Lémurien, mignon, mais… cannibale

Un lémurien mignon (Microcebus murinus) dans son milieu naturel

Il est mignon au point de porter officiellement ce nom en français. Le Microcebus murinus mérite sans doute ce qualificatif au vu des photos qui le représentent paisiblement perché sur une branche dans son milieu d’origine, la forêt de Kirindy, à l’ouest de Madagascar. Le chercheur Anni Hämäläinen, du département de sociobiologie et d’anthropologie de l’université de Göttingen, en Allemagne, a découvert une autre facette de ce primate dont les yeux globuleux pouvaient peut-être laisser craindre quelques pratiques inquiétantes. Il a publié le 23 mai 2012 un article sur ses travaux dans l’American Journal of Primatology.
C’est en suivant une femelle équipée d’une puce radio que le chercheur a découvert le pot aux roses. Il décrit sa traque à la première personne dans un style rappelant celui du roman noir. Jugez plutôt:

“Dans la soirée du 27 octobre 2010, je suivais cinq individus dont une femelle âgée (ID 374B, née en 2003). Lors d’un observation réalisée à partir de 19h25, l’individu 374B s’était déplacé de 50 mètres par rapport au lieu où elle dormait. Elle se trouvait alors hors de vue dans un fourré de lianes et ne fut aperçue que deux fois pendant son déplacement. L’individu 374B était encore invisible à 20h53 et ne put être localisé qu’à approximativement 30 mètres du lieu de la précédente observation grâce à la réception des signaux radio [provenant de la puce dont il était équipée]. En tentant une nouvelle observation à 21h52, je l’ai découverte à peu près à l’endroit qu’elle occupait une heure auparavant. Mais, cette fois, j’ai pu voir le reflet du collier et me suis approché à 10 mètres de distance. J’ai alors constaté qu’elle était morte et que son corps avait été dévoré par un congénère mâle.

La carcasse était pendue à tête vers le bas, accrochée à une branche située à 1,5 mètre de hauteur. Au moment de la découverte, le corps avait été déchiré et ouvert et les organes vitaux avaient déjà été mangés. La tête avait également été brisée et le cerveau consommé. La mort était récente puisque l’individu avait été repéré en mouvement peu avant et que la raideur cadavérique n’était pas encore apparue. Lorsqu’il a été découvert, le mâle cannibale mordait avec acharnement la moelle épinière saillante et il a continué à se nourrir du corps (colonne vertébrale, cage thoracique et chairs) pendant environ 20 minutes. Après son départ, j’ai recueilli la cadavre et l’ai rapporté au camp où un vétérinaire a pratiqué une autopsie le lendemain matin. Cette autopsie n’a pas apporté d’éléments supplémentaires sur la cause de la mort ou sur l’état de santé de l’animal du fait de l’absence des organes vitaux “.

Cold Case

Anni Hämäläinen note que, si la cause de la mort du lémurien ne peut être déterminée, il est probable qu’il a été victime d’un prédateur, comme le corps accroché à la végétation le laisse penser. Pour autant, le lémurien cannibale n’est guère suspect d’être aussi le meurtrier. En effet, les femelles lémurienes adultes dominent en général les mâles de leur espèce et peuvent les chasser lorsqu’ils s’approchent. Le coupable devrait donc être d’une autre espèce. Mais alors, comment comprendre que le prédateur ait abandonné sa proie ? “La question reste ouverte”, conclue le chercheur qui poursuit ensuite son analyse des possibles prédateurs de la lémurienne mignonne 374B. Encore une affaire classée digne de Cold Case

Le primate le plus proche de l’homme en la matière

Pour Anni Hämäläinen, il s’agit de la première observation d’une pratique cannibale dans cette espèce ainsi que la première communication sur un cannibalisme pratiqué sur un adulte par un primate non humain. En effet, le cannibalisme a été observé chez d’autres primates, comme les chimpanzés, les bonobos, les orang-outans, plusieurs espèces de singes et même chez les gorilles. Mais leur cannibalisme est toujours pratiqué sur des nouveaux-nés ou des jeunes. Jamais sur des adultes. Ainsi, en matière de cannibalisme, le lémurien mignon est le primate le plus proche de l’homme.

Michel Alberganti

 

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