Pourquoi le pénis a-t-il cette forme ?

Phallus-impudicusAprès mon billet consacré à la fabrication des spermatozoïdes et à leur odyssée dans l’appareil génital féminin, une lectrice fort curieuse des choses de la nature me demande pourquoi le pénis a cette forme si caractéristique de champignon (voir la photo ci-dessus d’un Phallus impudicus, aussi appelé satyre puant…). Petite délurée, va… Puisque c’est ainsi, comme le chantait avec verve Pierre Perret, “tout tout tout, vous saurez tout sur le zizi. Le vrai, le faux, le laid, le beau, le dur, le mou qui a un grand cou, le gros touffu, le p’tit joufflu, le grand ridé, le mont pelé. Tout tout tout tout, je vous dirai tout sur le zizi.”

Avant de nous attaquer à la forme, répondons déjà à la question sensible de… la taille. N’en déplaise à tous les fabricants d’extenseurs de pénis, l’homme, comparativement à ses frères primates, est de loin le mieux doté et, étant donné les dimensions du vagin, n’a pas besoin d’être plus imposant qu’il n’est.

Size

Dans la figure ci-dessus sont figurées les tailles relatives des attributs sexuels masculins et féminins de cinq espèces de primates : le bonobo, le chimpanzé, l’homme, l’orang-outan et le gorille. C’est bien pratique car nous n’avons pas toujours les spécimens de ces cinq espèces dans une main et un mètre de couturière dans l’autre pour effectuer ce genre de mesures, surtout que je ne suis pas sûr de vouloir m’y risquer avec un gorille. Ce qui nous intéresse en particulier, c’est la première ligne. Les deux petits cercles inférieurs, on le devine, nous permettent de comparer la grosseur des testicules et, dans ce domaine, on s’aperçoit que le champion est le bonobo. En revanche, si l’on regarde les flèches, dont la longueur indique la taille du pénis, on constate non sans fierté qu’Homo sapiens est le roi du braquemart, avec un sexe en moyenne deux fois plus grand et plus gros que celui de son plus proche parent, le chimpanzé. Signalons, même si cela n’a pas grand rapport avec le sujet qui nous préoccupe, que, sur la deuxième ligne, la femme l’emporte devant toutes ses amies guenons par la taille de ses seins (j’imagine que, cette fois, c’est un lecteur et non pas une lectrice qui me réclamera bientôt un article sur le sujet…).

En plus de se distinguer par sa taille, le zizi humain se singularise par sa forme. Si vous n’en avez pas à disposition ou si vous êtes en train de me lire sur un iPad dans le métro et qu’il serait indélicat de vous livrer à un rappel d’anatomie dans les transports en commun, faites un effort de mémoire. Ou jetez de nouveau un œil sur le champignon du début si votre dernière confrontation avec la bébête remonte à trop loin. Chez l’homme, le gland est très marqué au point que le diamètre de la couronne, cette espèce de collerette qui sépare le gland du reste de la verge, est plus grand que celui du pénis lui-même. Chez nos frères singes, en revanche, cette rupture de continuité est nettement moins flagrante. Pourquoi ? Comment des millions d’années d’évolution ont-ils pu aboutir à cette forme particulière ?

Dans un article remarqué publié en 2003 dans Evolution and Human Behavior, le psychologue évolutionniste américain Gordon Gallup a émis une hypothèse audacieuse basée sur l’idée qu’il s’agit d’une stratégie développée par l’homme pour maximiser ses chances de devenir père (et donc de transmettre ses gènes) en refoulant mécaniquement du vagin le sperme qui pourrait y avoir été déposé – éventuellement par un autre mâle car, c’est bien connu, femme est volage – lors d’un précédent rapport sexuel. Les spermatozoïdes ayant en effet la capacité de survivre entre 48 et 72 heures, la compétition entre mecs pourrait aussi se jouer à l’intérieur même du corps féminin. Et Gordon Gallup, qui s’est rendu célèbre en concevant le test du miroir destiné à mesurer la conscience de soi chez les animaux, est allé au bout de son idée en effectuant des expériences grâce à des prothèses sexuelles. Pour ce faire, ses collègues et lui ont injecté dans des vagins artificiels différents mélanges liquides d’eau et de farine, dont la viscosité se rapprochait de celle du sperme. Puis, ils ont introduit des godemichés de formes différentes, deux reproduisant un pénis de manière réaliste, avec des couronnes plus ou moins marquées, et un sans couronne, plutôt genre concombre.

