Au premier étage, côté Geoffroy Marie, il y a une pièce qui sert de cave à notre dame aux yeux bleus. Elle y met tous ses objets venus du passé et qui ne rentrent plus dans son appartement, déjà trop bien remplis.
Il faut s’ouvrir chemin parmi des machines à taper des années 40, des vieux manteaux mités, des valises en bois, des encyclopédies poussiéreuses mais aux lettres en or … Difficile de se défaire d’autant des souvenirs, même si on ne leur trouve plus une utilité. Ils sont des morceaux d’une vie pleine d’histoires. Voilà leur valeur.
Mais cette cave n’est pas habitée que par le passé et ce qui fut. Au fond, derrière la porte qui se dessine dans un coin, il y a une autre pièce, remplie de lumière naturelle et inondée des idées d’aujourd’hui et demain. C’est l’atelier d’un artiste peintre, qui est, en plus, le petit-neveu de notre dame aux yeux bleus.
Il est grand, d’une élégance à l’Anglaise…Il se cache derrière son silence pour que l’on ne vienne pas l’embêter. Pendant l’interview, il laisse ses tableaux répondre pour lui. Tant mieux, ils sont bavards et riches. Intelligents et chaleureux.
Son art fait partie du courrant « lowbrow », un mouvement d’art visuel underground, nommé ainsi en opposition à « highbrow », l’art dit intellectuel. Si « Brow » en anglais veut dire sourcil, « lowbrow »voudrait donc dire « sourcil bas », pendant que « highbrow » voudrait dire « sourcil en haut » ?
L’artiste du première étage sourit quand il explique que « quand on regarde dans les musées l’art intellectuel, les gens ont tendance à lever le sourcil, d’un air intelligent et élitiste ; alors que quand on observe l’art lowbrow dans les galeries ou la rue, les gens ont tendance à froncer les sourcils… d’un air surpris, voire dégoûté ».
Cette tendance, appelée aussi “Pop surréalisme”, est apparue à Los Angeles, Californie, à la fin des années 70. Il s’agit d’une agrégation d’influences très diverses, qui va des bandes dessinées à la musique punk, en passant par les tatouages et la peinture.
Si la plupart des galeries spécialisées se trouvent à Los Angeles (La Luz de Jesus, Copro Gallery) ou New York (Jonathan Levine Gallery ), la France peut quand même compter sur L’art de Rien, Magda Danysz.
Notre artiste se définit comme « un enfant des médias ». À l’intérieur de ses toiles maculées de couleur, il met en scène « des personnages ambigus, caricatures inquiétantes de notre société, évoluant dans un champs de bataille post-apocalyptique, à la fois féerique et bancal ».
Notre peintre vient de finir une toile sur les sept pêchés capitaux, et il travaille dans ce moment même sur une autre, dont le sujet est la solidarité. « À la manière de la littérature d’anticipation, je traite les problématiques actuelles, comme l’écologie, l’hyper consommation, la spiritualité et la violence, en imaginant un monde futuriste, synthèse entre Mad Max et le Pays des Merveilles ».
lire le billetÀ l’époque d’entre les deux guerres, la plupart des gens n’avaient pas de quoi s’acheter un costume pour aller aux réunions importantes. La location de vêtements était donc très à la mode, et Gesdon était L’ENDROIT pour faire des bons affaires à Paris.
Les boutiques Gesdon s’étendaient tout au long du passage du rez-de-chaussée de notre immeuble, en plein cœur du IX arrondissement. Elles appartenaient au couple Geoffroy Marie, jusqu’au ce qu’elles soient rachetées, en 1932, par le père de notre charmante dame aux yeux bleus, actuelle propriétaire de l’immeuble.
Celle-ci, est l’histoire d’un client assidu…
Dans sa garçonnière déserte, le beau Vicomte Joël de Kernanskedec se promène avec mélancolie, en se parlant à lui-même. Le Vicomte frise la quarantaine, mais il porte beau et ne paraît pas plus de trente ans. Il n’a jamais su que faire la guerre pendant quatre ans, et depuis l’Armistice, disperser sa petite fortune dans des placements de fils de famille…
Le monde, le pays, et l’âme du Vicomte sont en pleine crise. Il n’y a plus d’argent, plus des joies mondaines et il ne reste presque rien des rêves d’antan.
