La religion sert souvent des scénarios où se mêlent complots, ésotérisme et fantastique.
Dieu existe. C’est un templier un peu cathare, mais un peu juif aussi, qui aime Jésus, mais parfois le tue, a couché avec Marie-Madeleine, mais parfois non, et a un fabuleux trésor qui se trouve au choix, dans une abbaye française, à Jérusalem, à Damas, au fond des mers voire à Paris. En tout cas, c’est ce que m’ont appris les bandes dessinées. A ne jamais croire l’exégèse officielle, à tout remette en question.
Très en vogue au début de la décennie passée, le genre ésotérico-religieux connaît un regain particulier en ce moment avec deux titres qui bénéficient d’une grosse promotion de la part de leurs éditeurs. Paraissent ces jours ci Trois Christs, aux éditions Soleil, scénarisé par Valérie Mangin et dessiné par Bajram (l’auteur d’Universal War One) et Julius chez Glénat, un préquel à la série à succès du Troisième Testament. Si cette rentrée se place donc sous le signe du 3 (chiffre ésotérique s’il en est), bien plus nombreux sont les albums où l’on croise templiers et francs-maçons à chaque coin de rue. Pourquoi un tel foisonnement éditorial?
Les réponses sont évidentes: le public en est friand, ça se vend bien. Surtout, le sujet est tellement large que les potentiels narratifs qui en ressortent sont inépuisables. De la grande histoire, la vie de Jésus le plus souvent, ou bien les templiers, à la plus petite, une relique dans une abbaye paumée. Trois Christs interroge justement cette idée de la multiplication d’une histoire sur un même thème. Le scénario est simple : la rencontre entre le Saint-Suaire, le linceul qui aurait recouvert le Christ, et un sculpteur médiéval. Sauf qu’au lieu de n’en faire qu’une histoire, la BD propose trois versions de cette même idée de départ, en réutilisant au maximum les mêmes dialogues et les mêmes cases. Et à partir de ce même matériel scénaristique prouver que 1. Dieu existe, 2. Dieu n’existe pas et 3. Dieu est radioactif.
“On a eu l’idée à l’époque du succès du Da Vinci Code, explique Bajram. On s’est rendus compte que beaucoup de gens ont adhéré au premier degré au discours du livre et l’ont pris pour argent comptant. En étant persuadés que le Da Vinci Code, quand il dit que la religion catholique est basée sur un mensonge et en brodant une histoire autour de cette idée, dit la vérité. En fin de compte ils retombent exactement dans le même panneau”. Un phénomène qu’on retrouve aussi, à en croire le dessinateur, chez les tenants du complot autour du 11 septembre. “On a voulu construire une BD sur cette problématique, en démontrant qu’il n’y avait pas de vérité figée, et qu’à partir d’une même situation, on pouvait en construire plusieurs”. reprend Valérie Mangin, la scénariste.
Si j’aurais sûrement préféré qu’elle se déroule sur trois tomes (et pas juste un gros tome) pour laisser plus de temps au scénario de se déployer, l’idée est remarquable et se rapproche, par ses contraintes formelles, de l’Oubapo, l’Ouvroir de Bande-dessinée Potentielle. Un travail de titan qui s’est matérialisé, pour les auteurs, par un énorme tableau à 800 entrées afin d’assurer une cohérence de l’oeuvre. “Je suis une très grande fan d’Alan Moore, notamment de Watchmen, assure Valérie Mangin, et j’avais envie de tenter un exercice de style similaire”. Quitte à faire un album ésotérique jusque dans sa forme, qui sert une démarche presque militante à écouter Bajram: “Au-delà de la religion, le propos c’est de dire aux gens de s’informer partout, de ne pas que regarder TF1 ou la deuxième chaîne. Pour se faire sa propre vérité, il faut lire aussi bien l’Huma que le Figaro, et surtout s’informer beaucoup. On est en train de passer de la croyance stupide de tout ce que disent les médias à un rejet complet tout aussi stupide”.
