La science des footballeurs truqueurs

SOCCER-SPAIN/Quand ils en auront fini avec le ballon rond, certains footballeurs auront une reconversion sportive toute trouvée dans une autre discipline olympique : le plongeon. Il fut un temps où les joueurs mettaient un point d’honneur à rester debout contre vents et marées, contre croche-pattes et coups de tatane. Aujourd’hui, des garçons encore plus musclés que l’Hercule Farnèse s’écroulent au moindre courant d’air, tenant moins bien sur leurs jambes qu’une grand-mère avec deux prothèses de hanche, comme s’ils avaient des savonnettes à la place des crampons. Bien sûr, il y a souvent faute. Mais l’art de la simulation s’est aussi répandu comme une peste sur les pelouses et quand on sait la fameuse importance des coups de pied arrêtés au football ainsi que les sommes que représente une victoire, on comprend mieux que les joueurs soient tentés de feindre ou d’exagérer l’accrochage avec un de leurs adversaires. Voici un florilège vidéo de simulations plus grossières, grotesques et lamentables les unes que les autres.

Ces mauvaises habitudes anti-sportives ont attiré l’attention d’une équipe de chercheurs australiens qui sont d’ordinaire plus intéressés par les décapodes que par les bipèdes. Ils ont ainsi notamment découvert que, chez une espèce d’écrevisse, arborer des pinces impressionnantes chez un mâle assied sa domination sur les autres mâles ainsi que sur les femelles, même s’il n’a pas assez de force pour s’en servir efficacement ! Il y a cependant un grand débat pour savoir si et comment la tromperie dans la communication animale peut se maintenir dans les systèmes naturels comme une stratégie stable. La théorie des jeux prédit que la duperie, pour être viable, doit se produire peu fréquemment (sinon on tombe dans l’histoire de l’enfant qui criait au loup) mais que cette fréquence augmente en fonction des bénéfices que l’on peut en retirer et aussi en fonction de la “naïveté” de celui qui reçoit le signal trompeur. Le problème, c’est que très peu de systèmes animaux permettent d’étudier la question. D’où l’idée de se servir des footballeurs, que ces chercheurs australiens ont présentée il y a quelques jours au congrès annuel de la Society for Integrated and Comparative Biology, qui se tenait à Salt Lake City. “C’est une manière très intelligente de tester les prédictions de la théorie du signal, commente dans Science le biologiste américain Simon Lailvaux. Il est passionnant de trouver un système avec lequel on pourra vraiment quantifier ou catégoriser les signaux trompeurs.”

Si l’on transpose au football, l’émetteur (le joueur qui tombe) envoie un signal (sa chute) au récepteur (l’arbitre). Lequel doit déchiffrer si le signal est honnête (il y a eu faute) ou malhonnête (il y a simulation) et prendre une décision en conséquence. Pour savoir si la théorie fonctionne sur les terrains de football (grosso modo pour savoir si la stratégie est payante et si l’arbitre se fait berner), Gwendolyn Davis, post-doctorante à l’université du Queensland, s’est donc attelée à une tâche ingrate (heureusement pour elle, elle aime le foot et y joue…) : visionner et décortiquer pas moins de 60 matches de première division. Dix français, dix espagnols, dix allemands, dix néerlandais, dix italiens et, bien sûr, dix australiens. A chaque faute sifflée, il lui fallait revisionner l’action en détail pour la classer dans trois catégories : faute avérée, contact et chute exagérée, plongeon sur faute imaginaire.

Comme le prédit la théorie des jeux, le nombre de fautes réelles surpasse de loin les supercheries. Seulement 6% des quelque 2 800 chutes enregistrées étaient complètement bidon. Les chercheurs ont aussi constaté que les joueurs plongeaient de deux à trois fois plus lorsqu’ils étaient proches du but adverse et qu’ils étaient aussi plus récompensés dans cette zone, peut-être parce que l’arbitre était souvent plus éloigné de l’action. Enfin, et c’est aussi un enseignement important, presque aucun truqueur n’a été sanctionné lors de ces matches… Robbie Wilson, qui a conduit l’étude, a suggéré que les institutions du football pourraient s’en servir pour placer des arbitres supplémentaires dans les zones où les truqueurs sévissent le plus.

