution vers le blocage complet du processus. Cette fois, nous y sommes. Pour s’en convaincre, il suffit d’examiner l'”accord” final de Doha 2012, publié par l”AFP le 8 décembre 2012. Sans oublier qu’il a été obtenu à l’arraché…

  • Acte II du protocole de Kyoto
    La seconde période d’engagement s’étalera du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2020. Elle concerne l’Union européenne, la Croatie et l’Islande, et huit autres pays industrialisés dont l’Australie, la Norvège et la Suisse, soit 15 % des émissions globales de gaz à effet de serre (GES) dans le monde. Chaque pays “réexaminera” ses objectifs chiffrés de réduction de GES “au plus tard en 2014”.
  • Aide financière aux pays du Sud pour faire face au changement climatique
    Le texte de Doha “presse” les pays développés à annoncer de nouvelles aides financières “quand les circonstances financières le permettront” et à soumettre au rendez-vous climat de 2013, à Varsovie, “les informations sur leurs stratégies pour mobiliser des fonds afin d’arriver à 100 milliards de dollars par an d’ici 2020”.
  • Réparation pour les “pertes et dommages” causés aux pays du sud par le réchauffement
    A Varsovie, des “arrangements institutionnels, comme un mécanisme international, seront décidés au sujet de la question des pertes et dommages liés aux impacts du changement climatique dans les pays en développement particulièrement vulnérables”. Ce point a été très disputé entre les pays du Sud, qui s’estiment victimes des actions du Nord ayant déréglé le climat, et les Etats-Unis, qui craignent qu’un “mécanisme” ne mène un jour à des actions en justice et ne veulent pas débourser plus que ce qui a déjà été prévu dans les divers accords de l’ONU sur le climat.
  • Vers un accord global et ambitieux en 2015
    L’accord de Doha réaffirme l’ambition d’adopter “un protocole, un autre instrument juridique ou un accord ayant force juridique” à la conférence de l’ONU prévue en 2015 pour une entrée en vigueur en 2020, et rappelle l’objectif de parvenir à limiterla hausse de la température à + 2°C. Contrairement au protocole de Kyoto, cet accord ne concernera pas que les nations industrialisées mais tous les pays, y compris les grands émergents et les Etats-Unis. Un texte devant servir de base pour les négociations doit être disponible “avant mai 2015” et l’accord de Doha “accueille favorablement” la proposition du secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon de réunir les dirigeants mondiaux en 2014 sur cette question.

Traduction :

  • Le nouveau protocole de Kyoto, sans engagement sur un taux de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), ne concerne que 15% des émissions mondiales. Renvoi à Varsovie en 2013.
  • L’aide financière aux pays du Sud n’est pas financée. Renvoi à Varsovie.
  • La question de la dette climatique des pays n’est pas règlée. Renvoi à Varsovie.
  • Le nouveau protocole de Kyoto, “global et ambitieux”, reste vide d’engagement. Renvoi en 2014 et 2015.

L’avantage, avec les conférences climatiques, c’est que le programme peut être réutilisé à l’identique de l’une à l’autre. Pour la prochaine, il suffira de remplacer Doha par Varsovie dans les entêtes. A moins d’organiser, d’ici là, une conférence pour statuer sur la nécessité de poursuivre l’organisation coûteuse, en argent et en CO2, de tels rassemblements. La mascarade de Doha pose clairement la question. Son déroulement, comme ses résultats, se retournent contre son objectif même. Au lieu de promouvoir la prise au sérieux des enjeux climatiques, elle démontre l’incapacité totale des Etats à engager une véritable dynamique de lutte contre le réchauffement. Ce qui révèle une totale impréparation de cette réunion.

Dans la situation actuelle, ne vaut-il pas mieux arrêter les débats stériles et les dégâts qu’ils engendrent dans l’opinion publique ? C’est sans doute la question que l’on doha désormais se poser.