L’histoire s’appuie sur des faits réels, puisque le Saint-Suaire existe réellement (lire le très bon article d’Henri Tincq sur le sujet). C’est aussi un des principes par excellence de ce type de BD. Comme dans le Da Vinci Code, il faut toujours s’appuyer sur les grandes lignes de la religion et quelques faits bien précis, à peu près sûrs historiquement. Le tout c’est que ces petits piliers de réalité permettent aux lecteurs d’y croire et de se dire : “Et si c’était vrai?” Après, plus la couche de fiction et d’invraisemblances est grosse autour, plus ça marche. Un peu comme pour la Bible en fait.
Le Christ mangé à toutes les sauces
Une des séries qui a lancé la récente mode ésotérique, le Triangle Secret, dont le premier tome est paru en 1997, fonctionne exactement sur ce principe. La série à succès, avec plus d’un million d’albums vendus, reprend tous les codes du genre. Le héros est un franc-maçon qui travaille à la restauration de vieux parchemins. Dans le cadre de son travail, il tombe sur un document fracassant qui remet en cause les fondements du christianisme. Évidemment, sa découverte déplaît à l’Eglise catholique qui charge des agents d’enterrer tout ça.
Pour le scénariste de la série, Didier Convard, la mode de l’ésotérisme tient à l’époque. “Quand le Triangle Secret est sorti on entrait dans le nouveau siècle. C’était l’occasion de faire un bilan sur 2000 ans d’histoire chrétienne. Et puis on est à une époque où tout est montré, que ce soit sur Internet ou à la télévision. L’ésotérisme au contraire offre de grandes zones d’ombres. Il faut des clés et des codes pour les décrypter. C’est peut-être ça que les gens recherchent”.
Didier Convard se voit comme un précurseur du genre. “Jusque là, l’ésotérisme n’était que peu servi par la bande dessinée. Personne ne l’avait pris comme base scénaristique alors qu’un public considérable n’attendait que ça. Le succès peut paraître paradoxal parce que ce sont des BDs où il y a finalement peu d’action et où l’on parle beaucoup, mais ça marche”. Une des clés du succès, c’est peut-être la précision des références de Didier Convard, qui ne se cache pas d’être lui-même franc-maçon. En tous cas, il assure que “hormis des attaques de l’extrême-droite, la BD a été bien reçue. J’ai même fait des conférences avec des prêtres”.
Dans le genre ésotérico-religieux, la chrétienté est mangée à toutes les sauces. Des plus fidèles «au Livre» aux plus abracadabrantesques, il y a vraiment toutes sortes de BD. La période la plus traitée est sans doute celle du Moyen-Age, car la plus sombre et la plus mal connue. Entre les templiers, les cathares, ou la sorcellerie, tout y est possible. Parfois on traîne du côté du début de la Renaissance et des papes décadents comme avec Borgia de Jodorowsky et Manara. Les auteurs apprécient aussi les allers-retours entre aujourd’hui et le passé très religieux. C’est le cas avec Le Décalogue, autre série au très grand succès éditorial, mais aussi dans le dernier Blake et Mortimer, La Malédiction des Trente Deniers. Là, c’est la grande foire aux complots, qui mélangent nazis sur le retour et l’or de Judas, le tout sur des îles en Grèce pour le décor paradisiaque.
Et les autres religions alors? En BD francophone, elles sont nettement moins traitées, du moins sur le mode de l’ésotérisme dont le christianisme semble être l’apanage. Sfar évoque très souvent le judaïsme et parfois l’islam dans son oeuvre, mais jamais pour servir un scénario fait de mystère et de kabbales. Evidemment, il existe une foule de BD éducatives sur la religion, qui privilégient la pédagogie à la fiction débridée. Bon, c’est souvent chiant comme une messe en latin, mais j’aurais sûrement l’occasion d’en reparler dans une prochaine chronique.
Laureline Karaboudjan
Illustration : Extrait de Trois Christs, DR.
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