Le travail jusqu’à l’épuisement

Photo: Golden Mask par Marina Abramovic

Une étude publiée dans la revue Human Relations par des chercheurs de l’Université Concordia, de l’Université de Montréal et d’HEC Montréal, souligne que l’attachement à l’entreprise peut conduire à l’épuisement émotionnel. Ce constat ne surprendra guère ceux, de plus en plus nombreux, qui ont expérimenté le harcèlement au travail.  Mais il confirme le phénomène et l’analyse sur un échantillon bien plus jeune que et ces vieux de 55 ans et plus que l’on cherche à pousser vers la sortie. L’enquête des chercheurs a porté sur 260 salariés de différents secteurs d’activité, y compris les technologies de l’information, les services de santé, le génie et l’architecture, âgés en moyenne de 34 ans et dont environ 33 % occupaient un poste de direction et 50 % travaillaient dans le secteur public.

Manque de choix

Le résultat est édifiant. « L’employé qui reste dans une entreprise parce qu’il pense n’avoir aucune autre option risque de souffrir d’épuisement émotionnel et de finir par quitter son travail. Par conséquent, les employeurs devraient peut-être tenter de minimiser chez leurs salariés l’engagement “par manque de choix” et plutôt développer leurs compétences. Ils accroîtraient ainsi leur sentiment de mobilité et, paradoxalement, leur donneraient envie de continuer à exercer leurs fonctions », explique Alexandra Panaccio, coauteure de l’étude et professeure adjointe au Département de management de l’École de gestion John-Molson de Concordia.
Le paradoxe, c’est que ce sont les personnes qui ont la meilleure estime de soi qui sont les plus affectées par le manque de débouchés professionnels. « Il se pourrait qu’en l’absence d’un lien émotionnel avec l’entreprise, l’attachement par obligation soit vécu comme une forme d’endettement – une perte d’autonomie qui finit par être émotionnellement épuisante au fil du temps », ajoute Alexandra Panaccio.

Démotivation

Cette étude corrobore le dernier Baromètre Ipsos Edenred sur le « Bien-être au travail et la motivation des salariés français » qui indique que:

“Si les salariés Français s’affichent comme les recordmen de la démotivation (40%, +2), le constat est plus mitigé : 86% se disent ainsi en parallèle « heureux dans leur travail » et « fiers de leur travail ». La charge affective associée au travail en France demeure très forte.”

L’insatisfaction au travail n’apparaît pas comme une fatalité lorsque l’on considère les résultats de ce baromètre en Allemagne où 74% des salariés se disent satisfaits de leur situation professionnelle (+9%) et où 70% d’entre eux se déclarent confiants dans l’avenir de leur entreprise. 

Ainsi, les Français semblent nombreux à se trouver dans la situation décrite par les chercheurs canadiens: attachés à leur travail mais insatisfaits. Des victimes potentielles de l’épuisement émotionnel.

Michel Alberganti

Alexandra Panaccio, coauteure de l’étude et professeure adjointe au Département de management de l’École de gestion John-Molson de Concordia.

Un commentaire pour “Le travail jusqu’à l’épuisement”

  1. Vous écrivez les employeurs devraient peut-être tenter de minimiser chez leurs salariés l’engagement “par manque de choix”.
    Mais la dureté des temps, le chômage qui touche maintenant même les cadres jeunes et bien formés, la pression permanente des actionnaires, qui ont pris le pouvoir sur l’entreprise, tout concoure, au contraire, à augmenter ce sentiment de “manque de choix”.
    Il semble arranger, dans un premier temps, des employeurs terrorisés par les actionnaires et libérés ainsi de la peur de perdre leurs meilleurs éléments et donc de la nécessité d’avoir une conception des relations humaines motivante et des politiques salariales incitatives.
    Plus loin vous citez Alexandra Panaccio « Il se pourrait qu’en l’absence d’un lien émotionnel avec l’entreprise, l’attachement par obligation soit vécu comme une forme d’endettement – une perte d’autonomie qui finit par être émotionnellement épuisante au fil du temps ».
    Quel piètre motivation que ce sentiment d’endettement alors que nous savons que la seule chance des européens de faire face à la montée en puissance de pays – dont ont continue à dire qu’ils sont émergeant alors qu’ils nous submergent littéralement – c’est la recherche et l’innovation.
    Les entrepreneurs, si il en reste encore quelques uns aux manettes, savent pourtant combien il est antinomique de faire cohabiter épuisement psychique et curiosité, culot, anticonformisme, droit à l’erreur qui sont des clefs essentielles de la créativité et donc de l’innovation.
    “Si les salariés Français s’affichent comme les recordmen de la démotivation (40%, +2), le constat est plus mitigé : 86% se disent ainsi en parallèle « heureux dans leur travail » et « fiers de leur travail » indique le Baromètre Ipsos Edenred que vous citez également.
    Cette constatation est le plus sévère et le plus grave procès que l’on peut faire aux dirigeants français puisqu’elle démontre- ce que l’on soupçonnait avec le taux de suicide dans des entreprises comme Renault ou France Télécom – que les lignes de management, pressées par des objectifs souvent contradictoires et irréalisables, ont complètement perdu de vue que les premiers «actifs» d’une entreprise, les seuls créateurs de valeur, ce sont les collaborateurs et qu’on ne peut pas sans risque pour le devenir même des entreprises les désespérer indéfiniment.
    La bonne nouvelle étant que, malgré ces conditions souvent effroyables, ils n’ont pas perdu leur fierté et leur goût pour leur travail, ce qui laisse supposer que la situation pourrait être réversible pour peu que, ne serait-ce que par intérêts, les dirigeants oublient un peu les actionnaires et reconnaissent mieux leurs salariés, ce qui – in fine – pourrait aussi être dans l’intérêt des actionnaires…

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