Pour compléter ce tour d’horizon de la science des footballeurs truqueurs, je suggère au corps arbitral de lire le travail de deux chercheurs britanniques, paru en 2009 dans le Journal of Nonverbal Behavior. Paul Morris et David Lewis y décrivent notamment la posture typique du plongeur, illustrée à merveille par cette photo de Didier Drogba. Il s’agit de la posture de l’arc, nommée ainsi en raison de la courbure presque surnaturelle que le corps adopte et que l’on ne retrouve quasiment jamais en cas de faute réelle: la tête en arrière, la poitrine en avant, les bras complètement levés et pointant vers l’arrière, les jambes décollées du sol et les genoux pliés. Merci, Didier, pour cette fantastique démo. Tu peux te relever.

Pierre Barthélémy

Post-scriptum : j’ai tardivement demandé par courrier électronique d’autres statistiques à Gwendolyn Davis. Si elle a la gentillesse de me les envoyer vite, je complèterai ce billet avec des chiffres supplémentaires.

Photo: Cristiano Ronaldo plonge et se retrouve sur les mains, le 23 janvier 2011 au stade Santiago Bernabeu. REUTERS/Felix Ordonez

22 commentaires pour “La science des footballeurs truqueurs”

  1. Ils ont oublié ce salopard de croate qui a fait expulser Laurent Blanc en demi finale de la coupe du monde 98’… Magnifique simulation qui a berné l’arbitre…

  2. “A chaque faute sifflée, il lui fallait revisionner l’action en détail pour la classer dans trois catégories : faute avérée, contact et chute exagérée, plongeon sur faute imaginaire.”

    C’est un très mauvais postulat d’analyse, car il manque un cas de figure essentiel : contact et chute normale, due à la vitesse, sans qu’il y ait de faute.

    C’est au moins aussi fréquent que les autres cas de figures

  3. @John Duan : je ne sais pas trop. J’ai joué au foot pendant dix ans et mon expérience me dit que quand on veut rester debout, on y arrive. Les chutes involontaires dues à la vitesse, épaule contre épaule, c’est plutôt rare. Mais bon, c’est une remarque intéressante. Je dois dire aussi que je n’ai pas l’étude originale qui est peut-être plus complète : je ne me base que sur un compte-rendu.

  4. Très drôle à voir, mais rien de nouveau ni de surprenant puisque ces comportements sont cautionnés par la FIFA (les mêmes qui ne veulent pas de vidéo dans le foot). Les pros du foot ont même des entraînements spéciaux pour apprendre à tricher de cette facon (voir youtube). Solution : une amende de 50.000 euros par action de ce genre au club et au joueur concerné…en 1 mois la question est règlée…il faut appuyer là où cela fait mal…le reste c’est du bla-bla-ter…

  5. Joli billet 🙂
    Merci pour les infos.

  6. […] Ce billet était mentionné sur Twitter par Proutz, Jeanne Say, Boris Szaflik, Arnaud H., Slate.fr et des autres. Slate.fr a dit: La science des footballeurs truqueurs http://bit.ly/fUr92B par nos amis de @platdupied […]

  7. @Pierre Barthélémy
    J’ai moi aussi de l’expérience (au niveau “du dimanche”), et je ne suis pas du tout d’accord, car je ne parle pas que des duels à l’épaule, mais de la panoplie complète des contacts. (cette étude ne semblant pas réalisé sur les seuls contacts à l’épaule)

    Je vais prendre un exemple. Un tacle dans la surface, proprement réalisé, ça fait presque toujours tomber le joueur, et ça ne fait jamais faute (je parle bien des tacles sur le coté et sur le ballon, sans la 2eme jambe qui cisaille). On a typiquement la situation d’un contact, mais pas de faute.

