Cela n’a rien de vraiment étonnant, mais cela valait la peine de le vérifier. Ne serait-ce que pour être certain que le choix d’un partenaire sexuel ne relève pas uniquement d’un conditionnement généré par l’évolution de l’espèce humaine. L’étude de Marcel Zentner et Klaudia Mitura de l’université de York en Grande-Bretagne, publiée dans Psychological Science, part de l’hypothèse que les influences du comportement forgé au cours de milliers d’années peuvent s’estomper proportionnellement au développement de l’égalité des sexes dans la société.
Traditionnellement, les hommes et les femmes n’utilisent pas les mêmes critères en matière de choix d’un partenaire sexuel. Ces différences sont expliquées par des évolutions distinctes des cerveaux chez les deux sexes. Ainsi, la recherche d’une réussite sur le plan de l’évolution de l’espèce conduit les femmes à satisfaire leur besoin de ressources pour élever leur progéniture. Elles vont donc préférer des hommes capables d’investir dans leurs enfants, c’est-à-dire qui ont les moyens financiers de le faire. Autrement dit, les femmes seraient attirées par les partenaires financièrement aisés. La même recherche conduit les hommes à rechercher avant tout la fertilité de leur partenaire, ce qui les inclineraient à privilégier des partenaires jeunes. Modèle ultra classique donc: les femmes choisissent des hommes riches et les hommes des femmes jeunes.
Au fil du temps, ces tendances ont été inscrites profondément dans les cerveaux des deux sexes et elles agissent donc inconsciemment quand il ne s’agit pas d’une démarche délibérée. Ce qui arrive parfois… En dehors de toute morale et de tout romantisme, il ne s’agit là que de conditions favorables à la survie de l’espèce. Mais ces réflexes perdurent-ils lorsque la société évolue dans le sens d’une égalité de plus en plus grande entre les hommes et les femmes?
Pour le savoir, les deux chercheurs ont interrogé 3.177 personnes provenant de 10 pays différents à l’aide de questionnaires en ligne. Le choix des pays représentés a tenu compte de l’Index mondial de l’égalité des sexes (Global Gender Gap Index) établi par le Forum économique mondial (La France arrive en 48e position dans ce classement…). L’échantillon va de pays à faible discrimination (Finlande) à des pays à forte discrimination (Turquie). Les participants ont répondu à des questions permettant d’évaluer l’importance qu’ils accordent à certains critères dans le choix de leurs partenaires: avoir de bons revenus, être une bonne cuisinière…
Résultat: Marcel Zentner note que «la différence entre les critères des deux sexes conformes à ceux des modèles psychologiques liés à l’évolution est la plus forte dans les sociétés les plus inégalitaires et la plus faible dans les sociétés les plus égalitaires». Ce résultat a été confirmé par une seconde étude portant que 8.953 volontaires de 31 pays. La réduction des différences de stratégie de choix des partenaires due à une évolution sociale démontrerait que les critères ancestraux ne sont gravés aussi profondément dans nos cerveaux que les chercheurs le pensaient a priori.
Rien ne semblerait donc biologiquement programmé de façon définitive en la matière. Pas sûr. «En fait, la capacité à changer nos comportement assez rapidement en fonction d’un changement sociétal pourrait également répondre à un programme d’évolution qui privilégie la flexibilité sur la rigidité», note Marcel Zentner.
De quoi rassurer les tenants d’un déterminisme évolutif supérieur à toute réelle liberté de choix individuelle. Néanmoins, outre les fortes incertitudes qui semblent persister dans ce domaine, il est très rassurant de constater que notre comportement n’est pas uniquement dicté par des instincts ancestraux et qu’il peut être modifié par le contexte sociétal. Cela donne l’espoir de certaines améliorations. Même si ces dernières sont, elles aussi, conformes à des mécanismes programmés par l’évolution.
Michel Alberganti
Mise à jour le 7 septembre : Le choix d’un partenaire sexuel peut-il également obéir à des critères ethniques, religieux ou politiques ? La question est posée par la cinéaste française Yolande Zauberman. Avec son compagnon, l’écrivain libanais Sélim Nassib, elle a réalisé le documentaire “Would You Have Sex with an Arab ?” qui sort en salle mercredi 12 septembre 2012. En voici la bande annonce :
lire le billet“Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ?” assurait Alfred de Musset. En matière de bière, il avait tort. Dans ce domaine, tout dépend… de la forme du verre. C’est, en tous cas, ce qui ressort de la très sérieuse étude réalisée par une équipe de chercheurs de l’école de psychologie expérimentale de l’université de Bristol dirigée par Angela Attwood. Motivés par la pratique du binge drinking, ou biture express, qui consiste à boire le plus possible d’alcool le plus vite possible et qui est devenue un problème de santé publique en Grande-Bretagne, les scientifiques ont réalisé deux expériences avec le concours de 160 personnes ne buvant qu’en société (social drinkers), âgées de 18 à 40 ans et sans passé alcoolique.
