Une nouvelle étude le confirme: la consommation de boissons alcoolisées peut affecter la mémoire. Une équipe de chercheurs de l’université de Stanford menée par une Française, Anne Lise Pitel, a approfondi les travaux précédents pour identifier l’impact des états alcooliques sur différents types de mémoire. Parmi les résultats, il apparaît que la capacité de reconnaissance des visages peut être perturbée.
Bien avant d’atteindre le stade d’amnésie profonde du syndrome de Korsakoff, certains troubles apparaissent et concernent la mémoire associative, celle qui nous permet de mettre un nom sur un visage. En analysant les cerveaux de patients grâce à l’imagerie par résonance magnétique (IRM), les chercheurs ont pu observer que ces troubles sont corrélés avec l’utilisation de différentes parties du cerveau.
L’alcool n’affecte que certains types de mémoire. “La consommation chronique touche essentiellement la mémoire épisodique et la mémoire de travail”, note Edith Sullivan, professeur au département de psychiatrie et de sciences du comportement à l’université de Stanford et référent de cette étude. La mémoire épisodique enregistre les événements de la vie personnelle associés à un contexte temporel et spatial particulier. Elle ne semble pas avoir de limites.
Mémoire épisodique
Anne-Lise Pitel donne ainsi un exemple de cette mémoire épisodique: “Quand je suis allée à Paris avec mon mari, j’ai mangé une excellent ratatouille au dîner dans un très joli restaurant. Je peux me souvenir du lieu, de la façon dont j’étais habillée et du fait que je me suis brûlée la langue lorsque j’ai goûté le plat”. Edith Sullivan indique que “de tels souvenirs sont propres à chaque individu. Lorsque l’alcool affecte cette mémoire périodique, il peut devenir difficile de se souvenir d’une liste de courses, d’un chemin pour se rendre à un nouveau restaurant, d’une association d’un visage et d’un nom dans un nouveau travail”.
La mémoire de travail, elle, fonctionne différemment. C’est une mémoire à court terme qui dispose d’une capacité limitée. Elle permet d’enregistrer temporairement et d’utiliser des informations qui sont rapidement oubliées à moins d’être enregistrées dans la mémoire à long terme. Les personnes alcooliques souffrent de déficits dans ce type de mémoire qui peut aller jusqu’à l’incapacité de mémoriser un numéro de téléphone pendant le temps nécessaire pour le composer.
Associations visage-nom
L’un des intérêts de cette nouvelle étude réside dans le fait qu’elle s’est concentrée sur des processus cognitifs de la vie quotidienne. Les chercheurs ont constitué deux groupes: le premier constitué de 10 personnes alcooliques (8 hommes et 2 femmes) et le second comprenant 10 personnes non alcooliques (5 hommes et 5 femmes). Il leur a été demandé de mémoriser soit des associations visage-nom, soit des visages et des noms indépendants.
Deux régions différentes du cerveau pour le même exercice
Les deux groupes ont rencontré plus de difficultés à mémoriser des associations que des visages et noms isolés. Mais les performances des alcooliques se sont révélées inférieures dans les deux catégories d’exercice. Et l’une des trouvailles les plus remarquables de ce travail réside dans l’observation du fonctionnement des cerveaux dans les deux groupes. Pour effectuer les mêmes exercices de mémorisation d’associations nom-visage, alcooliques et non alcooliques ont fait appel à des régions cérébrales différentes. Les alcooliques ont utilisé des régions du cervelet quand les non alcooliques se servaient de leur système limbique.
Plus étonnant encore: les alcooliques ne sont pas toujours pénalisés. Les chercheurs ont en effet proposé un autre exercice aux deux groupes. Il s’agissait, lors que la mémorisation du couple nom-visage, d’associer à cette information un jugement concernant l’apparence honnête ou malhonnête de la personne. Ainsi, les participants devaient passer d’une mémorisation superficielle à une mémorisation plus profonde. Le résultat montre que les performances des deux groupes, alcooliques et non alcooliques, sont alors similaires. Néanmoins, là encore, les alcooliques se sont révélés inférieurs lorsqu’on leur a demandé de reconnaître une association nom-visage donnée ou d’identifier quel visage avait été vu plus tôt dans l’exercice. Preuve qu’il existe bien une différence entre la mémorisation légère et profonde entre les deux groupes et que c’est la première qui est la plus affectée par l’alcoolisme.
Un handicap au travail et à la maison
Anne-Lise Pitel conclut que “les capacités de mémorisation limitées pour les alcooliques peuvent constituer un handicap dans la vie quotidienne. Au travail, ceux qui doivent réaliser des travaux à forte charge cognitive peuvent rencontrer des difficultés à apprendre de nouvelles tâches. A la maison, les problèmes de mémoire peuvent être interprétés comme un désintérêt pour la vie familiale et engendrer des conflits. Enfin, du point de vue clinique, la mémoire épisodique altérée des alcooliques peut nuire aux programmes de désintoxication. En effet, un traitement réussi doit passer par l’acquisition de nouvelles connaissances sur le sens, la prise de conscience et les conséquences de l’addiction et de la drogue. Il fait également appel à la capacité à revivre des épisodes précédents de prise de boisson afin d’être capable d’anticiper et de reconnaître des situations à risques”.
Double peine
Double peine, donc, pour les alcooliques. Ils perdent une partie de leur mémoire lorsqu’ils boivent et cette altération les handicape également lors de leur désintoxication. En buvant, on n’oublie donc pas seulement ses malheurs passés. On perd une partie de sa mémoire future. Essayons de ne pas l’oublier, tant qu’il est encore temps…
Michel Alberganti
lire le billetDécidément, nous n’en avons pas fini avec la recherche de facteurs physiques permettant de déceler un caractère particulier de la personnalité. Après l’analyse de la forme du crane et les errances de la phrénologie au 19ème siècle qui nous ont valu la “découverte” de la bosse des maths mais aussi celle des “criminels nés”, voici que l’exploration se poursuit à l’intérieur du cerveau, imagerie cérébrale oblige. Ainsi, une publication de la revue Current Biology du 21 février 2012 nous révèle-t-elle que les rebelles souffriraient de l’atrophie d’une zone particulière du cerveau. Mieux: la taille de cette zone serait proportionnelle à leur capacité à se plier aux pressions sociales. Une découverte qui va passionner les tenants d’une détection précoce des enfants qui auront des difficultés d’insertion. Cela rappelle une expertise collective de l’Inserm sur le « trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent » publiée fin 2005 et qui avait provoqué un tollé avec la constitution d’un collectif baptisé “Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans” pour protester contre une telle détection et les mesures gouvernementales qu’elle avait suscitées.
