L’étonnante machine à grimaces

Il y avait la machine à écrire, la machine à laver, la machine à coudre, la machine à pain, la machine à sous et la machine à perdre. Voici désormais venu le temps de la machine à grimaces. C’est une (ré)invention que l’on doit à Daito Manabe, un Japonais à la fois musicien et programmeur, et avant tout artiste de l’électricité. Vous vous souvenez peut-être avoir fait à l’école cette sympathique expérience qui consiste à faire bouger des cuisses de grenouille séparées du cerveau de la bête en reliant les nerfs du batracien à une pile. Une expérience directement inspirée des travaux de Luigi Galvani (1737–1798).

Dans ses notes de travail, Galvani, professeur d’anatomie à Bologne, écrit ceci : “J’ai disséqué et préparé une grenouille [et] j’ai placé celle-ci sur la table sur laquelle se trouvait une machine électrique, à l’écart du conducteur de la machine et à une assez grande distance de celui-ci. Lorsque l’un de mes aides, par hasard, toucha légèrement avec la pointe de son scalpel, les nerfs cruraux internes de cette grenouille, on vit tous les muscles de ses membres se contracter de telle sorte qu’ils paraissaient pris de très violentes contractions tétaniques. Un autre des assistants qui était présent lors de nos expériences sur l’électricité eut l’impression que ces contractions se produisaient au moment où une étincelle jaillissait du conducteur de la machine. […] Je fus alors pris d’un incroyable désir de refaire l’expérience et d’expliquer le mystère de ce phénomène. J’approchai donc la pointe du scalpel de l’un ou l’autre des nerfs cruraux, tandis que l’un des assistants faisait jaillir une étincelle. Le phénomène se reproduisit de la même manière.”

Daito Manabe a repris l’idée en changeant d’animal… L’information nerveuse voyageant aussi chez l’humain via un courant électrique, l’artiste nippon a connecté les muscles faciaux de quatre de ses amis à des électrodes. Les impulsions que celles-ci transmettaient étaient synchronisées et suivaient le rythme d’une musique électronique. Le spectacle des contractions involontaires provoquées par la machine à grimaces est franchement drôle :

L’artiste japonais a décliné son idée sur d’autres modes. Sur cette autre vidéo, on le voit (au centre) grimacer, le visage muni de capteurs. Les signaux électriques recueillis fabriquent une musique électronique tout en étant renvoyés vers le visage de deux “cobayes”, lesquels reproduisent involontairement les grimaces de Daito Manabe.

Pierre Barthélémy

8 commentaires pour “L’étonnante machine à grimaces”

  1. […] Ce billet était mentionné sur Twitter par Adrien. Adrien a dit: RT @Slatefr: Après la machine à laver et la machine à coudre, la machine à grimaces ! http://bit.ly/ijYgUm […]

  2. Encore du neuf avec du vieux, voir bien entendu Duchenne de Boulogne et l’expérimentation française de l’école neurologique au XIX° siècle…

  3. @Thierry S : j’ai bien écrit “(ré)invention”… Ceci dit, je ne suis pas sûr que D. de B. faisait de la musique électronique avec ses grimaces.

  4. Oui ! tout à fait d’accord, mais c’est bien une (re)version moderne de Duchenne, avec comme alternative au stimulus une musique électronique qu’il propose (et non pas une simple décharge à l’étrier). Il cherchait davantage à reproduire de façon “scientifique” les expressions humaines, alors que la machine à grimace est plus nettement ludique. La vidéo est aussi drôle que les photographies ont pu paraître bizarres et modernes, voire surréalistes pour cette utilisation de l’électricité à l’époque… même si je suis persuadé que s’il en avait eu connaissance, il aurait été au moins aussi loin avec d’autres stimuli.
    On trouve d’ailleurs d’autres héritiers artistico-médicaux de ce doux délire
    http://www.artifacial.org/

  5. http://www.artifacial.org/the_varieties

    Voir la vidéo au bas de page (je tombe dessus) : c’est littéralement la même chose en un peu moins musical ! Et daté de 1997, donc, du quasi-plagiat par définition, pis que du neuf avec du vieux (il n’y a plus prescription).

    En fait je vais vous dire une chose qu’en web journaliste vous ne pourrez presque pas contredire : on finit par pouvoir faire dire ce que l’on veut au web. Si on cherche une idée ou un fait de guerre comme argumentaire, on finit quasiment toujours par les trouver, sans même savoir au préalable s’ils existent …
    Un peu comme la relation entre Marco Polo et Kubilai Khan dans “les Villes invisibles” d’Italo Calvino :
    ” A partir de maintenant ce sera moi qui décrirai les villes, avait dit le Khan. Et toi, dans tes voyages, tu vérifieras si elles existent “

  6. @Thierry S. : il est tout à fait exact qu’on invente peu de choses sur le web. Même dans les revues scientifiques, beaucoup d’articles ne sont que de petits pas supplémentaires par rapport à d’autres études, voire la reproduction d’une expérience passée avec une méthodologie différente.

    Je me permettrai juste une remarque : sur Globule et télescope, je me définis comme blogueur et non pas comme journaliste. Très rares sont les billets de ce blog que je pourrais publier tels quels dans un journal. Je n’y consacre pas le même temps… et je ne suis pas du tout rémunéré au même niveau ! Le blog est plus dans l’humeur (l’humour aussi de temps en temps), le choix personnel et, parfois, l’émerveillement naïf et amusé, qui ne garantit pas que ce dont je parle soit nouveau. Pour le dire rapidement, cette vidéo m’a fait sourire et j’ai voulu la partager, mais à aucun moment je n’ai prétendu que cette chose était nouvelle et révolutionnaire.

  7. En parlant d’électricité, de Duchenne, et d”ELECTROCHOC”, mais dans un style loin de Youtube… et bien avant Twitter, il y a çà…

    Performance électro-photographique:

    http://www.studio-public.org/STUDIO-PUBLIC.ORG/HomeChoc.html
    http://www.studio-public.org/STUDIO-PUBLIC.ORG/View-Select.html
    http://vimeo.com/2331411

    Je de la librairie, je remarque dans un “Quand l’art rencontre la science” traite le sujet sous multiples formes …

  8. En parlant d’électricité, de Duchenne, et d”ELECTROCHOC”, mais dans un style loin de Youtube… et bien avant Twitter, il y a çà…

    Performance électro-photographique, de Julie Guiches;

    http://www.studio-public.org/STUDIO-PUBLIC.ORG/HomeChoc.html
    http://www.studio-public.org/STUDIO-PUBLIC.ORG/View-Select.html
    http://vimeo.com/2331411

    Je rentre de la librairie, je remarque que dans “Quand l’art rencontre la science” on traite le sujet sous multiples formes …

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