    Sur les contacts à l’épaule, pour des joueurs de notre vitesse (je vous suppose joueur amateur), soit, mais à la vitesse d’un Kevin ameiro, d’un Eden Hazard, ne croyez-vous pas qu’on puisse tomber sans qu’il y ait faute ?

    Bref, comptez dans un match le nombre de joueurs qui tombent, et mettez-le en corrélation avec le nombre de situations qui concernent une éventualité de faute.

    Je ne suis donc résolument pas d’accord avec (le compte-rendu) de cette étude.

  8. @John Duan : ce que vous dites est juste mais je m’aperçois surtout que nous ne nous sommes pas compris : ces chutes-là, l’étude ne s’y est tout simplement pas intéressée (et mon compte-rendu non plus). Elle n’a travaillé que sur les chutes sifflées, comme je l’ai écrit dans l’article… Ce qui intéresse ces chercheurs, c’est la nature du signal que le joueur renvoie à l’arbitre quand celui-ci réagit. On pourrait éventuellement faire d’autres études pour comprendre ce qui se passe quand l’arbitre oublie de siffler une faute ou quand il estime qu’un contact est régulier, même s’il y a chute après. Mais c’est une autre histoire.
    Donc, finalement, nous sommes d’accord, non ?

  9. @Pierre,

    Nous sommes d’accord, nous sommes d’accord, faut le dire vite 🙂 Ce que je reconnais, c’est que j’avais éludé que les cas étudiés était conditionnés à la réaction de l’arbitre. Ce que je maintiens, c’est que même des actions sifflées peuvent concerner des chutes “normales”, et que le fait que cette étude ne l’envisage même pas constitue pour moi une grossière erreur, disqualifiante

  10. @John Duan : c’est sûr, l’arbitre peut se tromper sans que le joueur ait exagéré mais cela concerne un nombre réduit de cas. Encore une fois, avant de jeter le discrédit sur toute l’étude, il faut pouvoir la lire en entier, ce qui n’est pas le cas puisqu’elle n’est pas publiée et que je n’ai pas reçu les chiffres demandés…

  11. Ce genre de videos me donne des envies de meurtre. C’est symboliquement quasiment pire que le dopage. C’est la tricherie ultime venue de la falsification.
    Je suivais les championnats assidument dans ma jeunesse et les ralentis multiples m’ont degoute. Je ne vais pas blamer la multiplication des cameras car elles ne font que retransmettre la verite. Le Calcio est une mine a ciel ouvert….Finalement la relative indulgence des arbitres anglais en Premier League sur les contacts virils semble etre la moins pire solution?

    L’article evoque les plongeurs mais n’oublions pas la mauvaise foi constante pour tout : le hors-jeu, la sortie de but, le corner, la main involontaire etc. Et ca marronne et ca marronne. C’est quand meme grave que les defenseurs aient le reflexe de lever la main pour signaler un hors-jeu avant meme la passe.

    Merci aux plongeurs, grace a vous je me suis decouvert un grand interet pour les sports US, basket en tete. Les joueurs NBA sont des montagnes, gagnent bcp plus d’argent, subissent bcp plus de pression et et et…regardez simplement le respect pour les arbitres. Ils levent la main pour admettre et signaler leur faute et maugreent tres tres peu. Un pauvre arbitre francais doit recevoir des echantillons de postillons dans la figure dignes du laboratoire Pasteur. Un arbitre americain siffle et les mastodontes stoppent immediatement.
    Encore mieux, au football americain, il jete un mouchoir jaune en l’air et 30 monstres surdopes stoppent tout mouvement !
    Et meme sans evoquer les sports US, notre rugby est tout a fait sain compare au pipo-inzaghiade de la Comedie Francaise.