Forts de l’IRM, les chercheurs vont désormais plus loin. Daniel K. Campbell-Meiklejohn, de l’université de New-York, associé à des collègues des universités d’Aarhus au Danemark et de l’University College de Londres, publient dans Current Biology un étude intitulée “La structure du cortex orbitofrontal prédit l’influence sociale“. Ils y déclarent avoir mis en évidence une corrélation linéaire entre le volume de matière grise d’une zone précise du cerveau et la sensibilité des sujets à l’influence d’autrui.
Une zone latérale du cortex orbitofrontal
Pour cela, les chercheurs ont réalisé une expérience sur 28 personnes. Une semaine avant le test, ces dernières ont établi la liste de 20 chansons qu’elles apprécient particulièrement et qu’elles aimeraient acheter mais qu’elles ne possèdent pas. Le jour de l’expérience, chaque participant a noté chacune de ces chansons entre 1 et 10. Ensuite, les chercheurs ont déclaré que des critiques musicaux avaient également écouté les chansons choisies et qu’ils les avaient également notées de 1 à 10. Les participants ont ensuite comparé leurs chansons favorites avec d’autres morceaux qu’ils n’avaient jamais écouté. Ensuite, on leur a communiqué les appréciations des critiques musicaux. Enfin, les participants ont dû renoter leurs chansons favorites. Les chercheurs ont ainsi mesuré les écarts entre les notations réalisées avant et après la prise en compte de l’avis des critiques musicaux. Le dépouillement des résultats a mis en évidence une corrélation entre la taille d’une zone située dans la partie latérale du cortex orbitofrontal, lieu de l’émotion, de la récompense et de la prise de décision. Plus cette zone est importante, plus les sujets ont tendance à se conformer à l’avis extérieur. A l’inverse, ceux dont cette partie du cerveau est plus petite auraient tendance à refuser l’influence d’autrui. Les personnalités rebelles souffriraient donc d’une atrophie de cette zone. Pour l’un des signataires, Chris Frith, “la faculté de s’adapter aux autres et à nous aligner sur eux est une importante aptitude sociale. Cependant, à quel niveau cette aptitude est-elle mise en oeuvre dans le cerveau ? Au niveau logiciel (traitement de l’information) ou matériel (structurel) ? Nos résultats montrent que la conformation sociale est, au moins en partie, cablée dans la structure du cerveau”. Pour Daniel Campbell-Meiklejohn, cette étude “ouvre un nouveau chapitre sur les conséquences sociales de l’atrophie et du développement du cerveau. Les personnes souffrant d’altération dans cette zone montrent souvent des changement dans leur personnalité et dans leur interaction sociale. Nos résultats montrent que l’on devrait se pencher sur comment ces personnes apprennent ce qui est important dans l’expression des préférences des autres“.
Exploitation sociale et politique
Il ne fait pas de doute que ce type de recherche va se développer de plus en plus. Au delà de la connaissance et du degré de confiance que l’on peut accorder à chacune d’elles, on peut s’interroger sur les conséquences sociales et politiques d’une exploitation plus ou moins caricaturale de leurs résultats. Dans ce dernier cas, on imagine assez bien l’utilisation de la mesure de cette zone du cortex orbitofrontal pour déterminer quels sont les individus dont il faut se méfier ou qui méritent un traitement particulier pour pallier leur manque de soumission à l’avis général.
Il est intéressant, également, de remarquer que l’on pourrait avoir une lecture de cette étude diamétralement opposée à celle des chercheurs. Alors qu’ils semblent nettement considérer qu’un esprit rebelle à l’opinion d’autrui est un défaut, voire un handicap, à corriger, on pourrait estimer que cette caractéristique dénote un esprit indépendant résistant à l’opinion générale. Pour eux, il semble au contraire que la pensée unique constitue le meilleure ciment de relations sociales harmonieuses…
Michel Alberganti
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Une bénédiction pour les coeurs solitaires… Alors qu’il est de bon ton de penser que les rencontres en ligne ne sont que des attrape-nigauds, une étude américaine montre que ce mode de mise en relation a dépassé toutes les autres, hormis la bonne vieille rencontre par l’intermédiaire d’amis. La publication destinée à la revue Psychological Science et rendue publique le 6 février 2012 constate que “chaque année, des millions de personnes à la recherche de relations utilisent ces sites [de rencontre en ligne], souvent en payant des sommes substantielles pour cela”.
Pour l’un des auteurs de l’étude, Harry Reis, professeur de psychologie à l’université de Rochester, “la rencontre en ligne est définitivement un nouveau et très utile virage dans les relations”. Un site à l’appellation particulièrement romantique comme PlentyOfFish annonce donner accès à “145 millions de visiteurs par mois”. Pas question de le concurrencer avec les boites de nuit ou les bals de toutes sortes. Les 64 pages de la publication synthétisent plus de 400 études psychologiques et d’intérêt public. Selon l’industrie de la rencontre virtuelle, cette pratique aurait rassemblé 25 millions d’utilisateurs uniques dans le monde pendant le seul mois d’avril 2011. L’étude conclue avec philosophie: “Les relations romantiques peuvent commencer n’importe où”.
Plus de 23% des Américains
Sur la toile, semble-t-il, on ne fait plus tapisserie. Les chercheurs publient une courbe montrant une spectaculaire croissance de la proportion d’Américains déclarant avoir rencontré leur partenaire en ligne. Le pourcentage passe de moins de 1% au début des années 1990, à environ 5% pour la période 1994-1998 et à plus de 23% pour les années 2007-2009, période pendant laquelle le virtuel à dépassé tous les autres entremetteurs à l’exclusion des amis. Ce dernier chiffre concerne les couples hétérosexuels qui se font formés à partir d’un premier contact virtuel. Il passe à 61% pour les couples homosexuels. Des pourcentages qui doivent avoir encore augmenté aujourd’hui, selon les auteurs. Avec des différences significatives de pratiques entre les hommes et les femmes. Selon une étude de 2010 sur 6485 utilisateurs, les premiers auraient vu 3 fois plus de profils que les secondes. Et les hommes seraient plus enclins à amorcer un contact avec une femme après avoir vu un profil féminin (12,5 contre 9 %).
Sélection opaque
Un mythe tombe, et pas le sens escompté par les sceptiques du virtuel. Les rencontres en ligne ne restent pas éternellement virtuelles. Elles ne concernent donc pas uniquement des personnes mal dans leur peau et incapables de passer de l’écran à la réalité. Pour autant, tout n’est pas rose dans l’univers du “online dating”. En particuliers, les promesses de rencontre de l’âme soeur grâce aux logiciels de sélection des profils sont encore loin d’être tenues. Ainsi les chercheurs n’ont pas trouvé trace de publications dans des revues scientifiques qui expliquent en détail les critères utilisés pour rapprocher les utilisateurs en fonction de leurs affinités. “En fait, les méthodes racoleuses affichées par les sites ont été élaborées en interne avec des techniques de traitement des données considérées comme des secrets de fabrication et, de ce fait, non vérifiables par des tiers”, notent les auteurs.
