Surveillance: record de plaintes à la CNIL

Faudrait savoir… D’un coté, les Français plébiscitent les systèmes de surveillance. Caméras, fichiers, cybersurveillance, tout semble bon pour rassurer la population qui n’a rien à se reprocher. D’un autre coté, les Français se plaignent de plus en plus à la CNIL de cette même surveillance. Surtout des abus, bien sûr. Mais qui a dit qu’il n’y aurait pas d’abus ? Quel système n’a pas de failles ? Quel pouvoir n’est pas exploité au delà des limites établies ? Il faut savoir ce que l’on veut…

5738 plaintes en 2011 (+19%)

Ainsi, le bilan 2011 de la CNIL, publié le 10 juillet 2012, affiche 5738 plaintes enregistrées en 2011, un chiffre en hausse de 19% par rapport à 2010. La Commission a réalisé 385 contrôles (+ 25% par rapport à 2010). On note que les contrôles représentent 6,7% du nombre de plaintes, ce qui ne paraît pas considérable. Ou bien les plaintes sont sans objet et il n’est pas nécessaire de publier leur nombre. Ou bien la CNIL est totalement dépassée par la vague de ces plaintes. Ceci malgré un accroissement notable de son activité puisqu’elle a adopté 1969 décisions (+ 25,5%) en 2011. Cette montée en puissance ne peut être entièrement attribuée au remplacement d’Alex Türk par Isabelle Falque-Pierrotin à la tête de la CNIL, car il n’a été effectué qu’en septembre 2011. On ne peut néanmoins que se féliciter de ce rajeunissement de la présidence de la CNIL. Alex Türk, sénateur du Nord, a préféré sa réélection en septembre 2011 au Sénat à la poursuite de son mandat de président de la CNIL, position qu’il occupait depuis 2004 et dans laquelle il s’est illustré en prenant parti en faveur de toutes les lois augmentant le contrôle des citoyens (Hadopi en 2009, LOOPSI2 en 2011).

Les fuites des ressources humaines

Revenons au bilan 2011 de la CNIL qui donne quelques indications sur l’évolution de la nature des plaintes que la Commission reçoit de plus en plus via Internet. Or, le réseau est également la source de nombreux recours. Ainsi, 1000 plaintes (+42%) sont liées aux manquements en matières de “droit à l’oubli” sur le web (absence de suppression de textes, photographies ou vidéos en ligne). Instructifs aussi, les recours liés à la gestion des ressources humaines dans les entreprises. Ils représentent 12% des plaintes, soit 670 en 2011, dont la moitié concerne directement la surveillance des salariés. Avec une palme à la cybersurveillance considérée comme abusive (plaintes en hausse de 59%) en matière de contrôle de l’utilisation des systèmes informatiques et de la messagerie électronique. Plus étonnante, la sécurité des données des ressources humaines ne semble guère étanche. Les plaintes la concernant augmentent de 27% et mettent en cause la divulgation aux collègues ou sur Internet d’informations sensibles telles que le numéro de sécurité sociale, les revenus ou les coordonnées personnelles des salariés.

Les lacunes de la vidéosurveillance

La CNIL a également fort à faire avec les dispositifs de vidéosurveillance dans les lieux non-ouverts au public mais également, depuis la loi LOOPSI2 qui étend sa compétence, dans les lieux publics. On apprend incidemment que 950 000 dispositifs sont ainsi concernés en France. Soit plus de 5 dispositifs au km2 dans les aires urbaines de la France métropolitaine… La CNIL en a contrôlé 150 en 2011 et déjà 80 en 2012. Elle déduit de ces actions :

“Ces différents contrôles ont révélé des lacunes ou des manquements :

  • une nécessaire clarification du régime juridique ;
  • une information des personnes insuffisante ou inexistante ;
  • une mauvaise orientation des caméras ;
  • des mesures de sécurité insuffisantes.”

Forte de ce constat, la Commission déclare qu’elle “accompagne  les professionnels et les particuliers pour que ces dispositifs soient plus respectueux de la vie privée”. Nul doute qu’elle parviendra à des résultats significatifs grâce au contrôle de moins de 1 système sur 6000 chaque année…

Un symbole, au risque de la caution…

La bonne volonté de la CNIL en  matière de protection des libertés individuelles ne peut donc pas pallier les limites de ses moyens. Plus le nombre de systèmes de surveillance augmente, plus cette faiblesse rend symbolique l’action de la Commission. Certes, mieux vaut que ce symbole existe. Sauf s’il laisse croire qu’il assure  un véritable contrôle de l’application des lois régissant les systèmes de surveillance sur le territoire français. Dans ce cas, il deviendrait ce que certains lui reprochent depuis longtemps: un alibi cautionnant le développement anarchique de la surveillance des citoyens.

Michel Alberganti

Un commentaire pour “Surveillance: record de plaintes à la CNIL”

  1. Ne trouvez-vous pas que les risques sur les libertés individuelles liés aux systèmes de surveillance sont des peccadilles si on les compare à ce que peuvent faire les opérateurs de téléphonie mobile ou les sites comme google, facebook et autres réseaux sociaux, les applications téléchargées sur les smartphones et les tablettes (dont l’utilisateur ne contrôle pas le contenu) avec toutes les informations personnelles qu’ils collectent sur leurs utilisateurs y compris la localisation géographique et toutes sortes de préférences personnelles qu’ils déduisent des arborescences de navigation?
    On imagine sans mal ce qu’un régime totalitaire pourrait faire et d’ailleurs on en a eu des illustrations en Iran, y compris les odieux appels à la délation à partir des images de téléphones portables laissées imprudemment par des manifestants.
    Le problème n’est-il pas plus généralement le rapport complexe entre la liberté d’expression, la démocratie (y compris les expériences de démocratie électronique) et la protection de la liberté individuelle (dont la définition est bien vague) avec l’envahissement dans notre vie quotidienne des technologies de l’information et de la communication?

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