Michel Alberganti

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La Lune pour 750 millions de dollars

Il ne s’agit pas d’une version de la Lune à la Warhol ou à la Niki de Saint Phalle. Mais de la cartographie des variations de gravité mesurées à la surface de notre satellite. Réalisées par les deux sondes jumelles de la mission Grail, ces mesures, publiées dans la revue Science du 5 décembre 2012, révèlent d’intéressantes caractéristiques qui pourraient guider la recherche d’eau sous la surface de Mars.  Mais cette robe de la Lune évoque également… un papier cadeau. De circonstance avant les fêtes de fin d’année même si elles tombent, en 2012, juste après la fin du monde du 21 décembre…

Certains riches, pourchassés par les fiscalistes de crise,  pourraient se consoler en caressant le doux projet de décrocher enfin, prochainement, la Lune. Passées certaines frontières de la fortune, à quoi rêver d’autre ? Justement le tarif, pas vraiment low cost, est fixé à 750 millions de dollars par personne. Idéal pour faire baisser des bénéfices indécents pour peu que l’on fasse passer l’escapade en frais professionnels.

Le 6 décembre 2012, le tourisme lunaire a pris un nouveau tour avec l’annonce d’Alan Stern. Cet ancien administrateur de la direction des missions scientifiques de la NASA a annoncé la création de son entreprise, Golden Spike, dans le Colorado. Avec une activité simple : vendre des vols commerciaux à destination de la Lune. Il s’agira de voyages à vocation scientifique. Ou minière. Ou de pur prestige. Et quel prestige !

Etude de marché

Alan Stern a choisi la Lune parce qu’elle s’imposait comme le nez au milieu de la figure. “Pourquoi la Lune ? Parce qu’elle est proche, parce qu’elle est énorme et parce que nous pensons qu’il va se développer un important marché autour d’elle”, a-t-il déclaré.  Pour l’instant, pas de tickets vendus. Mais la revue New Scientist indique que des pourparlers sont en cours avec les agences spatiales en Asie et en Europe pour leur vendre des vols lunaires. Car, pour Alan Stern, ces organismes devraient être ses principaux clients. Sans doute le résultat de l’étude de marché de quatre mois qui a précédé la création de Golden Spike qui rassemble, autour de son fondateur, d’autres transfuges de la NASA, comme Gerry Griffin et Wayne Hale ainsi qu’un ancien candidat à l’élection présidentielle américaine, Newt Gingrich.

Course à la Lune

Conçue comme un  affréteur, Golden Spike ne devrait pas construire de fusées. Elle en achètera aux autres entreprises qui se sont déjà lancées dans les projets de tourisme spatial comme Space X ou Blue Origin. Il ne restera qu’a construire un atterrisseur pour se poser sur la Lune et en repartir et à créer des combinaisons spatiales un peu plus fun que celles de la NASA (ornées de fleurs ?). Le coût de la première mission est estimée entre 7 et 8 milliards de dollars. Un gros investissement pour des vols commerciaux prévus pour la fin de la décennie.

Auparavant, vers 2016 ou 2017, Space Adventures devrait avoir inauguré ses vols autour de la Lune pour la modique somme de 15 millions de dollars par personne. Deux places de passagers sont prévues. Idéal pour un voyage de noce à 300 millions de dollars. Quels souvenirs ! Coucher de Terre et nuit en apesanteur garantis.

Michel Alberganti

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La nuit, la lumière dessine une carte inédite de l’humanité sur Terre

Image frappante prise par le satellite Suomi NPP de la NASA et de la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration). On y distingue l’incroyable différence d’illumination entre la Corée du Sud et la Corée du Nord. Une série de photos et une vidéo ont été publiées le 5 décembre au cours du colloque annuel de l’American Geophysical Union. Leur beauté et les informations qu’elles nous apportent sur la place de l’homme sur Terre, tout comme sur les différences de “développement” entre les pays et les régions, n’ont guère besoin de commentaires.

Michel Alberganti

 

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OGM : de l’impossible débat à un embryon de consensus

Même sans illusion, il fallait essayer… Après l’embrasement médiatique provoqué par la publication de l’expérience de Gilles-Eric Séralini, le 19 septembre 2012, les avis donnés par les agences de sécurité sanitaire et les prises de position des académies, comme celles de multiples pétitionnaires, comment ne pas tenter une confrontation ? Rassembler les protagonistes sur un même plateau pour un débat sur France Culture, ce n’était que la suite logique de deux mois d’affrontements indirects.