Productivité imbattable
Malgré cette inconnue de taille qui, probablement, ne recouvre pas une véritable optimisation de la sélection des profils, il semble donc que la rencontre en ligne fonctionne déjà avec une efficacité reconnue par les utilisateurs eux-mêmes. Le témoignage de l’un d’entre eux est sans équivoque: ” Où peut-on aller, en dehors des sites de rencontre en ligne, pour voir, en 20 minutes, les profils de 200 femmes célibataires qui cherchent des rencontres? “ Il est clair qu’en terme de productivité, le virtuel est imbattable…
Michel Alberganti
Photo: Don Hankins – Flickr – Licence CC
lire le billetLa mode des bons sentiments ne semble guère avoir survécu au changement de siècle. Désormais, on parle plus que d’incivilité et d’égoïsme, voire d’indifférence. Et pourtant ! Une étude publiée dans la revue Social Psychological and Personality Science par Kurt Gray, directeur du laboratoire Mind Perception and Morality de l’université du Maryland, rend à la bienveillance la place qu’elle ne devrait pas perdre.
“Nos résultats montrent que les bonnes intentions, même peu judicieuses, augmentent le plaisir et donne un meilleur goût à la nourriture”, note le chercheur. Pour arriver à cette conclusion, Kurt Gray a réalisé trois expériences.
Décharges électriques
La première concerne la douleur. Répartis en trois groupes, les participants envoient des décharges électriques dans la main de leur partenaire. Aux victimes du premier groupe, il est indiqué que cet acte est réalisé sans que leur partenaire ne soit au courant (si l’on peut dire…). Ceux du second groupe savent que leur partenaire est parfaitement conscient de leur infliger cette douleur et qu’il n’a aucune bonne raison pour le faire. Enfin, les personnes du troisième savent que leur partenaire envoie volontairement les décharges mais qu’il agit ainsi pour leur faire gagner de l’argent. Résultat, les participants du dernier groupe ressentent une douleur inférieure à celle que subissent des membres des deux premiers groupes. Preuve qu’une douleur diminue lorsque celui qui la ressent sait qu’elle n’est ni accidentelle ni agressive mais qu’elle résulte d’une intention bienveillante à leur égard. Kurt Gray conclut que cette expérience “devrait soulager les médecins et des aidants qui sont amenés à infliger une douleur pour le bien d’un malade”.
Machine à plaisir
Deuxième expérience. Les participants sont assis dans un fauteuil de massage. Ce dernier est alternativement mis en marche par une personne qui leur veut du bien et par un ordinateur. Alors que le massage est strictement identique, les participants disent ressentir plus de plaisir lorsqu’il provient de la personne. “Bien que les ordinateurs puissent être plus efficaces que les humains dans maintes circonstances, le plaisir reste supérieur lorsqu’il provient d’une autre personne”, en déduit le chercheur.
Troisième expérience: Les participants reçoivent une sucrerie associée à une note. Pour le premier groupe, la note dit: “J’ai pris cela pour toi. J’espère que cela te fera plaisir”. Pour le second groupe: “Quoique ce soit, je m’en moque. J’ai pris cela au hasard”. Résultat: Non seulement le goût du bonbon a paru meilleur aux membres du premier groupe mais ils l’ont aussi jugé plus sucré. La conclusion de l’étude fleure bon une certaine évidence et fait, logiquement, la part belle aux bons sentiments: “La perception de la bienveillance améliore non seulement l’expérience de la douleur et du plaisir mais elle influence aussi le gout des choses”.
Effet placebo
Pas de quoi grimper au rideau ni entrer dans les ordres. Il semble néanmoins que plusieurs leçons instructives puissent être tirées de ces expériences. Globalement, elles soulignent l’impact des bonnes intentions sur nos sensations. Un constat dont pourrait tenir compte le personnel médical lorsqu’il visite un patient alité. Combien d’entre eux se plaignent de la froideur de certains médecins? Un mot gentil coûte toujours moins qu’un médicament… Les expériences de Kurt Gray ne peuvent également manquer de faire penser au placebo. Là encore, tout réside dans l’intention de celui qui le prescrit. Cet effet psychologique puissant explique, pour certains, l’efficacité de l’homéopathie observée même chez les enfants. Des études récentes montrent que, contrairement à ce que l’on pensait auparavant, l’effet placebo persiste lorsque le médecin, et même le patient, savent que le médicament ne contient rien! Il ne reste alors bien que l’intention. Attention, l’effet nocebo existe aussi…
Dieu bienveillant
Cette étude, apparemment anodine, explique pourquoi les publicités associent certains produits avec des symboles de la bienveillance comme les grand-parents ou les mamans souriantes. En matière de relations humaines, elle oblitère les comportements distants comme un câlin prodigué de façon distraite. Et que dire de la nourriture ? Un vin présenté comme un grand cru très coûteux ne sera pas dégusté comme celui qui n’affiche pas d’étiquette connue. Le service dans les restaurants influence aussi directement la plaisir du repas. Dans les deux sens… L’étude va même jusqu’à mentionner la croyance en Dieu. “Des événements pénibles attribués à un Dieu bienveillant blessent moins que ceux provenant d’un Dieu vengeur”, note Kurt Gray. Le chercheur omet toutefois de faire état du risque d’exploitation de cette réaction à la bienveillance. Lorsque cette dernière est feinte mais bien jouée, peut-elle servir à faire passer d’amères pilules sans trop d’opposition? Si c’était le cas, nous aurions détecté depuis longtemps cette stratégie perverse chez certains hommes politiques ou chefs d’entreprise…
Michel Alberganti