Dans le premier test, les participants devaient boire de la bière ou une boisson non alcoolisée soit dans un verre de forme droite, soit dans un verre à bord incurvé, de type flûte. Le résultat est, pour le moins, surprenant. En effet, les participants ont bu leur bière près de deux fois plus vite dans le verre flûte que dans le verre droit. Plus étrange encore, ce phénomène ne se produit pas avec une boisson sans alcool…
Ensuite, les participants ont été soumis à un test sur ordinateur. Sur l’écran, leur étaient présentées plusieurs images des deux formes de verre contenant des quantités variées de liquide. Ils devaient alors dire si chacun des verres était rempli à plus ou moins de la moitié de leur contenance. Les chercheurs ont ainsi pu constater que le verre flûte induisait plus d’erreurs que le verre droit. Plus fort encore, le taux d’erreur semble corrélé à la vitesse de boisson. Ceux qui se sont le plus trompés sur l’évaluation du niveau médian de remplissage des verres étaient ceux qui avaient bu leur bière le plus vite…
Il semble que la vitesse d’absorption d’une boisson alcoolisée influence le degré d’intoxication ressenti. C’est d’ailleurs le principe même du binge drinking. De plus, la vitesse favorise la boisson d’un plus grand nombre de verres pendant une soirée. D’où l’espoir des chercheurs: réduire la vitesse de boisson pourrait avoir un impact positif sur les individus et sur l’ensemble de la population. Il sera néanmoins difficile de trouver un équivalent des radars routiers à installer sur le comptoir des bars pour mesurer les excès de vitesse de boisson…
Cela n’empêche pas Angela Attwood de garder l’espoir d’avoir fait oeuvre utile en alertant les buveurs sur un danger qu’ils ignoraient: la forme du verre. Son étude, publiée dans la revue PLoS ONE le 31 août 2012, pourrait facilement être prolongée. En effet, il existe autant de verres que de producteurs de bière. Et à chacun sa forme… Celle que les chercheurs de Bristol stigmatisent, la forme en flûte avec coté incurvé, est l’une des plus rares. Elle est néanmoins utilisée par une grande marque, Carlsberg. Même si le verre de la 1664 s’en rapproche. De même que les verres Kwak… En revanche, les fameuses abbayes belges, Leffe et Affligem en tête, sont loin de favoriser les excès de vitesse. Certains brasseurs auraient-il découvert le secret du binge drinking avant Angela Attwood ? Désormais, tout le monde est prévenu. Un verre droit, ça va. Un verre flûte, gare à la chute…
Michel Alberganti
lire le billetDOMIN : Sulla, laissez Mademoiselle Glory vous regarder un peu.
HELENA : (se lève et tend la main) Ravie de vous rencontrer. Ce doit être très dur pour vous, ici, coupée du reste du monde.
SULLA : Je ne connais pas le reste du monde, Mademoiselle Glory. Je vous en prie, asseyez-vous.
HELENA : (s’assoie) D’où venez-vous ?
SULLA : D’ici, l’usine.
HELENA: Oh, vous êtes née ici.
SULLA : Oui, j’ai été fabriquée ici.
HELENA (Surprise) Comment ?
DOMIN : (riant) Sulla n’est pas une personne, Mademoiselle Glory, elle est un robot.
HELENA : Oh, s’il vous plait, excusez-moi.
Cette scène du début de la célèbre pièce de théâtre R.U.R. de Karel Kapek, écrite en tchèque en 1920 et qui a utilisé pour la première fois le mot robot, illustre parfaitement le problème qui finira, tôt ou tard, par se poser vis à vis de ces machines dont l’aspect et les performances se rapprochent de plus en plus de celles de l’être humain. Il est remarquable que cette question soit apparue dès la première utilisation du mot robot, à une époque où ce qu’il désignait n’existait pas encore. Cela prouve à quel point la projection dans l’avenir des machines conduit tout droit à l’interrogation sur le type de relations qu’elles entretiendront avec l’homme le jour où…
Pour David Gunkel, docteur en philosophie, professeur de communication à l’université d’Illinois du Nord, ce problème de science fiction est en train de devenir rapidement un “fait scientifique”. Sa réflexion sur ce sujet fait l’objet d’un livre intitulé The machine question, perspectives critiques sur l’intelligence artificielle, les robots et l’éthique, publié, en anglais pour l’instant, par The MIT Press le 13 juillet 2012. “Beaucoup d’innovations dans la manière de penser au sujet des machines et de leur considération morale ont été apportées par la science fiction et ce livre fait appel à la fiction pour nous montrer comment nous avons à faire face à ce problème”, explique l’auteur. La question de l’éthique se pose dès lors que l’on traite de responsabilité vis à vis d’autrui. Cet autrui est alors supposé être une personne. David Gunkel souligne que cette pierre angulaire de l’éthique moderne a été significativement contestée, en particulier par les militants de la cause des droits des animaux mais également par ceux qui travaillent à la pointe de la technologie.
“Si nous admettons que les animaux méritent une considération morale, nous devons sérieusement nous interroger sur les machines qui constituent la prochaine étape dans le regard porté sur un autre qui soit non-humain”, déclare David Gunkel. Bien entendu, ce questionnement constitue le fondement du film de Steven Spielberg A.I. Artificial Intelligence (2001) dans lequel un enfant robot est vendu à une famille qui veut remplacer un fils défunt. L’attachement de la mère envers cet enfant parfait révèle l’un des aspects les plus troublants des mécanismes de l’affection chez l’être humain. Son objet n’est pas obligatoirement humain. Les liens entretenus avec les animaux mais aussi les objets comme les automobile, par exemple, le montrent.
Que se passera-t-il lorsque les machines disposeront à la fois d’une apparence et d’une intelligence qui se rapprochera, voire dépassera, celles des hommes ? C’est la question que traite David Gunkel dans son livre. Elle devrait faire couler beaucoup d’encre avant que nous trouvions la clef de cette nouvelle relation. L’auteur souligne le cas des interactions en ligne avec des machines et celui, de plus en plus fréquent, des relations entre elles. “Les machines ont pris le contrôle. C’est arrivé”, estime-t-il.