En observant ce coït synthétique, les chercheurs se sont vite aperçus que le pseudo-sperme injecté au début de l’expérience était à 91 % déplacé derrière la couronne, comme ramoné vers l’entrée du vagin. En revanche, en l’absence de collerette, ce chiffre tombait à 35 %. Evidemment, plus le pénis artificiel était enfoncé profondément et plus les mouvements de va-et-vient étaient énergiques, plus la couronne évacuait de “sperme”. Ce phénomène pouvait-il “coller” avec l’hypothèse de départ ? Pour le dire clairement, quand l’homme avait des raisons de penser que sa compagne avait pu avoir des rapports sexuels avec d’autres (soit qu’elle ait reconnu l’avoir trompé, soit qu’il ait été absent pendant quelques jours), mettait-il plus d’ardeur ? Afin de le savoir, Gallup et ses collègues ont réalisé deux sondages anonymes auprès de plus de 200 étudiants, filles et garçons confondus. Les personnes interrogées ont majoritairement convenu qu’après une infidélité de sa compagne ou une absence, le “mâle”, lors de l’acte charnel, augmentait à la fois la profondeur de la pénétration et le rythme de ses coups de reins… CQFD.

L’hypothèse de la compétition spermatique pour expliquer la forme si particulière du pénis humain a donc semblé très convaincante suite à cette étude pour le moins originale. Néanmoins, dans une lettre publiée en 2009 dans les Archives of Sexual Behavior, le gynécologue américain Edwin Bowman a remis en cause cette théorie. Ce praticien est d’accord pour dire que la couronne sert en quelque sorte à faire du ménage sur les parois du vagin. Mais, pour lui, il ne s’agit pas d’éliminer d’éventuels spermatozoïdes concurrents, parce qu’ils sont probablement soit déjà morts, soit déjà plus avancés dans l’intimité féminine. Si nettoyage il y a, c’est celui des sécrétions vaginales acides, souvent mortelles pour les spermatozoïdes. Selon Edwin Bowman, le pénis s’est adapté au vagin afin de préparer le terrain et de donner le plus de chances possibles aux gamètes qui vont s’y aventurer. C’est bien la preuve que, depuis des millions d’années, un vrai dialogue entre les sexes est possible…

Pierre Barthélémy

Post-scriptum : pour finir, je ne résiste pas à l’envie d’insérer le clip du Zizi de Pierre Perret…

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Pourquoi l’homme fabrique-t-il tant de spermatozoïdes ?

Spermatozoide

Ami lecteur (et pas lectrice, désolé…), toi qui suis régulièrement ce blog en installant ton ordinateur portable sur ton giron, repose tout de suite cet engin sur une table, un bureau, un plan de travail, n’importe quoi qui fera écran entre tes bijoux de famille et lui. Car, comme vient de le répéter la directrice de la Division d’endocrinologie reproductrice à la Loyola University (Chicago), “la chaleur générée par les ordinateurs portables peut endommager la production et le développement des spermatozoïdes”. Une cause supplémentaire à la baisse de la spermatogénèse constatée depuis quelques décennies.

On pourrait néanmoins se dire que, au vu des 100 millions de spermatozoïdes qu’un homme “normal” fabrique environ chaque jour dans ses deux usines à gamètes, une perte de quelques millions n’est qu’anecdotique. Pas si sûr. Tout d’abord, si la tendance actuelle se poursuit, certains pays comme le Danemark, riquent d’avoir, d’ici à la fin du siècle, les pendeloques en capilotade et quelques soucis concernant le renouvellement de leur population. Surtout, si la quantité compte tellement, c’est parce que l’adage “beaucoup d’appelés, peu d’élus” est particulièrement vrai concernant les spermatozoïdes, une fois qu’ils ont été lâchés dans le corps féminin.

Pour paraphraser Corneille, on dira qu’ils partirent 250 millions, en espérant qu’un seul arrive à bon port. 250 millions de gamètes sur la ligne de départ, un seul à l’arrivée, ce n’est plus un parcours du combattant, c’est un génocide. A côté de ça, le débarquement des troupes alliées en Normandie décrit avec un réalisme sanglant par Spielberg dans Il faut sauver le soldat Ryan ressemble à une distrayante chasse aux papillons. Comme le montre cet amusant documentaire (ici découpé en trois parties) où les spermatozoïdes ont été grossis 34 000 fois pour être joués par des figurants, les cellules masculines de la reproduction doivent affronter le milieu acide du vagin, le labyrinthe mortel du col de l’utérus, les globules blancs de madame, ne pas se perdre en route ni dépenser trop d’énergie, arriver dans la bonne trompe de Fallope avec le bon timing et, surtout, avoir de la chance.