Le résultat, vendredi 16 novembre entre 14 et 15 heures dans Science Publique, n’a pas dérogé à la règle qui prédomine, en France, depuis la conférence de citoyens sur “l’utilisation des OGM dans l’agriculture et l’alimentation”, précédée par le rapport de Jean-Yves Le Déaut, qui date de… juin 1998. Ni le “débat public sur les OGM” de l’an 2000, ni le débat public sur “les OGM et les essais en champ” de 2002, n’ont changé la donne. Un dialogue dépassionné reste impossible. Pourtant, et l’émission d’aujourd’hui le confirme, une porte de sortie par le haut existe. Mais aucun des deux camps n’est prêt à faire les concessions nécessaires pour la franchir sereinement. Pour cela, il faudrait réunir trois conditions.

1°/ Tirer des leçons positives de l’expérience Séralini

Rationnellement, il est difficile d’admettre que les tumeurs révélées par l’expérience sur des rats pendant 2 ans menée par Gilles-Eric Séralini soient une preuve scientifiquement indiscutable de la dangerosité pour la santé humaine de l’OGM NK603 et du Roundup de Monsanto. Néanmoins, l’opération médiatique réalisée par le biologiste, malgré le regrettable dérapage du Nouvel Observateur titrant “Oui, les OGM sont des poisons”, est une réussite. Incontestable elle. Avec le CRIIGEN et un budget de 3,2 millions d’euros, Gilles-Eric Séralini a atteint ce qui, à l’évidence, était son principal objectif : révéler les failles des procédures actuelles d’évaluation des OGM. Celles-ci sont, au moins, au nombre de trois :
–  Pas d’essais à long terme (2 ans, soit la vie entière des rats)
–  Pas d’indépendance des laboratoires réalisant les essais limités à 90 jours
–  Pas de transparence dans la publication des résultats de ces essais

2°/ Admettre les erreurs du passé

Qu’il s’agisse de la Commission du génie biomoléculaire CGB), créée en 1986, de l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments (AFSSA), créée en 1999, de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) créée en 2002 ou de l’Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement du travail (Anses), créée en 2010 par la fusion de l’AFSSA et de l’AFSSET, aucun de ces multiples organismes n’est parvenu à imposer des règles palliant ces trois défauts.

Les acteurs d’aujourd’hui, Gilles-Eric Séralini ou de Gérard Pascal, ancien directeur scientifique de l’INRA, ont contribué aux travaux de ces plusieurs de ces institutions. Des débats houleux s’y sont déroulés. Mais ils n’ont jamais abouti à l’établissement de normes d’essais satisfaisantes. D’un coté, parfois, leurs avis ont été balayés pour des raisons politiques. L’influence des partis écologistes a conduit à des interdictions d’OGM en France contre l’avis de la CGB, par exemple. De l’autre, l’influence des industriels, Monsanto en tête, même si elle est beaucoup moins apparente, n’en est pas moins certaine.

D’où un blocage total qui a conduit à la situation actuelle. Les scientifiques luttent contre le rejet irrationnel des écologistes qui les poussent à avoir tendance à minimiser les risques. Les opposants aux OGM exploitent cette tendance pour démontrer que les experts ne sont pas indépendants et qu’ils agissent pour le compte des industriels. Chacun s’enferme dans une position caricaturale. Les attaques personnelles fusent et bloquent la possibilité d’un débat serein et rationnel. Toute remise en cause des procédures se traduit par une accusation ad hominem.

3°/ Établir de nouvelles procédures d’évaluation des OGM

Dès le 19 septembre, dans la précipitation qui a suivi la publication de l’expérience Séralini, trois ministères (écologie, santé, agriculture) ont fait la déclaration suivante : “ Le Gouvernement demande aux autorités européennes de renforcer dans les meilleurs délais et de façon significative l’évaluation des risques sanitaires et environnementaux”. Si elle a pu sembler bien prématurée ce jour là et si l’avis de l’ANSES a invalidé, ensuite, l’expérience Séralini, cette réaction apparaît aujourd’hui comme, paradoxalement,  judicieuse mais insuffisante.