Les problèmes posés par la place de plus en plus importante et stratégique des machines ne se résument pas aux questions psychologiques. Lorsqu’elles deviennent capables d’innover par elles-mêmes et de devenir plus intelligentes, qui est responsable de leurs actions ? Leur fabricant, leur concepteur ? Mais si des machines fabriquent d’autres machines ? “On pourrait considérer l’informaticien qui a écrit le programme initial comme un parent qui n’est plus responsable des décisions et des innovations de machines qu’il a conçues“, déclare David Gunkel.
Certains gouvernements commencent à statuer sur ces questions comme la Corée du Sud qui a créé un code éthique afin d’éviter que les humains n’abusent les robots et vice-versa. Le Japon travaille sur un code de comportement des robots destiné, en particulier, à ceux qui sont employés par des personnes âgées.
Pour David Gunkel, il est nécessaire de susciter le débat sur ces questions dans la communauté des ingénieurs qui fabriquent ces machines et qui ne sont pas préparés aux interrogations éthiques. Le but de son livre est de contribuer à l’émergence de telles discussions. “Il s’agit de relier les points des différentes disciplines et d’amener les scientifiques et les ingénieurs à parler aux philosophes qui peuvent apporter 2500 ans de réflexions éthiques pour les aider à traiter les problèmes posés par les nouvelles technologies”. Difficile de refuser cette main tendue…
Et vous ? Qu’en pensez-vous ? Faudra-t-il, un jour, considérer les robots comme une catégorie particulière de personnes ?
Michel Alberganti
lire le billetCertaines études, plus que d’autres, donnent le sentiment de trouver ce qu’elles cherchent plutôt que d’apporter une nouvelle connaissance objective. Celle d’Anita Kelly, professeur de psychologie à l’université de Notre-Dame (dans l’Indiana, non loin de Chicago) et son collègue Lijuan Wang, porte tous les stigmates induisant une telle suspicion. Avec le risque, bien entendu, du doute infondé. Enfin, tout de même… Jugez plutôt.
L’étude qui a été présentée lors de la 120ème convention annuelle de l’Association américaine de psychologie (APA), s’intitule “la science de l’honnêteté”. “Nous avons trouvé que les participants ont pu réduire volontairement et considérablement leurs mensonges quotidiens et que cela a été associé avec une amélioration significative de leur santé”, explique Anita Kelly. Pour parvenir à ce troublant résultat, elle a fait appel à 110 personnes dont 35% d’adultes et 65% d’étudiants. Les âges de l’échantillon allaient de 18 à 71 ans avec une moyenne de 31 ans.
11 mensonges par semaine
Environ la moitié des participants ont accepté d’arrêter de dire des mensonges, aussi bien majeurs que mineurs, pendant une période de 10 semaines. L’autre groupe, utilisé comme contrôle, n’a reçu aucune instruction particulière au sujet du mensonge. Les membres de chaque groupe se sont rendus au laboratoire d’Anita Kelly chaque semaine pendant l’expérience pour des tests concernant leur santé et la qualité de leurs relations humaines ainsi que l’épreuve du polygraphe pour évaluer le nombre de mensonges, aussi bien majeurs que pieux, proférés au cours de la semaine écoulée. Anita Kelly note que la moyenne des Américains se situerait autour de 11 mensonges par semaine.
Au cours des 10 semaines, le lien entre la réduction du nombre de mensonges et l’amélioration de la santé s’est révélée plus forte chez les participants du groupe des “non-menteurs”. Par exemple, quand ces derniers disaient 3 pieux mensonges hebdomadaires de moins qu’auparavant, ils ressentaient, en moyenne, 4 problèmes psychologiques de moins, comme la tension ou la mélancolie, et 3 problèmes physiques de moins, comme les maux de gorge ou les maux de tête.
En revanche, lorsque les membres du groupe de contrôle disaient 3 pieux mensonges de moins, ils ne ressentaient que 2 problèmes psychologiques de moins et environ 1 problème physique de moins. Mais les résultats se sont révélés identiques en ce qui concerne les mensonges non pieux.
Le sentiment d’être plus honnête
Anita Kelly note que, en comparaison avec les participants du groupe de contrôle, ceux du groupe faisant des efforts pour moins mentir ont effectivement réussi à dire moins de mensonges aux cours des 10 semaines d’expérience. Vers la cinquième semaine, ils ont commencé à se considérer comme plus honnêtes. Lorsque les participants des deux groupes mentaient moins au cours d’une semaine, ils ressentaient une amélioration significative de leurs problèmes psychologiques et physiques.
Le rôle des interactions sociales
L’étude révèle également un impact positif sur les relations et les interactions sociales qui se révèlent facilitées en l’absence de mensonges. Lijuan Wang, statisticien, note que “l’amélioration des relations a un impact significatif sur l’amélioration de la santé liée à la réduction du nombre de mensonges”.
A la question de savoir s’il est difficile d’arrêter de mentir au cours des interactions quotidiennes, les participants ont répondu avoir réalisé qu’ils étaient capables de simplement dire la vérité sur leurs réalisations plutôt que de les exagérer tandis que d’autres ont déclaré avoir arrêté de donner de fausses excuses à leurs retards ou à leurs échecs. Enfin, Anita Kelly note que certains ont appris à ne pas mentir en répondant à une question délicate par une autre question ayant pour but de distraire l’interlocuteur.