  12. @ Hyperion

    Avec le respect que je te dois, ce n’est pas uniquement aux joueurs qu’il faut s’en prendre mais à la FIFA. La FIFA ne fait rien. Elle ferme systématiquement les yeux sur ses comportements. Normal il y a beaucoup d’argent à la clé (sponsors, TV…). Les joueurs même si je désaprouve ne font que profiter du système : match gagné gràce à un penalty imaginaire = grosse prime. Ne soyons pas hypocrite le problème et la solution c’est l’argent (amendes conséquentes pour ces tricheries). Certaines personnes à la FIFA se foutent comme de l’an 3000 de la valeur éducative du sport. Ils font des affaires, et laissent les joueurs et entraîneurs faire ce qu’ils veulent. C’est le même principe que les parents qui ne s’occupent pas de leurs enfants…CQFD. Au final, le foot est un sport merveilleux dont de plus en plus de gens se désintéresse à cause de ces pratiques. Certains diront tant mieux pour les autres sport qui par ce biais secouent l’hégémonie télévisuelle du ballon rond.

  13. Il est idiot de dire que les joueurs ne simulent que pour obtenir un supplément de salaire sous forme de prime de match, tout d’abord parce qu’on pense à autre chose que son compte en banque lorsque l’on est dans un match, ensuite parce que ces pratiques sont loin de ne se cantonner qu’au football professionnel (et ce n’est pas qu’une question de mimétisme). Ensuite, pour nuancer ces conclusions, il est de notoriété publique, lorsque l’on a l’habitude des terrains, qu’un arbitre peut très bien ne pas siffler une faute si le joueur reste debout, même si celle-ci entraine une perte de balle, alors que la même faute sera siffler si le joueur va à terre. Ceci explique peut-être que l’on ne fasse pas tout pour rester sur pied après un contact, mais c’est un autre débat…

  14. 10 Italiens! Malheureux! Voilà qui fausse complètement l’échantillon! :o))

  15. La chercheuse n’a pris en compte que les cas de figure où l’arbitre siffle faute, mais quid des situations où l’arbitre ne dit rien (faute ou pas faute) ? Il me semble que ces données doivent être prses en compte aussi.

  16. @Toad : voir le débat que j’ai eu dans les commentaires précédents avec John Duan…

  17. On pense au “salopard de croate” de 98, mais pas au salopard de Malouda qui a plongé en finale de 2006 et qui a donné le pénalty à la France en première mi-temps. Les supporters ont la mémoire qui les arrange.

  18. @Ikke
    Oui oui je suis entierement d’accord avec tes idees de penalites financieres et suspensions. Une commission nationale au dessus de tout soupcon pour ingurgiter des tonnes de replay malheureusement. Mais j’ai deja peur des derives dans l’autre sens et puis il y aura 90% de cas litigieux “il l’a touche?” “il l’a pas touche?”. Ca sera la foire aux Calimeros.
    Cependant je crois qu’en calmant bien profondement les simulations flagrantes il se construira une certaine schizophrenie dans la tete des joueurs au moment de tenter la supercherie. Devant ces dilemmes dans l’instantaneite de rapport risque/gain les joueurs vont peut-etre inconsciemment reapprendre a ne plus simuler et laisser le jeu se derouler.

    une bonne lecture, la liste des amendes en NBA :
    http://www.eskimo.com/~pbender/fines.html#10-11

    on pourrait deja commencer par mettre des amendes a tous les joueurs de foot qui sont atrocement vulgaires envers l’arbitre. ca participerait a leur reapprendre les bonnes manieres.

  19. Ces travaux existent depuis près de 20 ans et ont été réalisés au sein de l’université de la méditérranée, anciennement aix marseille 2, en STAPS, sous la direction du professeur PFISTER… les doctorants de l’époque sont maintenant chercheurs et maîtres de conférences… Et à l’époque, les travaux n’ont pas interessés la fédé pour éventuellement faire évoluer l’arbitrage (je n’etonnerai personne)…Ils sont néanmoins publiés dans des revues de recherche.

  20. Les données de ces travaux répondent aux questions de said, puisque toutes interactions avec les adversaires étaient classifiées.

  21. materazzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzi il est oublier?

  22. […] post by Pierre Barthélémy Tags: […]

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