Une manière ludique de voir à quel point chaque étape est meurtrière, où une proportion considérable de survivants disparaît, consiste à vous adonner à “The Great Sperm Race”. Dans ce jeu en ligne qui s’apparente à une sorte de Pacman gynécologique, tout commence là où les hommes croient que c’est fini, c’est-à-dire après l’éjaculation : vous incarnez un spermatozoïde parmi tant d’autres et devez franchir tous les obstacles jusqu’au Walhalla. Et vous vous apercevez, chiffres à l’appui, que si un ou deux pour cent millions arrive tout près du but (l’ovule), c’est le bout du monde. Alors, oui, avec des pertes aussi monstrueuses, produire beaucoup compte. Raison de plus pour ne pas nous les casser, comme le chantait Brassens.

Pierre Barthélémy

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L’étonnante machine à grimaces

Il y avait la machine à écrire, la machine à laver, la machine à coudre, la machine à pain, la machine à sous et la machine à perdre. Voici désormais venu le temps de la machine à grimaces. C’est une (ré)invention que l’on doit à Daito Manabe, un Japonais à la fois musicien et programmeur, et avant tout artiste de l’électricité. Vous vous souvenez peut-être avoir fait à l’école cette sympathique expérience qui consiste à faire bouger des cuisses de grenouille séparées du cerveau de la bête en reliant les nerfs du batracien à une pile. Une expérience directement inspirée des travaux de Luigi Galvani (1737–1798).

Dans ses notes de travail, Galvani, professeur d’anatomie à Bologne, écrit ceci : “J’ai disséqué et préparé une grenouille [et] j’ai placé celle-ci sur la table sur laquelle se trouvait une machine électrique, à l’écart du conducteur de la machine et à une assez grande distance de celui-ci. Lorsque l’un de mes aides, par hasard, toucha légèrement avec la pointe de son scalpel, les nerfs cruraux internes de cette grenouille, on vit tous les muscles de ses membres se contracter de telle sorte qu’ils paraissaient pris de très violentes contractions tétaniques. Un autre des assistants qui était présent lors de nos expériences sur l’électricité eut l’impression que ces contractions se produisaient au moment où une étincelle jaillissait du conducteur de la machine. […] Je fus alors pris d’un incroyable désir de refaire l’expérience et d’expliquer le mystère de ce phénomène. J’approchai donc la pointe du scalpel de l’un ou l’autre des nerfs cruraux, tandis que l’un des assistants faisait jaillir une étincelle. Le phénomène se reproduisit de la même manière.”

Daito Manabe a repris l’idée en changeant d’animal… L’information nerveuse voyageant aussi chez l’humain via un courant électrique, l’artiste nippon a connecté les muscles faciaux de quatre de ses amis à des électrodes. Les impulsions que celles-ci transmettaient étaient synchronisées et suivaient le rythme d’une musique électronique. Le spectacle des contractions involontaires provoquées par la machine à grimaces est franchement drôle :

L’artiste japonais a décliné son idée sur d’autres modes. Sur cette autre vidéo, on le voit (au centre) grimacer, le visage muni de capteurs. Les signaux électriques recueillis fabriquent une musique électronique tout en étant renvoyés vers le visage de deux “cobayes”, lesquels reproduisent involontairement les grimaces de Daito Manabe.

Pierre Barthélémy

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Le Père Noël est-il malade ?

pere-noel

Je me pose la question à chaque fois que je le vois passer, sur son traîneau volant, dans son grand manteau rouge : quel est l’indice de masse corporelle du Père Noël ? Le brave homme n’a jamais le temps de se laisser peser ni mesurer mais je suppose, à sa silhouette, que son IMC est supérieur à 25, voire 30, ce qui fait de ce barbu aux joues rougies par le froid, un candidat idéal au régime. Malheureusement, le Père Noël est trop occupé pour prendre rendez-vous chez le diététicien et il va falloir réfléchir un peu pour comprendre les causes de son obésité. Car, oui, reconnaissons-le, Santa Claus mange trop, et surtout trop gras (et en plus de cela, il ne fait de l’exercice qu’un seul jour par an).