Amen…
Il faut noter que l’université de Notre Dame, classée en 12ème position dans le top 100 des universités américaines par Forbes, a été fondée en 1842 par un prêtre de la congrégation de la Sainte Croix et reste une université catholique. L’étude d’Anita Kelly a été financée par la fondation John Templeton qui distribue environ 60 millions de dollars par an en bourses et financements de programmes de recherche. Cette fondation est souvent critiquée pour son soutien de travaux mêlant science et religion et accusée, malgré ses multiples dénégations, de collaborer au développement de l’Intelligent Design.
L’utilisation du Polygraph comme méthode de détection des mensonges concernant les mensonges peut sembler contestable.
Voici un remarquable court-métrage au sujet de l’utilisation de détecteurs de mensonges lors d’un entretien d’embauche :
L’absence d’un détecteur de mensonges n’est pas une garantie en matière d’entretien d’embauche comme nous le démontrent les incontournables Monty Python (cette vidéo n’a pas grand chose à voir avec le sujet de ce billet mais, bon, ce sont les vacances et l’on peut se permettre quelques libertés, surtout quand elles sont particulièrement drôles et délirantes…).
Michel Alberganti
lire le billetSon nom n’a pas été choisi au hasard. Affetto, en italien, signifie quelque chose comme touchant ou affectueusement. En fait, il aurait pu se nommer Gelato, comme transi de froid ou de peur tant ce bébé robot inspire plus de terreur que de tendresse. On pense aux Gremlins de Joe Dante, pour le coté faussement mignon, mais surtout à David, l’enfant de AI Intelligence artificielle de Spielberg (2001) pour le réalisme qui fait vaciller les repères et pointer le spectre de la confusion entre l’humain et le machin (masculin de machine…).
La création du laboratoire Asada d’Osaka, au Japon, a fait l’objet d’une vidéo publiée le 24 juillet 2012 sur YouTube (ci-dessus). Si la première minute relève de l’horreur ordinaire, avec ce corps de métal, avec bavoir en forme de sternum, qui commence à bouger comme un bébé humain, à partir de 57 secondes, on plonge dans l’effroi et la terreur. Dès qu’Affetto revêt son visage humain, il devient soudain… un bébé. On a beau savoir pertinemment qu’il s’agit d’une machine, ses gestes disent le contraire, tant l’humanisation est réussie. Et que dire de son regard ? Il tend pourtant un bras sans main et son visage reste inexpressif. L’on frémit alors en imaginant la version finale, avec main potelée et mimique de bambin… Que ressentirons-nous alors ? En 2011, Affetto n’avait pas encore de tronc mais la mobilité de son visage, posé sur une table, levait le coin du voile sur le résultat final:
Toute la question posée par ce type de travail sur les robots humanoïdes réside dans le malaise qu’ils produisent sur nous. Rien d’anormal à cela, si l’on en croit les chercheurs qui ont travaillé sur la “vallée de l’étrange” (uncanny valley) comme Ayse Pinar Saygin de l’université de Californie à San Diego. Notre cerveau, celui des humains, est programmé pour distinguer très rapidement un homme d’un animal ou d’une machine. Notre perception est si fine que certains scientifiques estiment que nous pouvons même déceler certaines orientations sexuelles au premier coup d’oeil.
En revanche, nos neurones ne savent pas, faute d’expérience, traiter les sujets intermédiaires comme un robot qui bouge comme un être humain ou qui lui ressemble trop. C’est exactement le cas d’Affetto alors même qu’il n’a pas atteint son stade final. L’objectif de Minoru Asada qui dirige le laboratoire depuis 1992 ne semble pas concerner directement la robotique. Pour lui, le robot enfant permet surtout d’explorer de façon différente les relations qui se créent entre un humain et “l’autre”. Mais le choix d’un bébé de 3 kg censé être âgé de 1 à 2 ans n’est certainement pas dû au hasard. La recherche d’un réalisme troublant non plus. Minoru Asada mentionne les neurones miroirs comme l’une des cibles principales pour comprendre les mystères de ce sentiment de différenciation entre soi et les autres. Gageons que le réalisme d’Affetto pourrait ouvrir la voie à d’autres découvertes. Comme, par exemple, le mode d’apprentissage du cerveau pour ajouter de nouvelles catégories au répertoire d’identités qu’il peut reconnaître sans ambiguïté: l’androïde, le gynoïde et aussi, désormais, le pedoïde…
Michel Alberganti
lire le billet
Le nombre d’utilisateurs actifs de Facebook est passé de 1 million fin 2004 à 900 millions en mars 2012. A la même date, dans le classement des sites les plus visités, Facebook se place en deuxième position derrière Google et devant Youtube. Twitter est huitième, Linkedin douzième. C’est dire l’importance prise par les réseaux sociaux sur Internet. D’où vient un tel succès ? Des chercheurs de l’université de Géorgie, à Athens aux Etats-Unis, se sont penchés sur cette question en essayant de comprendre ce que tant d’internautes “aiment” (like) dans ces réseaux sociaux. La réponse est simple: eux-mêmes…
“En dépit de la dénomination “réseaux sociaux”, la plus grande partie de l’activité des utilisateurs de ces sites est centrée sur eux-mêmes”, note Brittany Gentile, une doctorante qui s’est intéressée à l’impact des réseaux sociaux sur l’estime de soi et le narcissisme dans une étude publiée le 5 juin 2012 dans la revue Computers in Human Behavior. Ainsi, les 526 millions de personnes qui se connectent à Facebook tous les jours pourraient bien rechercher davantage à renforcer leur estime d’eux-mêmes qu’à se faire de nouveaux “amis”. Pour Keith Campbell, professeur de psychologie à l’université de Géorgie et co-auteur de l’article, “il semble que l’utilisation, même pendant un court moment, de ces réseaux sociaux aient un effet sur la façon dont les utilisateurs se voient eux-mêmes. Soit en s’éditant, soit en se construisant. Dans les deux cas, les utilisateurs se sentent mieux avec eux-mêmes mais le premier renvoie au narcissisme et le second à l’estime de soi”.