lire le billetMonsieur et Madame Trucmuche ont des jumeaux, un garçon et une fille. Comment doivent-ils éviter de les appeler ? Benoît-Isidore et Pauline-Ursule. En effet, si l’on en croit une étude américaine publiée en 1999 dans le Journal of Psychosomatic Research, avoir des initiales à consonance négative (ici B.I.T. et P.U.T.) peut s’avérer un facteur non-négligeable d’espérance de vie réduite. A l’inverse, des initiales à consonance positive (F.O.R. ou V.I.E.) sont une petite promesse de vie plus longue. L’effet est sans doute nettement moins marqué en France qu’aux Etats-Unis, où la tradition d’insérer un deuxième nom entre le prénom et le patronyme est très vivace, comme on le voit fréquemment avec les présidents américains, de Franklin Delano Roosevelt à Barack Hussein Obama, en passant par John Fitzgerald Kennedy.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, l’impact du symbole (et donc de l’esprit) sur la mortalité humaine est un phénomène qui se rencontre en maintes occasions : ainsi, une étude a montré que les femmes mouraient en général moins la semaine précédant leur anniversaire, comme si la Camarde était priée de patienter jusqu’à ce que la ligne soit franchie… En revanche, la semaine suivant le changement d’âge était celle où, en moyenne, ces dames quittaient le plus volontiers ce monde (parce que le gâteau préparé par leurs héritiers était peu digeste ?). La même étude soulignait que ce n’était pas le cas chez les hommes, qui avaient une légère tendance à s’abstenir de souffler leurs ultimes bougies en décédant avant leur anniversaire. Nombreuses sont également les personnes tombant malades ou mourant à l’âge où l’un de leurs parents a disparu. A ces “réactions aux anniversaires” s’ajoutent d’autres exemples. Une étude a ainsi mis en évidence, chez des juifs pratiquants, une baisse sensible de la mortalité dans les jours précédant la fête de Pessa’h et une hausse dans les jours suivants. Le même effet a été constaté, dans une communauté chinoise, au cours de la période entourant la fête de la mi-automne. Comme si la mort devait attendre dans le vestibule…
Mais celle-ci peut-elle s’inviter plus tard lorsque vos initiales reflètent une notion positive, ou plus tôt si vous vous appelez Maurice-Alexandre Landouillette ? L’étude du Journal of Psychosomatic Research répond par l’affirmative. Pour le montrer, ses auteurs, chercheurs en psychologie à l’université de Californie (San Diego) ont ainsi épluché les registres des décès de cet Etat entre 1969 et 1995, car ils présentent l’avantage de donner le nom complet des morts. Deux listes d’initiales à consonances positive et négative avaient auparavant été testées et validées auprès d’un panel. Dans la première catégorie, on trouvait notamment ACE (as), GOD (dieu), LIF (pour vie), LOV (pour amour), VIP, WIN (gagner). La seconde rassemblait des mots ou abréviations comme APE (singe), ASS (cul), BAD (mauvais), DIE (mourir), DTH (abréviation de “death”, mort), DUD (raté), HOG (pourceau), ILL (malade), MAD (fou), ROT (pourriture), SAD (triste), SIK (pour malade). Pour les morts portant ces initiales particulières, on notait l’âge au moment du décès, qui était ensuite comparé à l’âge moyen de groupes témoins dont les membres avaient des initiales sans signification. Les résultats ont été plus que surprenants. Les hommes portant des initiales “géniales” vivaient en moyenne 4,48 années de plus que le groupe témoin, et les hommes avec des initiales “pourries” vivaient 2,8 années de moins que le groupe témoin. Du côté des extrêmes, les 28 LOV ont vécu 76,85 ans en moyenne alors que les 194 DTH sont passés de vie à trépas à seulement 58,9 ans, toujours en moyenne. Chez les femmes, l’effet était moins marqué (3,36 années de plus pour la première liste et pas de différence significative pour la seconde), ce à quoi les chercheurs s’attendaient : au gré de leur(s) mariage(s), les femmes peuvent changer plusieurs fois d’initiales au cours de leur existence et si l’impact de celles-ci existe, il est nécessairement moindre. Autre point à signaler, les causes du décès chez les hommes aux initiales négatives étaient sensiblement différentes des autres, avec une surreprésentation des accidents et des suicides, c’est-à-dire des causes directement dues au comportement.
Pour expliquer ces écarts tout de même importants, les auteurs de l’étude ont cherché de nombreux biais. Une petite “controverse” a surgi quand une équipe d’économistes a remis en cause les méthodes statistiques utilisées, notamment le fait qu’il est toujours délicat de recruter des cohortes de sujets a posteriori. Un biais dont les chercheurs étaient parfaitement conscients et qu’ils ont tâché de contourner en établissant avec précision les groupes témoins. L’hypothèse d’une corrélation sans lien de cause à effet a aussi été écartée. Il était en effet envisageable que les mauvaises initiales trahissent simplement des parents négligents, que l’espérance de vie plus courte soit avant tout la conséquence de mauvais soins et non pas celle due à l’influence desdites initiales. Mais rien n’est venu confirmer cette hypothèse, notamment au niveau de la mortalité infantile.
Les psychologues californiens ont donc conclu à la validité de leur hypothèse sur la puissance symbolique des initiales (tout comme il existe une puissance symbolique du nom que l’on porte) : “Il semble improbable, écrivent-ils, qu’une personne ayant des initiales comme CUL ou JOI puisse ne pas remarquer leurs connotations négatives ou positives. Apparemment, de telles initiales (…) peuvent influencer la cause et le moment de la mort. Notre interprétation de cette découverte s’appuie sur l’examen des causes individuelles du décès. Le suicide et les accidents, qui sont, parmi toutes les causes de décès étudiées, les plus liées au comportement, montraient les plus fortes différences entre les groupes positif et negatif. L'”explication symbolique” est aussi soutenue par la découverte que les effets sont moins importants chez les femmes et absents chez les enfants : ces groupes sont plus faiblement attachés à leurs initiales.” Par conséquent, si votre patronyme commence par un “R” et si vous souhaitez donner un prénom composé à votre futur fils, préférez Franz-Olivier à Marc-Olivier ou Pierre-Olivier.
Pierre Barthélémy
Post-scriptum : Winston Churchill, en photo au début de ce billet, est mort à l’âge de 90 ans. En dépit de ses initiales, pourrait-on dire. Trois objections toutefois : 1/ en psychologie, il y a toujours des cas particuliers ; 2/ son vrai nom était Winston Leonard Spencer-Churchill, ce qui change un peu la donne ; 3/ l’expression “water closet” à laquelle ses initiales peuvent renvoyer est… beaucoup plus utilisée en France qu’outre-Manche !
lire le billetLe 19 novembre, c’est la journée mondiale des toilettes. L’occasion ou jamais de citer une étude où les mathématiques font irruption dans l’intimité des WC.