Penchons-nous un instant sur son alimentation. Ce n’est un secret pour personne, pas même pour les petits enfants, le Père Noël vit quelque part dans le cercle polaire arctique, non loin du pôle Nord. Pour le moment, Wikileaks n’a pas encore divulgué les coordonnées géographiques exactes de sa maison, mais cela ne saurait tarder. Dans cette région du monde, pas grand chose ne pousse et c’est pour cette raison que le Père Noël se nourrit essentiellement de viande et de poisson, car son budget “végétaux” passe quasi intégralement dans le fourrage de ses rennes.

Qu’y a-t-il donc à manger dans la région ? Côté pêche, ses poissons préférés sont l’omble chevalier et la morue polaire. Mais le Père Noël a aussi un faible pour le hakarl, une spécialité culinaire islandaise à base de viande de requin du Groenland. Cela vous a un goût de vieux fromage pourri et une forte odeur d’ammoniaque car il faut dire que le requin sue son urine au lieu de l’excréter par un orifice… Côté chasse, le gibier ne manque pas et le Père Noël se fait souvent aider de ses lutins pour le tuer : des oiseaux comme le goéland bourgmestre, la macreuse à ailes blanches, différentes espèces de guillemots, le fulmar boréal, des animaux à quatre pattes comme le renard arctique ou un petit ours polaire de temps en temps (ne le dites pas au WWF…) et des mammifères marins bien gras, comme l’orque, le béluga, la baleine boréale ou le phoque annelé.

Le problème, c’est que ces animaux, quasiment tous situés au sommet de la pyramide alimentaire, stockent dans leur organisme beaucoup de produits chimiques. Car si l’Arctique est une région apparemment immaculée avec ses grands espaces glacés et un nombre réduit d’habitants humains, une quantité considérable de polluants venus d’Europe de l’Ouest, d’Amérique du Nord et d’Asie s’y retrouve, apportée là par les vents et les courants marins. Absorbés par les végétaux et animaux situés tout en bas de la chaîne alimentaire, ces produits la remontent en se concentrant dans l’organisme des prédateurs. Ce jusqu’au Père Noël qui est LE super-prédateur du coin.

Une équipe de chercheurs canadiens, norvégiens et danois a rassemblé, dans une vaste analyse publiée en 2009 par la revue Science of the Total Environment, un très grand nombre d’études réalisées sur le sujet au cours des dernières années. L’ensemble fait une cinquantaine de pages et, si on peut regretter que ces scientifiques n’aient pas pu mettre la main sur un des lutins du Père Noël pour lui faire subir un check-up complet voire le disséquer, il donne une bonne idée de ce que risquent ceux qui prélèvent leur nourriture sur la faune arctique. Si l’on prend l’exemple de l’ours polaire, qui est un bon analogue de Santa Claus, étant donné que les deux ont à peu près le même régime alimentaire, la même toison blanche et la même corpulence, il y a de quoi se faire du souci pour l’état de santé du Père Noël.

Ursus maritimus est devenu un cas d’école pour ce qui concerne l’accumulation des polluants organiques persistants, connus sous leur acronyme de POP. Non content de devoir se débrouiller avec le réchauffement climatique qui fragilise la banquise et réduit sa période de chasse, l’ours polaire est sûrement un des quadrupèdes les plus contaminés par des produits toxiques sur la planète. Parmi ces produits, on trouve le tristement célèbre PCB, le non moins connu DDT, le PFOS ou le HCH. Les effets de ces molécules sur la santé de l’ours et, partant, sur celle du Père Noël, sont multiples : problème de régulation des vitamines ; perturbation du système endocrinien touchant les hormones thyroïdiennes et les hormones sexuelles ; conséquences sur la fertilité et les organes de la reproduction, le foie, les reins, le système immunitaire et les os.