Pour aboutir à ces conclusions, les chercheurs ont réalisé des expériences avec des étudiants utilisateurs de MySpace (classé 62ème site) et de Facebook. Dans les deux cas, les participants ayant le plus niveau de narcissisme le plus élevé étaient ceux qui déclaraient le plus grand nombre d’amis. Un groupe de 151 étudiants âgés de 18 à 22 ans ont rempli le formulaire d’évaluation du narcissisme qui faisait partie de l’étude. “Le narcissisme est un trait de personnalité stable, indique Brittany Gentile. Pourtant, après 15 minutes passées sur l’édition d’une page de MySpace et sur l’écriture de ce qu’elle signifie, l’auto-évaluation du trait narcissique s’est révélé modifiée. Cela suggère que les sites de networking social peuvent avoir une influence significative sur le développement de la personnalité et de l’identité”.
Plus étonnant encore, les chercheurs ont noté des différences d’impact qui semblent liées, au moins en partie, au format et au type des pages éditées sur les deux sites. Ainsi, MySpace augmenterait le narcissisme alors que Facebook renforcerait l’estime de soi. Brittany Gentile souligne ainsi des différences dans le fonctionnement des deux réseaux sociaux. “Sur MySpace, vous n’interagissez pas vraiment avec les autres et les pages du site ressemblent à des pages personnelles. Ces dernières ont permis à une grand nombre de personnes de devenir célèbres. En revanche, Facebook propose des pages standardisées et le message de l’entreprise est que “le partage rendra le monde meilleur””.
D’autres études ont constaté une croissance, au fil des dernières générations, à la fois de l’estime de soi et du narcissisme. Les travaux des chercheurs de l’université de Géorgie suggèrent que la popularité croissante des réseaux sociaux peut jouer un rôle dans ces tendances. Néanmoins, les auteurs soulignent que le phénomène est observé depuis les années 1980, bien avant la création de Facebook en 2004. Keith Campbell estime que les réseaux sociaux sont à la fois un produit d’une société de plus en plus absorbée par elle-même, et la cause d’un renforcement des traits de personnalité correspondants. “Dans l’idéal, l’estime de soi nait lorsque l’on a de fortes relations et que l’on atteint des objectifs raisonnables pour l’âge que l’on a. Dans l’idéal, l’estime de soi ne peut pas être atteinte par un raccourci. C’est la conséquence d’une vie réussie, pas quelque chose que l’on peut poursuivre”, note-t-il sagement.
Moralité : Les réseaux sociaux semblent avoir plus d’influence sur l’égo de leurs utilisateurs que sur leurs aptitudes relationnelles. Ils conduisent, au mieux, à fabriquer une estime de soi artificielle, plus fondée sur l’apparence que sur la réalité. Au pire, ils développent un fort égo-centrisme en contradiction avec la vocation “sociale” de ces réseaux. Notons, toutefois, que l’architecture du site, tout comme le slogan de l’entreprise qui l’a créé, peuvent influencer fortement ses impacts sur la personnalité des utilisateurs. A choisir, mieux vaut quand même une amélioration de l’estime de soi, même artificielle, qu’une plongée dans le narcissisme exacerbé, non ?
Michel Alberganti
lire le billetLes chercheurs de l’Institut Barrow Neurological à l’hôpital Saint Joseph de Phoenix, travaillent sur la façon dont le public, c’est-à-dire nous, perçoit les tours des magiciens. Autrement dit, ils traquent les mécanismes et leurs failles qui, dans notre cerveau, sont exploités par les illusionnistes pour tromper, détourner et manipuler notre attention. Ils s’attaquent ainsi à un domaine peu exploré alors qu’il intéresse directement aussi bien les militaires ou les commerciaux que les sportifs. Toutes professions qui tentent d’exploiter à leur profit les faiblesses de leurs adversaires ou de leurs cibles.
Deux docteurs de l’Institut, Susana Martinez-Conde, du laboratoire de neuroscience visuelle et Stephen Macknik, du laboratoire de neurophysiologie comportementale, ont déjà publié plusieurs articles sur leurs travaux d’analyse de la magie et des illusions. Le dernier en date, paru dans la revue Frontier in human Neuroscience en novembre 2011, relate leurs résultats concernant la perception des gestes du magicien par le public.
L’une de leurs études a été réalisée en collaboration avec le magicien Apollo Robbins, qui se définit lui-même comme “gentleman voleur” et qui s’est fait connaître comme pickpocket des agents des sécurité accompagnant le président Carter. Apollo Robins pense que le public réagit différemment suivant le type de geste qu’il fait. Pour lui, lorsqu’il déplace sa main en ligne droite pendant qu’il réalise un tour, chaque spectateur ne concentre son attention que le point de départ et le point d’arrivée de son geste. Et il ne perçoit pas ce qui se passe entre temps. A l’inverse, lors d’un mouvement courbe, l’assistance suit chaque instant du geste.
Mouvements rectilignes ou courbes
En étudiant les mouvements oculaires de spectateurs, les scientifiques de l’Institut Barrow ont pu confirmer le pressentiment d’Apollo Robins. Mais il sont allés un peu plus loin. Ils ont en effet découvert que les différents gestes déclenchent deux types de mouvements des yeux: l’un, continu, est capable de suivre un geste courbe; l’autre saccadé, passe d’un point d’intérêt à un autre dans le cas d’un geste rectiligne. Pour Susana Martinez-Conde, ce constat, s’il intéresse les magiciens, peut également se révéler précieux pour les stratégies de fuite d’une proie poursuivie par un prédateur dans la nature, les tactiques militaires et le marketing. Cette découverte est considérée comme la première réalisée dans le domaine des neurosciences à partir d’une théorie formulée, à l’origine, par un magicien et non par un scientifique.
