Speedy neutrinos : Epilogue

La 25e Conférence internationale sur la physique des neutrinos et l’astrophysique, qui s’est tenue le 8 juin 2012 à Kyoto, a permis de clore l’une des plus étonnantes “histoires de science” de ces dernières années. Rappel des épisodes précédents… et épilogue :

1 – 23 septembre 2011: Le CERN annonce que les 15000 neutrinos de l’expérience OPERA, qui ont franchi les 730 km qui séparent le laboratoire de Genève et celui du Gran Sasso en Italie, sont arrivés avec 60 nanosecondes d’avance sur le temps qu’aurait mis la lumière pour parcourir la même distance. Les physiciens sont stupéfaits ou sceptiques. La théorie de la relativité d’Einstein vacille et, avec elle, l’un des piliers de la physique actuelle. Nous en débattons dans l’émission Science Publique du 7 octobre 2011.

2 – 18 novembre 2011: Le CERN refait l’expérience et obtient un résultat identique. Les neutrinos dépassent toujours la vitesse de la lumière.

3 – 23 février 2012: Le CERN identifie deux erreurs de manipulation possibles et annonce une nouvelle expérience pour le mois de mai 2012.

4 – 16 mars 2012: Le CERN annonce avoir refait le calcul du temps de vol des neutrinos:  En fait, ils ne dépassent pas la vitesse de la lumière. Tout rentre dans l’ordre…

5 – 8 juin 2012, épilogue: A Kyoto, Sergio Bertolucci, directeur de la recherche au CERN, confirme que la vitesse des neutrinos est compatible avec la limite de la vitesse de la lumière et déclare: « Même si ce résultat n’est pas aussi sensationnel que certains l’auraient souhaité, il correspond à ce que nous attendions tous au fond de nous-mêmes. La nouvelle avait frappé l’imagination, et elle a été pour le public l’occasion de voir en action ce qu’est la méthode scientifique : un résultat inattendu a été soumis à l’examen des scientifiques, a été étudié en détail, et la solution a été trouvée en partie grâce à la collaboration entre des expériences qui sont normalement concurrentes. C’est ainsi que la science avance ! »

Conclusion: Le récit de Sergio Bertolucci fait la part belle au CERN dans cette affaire. C’est tout juste s’il ne se félicite pas d’avoir contribué à montrer au public médusé comme fonctionne la “méthode scientifique”. On peut admirer un art consommé de la récupération d’une situation que d’aucun pourrait qualifier, sans doute avec un regrettable mauvais esprit, d’exemple spectaculaire de bourde expérimentale. L’une des plus improbables de l’histoire de la physique. En effet, voici l’un des laboratoires les plus prestigieux de la planète, le CERN de Genève, qui affirme, en septembre 2011: “Bien que nos mesures aient une incertitude systématiquebasse et une précision statistique élevée et que nous ayons une grande confiance dans nos résultats, nous sommes impatients de les comparer avec ceux d’autres expériences.” Les termes employés semblent, aujourd’hui, cruellement manquer de prudence. D’autant que l’expérience refaite en novembre 2011 donne les mêmes résultats révolutionnaires… Et qu’il faut attendre 3 mois pour que la piste d’une erreur soit enfin évoquée et un mois supplémentaire pour aboutir au résultat final: les neutrinos ne dépassent pas la vitesse de la lumière et les premières mesures sont dues à une erreur d’expérience (problème avec un connecteur à fibres optiques).

Habile rhétorique

De là à transformer cette bourde en un exemple de méthode scientifique en action, il y a un grand pas que Sergio Bertolucci franchit grâce à une interprétation assez contestable de la réalité. On voit mal comment les scientifiques du monde entier aurait pu détecter une mauvaise connexion d’une fibre optique au CERN… En revanche, le résultat révolutionnaire initial a engendré des centaines de publications scientifiques sur les possibles erreurs de calculs et sur les conséquences pour la physique d’une violation de la limite de la vitesse de la lumière… Au final, on admirera surtout la rhétorique de Sergio Bertolucci… Sauf à considérer qu’elle immole un peu trop la vérité des faits sur l’autel de la défense de l’image de marque du CERN. Mais soyons persuadé qu’aucun des chercheurs présents à Kyoto n’a été dupe.

Michel Alberganti

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