Les articles publiés dans les revues scientifiques obéissent tous, à quelques variantes près, aux mêmes règles de présentation. Sous le titre et le nom des signataires, on trouve un résumé, puis l’article proprement dit et, enfin, les références. En 2010, dans la revue Lecture Notes in Computer Science, est parue une étude au titre mystérieux (surtout si l’on considère que ce journal traite essentiellement de science informatique) : “Le problème de l’urinoir”. La lecture du résumé a de quoi faire sourire… et un peu réfléchir, ce qui est le propre de la science improbable : “Un homme entre dans des toilettes pour messieurs et remarque “n” urinoirs libres. Lequel devrait-il choisir pour maximiser ses chances de conserver son intimité, c’est-à-dire de minimiser les chances que quelqu’un vienne occuper un urinoir voisin du sien ? Dans cet article, nous tentons de répondre à cette question en considérant une variété de comportements habituels dans les toilettes pour hommes.”
Pour les lecteurs de ce blog qui sont des lectrices et n’ont donc pas forcément fréquenté les lieux d’aisances en commun, le problème de l’urinoir est un problème réel. Le relâchement minimum nécessaire à la miction n’est pas toujours évident à atteindre quand un congénère vient se débraguetter à 20 centimètres de vous ou lorsque vous sentez sur vous le regard d’autres hommes à la vessie pleine attendant, en dansant d’un pied sur l’autre, que vous ayez fini de faire chanter la porcelaine. C’est généralement à ce moment que le blocage survient comme l’illustre une scène d’anthologie (ou presque) du film Mon nom est Personne :
Il existe deux solutions pour préserver un minimum d’intimité dans les pissotières en ligne. La première consiste à écarter les jambes de manière à occuper également les urinoirs de droite et de gauche.
Si elle évite également à ces messieurs de mouiller leurs chaussures, la position est néanmoins assez inconfortable et ne permet pas forcément la décontraction des sphincters… La seconde solution, qui est explorée dans l’article de Lecture Notes in Computer Science, consiste à sélectionner son urinoir de façon à réduire au maximum la probabilité pour qu’un nouvel arrivant vienne se camper à côté de vous. L’intuition dicte en général de se positionner à l’un des bouts de la rangée mais est-ce justifié mathématiquement parlant ? Tout dépend du comportement des autres, expliquent les auteurs. Ces spécialistes des algorithmes se sont donc amusés à traduire ces comportements en formules. On trouve ainsi le paresseux, qui vient vider sa vessie dans l’urinoir libre le plus près de la porte, le coopératif, qui calcule pour les autres et tâchera de choisir une place permettant au maximum d’arrivants ultérieurs d’avoir leur intimité, le distant, qui se débrouillera pour être le plus loin des autres, et l’aléatoire, qui se mettra n’importe où pourvu que les urinoirs de droite et de gauche soient vides.
Evidemment, le problème dépend d’abord du nombre “n” de faïences et aussi de savoir si “n” est pair ou pas. En effet, la “saturation” de 5 ou de 6 urinoirs est la même : 3 bonshommes suffisent dans les deux cas pour que le suivant à entrer dans les toilettes ait au moins un voisin, quelle que soit sa stratégie. Imaginons une ligne d’urinoirs avec 6 emplacements, le numéro 1 étant le plus loin de la porte et le 6 le plus près. Vous êtes le premier à entrer. Si vous vous installez au 1 et si l’homme qui vous suit est un paresseux ou un distant, il se mettra au 6. En revanche, un coopératif pourra se poser devant le 3, le 4, le 5 ou le 6 (quatre choix possibles). S’il n’y a que 5 places, le coopératif n’aura plus que deux choix (le 3 ou le 5), car se mettre au 4 impliquerait que le troisième homme serait obligé de venir uriner près d’un des deux occupants des lieux.
La question se complique si, comme c’est souvent le cas, une ou plusieurs personnes se trouvent déjà aux toilettes quand vous y pénétrez. A lire l’étude, c’est tout juste s’il ne faut pas un ordinateur pour calculer quelle sera la place où vous avez le maximum de chances d’être le plus longtemps sans voisin. Au terme de l’article, émaillé de quelques formules mathématiques, vous êtes soulagé (si je puis dire) d’apprendre que la stratégie instinctive – à savoir se mettre devant l’urinoir le plus loin de la porte si son voisin est libre – est la plus efficace la plupart du temps. En conclusion, les auteurs soulignent que les variantes du problème sont aussi nombreuses qu’insoupçonnées et ils encouragent leurs lecteurs à y réfléchir à chaque fois qu’ils devront se rendre dans ces lieux, sur une aire d’autoroute ou dans un stade.
Pour terminer, que personne ne pense qu’il s’agit là d’un problème exclusivement masculin. Avec l’arrivée de la version féminine de l’urinoir, non seulement ces dames ne feront plus la queue pour aller aux toilettes mais elles donneront du travail aux mathématiciens…
Pierre Barthélémy
lire le billetEn chaque électeur, il y a un homme, en chaque électrice une femme. Et en chacun de ces hommes et femmes demeure une part d’animalité plus ou moins cachée, le souvenir enfoui des temps anciens ou des hardes de bipèdes choisissaient le plus fort pour diriger le clan ou la tribu. Car sélectionner l’homme fort, c’était donner à chaque membre du groupe social des chances supplémentaires de survivre et de se reproduire avec succès. C’est en partant de cette hypothèse évolutive, selon laquelle la sélection naturelle a favorisé en nous la capacité à détecter de manière fine les qualités d’un chef, qu’une équipe canadienne du département de psychologie, neurosciences et sciences comportementales de l’université McMaster (Hamilton, Ontario) s’est demandé si un des indices aidant à choisir le leader naturel résidait dans la hauteur de sa voix. Et si, malgré l’omniprésence, aujourd’hui, des écrans, la voix seule d’un homme politique pouvait influencer les électeurs (pour les femmes politiques, il faudra attendre quelques années…).
Comme le rappelle l’étude que ces chercheurs ont publiée, lundi 14 novembre, dans la revue Evolution and Human Behavior, de précédents travaux ont montré qu’une voix désagréable réduisait l’attractivité des politiciens. Par ailleurs, dans un étonnant article paru en 2002, deux chercheurs américains ont analysé le spectre vocal de plusieurs candidats à la Maison-Blanche, enregistré lors de 19 grands débats télévisés au cours de huit campagnes présidentielles entre 1960 et 2000, et ont à chaque fois pu “prédire” le vainqueur du scrutin, certaines caractéristiques de la voix trahissant sa “domination”. Dans cette lignée, l’étude canadienne s’est intéressée à l’influence que la hauteur de la voix pouvait avoir sur la manière dont le public percevait les hommes politiques. Quelles qualités attribue-t-on à un baryton et à un ténor et lequel des deux a le plus de chances d’être élu, si l’on ne se fie qu’à sa voix ?