Judicieuse parce que les différentes conclusions de l’affaire, dans les deux camps, convergent effectivement vers une remise en cause de l’évaluation des OGM. Insuffisante parce que l’amélioration qui apparaît indispensable doit être nettement plus que significative. Radicale serait un terme plus juste. De plus, les autorités européennes ne sont pas seules concernées. La France l’est aussi. Et elle pourrait même jouer un rôle moteur dans cette révision en profondeur de l’évaluation des OGM.

Un consensus apparaît

Ce n’est pas le moindre des résultats de l”affaire Séralini que de faire poindre un consensus entre les deux camps. Qu’il s’agisse de l’Anses dans son avis sur l’expérience, du HCB ou d’une personnalité comme Gérard Pascal, tout le monde admet que l’absence d’études à long terme probante n’est pas acceptable. Les hommes consomment des OGM pendant toute leur vie. Pourquoi les expériences sur les rats se limiteraient à trois mois, soit le huitième de leur durée de vie ?

Si un accord existe sur ce point,  il reste à établir des procédures permettant d’apporter une réponse à la question, tout en garantissant l’indépendance des études. L’Anses semble l’organisme le mieux placé pour prendre en charge ces études. Il dispose des laboratoires nécessaires. Il ne lui manque que le financement. Or, la règle actuelle veut que ce soient les industriels qui financent ces études. Aujourd’hui, ce sont eux qui pilotent les expériences et choisissent soit de les réaliser dans leurs propres laboratoires, soit de les confier à des laboratoires privés. Il suffit donc que les industriels donnent ce même argent à l’Anses… Cela paraît presque trop simple. En fait, une difficulté subsiste.

Combien d’évaluations sont nécessaires ?

L’étude de Gilles-Eric Séralini a coûté 3,2 millions d’euros. Pour qu’elle soit scientifiquement recevable, il aurait fallu multiplier le nombre de rats par 5, voire par 7 ou 8. Cela porterait le coût de l’étude à environ 10 millions d’euros. Le résultat permettrait d’évaluer l’impact d’une variété de mais transgénique, le NK603, et d’un insecticide, le Roundup. Mais il existe des dizaines de variétés de plantes génétiquement modifiées. Faut-il les évaluer toutes de la même façon ? Certaines études sur une variété donnent-elles des informations valables sur les autres ? Comment réduire le coût de ces études à des sommes acceptables ? C’est la question que posent certains scientifiques plutôt pro-OGM. Et ce sont aux scientifiques d’apporter une réponse.

Cette interrogation sur la viabilité économique des études d’évaluation des OGM ne concerne néanmoins pas la société elle-même. Ce n’est un problème que pour ceux qui devront financer les études, c’est à dire les industriels… Si le financement des études déclarées nécessaires par les scientifiques s’avère trop élevé pour que les OGM restent économiquement rentables, cela signifiera simplement que ces produits sont inadaptés à la commercialisation.

Avons-nous vraiment besoin des OGM ?

Dans les coulisses de Science Publique, après l’émission, l’un des invités admettait que l’intérêt des OGM pour la société n’est pas clairement établi. Les perspectives affichées par les semenciers telles que la culture sous des climats difficiles, avec des quantités d’eau réduite ou de mauvaise qualité (saumâtres) sont restées à l’état de… perspectives et de promesses pour le futur. Idem pour le discours sur le fait de pouvoir nourrir 9 milliards d’habitants. Pour l’instant, les OGM rapportent… de l’argent aux industriels. C’est la seule certitude. Les gains sur les rendements et sur l’économie des exploitations agricoles sont largement contestés.

Ainsi, aujourd’hui, la réponse à la question simple : Avons-nous vraiment besoin des OGM ? est clairement : Non, pas vraiment.  Pour les accepter, le moins que l’on puisse attendre est d’obtenir une raisonnable certitude de leur absence d’effets néfastes sur la santé humaine. Si l’établissement de cette preuve revient trop cher, tant pis. Nous nous passerons des OGM. Et le débat sera, enfin, clôt.