Positions moyennes des yeux des spectateurs pendant le faux passage de la pièce de la main gauche à la main droite dans deux cas de figure: mouvement rectiligne ou mouvement courbe.
Les expressions du visage ne jouent pas toujours un rôle
Forts de cette réussite, les deux chercheurs ont fait appel à un autre magicien, Mac King, pour analyser le tour classique de la pièce qui disparaît en passant d’une main à l’autre. En réalité, la pièce reste dans la première main. Mais la simulation du passage à l’autre main est si réussie par le magicien qu’il trompe nos neurones. Ceux-ci réagissent alors exactement comme si la pièce avait effectivement changé de main.
Susana Martinez-Conde et Stephen Macknik ont également soupçonné que les perceptions erronées du public pouvait être induites par les expressions du visage du magicien. Ils ont donc présenté à un public deux vidéos de Mac King. Dans la première, les spectateurs pouvaient voir le visage du magicien pendant son tour. Dans la seconde, le visage de Mac King était masqué. Résultat: pas de différence. Surprise, Susana Martinez-Conde en déduit que “les fausses pistes sociales dans la magie sont plus complexes que nous le pensions et qu’elles ne sont pas nécessaires pour tous les tours”.
Un public averti…
Bien sûr, les découvertes des chercheurs sont encore loin de menacer les secrets des magiciens. On comprend qu’ils collaborent à ce type de recherches… Néanmoins, il semble louable que des scientifiques s’attaquent enfin à l’étude de tels phénomènes qui peuvent nous en apprendre beaucoup sur les lacunes de notre perception de la réalité. Histoire de nous inciter à la prudence. Il ne suffit pas de voir pour croire. Sinon, le risque de prendre des vessies pour des lanternes s’aggrave terriblement. Que les magiciens de la politique, eux aussi, se le disent. La science pourrait bientôt mettre à jour leurs meilleurs tours… En attendant de perdre notre naïveté, profitons du plaisir de la magie proposée par Apollo Robins et Mac King:
Michel Alberganti
lire le billetDepuis qu’il est facile de s’exprimer grâce à Facebook, Twitter, les blogs et autres moyens électroniques, on peut de demander pourquoi tant de personnes éprouvent le besoin d’utiliser ces outils pour parler d’elles-mêmes. D’où vient ce puissant désir de raconter sa vie, de donner son avis sur tout, de s’exposer au regard de tous ? Comment expliquer le recours permanent au “moi, je…” qui scande également l’expression orale ? Plusieurs études scientifiques se sont penchées sur ces interrogations. Le résultat est concluant: parler de soi excite le système mésolimbique, qui, dans le cerveau, libère de la dopamine.
Shoot de dopamine
Grâce à l’imagerie cérébrale, les chercheurs ont pu mettre en évidence que cette activité actionne le processus de récompense primaire, tout comme le sexe ou la nourriture. On peut noter que ce système mésolimbique est souvent associé aux addictions à différentes drogues. Parler de soi engendre donc rien de moins qu’un shoot de dopamine. De quoi expliquer que certains soient accros. Les autres, sans doute, ignorent encore ce plaisir qui a l’avantage social de ne pouvoir s’exercer en solitaire. Pour parler de soi, il faut l’une, voire les deux oreilles d’un “autre”. Les réseaux sociaux démontrent que cet autre peut être à la fois distant et multiple. Si, dans ce cas, il ne répond pas directement, il doit néanmoins manifester son écoute d’une quelconque manière. D’où les “J’aime” de Facebook ou le nombre de Retweet de Twitter. Les dialogues électroniques se révèlent donc être une succession de discours univoques sur soi adressés à tous. Les réponses sont d’autant plus rares qu’il n’y a pas vraiment de questions…
80% des conversations sur les réseaux sociaux
On comprend mieux pourquoi les êtres humains consacrent de 30 à 40% de leurs conversations quotidiennes à transmettre aux autres des informations sur leurs propres expériences ou leurs relations personnelles. Les études ont montré que ce taux monte à 80% dans les billets de médias sociaux comme Twitter. Il ne s’agit alors, pour l’émetteur, que de relater sa dernière expérience en date. Parfois, souvent, on ne peut plus banale: “Je sors de chez moi”, “J’arrive au bureau”. “Il pleut, je suis trempé”…
Dans la dernière étude sur ce phénomène, publiée le 7 mai 2012 dans les Proceedings of the National Academy of Science des Etats-Unis (PNAS), deux chercheurs de l’université d’Harvard, Diana Tamir et Jason Mitchell, ont affiné l’analyse des réactions du cerveau humain dans différentes conditions d’expérience. Ainsi, ils ont découvert une activité supérieure dans le système de récompense chez les participants qui recevaient une petite somme d’argent (2 $). En revanche, les deux groupes (avec ou sans argent à la clé) ont réagi de la même façon lorsque les chercheurs ont comparé l’activité cérébrale des participants exprimant leurs propres opinions ou leurs goûts et lorsqu’ils parlaient des opinions et des goûts des autres. Sans surprise, leur cerveau est nettement plus stimulé dans le premier cas.
