Le terrorisme, c’est mathématique

Attentat

Explosion d’une voiture piégée devant une église copte à Alexandrie le Jour de l’an : 21 morts. Attentat à la bombe sur un marché d’Abuja au Nigeria, le 31 décembre : 4 morts. Neuf personnes tuées au cours d’une série d’attentats en Irak le 2 janvier. Une autre bombe qui explose à Athènes le 30 décembre, sans blesser ni tuer quiconque. La liste des actes terroristes s’allonge inexorablement chaque jour, sans que les mains qui la dressent ne connaissent ni trève ni repos. La machine infernale, ce n’est pas seulement la bombe que l’on élabore, c’est aussi cette fabrique ininterrompue de la terreur.

Ininterrompue et parfaitement modélisable. Car les attentats, aussi imprévisibles semblent-ils être, répondent à une loi mathématique extrêmement robuste, ainsi que l’a montré depuis 2005 le jeune chercheur américain Aaron Clauset qui, comme il l’explique sur sa page personnelle, tente de “comprendre la structure, la fonction et la dynamique des systèmes complexes, qu’ils soient sociaux, biologiques ou technologiques”. Parmi ces systèmes complexes figure le terrorisme que ce physicien décortique froidement, de l’extérieur, sans aucunement entrer dans les motivations politiques de telle ou telle organisation. Il fait parler les chiffres, voilà tout.

Tout a commencé lorsqu’Aaron Clauset et son comparse Maxwell Young ont mis la main sur une base de données du Memorial Institute for the Prevention of Terrorism compilant les attentats terroristes commis dans le monde depuis 1968. Leur analyse de ces chiffres a pour la première fois montré que le terrorisme se conformait à une loi de puissance. Contrairement à ce que l’on pouvait croire, la répartition des attentats terroristes en fonction de leur gravité ne donne pas une courbe en cloche où la plupart des événements se concentre autour d’un point moyen, avec quelques rares exceptions. Une telle courbe pourrait difficilement intégrer des attentats extraordinaires comme ceux du 11-Septembre (qui ont fait près de 3 000 morts) ou celui du 7 août 1998 contre l’ambassade des Etats-Unis à Nairobi (plus de 200 tués et plus de 4 000 blessés). Avec la loi de puissance mise en évidence par Clauset et Young, ce problème disparaît et le 11-Septembre trouve sans encombre sa place sur la courbe, dans le prolongement des autres attentats. Cette courbe relie naturellement des événements très dissemblables, dont le point commun est que leur fréquence est inversement proportionnelle à leur gravité.

Cette propriété mathématique simple, qui a été identifiée dans de nombreux sujets d’étude aussi différents que l’intensité des séismes, la fréquence des mots dans un corpus ou la taille des villes américaines (mais pas la taille des humains qui suit, elle, une courbe en cloche), ne bouge pas même lorsque l’on classe les attentats suivant leurs modalités : qu’ils soient réalisés avec des explosifs, des armes à feu, des armes blanches, des incendies, des armes chimiques ou biologiques, ils suivent tous peu ou prou la même courbe. De la même manière, cette invariance se retrouve dans la répartition géographique des attentats, à ceci près que la gravité des actes terroristes commis dans les pays de l’OCDE est généralement plus importante que celle commis dans les pays hors-OCDE.

Ces travaux s’inscrivent dans la lignée de ceux de Lewis Richardson (1881-1953) sur les guerres que l’on peut aussi répartir sur une courbe similaire en fonction du nombre de personnes qu’elles ont tuées. Mais, hormis une description fidèle et cohérente de la réalité, on peut se demander quelle utilité a ce genre d’étude ? Comme l’explique Aaron Clauset dans le portrait que Michael Haederle lui a récemment consacré, “je ne peux pas vous dire s’il va y avoir une attaque quelque part mardi prochain, ou qui va la mener, ou pourquoi on va la mener. Je peux vous expliquer les structures générales, ce qui me permet de faire des choses intéressantes comme demander ‘Quel est le risque d’avoir des événements de la taille du 11-Septembre ? A quelle fréquence surviennent-ils ? Y a-t-il des structures dans le passé qui nous permettent de peindre un tableau général de ce qui pourrait survenir dans le futur ?’” On comprend mieux pourquoi plusieurs organismes gouvernementaux américains suivent ces travaux de près.

Les modèles qu’utilisent Aaron Clauset et ses collègues permettent également de simuler la manière dont se constituent, grandissent ou se dissolvent les groupes terroristes. Le résultat de ces simulations est très critique envers les services de renseignements américains, sa stratégie de “décapitation” des groupes terroristes et explique pourquoi elle ne fonctionne pas. “Il y a quelques années, quelqu’un a lancé une blague sur le fait que nous avions tué vingt fois le numéro 3 d’Al-Qaida en Irak, se rappelle Aaron Clauset. A chaque fois, ils le remplaçaient par quelqu’un d’autre. Nous avons besoin de comprendre le phénomène, pas le réseau. Le réseau n’est que la manifestation du phénomène.” C’est un physicien qui parle…

Autre point plus inquiétant dans son discours : le genre de courbe que suit le terrorisme présente aussi la particularité de laisser entendre que le pire est toujours possible, en tout cas beaucoup plus probable que dans une courbe en cloche. Pire que le 11-Septembre, c’est quoi ? “Le danger vient essentiellement du nucléaire, dit sans trop de surprise Aaron Clauset. Il est tout à fait dans le domaine du possible que, au cours des 50 prochaines années, une petite bombe atomique explose quelque part dans le monde lors d’une attaque terroriste.” En juin dernier, l’administration Obama a distribué aux responsables américains des urgences un guide de 130 pages destiné à leur prodiguer tous les conseils utiles en cas d’attentat à la bombe atomique. En fait, c’est déjà la deuxième version de ce guide…

Pierre Barthélémy

 

8 commentaires pour “Le terrorisme, c’est mathématique”

  1. […] Ce billet était mentionné sur Twitter par NicolasGV, Vicnent (.|), Nguyen DIEP et des autres. Nguyen DIEP a dit: RT @Slatefr: Le terrorisme peut faire l'objet de modèles mathématiques http://bit.ly/goxhvA […]

  2. Comme la série “numbers” qui peut au premier abord paraître fictif , la cia et autres services du même genre utilise réellement des mathématiciens spécialisé dans divers domaines pour ce qui est de la sécurité mais est ce vraiment efficace ? Mystère car c’est souvent des évidences plus que de la logique , pas besoin d’être un génie pour comprendre que doter un pays comme l’iran par ex. , tôt ou tard ça va nous retomber sur la tronche .

  3. Autrement dit, un attentat terroriste est un “cygne noir”, au sens de Taleb (http://en.wikipedia.org/wiki/Black_swan_theory).

  4. l’iran n’est pas concernée par la courbe qui ne traite que des attentats commis par des organisations terroristes. Des pays dictatoriaux tel que la Corée du Nord ou l’Iran n’en font pas partie.

  5. Bonjour,

    un article très intéressant qui m’interroge : comment le sujet du terrorisme peut-il pénétrer les champs de recherches de disciplines qui comme la physique n’ont pas un caractère de sciences humaines ?

  6. @DarekDysiast : disons que les physiciens ou les mathématiciens sont aussi des êtres humains…

  7. pff… tout obeit a une loi de puissance asymptotiquement. (non je ne confonds pas avec le TCL)

  8. @darek : vous me faites penser a eternel sunshine on a spotless mind

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