Pour le savoir, deux expériences ont été réalisées sur un panel de 125 personnes divisé en deux groupes. Chaque groupe écoutait à deux reprises les voix de neuf anciens présidents des Etats-Unis : une fois, la voix avait artificiellement été baissée vers les graves et l’autre fois montée vers les aigus. Les participants au test devaient ensuite répondre effectuer cinq choix. Pour le premier groupe, dire lequel des deux avatars sonores de l’homme politique 1/ semblait le plus attractif, 2/ ferait un meilleur dirigeant, 3/ serait un dirigeant plus honnête, 4/ paraissait le plus digne de confiance, 5/ donnait le plus envie de voter pour lui lors d’une élection nationale. Pour le second groupe, il fallait spécifier lequel 1/ semblait le plus dominant, 2/ gérerait le mieux la situation économique actuelle, 3/ paraissait le plus intelligent, 4/ était le plus susceptible d’être impliqué dans un scandale, 5/ serait le candidat retenu pour un scrutin en période de guerre. Dans neuf cas sur dix, c’est la version à voix grave qui a été majoritairement choisie. La seule exception a été… l’unique critère négatif glissé dans le questionnaire, à savoir “le plus susceptible d’être impliqué dans un scandale”. C’est bien connu, dans “fausset” il y a “faux”…
Pour la seconde expérience, qui complétait la première, il n’était plus question de comparer entre elles deux variantes d’un même homme politique mais les voix artificiellement aiguës et graves de deux inconnus, A et B, prononçant la phrase neutre suivante : “Quand, dans l’air, les gouttes de pluie sont touchées par un rayon de soleil, elles agissent comme un prisme et forment un arc-en-ciel.” Pas d’intonation enflammée, pas de rhétorique, pas de slogan. Chaque participant devait dire pour quel locuteur il voterait lors d’une élection. Pour la moitié, A avait la voix grave et B la voix aiguë, et c’était l’inverse pour l’autre moitié du panel. En réalité, peu importait qui parlait puisque les “cobayes” ont largement élu, à 70 %, le candidat à la voix grave, quel qu’il fût.
Selon les auteurs, plus que l’attractivité, c’est la domination et la vaillance que reflète une tonalité dans les basses. Cela confirme le fait que l’on peut, à l’aveugle, déterminer la force physique d’un homme à la simple écoute de sa voix (dans des cultures et des langues différentes) et qu’une voix grave est associée à un taux plus haut de testostérone, l’hormone du mâle par excellence. Evidemment, on ne choisit pas un candidat à un scrutin que sur sa voix (ou sur une autre caractéristique physique). En l’occurrence, l’évolution de l’espèce humaine l’a conduite à élaborer des idées et des programmes dont la lecture et la comparaison s’avèrent, a priori, des éléments utiles lors d’une élection. Néanmoins, cette étude canadienne soupçonne que, pour mettre toutes les chances de leur côté, des candidats vont mettre en application ses enseignements, soit en s’exerçant à parler dans leur registre le plus grave, soit en faisant artificiellement baisser leur tonalité lors des retransmissions télé- ou radio-diffusées…
Pierre Barthélémy
Post-scriptum : pour compléter la panoplie de l’homme à la voix grave, j’ajouterai qu’il est aussi perçu comme étant plus susceptible d’être infidèle. Ce qui colle finalement aussi très bien avec les plus beaux spécimens de notre élite politique masculine…
Photo: Nicolas Sarkozy, le 13 octobre 2011. REUTERS/Francois Nascimbeni/Pool
lire le billetOn ne peut oublier ces phrases délicieuses que prononce, dans Le silence des agneaux, Hannibal Lecter, interprété par Anthony Hopkins : “J’ai été interrogé par un employé du recensement. J’ai dégusté son foie avec des fèves au beurre, et un excellent chianti.” Si elle était sortie de la bouche d’un criminel réel, cette citation aurait fait le bonheur d’un trio de chercheurs américain et canadiens qui ont publié le mois dernier, dans la revue Legal and Criminological Psychology, une étude analysant la manière dont s’expriment les psychopathes. Il en ressort notamment qu’en plus de ne manifester aucune empathie pour leurs victimes, qui sont instrumentalisées, les psychopathes, lorsqu’ils relatent leurs crimes, font beaucoup plus référence que les assassins “normaux” à leurs besoins physiologiques et matériels. Nourriture, boisson et argent sont nettement plus évoqués. Pour exceptionnel qu’il paraisse, Hannibal le Cannibale n’est donc pas si différent des autres…
Les psychopathes éprouvent très peu d’émotions, sont essentiellement centrés sur eux-mêmes et, dans leur vision de la société, ils perçoivent les autres comme des proies ou du bétail à exploiter. C’est probablement pour cette raison que, selon une étude récente, on retrouve tant de psychopathes parmi les dirigeants d’entreprises… Ce sont d’excellents manipulateurs et ils utilisent le langage comme une arme. On se souvient d’ailleurs que le docteur Lecter pousse son voisin de cellule à se suicider après une longue discussion. On sait également qu’au Canada, les psychopathes réussissent 2,5 fois plus que les autres détenus les entretiens qu’ils réalisent en vue d’une libération conditionnelle… Néanmoins, ces qualités verbales, ce bagout, ont été fort peu analysés.
C’est pour combler cette lacune que l’étude de Legal and Criminological Psychology s’est donné pour objectif d’interroger en prison, avec leur accord, des criminels canadiens, tous coupables de meurtres qu’ils ont reconnus. Sur les 52 hommes retenus, 14 étaient qualifiés de psychopathes par des psychiatres. Les chercheurs sont donc allés les interviewer, 25 minutes chacun, en leur demandant de raconter, avec le plus de détails possibles, les crimes qu’ils avaient commis. Des crimes qui, en moyenne, avaient eu lieu une décennie auparavant. Une fois retranscrits, les entretiens ont été passés à la moulinette de programmes d’analyse textuelle. Ceux-ci ne se contentent pas de faire des statistiques sur les occurrences de mots mais ils les classent dans des catégories grammaticales (noms, articles, adjectifs, verbes, adverbes, etc) et des champs sémantiques (mots évoquant les interactions sociales, l’argent, le temps, etc.), soupèsent leur charge affective (positive ou négative, intense ou faible, imagée ou pas) et reconnaissent les temps de conjugaison employés.
Les entretiens réalisés avec les 52 détenus ont totalisé plus de 127 000 mots, dont presque 30 000 pour les 14 psychopathes. La manière dont ceux-ci s’expriment a été comparée avec celle des autres criminels et les chercheurs y ont décelé un certain nombre de points saillants. La première découverte concerne l’usage important que les psychopathes font des conjonctions de subordination et des expressions à valeur causale (parce que, puisque, étant donné que) lorsqu’ils décrivent leurs méfaits. Comme si les crimes qu’ils ont commis étaient les résultats logiques de plans, comme si ces actions devaient être effectuées, ce qui est cohérent avec le fait que la très grande majorité des psychopathes tuent avec un but précis en tête, alors que la moitié des autres meurtriers agissent dans l’instant, sous le coup de la colère, dans des bagarres, etc.
