L’Etrange Affaire Angelica de Manoel de Oliveira, à Un certain regard
Quelle belle journée que ce jeudi, véritable premier jour du Festival. Et encore, j’écris cette phrase avant d’avoir vu le film d’ouverture choisi par le nouveau directeur de la Quinzaine des réalisateurs, Frédéric Boyer, et celui qui ouvre la Semaine de la critique. C’est que deux films d’aujourd’hui ont suffi à combler toutes mes espérances. Deux films en apparence antinomiques, et finalement pas tant que ça.
Le premier est signé de Manoel de Oliveira, qui était un cinéaste génial bien avant qu’on s’intéresse à son âge. Aujourd’hui, à 103 ans, il signe cette Etrange Affaire Angelica et c’est un enchantement. Conte fantastique où un photographe est requis de prendre un cliché d’une jeune fille morte, et la voit lui sourire dans son objectif, le film se déploie en jeu sur l’histoire contemporaine, le rapport des images au désir et à la mort, la dimension féérique du cinéma et son caractère documentaire.
Oliveira salué avec effusion par Thierry Frémaux
De scènes oniriques qu’on dirait réinventées des origines du cinéma en rencontres infiniment attentives et vibrantes avec le travail des ouvriers agricoles dans les vignes du Douro, Oliveira croise les fantômes de Chagall et de Glauber Rocha, de Méliès et de Lumière. Il parle de sa propre mort aussi, oui, mais avec une élégance souriante, aussi profonde que légère, illuminée de ce sourire de la jeune morte comme par la source même de la lumière cinématographique.
Un prodige.
Deux prodiges !
Venu d’on ne sait quel diable vert, débarque un film palpitant, débraillé, charnel et désespéré, tout clignotant de fierté sur des riffs de rock à fond l’écran. Ça s’appelle Tournée, c’est Mathieu Amalric qui est à la mise en scène et dans le rôle principal, flanquée de la plus sidérante troupe qui se puisse imaginer. Mimi Le Meaux, Dirty Martini, Kitten on the Keys, Julie Atlas Muz : des véritables stars du New Burlesque, ces femmes aux formes généreuses qui s’inventent des numéros de striptease farfelus. Ce genre de spectacle 100% US, voilà que par une improbable entreprise de sauvetage de ses piteuses affaires, le producteur ruiné joué par Amalric le fait tourner dans quelques ports des côtes françaises.
Sur le tournage de Tournée de Mathieu Amalric, en compétition officielle
C’est Don Quichotte et les déesses du Wallallah sur des riffs de Little Richard, entre les quais de Nantes et un désert imaginaire. C’est un road-movie chaotique et labyrinthique, romanesque et trivial, où, à nouveau, les ressources du documentaire et de la fantasmagorie, de l’enfance et de la terreur ordinaire du monde se font la courte échelle en une vertigineuse pyramide.
Quel point commun entre les deux films ? Une immense confiance dans les puissances du cinéma, un engagement aventureux vers des histoires jamais contées et pourtant saturées de tous les grands récits qui nous fondent. Une énergie aventureuse, une générosité du récit et des formes. Et puis, plus encore, et comme la récompense suprême : une sorte de confiance absolue dans le spectateur, dans sa capacité à jouer avec les images, les références, les rythmes. Contre 100 000 films formatés, qui savent mieux que nous ce que nous devons voir et comment nous y réagirons, des films comme des mains tendues, comme des espaces ouverts à chacun, pour y flâner ou y courir et sauter, pour y dormir, rêver peut-être.
Merci à eux qui font ça.
JMF
Le visage heureux de Mathieu Amalric vaut toutes les publicités…