– Alors, conclu-t-il, il faut sauter le pas et épouser Madame Veuve Regrattier, dont le premier mari a gagné une trentaine de millions dans les conserves.
Je sais bien parbleu, qu’il vaudrait mieux travailler… Mais à quoi ? je n’ai jamais aimé que l’Art : et c’est une denrée qui ne se vend plus !
Après tout, ma foi, elle est encore très jolie pour son age, Madame Regrattier ! Et aujourd’hui, trente-sept ans, pour une femme, c’est la jeunesse !, et moi, je n’ai que mon beau physique, mes talents d’agréments, et cette garde-robe qui m’a valu la réputation d’être un des gentlemen les mieux habillés de France.
Le Vicomte se rend aux boutiques Gesdon…
– Voyons ! Passons la revue des armes ! Je vais d’ici ou six semaines voir presque chaque jour, Madame Regrattier, dans le monde et sur les grandes routes, je vais avoir l’insigne d’honneur de l’accompagner en Normandie et de passer huit jours dans son Villa de…
Tout ça veut dire autos, grands bars, palaces, terrains de golf (elle y joue presque aussi bien que moi), pardessus de voyage, smoking et habit naturellement, jaquette indispensable, et petit jeu de complets affriolants, depuis le complet croisé jusqu’aux discrets complets de ville… Une petite fortune quoi!
Heureusement que l’on peut être chic et très à la page tout en restant simple ! La Simplicité n’a jamais été plus de mode qu’aujourd’hui. On la recherche partout : dans l’architecture, dans le mobilier, dans les réceptions, dans la cuisine et dans le vêtement. D’ailleurs, la Simplicité c’est le comble de l’Art ; n’est-il pas vrai que la Grande Règle du Bon Ton consiste à ne jamais se faire remarquer ?… Sauf, bien entendu, de Madame Regrattier !
– Aimera-t-elle ce pardessus ajusté qui fait discrètement valoir la noblesse de ma stature ?
– Ce pardessus de voyage qui souligne l’aisance et la souplesse de mes attitudes ?
– Ce complet de sport qui dégage la sveltesse de mes formes athlétiques !
Le Vicomte sourit et tout en passant « sa Revue », se moque gaiement de lui-même. Mais il n’ignore point que, jamais homme mal vêtu et négligé dans sa mise ne sut plaire à une jolie femme.
– Ah ! chère Madame Regrattier, que diriez-vous de ce complet demi gala que je mettrais pour nos visites et à nos cinq à sept,
– Et de ce veston croisé si propice à nos courses et à nos rendez vous d’après-midi,
– Et de ce smoking d’une si charmante intimité, et qui pourtant peut aller dans le monde,
Allons, voilà le tour de ma garde-robe rêvée ! Avec tout ça, je pourrais affronter sans trop de crainte le verdict de Madame Regrattier, et le Tour du Nord serait sans doute surélevé de deux étages.
Seulement, je n’ai pas les moyens pour m’offrir tous mes rêves… Heureusement, je peux tout de même les louer chez Gesdon !
lire le billetUn post des Chroniques du Palier
Il y a un personnage que l’on retrouve partout dans nos blogs-immeubles et dont nous avons dressé le portrait: le doyen. Ou plutôt, la doyenne. Car il faut bien le dire, dans les cinq immeubles où nous avons pu le rencontrer, le doyen est une femme. En moyenne, nos doyennes ont 88 ans et habitent dans leur immeuble depuis 50,4 années. La plus âgée, c’est Mina, 92 ans, dans le Marais . C’est aussi elle qui habite depuis le plus longtemps au même endroit: 61 ans !
Mais au-delà des chiffres, nos doyennes ont des histoires qui attendent d’être racontées. A Wagram, tout le monde prend Madame Roger pour une folle. Dans le neuvième, la doyenne raconte seulement ce qui l’arrange. Chroniques du Palier, c’est aussi ça. Mettre dans un recoin de la Toile, un témoignage qui peut intéresser les habitants et aller au delà des apparences. Pour ne pas regretter trop tard de ne rien connaître d’autre de sa vielle voisine que son discret bonjour.
Alors rendez-vous avec Mina, qui a vu le Marais tant changer, Mme Guélaud, passionnée d’ethnographie en “baisse de régime”, la dame aux yeux bleus du neuvième, la doyenne revêche de Wagram et enfin Yankel, artiste victime de la maladie de l’accumulation. C’est finalement le seul homme. Malade, la doyenne de Loft Stories n’a pas pu nous recevoir.