Chaque année, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) publie sa liste rouge des espèces menacées. Aux dernières nouvelles, l’ours polaire était classé dans la catégorie “Vulnérable” mais le Père Noël n’apparaissait nulle part. Pourtant, il est urgent de se préoccuper de sa santé : tant qu’il n’aura pas formé son successeur, il n’y aura que lui pour remplir nos chaussons dans la nuit du 24 au 25 décembre…

Pierre Barthélémy

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L’amour rend vraiment aveugle

Magritte

Appelons-le Monsieur X. Agé de 66 ans, il se présente un jour dans un hôpital danois, pour soumettre aux médecins un petit problème intime. Depuis deux mois, à chaque fois que cet homme a un orgasme en faisant l’amour, il devient subitement aveugle de l’œil gauche, tout en continuant à y voir de l’autre côté. La cécité disparaît spontanément au bout de quelques minutes. Elle ne survient pas lorsque Monsieur X fait un exercice physique d’un autre genre, même intense.

Ce patient aux symptômes pour le moins singuliers fume un paquet de cigarettes par jour depuis un quart de siècle mais n’a aucun problème de santé, ne consomme pas de substances illicites, n’est pas alcoolique et ne prend aucun médicament. Il n’y a pas non plus d’antécédent de maladie cardio-vasculaire dans sa famille. Les examens ophtalmologiques, neurologiques et cardiaques préliminaires sont tous normaux. Euh, on sait bien que l’amour rend aveugle mais ce n’est pas vraiment une explication satisfaisante à ce phénomène étrange… Y a-t-il un docteur House dans la salle pour le diagnostic ?

En fait, après quelques analyses, les médecins danois vont se forger une petite idée de ce qui cause cette cécité passagère. Monsieur X a du cholestérol et, surtout, des problèmes au niveau de ses carotides internes. A droite, le sang ne passe plus et, à gauche, l’artère est bouchée à 50 %, une sténose mise en évidence par une échographie et confirmée par une angiographie par résonance magnétique. Heureusement pour lui, on peut très bien vivre avec une carotide bouchée, si les autres axes de circulation sanguine (qui alimentent le cerveau, le tympan et l’œil) compensent, ce qui est visiblement le cas de Monsieur X sur son côté droit. Côté gauche, en revanche, la roue de secours artérielle n’est sans doute pas aussi efficace, ce qui explique les incidents dont le patient est victime.

Comme l’ont écrit les médecins de monsieur X dans l’étude de cas qu’ils lui ont consacrée, publiée en 2009 dans le British Journal of Ophtalmology, “la réponse physiologique à l’activité sexuelle inclut une augmentation de l’activité du système nerveux sympathique, du rythme cardiaque et de la pression artérielle”. Si, au rétrécissement des vaisseaux sanguins advenant lors de l’orgasme, on ajoute une carotide gauche déjà à moitié bouchée et un système de “dérivation” moyennement efficace, on obtient l’arrêt de l’irrigation de l’œil et une perte momentanée de la vision. Celle-ci revient aussitôt que la vanne artérielle se rouvre, au moment du relâchement postcoïtal.

Monsieur X est donc reparti chez lui avec une ordonnance pour un vasodilatateur. Au bout de deux semaines, les symptômes ont disparu. A toute chose malheur est bon puisque ces accidents finalement sans conséquence l’ont alerté sur l’état calamiteux de ses carotides.

Pierre Barthélémy

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Les mystères du pénis fantôme

bacchus

Lorsque Luke Skywalker se fait trancher un bras par le sabre-laser de son gentil papa dans L’Empire contre-attaque, le membre perdu est aussitôt remplacé par une prothèse bionique et c’est bien dommage : cela ne laisse pas le temps au héros de George Lucas d’expérimenter le phénomène du membre fantôme. Ainsi nommé en 1871 par l’Américain Silas Weir Mitchell, qui avait soigné plusieurs soldats amputés de la Guerre de Sécession, il consiste, pour la personne à laquelle manque un bras, une main, un pied, une jambe, à percevoir des sensations “venant” du membre absent. Les femmes auxquelles on a retiré un sein peuvent également y être sujettes… tout comme les hommes ayant perdu l’organe de leur virilité.