Michel Alberganti

(Ré)écoutez l’émission Science Publique que j’ai animée le 16 novembre 2012 sur France Culture :

Faut-il considérer les OGM comme des poisons ?16.11.2012 – Science publique
Faut-il considérer les OGM comme des poisons ?
57 minutes Écouter l'émissionAjouter à ma liste de lectureRecevoir l'émission sur mon mobilevideo

Après la publication par le Nouvel Observateur d’un titre alarmiste le 19 septembre, l’étude réalisée par Gilles Eric Séralini  sur des rats alimentés avec des OGM et de l’insecticide a fait grand bruit. Finalement, les experts ont invalidé ces résultats. Mais le doute est désormais jeté sur l’ensemble des études réalisées sur les OGM. Comment la science sort de cette manipulation ? …
Invités :
Gérard Pascal
, ancien directeur scientifique à l’INRA et expert en sécurité sanitaire des aliments à l’OMS
Jean-Christophe Pagès
, professeur et praticien hospitalier à la Faculté de médecine de Tours et président du comité scientifique du Haut Conseil des Biotechnologies
Gilles-Eric Séralini
, professeur de Biologie Moléculaire Université de Caen – Laboratoire de Biochimie et Biologie Moléculaire
Joël Spiroux de Vendomois, président du Comité de Recherche et d’Information Indépendant sur le Génie Génétique, le CRIIGEN

 

 

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Vidéo : voyage au dessus de la blancheur des glaces polaires

L’opération IceBridge de la NASA étudie l’évolution des glaces aux deux pôles. Outre les mesures de forme, de taille et d’épaisseur qui permettent de suivre les effets du réchauffement climatique sur l’Arctique et l’Antarctique, les missions utilisant des avions rapportent des images d’une remarquable beauté. En ce début d’hiver gris, quelques images de blancheur sculptée par le vent et la mer…

Michel Alberganti

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L’agriculture intensive alimente… un gaspillage tout aussi intensif

Sans les performances de l’agriculture intensive, pas question de nourrir la planète ! Combien de fois avons-nous entendu cette antienne ? Et la perspective d’une population dépassant les 9 milliards d’habitants sur Terre en 2050 ne peut que renforcer cette certitude. Déjà, la révolution verte se présente auréolée de ses succès passés. N’a-t-elle pas été capable, dans les années 1960-1980, d’accompagner l’explosion démographique de l’après-guerre ?

Les rendements stagnent depuis 1996

Les rendements obtenus servent souvent d’indicateurs pour mesurer les progrès de cette agriculture intensive. Ainsi, pour le blé, ils sont passés de 18 à 69 quintaux par hectare entre 1951 et 1996. Pour 2012, l’Association générale des producteurs de blé (AGPB) prévoit un rendement moyen de 69 à 70 quintaux par hectare. Et elle s’en félicite en tablant sur une production française de blé tendre de 33,9 millions de tonnes. En fait, ces chiffres confirment la stagnation des rendements et de la production de blé française depuis 1996, comme le note l’INRA. Ainsi, la magie de la révolution verte ne semble plus guère opérer et les gains de rendement de plus d’un quintal/hectare par an semblent bien loin. Désormais, on observe en réalité une baisse de 0,5 quintal par hectare par an…

La révolution verte fait-elle long feu ?

La mécanisation et l’utilisation massive d’intrants (engrais, herbicides et pesticides) n’y peuvent rien, semble-t-il. L’agriculture paie ainsi la facture d’une exploitation si intensive des sols que ces derniers n’en peuvent plus. Les effets du réchauffement climatique semblent, également, se faire sentir depuis la fin des années 1990. D’où un questionnement légitime : la révolution verte fait-elle long feu ?

On peut également s’interroger sur l’utilisation de cette profusion de produits agricoles. Au cours de l’émission Science Publique sur l’agroécologie que j’ai animée sur France Culture le vendredi 2 novembre, l’un des invités, Jean-François Soussana, directeur scientifique Environnement de l’INRA, nous a révélé deux chiffres instructifs. Le premier concerne son estimation de la perte de rendement liée au passage de l’agriculture intensive à l’agroécologie, approche développée dans le documentaire de Marie-Monique Robin dont nous avons parlé il y a quelques semaines.

