Nous rechargerons nos téléphones en marchant… grâce à des virus

Il y a eu les shadoks qui pompaient, pompaient… Demain, il y a aura peut-être les virus qui se tortillent, se tortillent et… rechargent nos téléphones, nos lecteurs MP3, nos ordinateurs portables ou nos caméras vidéo. Telle est la surprenante promesse de chercheurs du laboratoire national Lawrence Berkeley (Berkeley Lab). Ils sont en effet découvert que certains virus, inoffensifs pour l’homme, peuvent produire de l’électricité lorsqu’ils sont soumis à une pression mécanique. Ces virus sont tout simplement piézoélectriques. Cette propriété a été découverte en 1880 par Pierre et Jacques Curie, alors âgés de 21 et 25 ans. Elle existe dans certains cristaux, de quartz en particulier, qui produisent de l’électricité lorsqu’ils sont soumis à une légère pression. D’où les montres à quartz (qui utilisent cet effet à l’envers), mais également les briquets, les moteurs d’autofocus, les microphones de guitare, les télécommandes sans piles… De modestes applications en apparence mais qui ont tout de même généré, selon Wikipédia, un marché de près de 15 milliards de dollars en 2010.

Structure et dimensions (en nanomètres) du virus bactériophage M13

Mais revenons à nos virus. Seung-Wuk Lee, chercheur au Berkeley Lad et professeur associé de bio ingénierie à l’université de Berkeley, et ses collègues ont travaillé sur des virus baptisé M13 et qui ont la propriété de se nourrir exclusivement de bactéries. Par nature, il se réplique à des millions d’exemplaires en quelques heures ce qui peut être un avantage dès lors qu’il évite de le faire à l’intérieur du corps humain. Ce qui est le cas. Par ailleurs, le M13 peut être facilement génétiquement modifié. Sa structure en forme de bâtonnet favorise également son placement en rang bien ordonnés à l’intérieur d’un film, comme des crayons rangés dans une boite. Enfin lorsqu’on leur applique un champ électrique, les protéines hélicoïdales qui couvrent la surface du virus se mettent à se tordre et à se tortiller. Justement la réaction que les chercheurs attendaient car elle révèle la propriété piézoélectrique des virus M13. A l’inverse, soumis à une pression, les virus peuvent produire de l’électricité.

L’hélice des protéines

Afin d’améliorer l’efficacité de ce nouveau générateur, l’équipe de Seung-Wuk Lee a gonflé leur moteur: quatre résidus d’acide aminé (glutamate) chargés négativement fixés à l’extrémité de l’hélice des protéines de surface ont faire l’affaire. C’est toute la beauté, parfois inquiétante, de l’ingénierie génétique que de ressembler à de la mécanique automobile… pratiquée sur des organismes vivants. Ainsi, dopés, les M13 fournissent un voltage plus important. Mais, bon, il en faut un certain nombre pour que leur travail soit exploitable par… nous.

Assez d’électricité pour afficher le chiffre 1

Qu’à cela ne tienne. Les chercheurs ont réalisé des films constitués par une couche unique de virus. Et ils les ont empilées. D’après leurs essais, c’est une épaisseur de 20 couches qui donne les meilleurs résultats. Après ce travail de nano mécanique, il restait à tester cette nouvelle “pile à virus OGM”. Avec un peu d’entrainement, les virus ont appris à s’organiser spontanément à l’intérieur d’un film multicouches d’un centimètre carré de surface. Pris en sandwich entre deux électrodes plaquées or, le film a été connecté par des fils à un écran à cristaux liquides. Lorsqu’une pression est appliquée sur le sandwich, une tension de 400 millivolts et un courant de 6 nanoampères sont délivrés par le dispositif… Soit le quart de la tension fournie par une pile AAA. Suffisant pour afficher le chiffre 1 sur l’écran.

Pas de quoi fermer une centrale nucléaire mais il ne s’agit là que d’une démonstration de principe qui fait l’objet d’une publication dans la revue Nature Nanotechnology du 13 mai 2012. Le nouvel objectif de Seung-Wuk Lee est d’améliorer les performances du dispositif. Mais il se déclare confiant pour l’avenir: “Les outils des biotechnologies permettent de produire à grande échelle des virus génétiquement modifiés, les matériaux piézoélectriques basés sur les virus peuvent ouvrir de nouvelles voies à la microélectronique dans le futur”, déclare-t-il.

Pile à virus OGM

Outre l’originalité de l’utilisation d’organismes vivants pour produire de l’électricité exploitable par l’homme, les promesses de la pile à virus OGM de Berkeley s’inscrivent dans les multiples tentatives récentes visant tirer profit de sources d’énergie aussi gratuites et inépuisables que le soleil et le vent. Avec une différence notable: c’est l’énergie mécanique produite par l’homme lui-même qu’il s’agit de récolter. Imaginez que l’on puisse capter une partie de l’énergie produite par le passage du public dans un hall de gare ou dans les couloirs du métro. Chaque pas, chaque mouvement du corps humain pourrait devenir une source d’électricité grâce… à la piézoélectricité. D’où les projets de tapis récoltant le courant produit par la pression des chaussures (vidéo ci-dessous). Cette récolte d’énergie mécanique représenterait déjà un marché de 605 millions de dollars en 2010 et pourrait atteindre 4,4 milliards de dollars d’ici 2020, selon un article publié en mars dans le journal Applied Physics Letters.