Cette dernière catégorie suscite de plus en plus d’intérêt dans le milieu médical depuis que sont pratiquées des opérations de changement de sexe. La littérature à ce sujet est cependant assez pauvre et il est fréquent de lire que les premiers cas rapportés datent du milieu du XXe siècle. Ainsi, en 1950, un chirurgien de Boston, A. Price Heusner, publie-t-il un article contenant deux études de cas. La première évoque un vieil homme dont le pénis a été “accidentellement blessé et amputé” et qui ressent de temps en temps des érections fantômes. Le monsieur en question est obligé de regarder sous ses vêtements pour s’assurer que son sexe (turgescent ou non) manque bel et bien à l’appel. La seconde étude de cas contenue dans cet article parle d’un homme d’âge moyen, souffrant d’un cancer dans la région périnéale qui s’est étendu et lui cause d’affreuses souffrances dans l’aine, au point qu’il a choisi de se faire amputer du pénis ! Après l’opération chirurgicale, il continue de ressentir des douleurs dans le sexe qu’il n’a plus…

En réalité, les mystères du pénis fantôme intéressent les médecins depuis des siècles, comme le révèlent Nicholas Wade (université de Dundee, Grande-Bretagne) et Stanley Finger (université Washington de Saint-Louis, Missouri) dans une étude publiée en octobre par le Journal of the History of the Neurosciences. Ces deux chercheurs ont retrouvé plusieurs références dans les écrits de médecins écossais vivant aux XVIIIe et XIXe siècles. Ainsi, John Hunter (1718-1783) , célèbre chirurgien et anatomiste exerçant à Londres, décrit-il ainsi un cas de pénis fantôme : “Un sergent des troupes de marine qui avait perdu le gland et la plus grande partie de son pénis, et à qui l’on demandait s’il ressentait jamais ces sensations qui sont particulières au gland, déclarait que quand il frottait l’extrémité de son moignon, cela lui procurait exactement la sensation qu’il avait en se frictionnant le gland et que cela était suivi d’une émission de semence.” Une masturbation fantôme en quelque sorte…

Un autre praticien écossais, Andrew Marshal (1742-1813), qui s’intéressait au transport des signaux sensoriels, rapporte le cas de W. Scott, “dont le pénis a été emporté par un coup de feu et dont le moignon, qui était au même niveau que la peau du pubis, retrouvait la sensibilité particulière du gland”. Troisième et dernier exemple, celui d’un homme dont le sexe avait été détruit par une maladie, exemple donné par Charles Bell (1774-1842), grand spécialiste du système nerveux, qui jugea plus pudique de le présenter… en latin pour ne pas choquer certains de ses lecteurs : “Quando penis glandem exedat ulcus, et nihil nisi granulatio maneat, ad extremam tamen nervi pudicæ partem ubi terminatur sensus supersunt, et exquisitissima sensus gratificatio.” Ce qui signifie à peu près, pour autant que mes souvenirs de latin me permettent une traduction : “Quand un ulcère dévore le gland et que rien d’autre ne subsiste qu’une granulation, le plaisir sensoriel le plus exquis demeure dans la région terminale du nerf honteux où les sensations s’arrêtent.”

C’est ici que l’on trouve l’intérêt de cette étude. Dans les cas classiques de membres fantômes, le phénomène est souvent douloureux, ou, dans le meilleur des cas, gênant. Les exemples cités par Nicholas Wade et Stanley Finger montrent que, lorsque le membre absent est le membre viril, les sensations fantômes sont plutôt agréables. Contrairement à ce que pouvait imaginer Georges Brassens dans sa chanson Les Patriotes, chez les “amputés de leurs bijoux de famille”, l’absence d’organe ne signifie pas forcément absence de jouissance…

Pierre Barthélémy

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Avoir un bébé fait grossir le cerveau des mères

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Instinct maternel. Derrière cette expression un peu fourre-tout se cachent sans doute nombre de mécanismes biologiques. Au premier rang de ceux-ci pourrait bien figurer l’accroissement du volume du cerveau maternel, comme vient pour la première fois de le montrer une étude américaine publiée dans Behavioral Neuroscience. Pour le faire court, le ventre de la future maman grossit et son cerveau aussi.

En se basant sur de nombreuses études menées sur des animaux (essentiellement des rats), qui avaient mis en évidence la “suractivation” de nombreuses zones du cerveau chez les mères, les auteurs de l’étude se sont demandé si des changements structurels du même ordre se produisaient dans l’encéphale féminin après l’accouchement. Pour le savoir, ils ont tout simplement observé, par IRM, le cerveau de 19 femmes qui venaient de donner la vie. La première fois entre deux et quatre semaines après la naissance de leur bébé, la seconde deux mois et demi plus tard. Les analyses ont montré une augmentation du volume de matière grise dans le cortex préfrontal, les lobes pariétaux et le mésencéphale. Détail amusant : avant l’expérience, les mères avaient toutes répondu à un questionnaire sur la perception qu’elles avaient de leur nouveau-né. Or, les chercheurs ont constaté par la suite que plus leurs sentiments envers leur bébé étaient forts (avec l’emploi d’adjectifs positifs comme “beau”, “parfait”, “idéal” ou “spécial”), plus leur cerveau avait grossi…