Deuxième enseignement, les psychopathes utilisent environ deux fois plus souvent que les autres du vocabulaire se rapportant à leurs besoins physiologiques primaires (manger et boire) et à leur préservation (avoir de l’argent, un toit). En revanche, ils se réfèrent nettement moins aux relations sociales, à la famille ou à la religion. Cela colle bien avec le portrait-robot du psychopathe centré sur sa personne, qui, même s’il peut être à l’aise dans la communication, se crée difficilement des liens et n’envisage aucune aide familiale ni spirituelle pour sa “réhabilitation”. Il décrit son crime d’une manière froide, détachée, lointaine, ce qui est confirmé par l’utilisation plus fréquente des temps du passé, alors que les autres détenus ont davantage tendance à se servir du présent pour reconstituer les meurtres dont ils ont été coupables.
Cette étude présente des limites dont les auteurs sont conscients. Notamment le fait qu’on a demandé aux détenus de décrire ces actes si exceptionnels que sont des meurtres. Il faudrait reproduire la même analyse avec des conversations ou des récits plus banals. Les chercheurs suggèrent ainsi de montrer de courtes vidéos à des psychopathes et à des assassins non-psychopathes et de les leur faire décrire ensuite, pour décortiquer la manière dont ils reconstituent les scènes. Evidemment, les conclusions de ces travaux n’ont pas (encore…) de valeur prédictive. Alors, la prochaine fois que quelqu’un raccrochera un peu vite le téléphone en vous disant “J’aimerais poursuivre cette conversation mais… j’ai un vieil ami pour le dîner”, n’imaginez pas forcément que, à l’instar du docteur Frederick Chilton à la fin du Silence des agneaux, le “vieil ami” en question terminera sa carrière en osso-bucco préparé par un clone d’Hannibal Lecter…
Pierre Barthélémy
lire le billetSavez-vous ce qu’est l’œstrus ? Il s’agit de ce qu’on appelle communément les “chaleurs” chez les femelles des mammifères, une période d’attractivité sexuelle indiquant qu’elles sont prêtes à être fécondées. On a longtemps cru que, dans l’espèce humaine, l’évolution avait fait disparaître complètement l’œstrus mais, depuis quelques années, les chercheurs estiment, à certains signes discrets, que cette petite part de “bestialité” est encore présente, enfouie au plus profond de nous. En clair que les femmes envoient toujours, au moins inconsciemment, des signaux avant leur ovulation et que les hommes sont capables, tout aussi peu consciemment, de les percevoir. Cela se trahit par d’infimes changements dans la silhouette, l’odeur corporelle, l’attractivité du visage, la créativité verbale et la volubilité. Plus concrètement, une étude américaine, dont j’ai fait mon miel pour ma première chronique d'”Improbablologie” dans Le Monde, a prouvé que les femmes pratiquant des “danses de contact” dans les clubs masculins touchaient des pourboires bien plus conséquents lorsqu’elles étaient dans cette période bien particulière de leur cycle menstruel (eh oui, aux Etats-Unis, la femme en chaleur se mesure forcément en dollars…). A l’inverse, les danseuses prenant la pilule (qui empêche l’ovulation) avaient des revenus beaucoup plus réguliers dans le mois, mais, à l’arrivée, gagnaient moins d’argent…
Si l’œstrus existe toujours chez Homo sapiens, cela doit en théorie s’accompagner, imaginent les évolutionnistes, de mécanismes d’évitement permettant à la femme de ne pas attirer les partenaires avec lesquelles la reproduction serait risquée, et notamment les mâles de sa propre famille. La consanguinité, en favorisant l’expression de gènes délétères, est en effet un facteur de problèmes de santé et d’espérance de vie réduite pour la descendance. Une équipe de trois chercheuses américaines s’est donc demandé comment vérifier si, en plus du tabou de l’inceste, la femme en période d’œstrus disposait de stratégies d’évitement des hommes apparentés. Evidemment, ce qui est possible avec des cobayes animaux, à savoir les enfermer dans un espace réduit et enregistrer leurs moindres faits et gestes 24 heures sur 24, est plus compliqué à réaliser avec des humains. Ou alors il faut suggérer à Endemol et M6 de lancer un Loft Story familial avec inceste dans la piscine…
Ces chercheuses ont donc trouvé un autre moyen de mesurer les interactions sociales au sein d’une famille : la facture détaillée de téléphone portable. Comme l’explique l’étude publiée il y a un peu moins d’un an dans la revue Psychological Science, une cinquantaine de jeunes femmes ont ainsi fourni le décompte, à la seconde, de leurs appels émis et reçus. Elles ont également donné les dates de leurs cycles menstruels pour que l’équipe puisse corréler l’œstrus avec le listing téléphonique. Les chercheuses ont donc pu évaluer, au cours du temps, les variations dans la fréquence et la durée des appels passés par ces jeunes femmes à leurs deux parents. Si leur théorie était bonne, pendant les périodes de fertilité élevée, ces demoiselles passeraient moins de coups de téléphone à leurs pères que pendant les périodes où elles ne seraient pas fécondables. En revanche, les appels aux mères ne baisseraient pas.
Les résultats sont étonnamment conformes à cette prédiction. Au total, 921 appels, représentant 4 186 minutes de discussion ont été recensés. Hors de la période féconde, les jeunes femmes appelaient en moyenne leurs papas 0,5 fois par jour (contre 0,6 appel par jour aux mamans). Lors de l’œstrus, ce chiffre tombe à un peu plus de 0,2 coup de fil par jour (alors que les mères bénéficient d’un surplus, avec 0,8 appel quotidien). La durée moyenne de la conversation en est aussi modifiée : avec papa, on passe d’un peu plus de 2 minutes à 1 minute, et avec maman, de 3 minutes à plus de 3 minutes et demie. Idem lorsque les parents appellent. On peut donc, a priori, déduire l’œstrus d’une femme de sa facture détaillée de téléphone portable…
Pour les auteurs de l’étude, ces données sont la première preuve comportementale que, lors de leurs pics de fertilité, les femmes évitent les mâles apparentés. Les trois chercheuses excluent l’hypothèse selon laquelle, à ce moment de leur cycle, les jeunes filles auraient davantage besoin de parler à leurs mères et auraient donc moins de temps à consacrer à leurs géniteurs. De la même manière, l’idée qu’elles voudraient, pendant l’œstrus, se préserver de toute tentative de contrôle de leur vie sexuelle par les pères est écartée, tout simplement parce que les mères sont, historiquement et culturellement, d’aussi – ou de plus – redoutables gardiennes de la sexualité de leurs filles. Si cette idée était correcte, les mères aussi verraient les appels et la durée des conversations baisser durant la période féconde… Les chercheuses s’attendent à retrouver le même schéma d’évitement téléphonique avec les frères et les oncles. Nul doute que les factures de portable ont un avenir certain comme outils de recherche sur les relations humaines.
