extrait du magazine GARAGISME N°2:
xxxxxJ’ai beaucoup de respect pour tous les métiers du design automobile. L’élégance des proportions est un savoir-faire nécessitant une grande sensibilité.
xxxxxToutefois, les zigs et les zags en plastique chromé, les clins d’oeils lumineux, les bouches goulues, les scarifications de tôle, les tatouages ethno stériles, les postures de gladiateurs… sont contre-productifs quant aux problèmes sociaux, économiques, industriels et écologiques qu’ils sont censés résoudre.
xxxxxTous ces signes sans signification ne sont que les traces laissées par mes amis designers, enrôlés malgré eux dans une compétition fratricide où il faut se faire remarquer à coup de stylisme pyrotechnique sur format écran (quand les décideurs pensent en format Auto-Journal) avec le secret espoir de voir son dessin matérialisé dans la rue et ainsi devenir bankable chez la concurrence, où évidemment l’herbe ne peut être que plus verte. (pour info, c’est en France que la créativité est la plus respectée…)
xxxxxCes aberrations esthétiques sont aussi le reflet de l’idée de vendre toujours plus cher des inutilités à des gens qui n’ont plus d’argent et qui ont pourtant besoin d’une automobile tantôt pour aller travailler, tantôt pour ressentir cette liberté de pouvoir s’extraire des problèmes de la vie quotidienne d’un coup d’accélérateur.
xxxxxMais comment rêver quand les constructeurs s’obstinent à partager avec nous leurs angoisses technico-commerciales existentielles à coups d’innovations technologiques incompréhensibles? Suis-je vraiment plus moderne parce que la pluie actionne elle-même les essuie glaces? Faut-il pouvoir dompter la température différemment au demi degré près entre le passager et le conducteur pour être un mec cool ?
“CE N’EST PAS PARCE QUE LA TECHNOLOGIE PEUT LE FAIRE, QU’IL Y A DE L’INTELLIGENCE DEDANS.”
xxxxxComment ne pas se sentir enfermés, au propre comme au figuré, dans l’univers des marques automobiles encombré de logos omniprésents, submergés par ces vagues de plastique étouffantes singeant la peau d’éléphant? C’est une chose de porter un polo, c’en est une autre d’être dévoré par un crocodile.
xxxxxEn effet, l’extrême différence d’échelle (prix, taille, poids, durée de vie, rôle sociétale, empreinte écologique…) avec les autres biens de consommation est une particularité marquante de l’industrie automobile. Les messages qu’elle envoie dans la société ont donc une portée particulièrement significative qui devrait lui enjoindre une responsabilité réfléchie.
xxxxxDe nos jours, on voit bien que l’on choisit les objets pour ce que l’on peut en faire, ce que l’on peut raconter avec ou à leur propos. Dans le cas de l’automobile, il ne serait pas incongru, par exemple, et à minima, de flatter notre appétence pour la mécanique en révélant comment ça marche, comment c’est fabriquer, comment ça nous protège,… plutôt que de jeter un très couteux voile impudique et bariolé sur tout le travail des ingénieurs et ouvriers de l’Entreprise. En tout cas ce serait plus rentable en frais de développement, en masse de plastique si subtilement ouvragé, en communication, en prix, en stress,… et en modernité.
xxxxxLa possession en tant que telle, n’est plus un argument marketing. En tout cas, c’est tellement sensible chez les utilisateurs, que ce sont les Marques qui s’approprient leurs voitures dorénavant. A nous de nous y plier ou de passer notre chemin…
xxxxxQuelle peut-être la suite dans les idées des publicitaires quand ils nous disent comment se coiffer et s’habiller pour ne pas jurer avec l’incontournable perfection de notre automobile (film 407)? Que notre voiture est tellement suréquipée que nos doudous n’y ont plus leur place (pub presse Passat)? Qu’elle est un robot géant qui part danser tout seul dès qu’on a le dos tourner (film Citroën)? Que les voitures jouets qui rendent tout le monde si sympathique, et bin c’est pas pour nous, fini de jouer (film 407 encore)? Qu’échapper à la pesanteur du quotidien grâce à des voitures si légères quelles s’envolent avec trois ballons, Paf! Retour sur terre, ça non plus nous n’y avons pas le droit (film Mondeo)?
xxxxxA croire que le message général des constructeurs automobiles est: “_ On s’est cassé la nénette pendant 5 ans en réunions interminables, avec un chef odieux, des collègues mieux payés, des grêves dans l’usine brésilienne, des normes techniques toujours plus contraignantes, une concurrence déloyale, un cours du dollars défavorable, des nouilles trop cuites à la cantine… et vous client, vous croyez pouvoir arriver à la cool, avec vos valises et votre chéquier, et partir en vacances avec notre voiture? Vous n’allez pas vous en tirez à si bon compte, allez zou, tous dans la même galère.”
xxxxx Quelles conséquences peuvent être espérées quand on nie toute existence aux utilisateurs? Quand on les enferme (ainsi que les bénéfices!) avec un boulet de 1500kg à la cheville dans un univers carcéral et bas de plafond? Peut-on anticiper un syndrome de Stockholm marketing qui permettrait de rembourser les centaines de millions d’investissement (non seulement en grigris technophiles surdessinés, mais aussi en propagande publicitaire qui peut représenter 20% du prix de la voiture)?
xxxxxEt si le design peut faire vendre, ne peut-il aussi inciter les conducteurs à se comporter en voyous lorsque qu’il transforme les automobiles en prisons dorés? Quand il nous contraint à des attitudes agressives nées de la frustration de nous voir refuser notre identité? Que nous reste-t-il pour nous exprimer si ce n’est le klaxon, les appels de phare, ou l’accélérateur (voir un mignon petit volant cuir avec surpiqures bicolores en guise de QHS pour ceux dont la mauvaise conduite interdit toute remise)?
xxxxxN’avez-vous jamais remarqué comme les conducteurs de décapotables, ou de voitures anciennes ont l’air paisibles et détendus?
Frère designer, ne sous-estime pas le pouvoir du coté obscur de ton crayon.
xxxxxTout ceci ne serait pas bien grave, si toutes ces figures imposées n’étaient réalisées avec autant de sérieux et de préciosité, si elles n’étaient en plus servies avec cet hallucinant discours péremptoire sur une modernité supposée, si elles n’appelaient pas à toujours plus de gloutonnerie en équipements pour combler leur manque de sens, si elles représentaient un avenir pour l’économie Automobile.
L’objet automobile ne se parle plus qu’à lui-même, ne se nourrit que de ses congénères, tourne en rond en se cognant la tête et les jambes. Nous sommes en présence d’un cas grave de maladie de Creutzfeldt Jakob, la Maladie de la Voiture Folle.
xxxxxVoilà, c’est dit.
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