Et pourquoi ne pas incorporer ces dispositifs dans les chaussures elles-mêmes ? Le générateur de Seung-Wuk Lee pourrait s’y loger facilement. Ou s’intégrer dans le tissu d’une veste, ou d’un pantalon. Et nous rechargerions nos téléphones en marchant, en bougeant ! Et en espérant échapper aux nanoturbines dans les narines…

Michel Alberganti

12 commentaires pour “Nous rechargerons nos téléphones en marchant… grâce à des virus”

  1. Oups! Ce qui lest le cas je suppose que vous vouliez écrire ce qui est le cas . 🙂
    Autrement intéressante perspective que ces passages piétons créant de l’énergie.
    A rapprocher aussi d’un interview de Craig Venter sur Wired Sciences qui veut résoudre la crise de l’énergie en créant des fermes d’organisme génétiquement programmés pour créer une source d’énergie à partir de laquelle on pourrait fabriquer du pétrole en utilisant les photons du soleil et en recyclant du Co2 de l’atmosphère.
    Au passage il s’agirait d’une énergie stockable directement à la différence des panneaux solaires qui demandent des batteries pour stocker l’énergie produite.
    http://www.wired.com/wiredscience/2012/05/mf_venter/all/1

  2. @ patricedusud. C’est corrigé! Merci pour votre oeil toujours aussi perçant 🙂
    Oui, beaucoup de travaux portent sur la production de carburant par des OGM. Mais c’est la première fois, à ma connaissance, que des organismes vivants sont utilisés comme producteurs de piézoélectricité. Ce qui fascine c’est que des organismes de taille manométrique soient en mesure de produire assez d’électricité pour qu’elle soit exploitable par d’aussi grosses bêtes que les êtres humains. Et puis, imaginer des virus qui travaillent pour nous, cela donne un peu le vertige. Comme, sans doute, lorsque l’homme est parvenu à domestiquer le cheval…

  3. Il ne s’agit pas, selon Craig Venter, d’OGM mais véritablement d’organisme nouveau programmé :
    je cite :
    So now we had a cell of one species outfitted with the genetic software of another. In a very short time the cell converted into what the genetic software told it to do. There was no trace of the original species. Every protein in the cell came from the DNA we’d inserted. So we completely converted one species into another simply by swapping out its software.
    On est loin par exemple de l’utilisation d’OGM (algue,maïs,…) pour fabriquer des biocarburants.
    Maintenant il reste à prouver la capacité à industrialiser le procédé et le délicat problème de la propriété industrielle d’un organisme nouveau créé par “programmation” de cellule avec synthetic DNA.

  4. @ patricedusud. Vous avez raison. Il s’agit d’un transfert de génome. Et cela pose encore plus de problèmes que les OGM. Nous avons fait plusieurs émissions de Science Publique sur ce sujet et vous pouvez les écouter sur ce site:
    http://www.franceculture.fr/emission-science-publique%E2%94%8209-10-quand-l-homme-pourra-t-il-creer-de-la-vie-2010-07-02

  5. […] blog.slate.fr – Today, 1:31 PM […]

  6. @Michel Alberganti
    Merci pour ce lien sur cette émission passionnante qui éclaire vraiment sur les perspectives ouvertes par l’exploit de Craig Venter et sur le personnage.

  7. […] et grâce à des virus, ce n’est pas de la science-fiction, c’est pour bientôt ! Slate.fr nous en dit plus… Si vous parvenez à prononcer distinctement  » virus […]

  8. Donc si je comprends bien, on crèe de l’électricité en “torturant” des êtres vivant ? Après le virus quelle est la limite ? La vache ? Le lapin ?

  9. @JCB En fait les virus ne sont pas véritablement des êtres vivants. Cela fait débat chez les scientifiques car ils (les virus, pas les scientifiques) ont besoin du génome d’un autre organisme pour vivre. Ainsi, dans ce cas, ils torturent des bactéries… C’est la dure loi de la nature. L’homme sait bien s’y intégrer. Sauf lorsqu’il torture ses semblables.

  10. On va maintenant se soucier de torturer un virus alors que celui ci nous torture déjà …

  11. Heu…
    Les montres à quartz utilisent le fait que le quartz résonne à une fréquence stable quand on les soumets à un courant pour donner l’heure avec précision. Pas pour produire du courant qui chargerait la montre, non ? 🙂

  12. @Marc. En effet, vous avez raison. dans le cas des montres à quartz, la piézoélectricité est utilisée à l’envers: c’est le courant de la pile qui engendre des vibrations dans le quartz. Je corrige ma formulation dans le billet car elle est ambigüe. Merci de l’avoir remarqué.

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