Renoncer à de l’argent pour parler de soi
Diana Tamir et Jason Mitchell sont allés encore plus loin. Ils ont mesuré la quantité d’argent à laquelle les participants étaient prêts à renoncer pour avoir le plaisir de révéler des informations sur eux-mêmes. L’étude, semble-t-il, n’est pourtant pas financée par les psychanalystes… Les 37 participants devaient choisir entre trois tâches: parler de leurs opinions et de leurs comportements (“Aimez-vous les sports d’hivers comme le ski?”), juger le comportement d’une autre personne (“Barak Obama aime-t-il faire du ski?”) ou répondre par oui ou par non à un questionnaire factuel (“Léonard de Vinci a peint la Joconde”). A chacun des 195 choix faits par les participants était associée une récompense variable (0.01 $ à 0.04 $), sans qu’il existe de corrélation systématique entre le montant de la récompense et le type de choix. Les chercheurs ont ainsi pu confirmer, une fois de plus, la préférence des participants pour les exercices leur permettant de parler d’eux-mêmes. Lorsque la récompense était équivalente pour les trois types de choix, les participants ont choisi ces tâches dans 66% des cas face aux tâches où ils devaient parler des opinions des autres et dans 69% des cas face aux questions factuelles. Plus probant encore, en moyenne, les participants ont sacrifié 17% de leurs gains en préférant parler d’eux-mêmes face à d’autres choix rapportant plus. “Tout comme des singes prêts à renoncer à leur jus de fruit pour voir le mâle dominant ou des étudiants prêts à donner de l’argent pour voir des personnes séduisantes du sexe opposé, nos participants ont accepté de renoncer à de l’argent pour penser à eux et parler d’eux”, concluent les chercheurs.
Payer pour être lu
Un tel constat pourrait donner des idées à Facebook, entre autres. Si ses utilisateurs sont si accros à la possibilité de parler d’eux, seraient-ils prêts à payer pour cette drogue ? En fait, Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook y pense déjà. Comme vous avez pu le lire sur Slate.fr, le site néo-zélandais Stuff a révélé une première tentative. Un test propose une nouvelle fonction, Highlight, qui, pour 2 $ permet à un billet d’être davantage vu par les “amis”. Même si Facebook s’en défend pour l’instant, la tentation de faire payer le shoot d'”égo-dopamine” risque d’être très forte à l’avenir.
Michel Alberganti
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Au moment où, malgré une aura plus flamboyante que celle de son adversaire, Nicolas Sarkozy a été battu par François Hollande à l’élection présidentielle, des chercheurs espagnols publient dans la revue Consciousness and Cognition une étude qui concerne le sens propre de la notion d’aura. Ce sens est défini par le dictionnaire Larousse par: “Bande de lumière entourant les êtres humains, que pourraient voir les médiums et dont la couleur varierait selon l’état spirituel du sujet”. Ce phénomène est utilisé par les guérisseurs, mais aussi par des charlatans, qui promettent de soigner leur clients par des méthodes non conventionnelles. Jusqu’à présent, la vision de l’aura était associée, au mieux, à des croyances spirituelles sans fondement scientifique.
Synesthésie
Óscar Iborra, Luis Pastor and Emilio Gómez Milán, du département de psychologie expérimentale de l’université de Grenade, apportent une toute nouvelle explication. Selon eux, la vision de l’aura est provoquée par le phénomène neurologique de synesthésie. Ce dernier se traduit par une association anormale entre deux sens dans le cerveau. Ainsi, certaines personnes voient chacune des lettres de l’alphabet dans une couleur particulière. On se souvient du poème Voyelles d’Arthur Rimbaud, qui n’était pourtant pas reconnu comme synesthète. Un grand nombre de compositeurs de musique célèbres (Duke Ellington, György Ligeti, Franz Liszt, Olivier Messian, Michel Petrucciani, Nikolaï Rimski-Korsakov, Jean Sibelius…) percevaient la musique et les sons sous des formes colorées. A l’inverse, le peintre Wassily Kandinsky associait les couleurs à de la musique.
Les chercheurs espagnols précisent que la synesthésie résulte d’un défaut de câblage dans le cerveau créant des liaisons synaptiques supplémentaires, par rapport à celles des cerveaux standards. “Ces connexions établissent des associations entre des zones qui, normalement, ne sont pas interconnectés”, indique Emilio Gómez Milán. Le scientifique estime que l’aptitude des guérisseurs à voir les auras de leurs patients pourraient relever d’une telle synesthésie.
“El Santón de Baza”
Pour parvenir à cette hypothèse, Emilio Gómez Milán et son équipe ont interviewé plusieurs synesthètes dont le guérisseur de Grenade Esteban Sánchez Casas, connu sous le nom de “El Santón de Baza” (le saint de Baza, ville proche de Grenade). Alors que de nombreuses personnes attribuent des pouvoirs supranormaux à ce guérisseur, dont l’aptitude à voir l’aura des autres, les chercheurs ont diagnostiqué chez lui une double synesthésie. D’abord une association entre les visages et les couleurs. La zone du cerveau effectuant la reconnaissance des visages est reliée à celle qui traite les couleurs. Ensuite une synesthésie contact-miroir. Lorsque El Santón est en face d’une personne qui ressent une douleur, il éprouve la même sensation. S’ajoute à cela une faculté d’empathie très élevée qui le rend très sensible à ce que ressentent les autres. Et, enfin, un trouble schizothypique, proche de la schizophrénie et comportant une légère paranoïa et des délires. La combinaison de ces trois dons ou caractéristiques, si elles permettent d’éviter le recours au paranormal, ne peuvent classer El Santón dans la catégorie des gens ordinaires… Pour autant, cela n’explique pas le pouvoir du guérisseur de soigner ses clients.