La réorganisation du cerveau post-partum, nouvel indice de la plasticité de notre ordinateur central et de la neurogénèse à l’âge adulte, pourrait donc bien expliquer l’instinct maternel. Une amélioration des performances de la mère constitue en effet une chance supplémentaire pour que ses rejetons grandissent et pour la survie de l’espèce. Ainsi, dans un commentaire accompagnant l’étude, Craig Kinsley et Elizabeth Meyer (université de Richmond) rappellent-ils une expérience qu’ils avaient effectuée en 1999 : des rates étaient placées dans des labyrinthes où de la nourriture était cachée. Celles qui avaient eu des petits se souvenaient plus vite de l’emplacement des récompenses que les autres. Une manière de souligner qu’avec des fonctions cognitives améliorées, les mères passaient moins de temps à chercher à manger et donc moins de temps loin de leur vulnérable portée. Une autre étude va dans le même sens, qui a montré, toujours chez l’animal, que les mères voyaient renforcée leur capacité à résister au stress et à l’anxiété.

Deux causes pourraient bien être à l’origine de ces modifications. Tout d’abord le puissant cocktail d’hormones auquel les femmes sont soumises pendant la grossesse, la naissance et la lactation. Ensuite, l’afflux tout aussi puissant de nouvelles informations sensorielles émanant du bébé : images, sons, contacts physiques et surtout odeurs nouvelles qui sont un moyen très fin de reconnaître sa progéniture et déterminent (c’est du moins ce qui est prouvé chez l’animal) la force des relations entre la mère et son petit.

Les auteurs de l’étude, première du genre, proposent d’explorer plus à fond ce nouveau domaine et de réaliser d’autres expériences : ajouter une IRM pendant la grossesse pour voir à quel stade l’évolution du cerveau commence ; comparer les mères avec des femmes du même âge n’ayant pas eu d’enfants ; mieux cerner le sens de la causalité (est-ce l’augmentation de la taille de certaines zones du cerveau qui entraîne le comportement maternel ou le contraire ?) ; accroître l’échantillon en l’ouvrant notamment aux femmes ayant des facteurs “de risques”, qu’ils soient génétiques, psychologiques ou socio-économiques, ce afin de voir si l’absence du fameux “instinct maternel” peut être corrélée à l’absence des modifications cérébrales décrites dans cette étude.

Personnellement, j’irais encore plus loin en étendant cette recherche… aux pères. Que se passe-t-il dans le cerveau paternel ? Pourquoi, chez certains de mes congénères, l’arrivée de bébé se traduit-elle par une incapacité à entendre le petit pleurer la nuit, à changer une couche et à faire chauffer le biberon ? Alors que dans le même temps, le mâle prête une attention décuplée aux bruits qui émanent de sa télévision, acquiert une dextérité sans pareille pour décapsuler les canettes de bière devant les matches de foot et fait cuire comme un dieu des pizzas surgelées à ses potes. Il y a là un mystère sur lequel la science devrait rapidement se pencher…

Pierre Barthélémy

Post-scriptum : encore une vidéo pour le plaisir, celle des Fatals Picards dans Dors mon fils (chanson tirée de l’album Picardia Independanza). Petit extrait des paroles, pour donner envie :

“Ca fait maint’nant trois mois que tu nous fais vivre un calvaire
Mine de rien la grossesse a fait prendre trois tonnes à ta mère
Avant elle écoutait Led Zeppelin c’était une déesse
Maintenant c’est plus qu’une mongolfière qui n’écoute qu’Henri Dès…”

L’instinct maternel fait faire de drôles de choses…

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De quel côté embrassez-vous ?

grant_bergman_kissPour aller à contre-courant d’Internet qui s’enflamme sur le rôle de l’inflation, euh, pardon, le rôle de la fellation (les lapsus, cela n’arrive pas qu’aux autres…) dans l’inflation des cancers buccaux, intéressons-nous à un jeu de bouche plus chaste : le baiser. Le bon vieux patin, ce French kiss que la Terre nous envie. Et là, une grande question scientifique (et pas du tout politique) se pose : vous embrassez à droite ou à gauche ?