Pierre Barthélémy
lire le billetSelon ABI Research, un cabinet d’études spécialisé dans les nouvelles technologies, il s’enverra plus de 7 000 milliards de SMS dans le monde au cours de l’année 2011. Etant donné que la population de la Terre aura, d’ici au 31 décembre, passé la barre des 7 milliards d’individus, cela fera une moyenne de 1 000 SMS par personne. Même s’il existe encore bien des récalcitrants (comme l’auteur de ces lignes…), il est indéniable que la pratique du texto se répand de plus en plus. Mais jusqu’où ? De la même manière que l’on a pu dire que Google et Internet modifiaient notre façon de lire, de mémoriser et de penser, peut-on prétendre que les SMS se sont immiscés dans notre cerveau au point d’y laisser une insidieuse empreinte ?
Si l’on en croit une étude réalisée par Sascha Topolinski et publiée dans le numéro de mars de Psychological Science, la réponse est oui. Pour le prouver, ce chercheur en psychologie à l’université allemande de Wurtzbourg a, avec ses étudiants, concocté une série de petites expériences aux résultats troublants. Dans la première, il était demandé à deux groupes comptant chacun plusieurs dizaines de personnes, de composer des suites de chiffres, pour le premier groupe sur un clavier d’ordinateur, pour le second sur un téléphone portable dont les touches ne comportaient que les chiffres, et pas les lettres associées selon le standard international E.161 (voir photo ci-dessous).
Après avoir entré les chiffres, les cobayes des deux groupes devaient ensuite regarder un écran sur lequel apparaissait un mot et devaient, le plus vite possible, dire si c’était un mot existant ou inventé. Il se trouve que, de temps en temps, les chercheurs glissaient des mots qui auraient pu être composés, en mode SMS, par la suite de chiffres qu’ils venaient de saisir. Par exemple, le 5683 qui figure sur la photo ci-dessus correspond au “code” du mot anglais “love” (“amour” en français, pour ceux qui sont encore plus réfractaires à la langue de Shakespeare que je ne le suis à l’utilisation des SMS). Dans la langue de Molière, cette suite peut donner le mot “joue” car les touches des téléphones ne sont pas bijectives : à une touche ne correspond pas une lettre mais trois ou quatre. Lorsque le mot “collait” à la suite de chiffres, ceux qui avaient tapé celle-ci sur un portable répondaient un peu plus vite que ceux qui l’avaient composée sur un clavier d’ordinateur. D’une certaine manière, l’action physique d’appuyer sur les touches d’un téléphone activait le mode SMS dans le cerveau des utilisateurs… Aucun n’a d’ailleurs deviné le but de l’expérience et les cobayes croyaient qu’il s’agissait d’un test d’ergonomie.
Pour la deuxième expérience, Sascha Topolinski a voulu aller plus loin. Il a demandé à un autre groupe de volontaires de composer des suites de chiffres sur le téléphone puis d’évaluer si la combinaison de ces chiffres était agréable ou pas. Dans un pré-test effectué sans portable, les cobayes n’avaient vu aucune différence significative entre ces combinaisons. Tout a changé dès qu’il a fallu tapoter des touches de téléphone. Les combinaisons 242623, 373863, 54323, 787263, 87286, 87383, 94373 et 242763 ont été plus appréciées que les suites 26478, 24267, 37825, 35363, 57473, 534243, 7245346 et 8375878. Il faut dire que les premières, en langage SMS, correspondaient aux mots allemands signifiant “chance”, “ami”, “amour”, “plage”, “rêve”, “fidélité”, “prairie” et “charme”, tandis que les secondes codaient pour des mots à connotation négative : “crainte”, “chaos”, “pression”, “malheur”, “crise”, “cadavre”, “bave” et “perte”. Encore une fois, les participants à l’expérience, avec un clavier sans lettres, n’avaient aucun moyen de deviner, si tant est qu’ils y aient pensé, les mots qu’ils pouvaient bien taper… C’est un peu comme si les suites de mouvements réalisées pour entrer les combinaisons de chiffres renvoyaient, dans les profondeurs du cerveau, au souvenir du sentiment ressenti lorsque ces combinaisons avaient été saisies par le passé. Ce que Sascha Topolinski nomme l’“incarnation cognitive”. Des études ont montré que demander à quelqu’un de sourire va induire une sensation d’amusement, qu’un poing levé engendrera une sensation de pouvoir et que des mouvements lents seront associés à l’idée de vieillesse.
Dans une troisième et dernière expérience qui complète les deux précédentes, les participants devaient composer huit numéros de téléphone, correspondant à huit sociétés (fictives) : un fleuriste, une agence matrimoniale, une boutique de cadeaux, etc. Pour quatre des sociétés, le numéro de téléphone codait, en langage SMS, pour l’activité, par exemple 25863 (“blume”, fleur en allemand) pour le fleuriste, 54323 (“liebe”, amour) pour l’agence matrimoniale, etc. Pour les quatre autres, les combinaisons de chiffres ne renvoyaient à aucun mot. A chaque fois, les cobayes étaient mis en relation avec un répondeur qui donnait des variantes du même message, seule changeant la description de l’activité. Au bout des huit appels, les participants devaient noter l’attractivité de la société sur une échelle allant de 0 à 10. Sans grande surprise au vu des résultats précédents, quand l’activité était codée dans le numéro de téléphone, la note était légèrement meilleure, quelle que fût, d’ailleurs, l’activité. L’entreprise de pompes funèbres était ainsi plus appréciée quand le mot “cadavre” en langage SMS était caché dans son numéro de téléphone !
Les effets, faibles, de ce phénomène d’incarnation cognitive semblent néanmoins significatifs. Appuyer sur les touches du téléphone active inconsciemment, dans le cerveau de ceux qui pratiquent l’art du texto, des concepts concordant avec les combinaisons saisies. De quoi donner des idées aux spécialistes du marketing. Longtemps ont été privilégiés les numéros de téléphone faciles à retenir. Peut-être le temps est-il venu des numéros codés, intégrant des messages subliminaux en langue SMS…
743773 Barthélémy
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