30% de gaspillage

Pour Jean-François Soussana, cette perte de rendement serait comprise entre 13 et 34%. Peu après, il a indiqué que le taux de perte et de gaspillage de la production agricole atteint, lui, environ 30%… Que déduire du rapprochement de ces deux chiffres ? Tout simplement que les gains apportés par l’agriculture intensive servent à compenser le gaspillage… Étonnant constat… La disparition progressive des agriculteurs, la diminution du nombre des exploitations, la mécanisation à outrance engendrant un très lourd endettement des exploitants, l’utilisation massive d’intrants polluant les nappes phréatiques et les cours d’eau, la destruction des paysages, la standardisation des cultures sacrifiant la biodiversité, la servitude vis à vis des multinationales des semences… Tout cela pour nous permettre de gaspiller 30% de la production agricole ?

Le coût de l’agriculture intensive

Ne serait-ce pas un peu cher payé ? Le coût réel de l’agriculture intensive est, par ailleurs, pointé par Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation. Dans le rapport qu’il a publié le 3 juin 2012, il écrit ceci :

“Dans les pays de l’OCDE en particulier, où les subventions agricoles se situent toujours à des niveaux élevés, le système fait que les contribuables paient trois fois pour un système qui est une recette pour être en mauvaise santé. Ils paient pour des subventions peu judicieuses qui encouragent l’industrie agroalimentaire à vendre des aliments lourdement transformés au lieu de vendre des fruits et légumes à un prix inférieur; ils paient pour les efforts de commercialisation de cette même industrie, dont les produits de la vente d’aliments dommageables pour la santé sont déduits des bénéfices imposables, et ils paient pour des systèmes de soins de santé dont les budgets sont fortement grevés par les maladies non transmissibles.”

Finalement, cela revient encore plus cher… Ainsi, au delà du débat sur les OGM qui n’a pas fini de secouer les institutions, c’est bien à une question politique que l’on aboutit. Les pratiques alimentaires actuelles ont, certes, été largement induites par la pression publicitaire et l’euphorie consommatrice, véritable drogue assimilable aux antidépresseurs. Mais aujourd’hui, n’est-il pas temps de les revoir… à la baisse ?

Une agriculture tenant compte… de la nature

L’agroécologie permet d’apporter une réponse sans revenir à la charrue à bœufs, ce qui devrait rassurer les décroissancephobes. Il ne s’agit de rien d’autre que de mettre la science au service d’une agriculture qui tienne compte… de la nature. Une nouvelle révolution verte, en somme. Mais tellement plus souriante et, certainement, plus intelligente. Est-elle généralisable ? C’est toute la question.

Jean-François Soussana plaide plutôt pour une transition au cours de laquelle l’agriculture intensive ne nourrirait des connaissances acquises en matière d’écologie de l’exploitation agricole. Gageons que cette transition sera plus longue et aléatoire que la première révolution verte. L’échec de la PAC dans ce domaine ne présage rien de bon. A moins que les consommateurs ne s’en mêlent. Au fond, le système actuel ne tient que grâce, ou à cause, d’eux. Il suffirait qu’ils (nous…) changent leurs pratiques alimentaires pour que tout le système les suive. Car c’est bien l’une des beautés du capitalisme que de s’adapter sans états d’âmes aux demandes du marché. Il suffirait donc de profiter de cette flexibilité…

Michel Alberganti

(Ré)ecoutez l’émission Science Publique que j’ai animée le 2 novembre sur France Culture

Ecologie

02.11.2012 – Science publique
Qu’est ce que l’agroécologie ? 57 minutes Écouter l'émissionAjouter à ma liste de lectureRecevoir l'émission sur mon mobilevideo

Le débat sur les OGM a relancé l’opposition entre agriculture intensive et agroécologie. Mais que recouvre ce terme ? Cette solution peut-elle nourrir 7 à 9 milliards d’habitants sur Terre ? Invités : Jean-François Soussana, Jane Lecomte et Adrien Gazeau.

Agriculture

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