Ressentir la douleur des autres
“Ces aptitudes apportent aux synesthètes la capacité de donner aux autres la sensation d’être compris. Elles leur procurent également une compétence particulière pour ressentir certaines émotions et des douleurs chez les autres”, affirment les chercheurs. Leurs résultats aboutissent au constat d’un effet essentiellement placebo des guérisseurs sur leurs clients, bien qu’ils aient une réelle aptitude à voir l’aura et à ressentir la douleur des autres. Ainsi, certains guérisseurs sont capables de faire croire à leurs clients qu’ils ont la capacité de les soigner. En réalité, pour ce qui les concerne, il s’agit d’une auto-persuasion. La synesthésie n’ayant rien d’un pouvoir extrasensoriel, elle se traduit par une perception subjective et enjolivée par les couleurs de la réalité.
Effet placebo
Cette étude pourrait donc révéler la relation particulière qui se tisse entre le guérisseur et son client. Le premier voit réellement l’aura du second. Il ressent ses douleurs et il est persuadé qu’il peut les soigner. Le client, lui, est également convaincu que le guérisseur peut le soigner. Résultat: dans certains cas, cela marche. Tout ce passe comme si l’effet placebo était amplifié par les fortes croyances qui habitent aussi bien le guérisseur que le patient. L’aura, et l’aptitude à la voir, contribuerait à renforcer la confiance du guérisseur dans ses pouvoirs. Ce processus démontrerait qu’une illusion partagée peut avoir des effets réels sur la guérison. Et l’aura perdrait alors un peu de son… aura. Elle serait réduite à la fonction de vecteur d’un mirage… Mais un vecteur efficace.
Outre la découverte du lien entre aura et synesthésie, le travail des chercheurs espagnols a le mérite de débusquer un effet placebo là où on ne l’attendait pas. Il explique ainsi la part de succès de certains guérisseurs. Et il renforce le constat de la puissance de l’effet placebo, encore très insuffisamment exploité par la médecine officielle.
Michel Alberganti
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Faute de comprendre les mécanismes à l’oeuvre, la recherche médicale fait de plus en plus appel aux statistiques. C’est le cas pour le cancer ou les allergies. Et aussi pour l’étude des maladies du cerveau et des mystères de l’intelligence grâce à la génétique. Le principe est simple: analyser un grand nombre d’images du cerveau par IRM (Imagerie par résonance magnétique) ainsi que le génome de leur propriétaire pour tenter de déceler des corrélations entre les deux. Comme pour toute statistique, la qualité et la taille de l’échantillon pris en compte influence fortement la pertinence du résultat.
C’est pour cette raison que les chercheurs ont créé un projet mondial, ENIGMA, rassemblant 200 scientifiques appartenant à 100 institutions réparties sur la planète. Ensemble, ils ont étudié des milliers d’images IRM prises sur 21 151 personnes en bonne santé dont ils ont également analysé l’ADN. Leurs résultats ont été publiés, le 15 avril 2012, dans la revue Nature Genetics.
“Nous avons cherché deux choses dans cette étude, indique Paul Thompson, professeur de neurologie à l’école de médecine David Geffen de l’université de Californie Los Angeles (UCLA). Nous sommes partis à la chasse aux gènes qui augmentent vos risques d’avoir une maladie dont vos enfants peuvent hériter. Nous avons également cherché les facteurs qui provoquent une atrophie des tissus et réduisent la taille du cerveau, caractéristiques qui sont des marqueurs biologiques de maladies héréditaires comme la schizophrénie, les troubles bipolaires, la dépression, la maladie d’Alzheimer et la démence”. L’étude ENIGMA est née il y a trois ans lorsque certains chercheurs ont détecté l’existence des gènes de risque pour certaines maladies. Ne comprenant pas bien leur influence, les scientifiques ont décidé de se lancer dans cette analyse mondiale associant images du cerveau et décryptages du génome.
Les deux principaux résultats obtenus sont les suivants:
Le projet ENIGMA va maintenant se poursuivre en prenant en compte ces résultats. Il doit s’orienter sur l’étude d’affections comme la maladie d’Alzheimer, l’autisme et la schizophrénie qui sont liées à des perturbations dans le câblage du cerveau. Les chercheurs vont donc partir en quête des gènes qui influencent la façon dont le cerveau est câblé grâce à une nouvelle technique d’imagerie, l’IRM de diffusion, qui permet de visualiser les voies de communication entre les cellules d’un cerveau vivant.
De telles recherches illustrent parfaitement le croisement toujours inquiétant entre le travail sur des maladies et l’ouverture de possibilités d’analyse qui n’ont rien de médical. Lorsque le décryptage du génome sera devenu pratique courante, comment éviter que l’analyse du gène HMGA2 ne devienne un critère de sélection ? Les tests de QI sembleront alors bien vieillots. Et l’on risque de regretter leur imprécision. De là à imaginer des tests génétiques sur les embryons, il n’y a qu’un pas. Une façon d’accélérer, ou plutôt d’orienter, l’évolution naturelle de la race humaine en éliminant les prétendants à la vie qui auront la lettre T au lieu de C dans leur gène HMGA2… A moins que la conservation des T ne soit utile pour la société, sachant que l’on a toujours besoin d’un moins intelligent que soi. Et l’on ne peut guère s’empêcher de penser aux Alphas et aux Epsilons du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley paru en 1932, il y a tout juste 80 ans. Ne se serait-il trompé que sur les lettres ?
Michel Alberganti
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