Vous n’y avez sans doute jamais pensé, mais chacun a inconsciemment son côté préféré pour le roulage de pelle (cessez d’incliner la tête, je vous vois). Il y a une latéralisation de la galoche, tout comme il y a une latéralisation de la main, du pied et de l’œil : vous écrivez de la dextre ou de la senestre, tout comme Maradona tirait du gauche et Platini du droit, tout comme Robin des bois visait de l’œil droit et Moshe Dayan de l’œil qu’il lui restait. On sait qu’il y a nettement plus de droitiers que de gauchers dans la population générale et que les droitiers sont plus “têtus” que les autres : ils répugnent plus que les gauchers à écrire ou à lancer quelque chose avec leur autre main et ils ont davantage tendance à utiliser leur main dominante dans toutes les tâches qui se présentent à eux.

Tout ceci est-il valable dans le baiser ? C’est la question apparemment loufoque que se sont sérieusement posée deux chercheurs néerlandais spécialisés dans le mouvement humain, John van der Kamp et Rouwen Cañal-Bruland, dans une étude publiée par la revue Laterality. On sait depuis quelques années que les gens (et notamment les femmes) embrassent plus volontiers à droite qu’à gauche, comme le faisaient en leur temps Léonid Brejnev et Erich Honecker, pourtant a priori de gauche.

Brejnev

Techniquement, embrasser à droite signifie que l’on penche la tête sur la droite et que les narines gauches se touchent ou se frôlent, comme dans le célèbre Baiser d’Auguste Rodin :

Baiser RodinA l’inverse, lorsqu’on embrasse à gauche, cela donne quelque chose comme le non moins célèbre (et tout aussi posé) Baiser de l’Hôtel de Ville de Robert Doisneau :

Baiser-De-L-Hotel-De-Ville-DoisneauNos deux chercheurs néerlandais se sont demandé si cette assymétrie dans le patin pouvait être reliée aux autres latéralisations et si, comme c’est le cas pour la main, les embrasseurs à droite étaient plus “persistants” que les embrasseurs à gauche. Pour le savoir, ils ont mis au point une petite expérience amusante, à l’aide d’une tête d’homme en plastique, grandeur nature et hyper-sexy, qui, dans une vie antérieure, avait été utilisée dans une école de coiffure… Ils l’ont installée sur un dispositif pivotant, de manière à la pencher suivant des angles différents. 57 jeunes Néerlandais de 18 à 33 ans se sont prêtés à l’expérience sans en connaître le but. On leur a demandé d’embrasser 35 fois sur la bouche la tête en plastique, qui s’inclinait à droite ou à gauche de manière aléatoire, ou bien restait verticale :

Baiser-tete

Résultat : 41 des 57 participants à l’expérience (soit 72 %) étaient droitiers du bécot. Et ils avaient effectivement plus  tendance que les “gauchers” à ne pas modifier la position de leur tête quand celle du Louis XVI en plastique ne se présentait pas dans la bonne configuration. Est-ce à dire que la latéralisation du baiser est reliée aux autres assymétries du mouvement ? A la grande surprise des chercheurs, il n’a pas été possible de répondre à cette question par l’affirmative. Aucun lien statistique n’a pu être tracé entre la latéralisation de la main, du pied ou de l’œil et celle du baiser. Soit parce qu’il n’existe pas, soit parce que l’échantillon retenu n’était pas assez grand. Pour l’heure, il est donc impossible de conclure à l’existence ou non d’une structure commune des préférences latérales. L’amour n’obéit pas au doigt et à l’œil…

Pierre Barthélémy

Post-scriptum 1 : si l’on penche la tête de côté pour s’embrasser, c’est d’abord parce qu’il existe un truc au milieu du visage, appelé nez, un peu encombrant dans la pratique de cette activité. On peut néanmoins être centriste du baiser (c’est-à-dire ni de droite ni de gauche) en imitant Spiderman, qui ne fait jamais rien comme tout le monde :

Spiderman-kiss

Post-scriptum 2: pour le plaisir (et aussi pour confirmer que les droitiers du baiser sont plus nombreux que les autres…), je ne résiste pas à l’idée de vous proposer la kitchissime vidéo de l’immortelle chanson de Carlos, Big Bisou !

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