Nos doyens ont souvent le même problème: c’est de plus en plus fatigant de sortir de chez eux. Et Paris, avec ses immeubles aux escaliers étroits, n’arrange rien. Alors on reste chez soi la plus grande partie de la journée. Et on compte sur la solidarité des amis ou de la famille, plus que sur celle des voisins. En 2006, Paris comptait 659 centenaires. Mais Paris n’est pas une ville de vieux : la part des plus de 65 ans parmi ses habitants est inférieure de deux points à la moyenne nationale.
JB C., animateur de la communauté Chroniques du Palier.
Immédiatement après ce post, ce blog reprend son activité normale.
lire le billetLa porte rouge s’ouvre. Et derrière elle, une paire d’yeux bleus souriants, couronnés d’une chevelure blanche et spongieuse, se penchent pour voir qui est là. Peu importe, en réalité. Tout passant est une bonne proie… Enfin, une bonne occasion, pour discuter pendant des heures… et des heures…
Discuter avec cette dame, propriétaire de l’immeuble où elle habite, est tout à la fois un délice et un défi. Elle a 88 ans d’histoires à raconter, mais elle ne vous dira jamais ce que vous cherchez à savoir. Que ce qu’elle a envie de vous raconter… Et rien d’autre. «Je n’ai pas toujours été comme ça», dit-elle avec sa voix aiguë et touchante. «Avant, j’étais extrêmement timide, je ne parlais à personne… Mais depuis que j’ai dû gérer l’immeuble, j’ai commencé à avoir confiance en moi».
Les paliers de cet immeuble du quartier du Faubourg Montmartre dans le IXeme arrondissement ont vu défiler toute sorte des personnalités. Il y a eu le metteur en scène de la pièce «Communion Solennelle» et l’actrice Hélène Frott, sans oublier un célèbre journaliste du magazine «Salut le copains» dont nous tairons le nom. «Il y a aussi eu un écrivain metteur en scène, mais je ne sais plus qui c’était… Seulement sa femme. Ah la la, qu’est-ce qu’elle était ravissante!», raconte la mamie avec un enthousiasme d’enfant. «La bouchère de la rue Cadet et moi, on la faisait parler juste pour avoir le temps de bien la regarder, tellement elle était belle».
– Ah oui? Pourquoi? Elle était comment?
– Bah, ravissante, je te dis.
– Oui mais, brune? blonde?
– Ah ça, je n’en sais rien! Mais elle était vraiment ravissante.
Un silence, éphémère, s’installe, puis elle reprend. Notre dame aux yeux bleus est arrivée dans cet appartement en 1956, et depuis, tout s’est accumulé dans un chaos organisé: des foulards multicolores ici et là, des petits peluches qui regardent la scène depuis les coins les plus improbables, des photos de famille, de superbes vases japonais, des livres par centaines… Le tout, submergé par un océan des coupures de presse qui envahissent, tel un lierre, toutes les superficies disponibles.
Elle relance la conversation. «Papa a acheté cet immeuble en 1948, mais déjà en 1939, il possédait le fond de commerce du rez-de-chaussée». La boutique s’appelait Gesdon et sa spécialité était la vente et location des vêtements de cérémonie. «Il y a eu une robe qui est allée plusieurs fois à l’Elysée… posée sur différents corps», sourit-elle. “Vous voulez voir des photos?”
– Bien sûr… mais… on fait ça la prochaine fois?
– Pourquoi? Vous partez déjà? Je ne vous ai pas encore raconté l’histoire de la rue Geoffroy Marie… Et il faut que vous sachiez qu’avant, cet immeuble faisait partie du passage Verdeau…un vrai labyrinthe! Vous savez, jadis, c’était une rivière souterraine qui venait depuis l’Opéra, traversait la rue de la Grange Batelière jusqu’à la rue Saulnier….
Ca y est… du suspense. Elle est très convaincante quand elle laisse supposer que les histoires qui l’habitent elle et son immeuble en valent la peine. Elle nous reconduit jusqu’à sa porte rouge, d’un pas si hésitant qu’on devine qu’elle a du mal à nous laisser partir…
Nous, en tout cas, nous n’aurons aucun mal à revenir!
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