Barres de rire

Barresderire

Avec Ghetto Poursuite, le rappeur Rim’K se lance dans le neuvième art et perpétue la tradition de la bande dessinée en banlieue. Des petites cases qui donnent une image des barres d’immeubles plus contrastée qu’on ne le croît.

Il y avait les auteurs de BD qui s’essayaient au cinéma. Il y a désormais les rappeurs qui s’essaient à la BD. Rim’K, un des trois rappeurs du 113 (mais si, celui qui fait “lelela” et “oua oua ouadans la chanson) vient de sortir une BD chez Dargaud. Ghetto Poursuite raconte l’histoire d’une bande de jeunes “normaux” de Vitry qui se retrouvent au beau milieu d’une histoire où se croisent politiciens véreux, flics pourris et manouches traficoteurs. Et bien sûr, une poursuite en voiture. Aux dessins, c’est l’argentin Walter Taborda qui officie, donnant du souffle au scénario imaginé par Rim’K (et assisté par le scénariste plus confirmé Régis Hautière). On y croise des tours, des barres d’immeuble, des paires de Nike Air, des scooters, etc. Bref, le paysage complet de la banlieue tendance grec-frites. Il y a même un clip pour les fainéants qui ne veulent pas lire la BD :

L’histoire se lit bien, elle est pleine de rebondissements mais elle est aussi un peu caricaturale. (Attention, spoiler) Le scénario du maire qui organise lui-même un fait-divers dramatique pour déclencher des émeutes de banlieue, pour permettre une répression et faire monter son ami le ministre qui surfe sur les discours sécuritaires, me paraît très peu crédible. Surtout à Vitry, dont la mairie est dirigée par les communistes. Dans Ghetto Poursuite, Rim’K continue en fait de délayer sa défiance pour le politique, que le 113 chantait déjà dans Princes de la Ville : “Vitry 9-4 de ma ville j’veux être le prince / J’vais pas t’cacher que monsieur le maire est une pince / Des promesses y’a pas à dire, y en a toujours / Rénover les bâtiments, on attend toujours / Et vos monuments à cent barres nous on s’en fout / Soit-disant députés en costard, ils sont fous“.

Si Ghetto Poursuite est le reflet, en bande dessinée, de l’oeuvre musicale du 113, et se nourrit donc de l’imaginaire banlieue propre au rap français, les représentations de la banlieue en bande dessinée sont plus variées qu’on ne le croit. Qu’ils se nourrissent volontiers de caricature ou, au contraire, qu’ils essaient de dresser un paysage très nuancé de la banlieue, les auteurs de BD offrent des visions relativement différentes de l’univers banlieusard. Pour s’en convaincre je vous propose un petit tour dans des cases qui voient plus loin que le bout du périph’.

  • La banlieue sombre

En littérature, la banlieue est souvent un théâtre parfait pour les polars en tout genre. Il en va de même en bande dessinée. A ce titre, je ne peux pas ne pas évoquer l’oeuvre de Tardi. Si chaque aventure de Nestor Burma qu’il dessine est toujours ancrée dans un arrondissement précis de Paris, le détective imaginé par Léo Malet se promène aussi souvent en banlieue. C’est par exemple le cas dans le monument 120 rue de la Gare, où les recherches de Nestor l’amènent dans un petit pavillon en meulière, typique de la banlieue parisienne, du côté de Pantin. En comparaison du Paris animé, la banlieue chez Tardi est triste, morne et… propice au crime. Dans Le Cri du peuple, Tardi et Vautrin, dont le roman est adapté, nous emmènent dans ce qui deviendra la banlieue : la Zone. En 1871, au pied des fortifs, la banlieue c’est un espace rural, fait de baraques en bois peuplée par des chiffonniers interlopes. C’est un endroit qu’a aussi dessiné Etienne Davodeau dans Jeanne de la Zone, sous un jour beaucoup plus sympathique.

Revenons donc au polar. Parmi les bonnes surprises de ces dernières années, il y a RG, une série de deux BD (peut-être y en aura-t-il d’autres) qui, comme son nom l’indique, tournent autour d’un flic des renseignements généraux. Scénarisée par un ancien RG, Pierre Dragon, et dessinée par Fréderik Peeters, dont je pense beaucoup de bien, la bande dessinée est très réaliste et donne à sentir une banlieue où se trament toutes sortes d’intrigues crapuleuses, depuis les vêtements “tombés du camion” jusqu’au trafics de drogue. Les immeubles sont sales, les personnages forts en gueule. RG c’est un vrai bon polar de banlieue.

Et puis il y a la banlieue où parfois tout va vraiment mal, comme dans le comic Shaango de Kade, Tir et Jac, où un mec comme les autres devient du jour au lendemain un super-héros. Au départ pacifiste, devant les abus de ceux qui détiennent le monopole de la violence légitime, du flic au contrôleur de la RATP, il s’enfonce petit à petit dans la violence. La BD, à la manière américaine, est très manichéenne. D’un côté il y a l’Etat et les riches, de l’autre les pauvres et la banlieue martyrisée. Tout les oppose, l’affrontement est inévitable, les dieux africains et les éclairs ne seront pas de trop pour combattre les flics.

  • La banlieue pastel

Souvenez-vous, vous étiez dans le CDI de votre collège entre midi et deux et vous aviez déjà lu dix fois le seul Gaston Lagaffe disponible, sans parler du livre des Records. Alors, de guerre lasse, vous finissiez par ouvrir un Tendre Banlieue de Tito, bizarrement en bon état alors que cela faisait dix ans qu’il devait trainer là. Sous vos yeux qui se fermaient à cause de la brandade de morue de la cantine, s’ébattaient des jeunes gens étranges, avec des coupes de cheveux et des tenues dépassées, sorties tout droit des années 80. Vous pensiez que cette BD avait été sponsorisée officiellement par la documentaliste pour diffuser des valeurs d’amitié, d’entraide, d’amour etc. Tous ces genres de trucs lénifiants qui ennuient profondément à 12 ans. Tendre Banlieue, c’est un peu l’Instit qui débarquerait en banlieue et en BD. Mais sous les cases classiques se glissaient parfois quelques bons conseils, qui restent ensuite en mémoire sur le sida, le chômage, l’homosexualité etc. Et puis, si c’est souvent un peu niais, Tito a (un dernier tome est sorti en 2006, sisi) cette volonté de ne pas dépeindre toujours la banlieue de manière sombre et d’atteindre un réalisme assez abouti dans les décors ou les vêtements de ses personnages.

  • La banlieue amusante

Loin du misérabilisme inhérent, parfois, aux deux premières catégories, certains auteurs de BD prennent la banlieue comme un théâtre de gags comme un autre. Frank Margerin est à ce titre un très bon exemple, lui qui ne cesse depuis 30 ans de débusquer le rire en périphérie de Paris. Il y a bien sûr Lucien avec sa bande de potes très 80’s qui réparent des mobs, font de la musique et à qui il arrive toujours plein d’embrouilles. L’ambiance est aux rades un peu miteux, aux caves de pavillons de banlieue propices aux répètes et aux conventions de motards à la Bastoche. Du blouson noir à l’éboueur de quartier, la série des Lucien est un hommage à Malakoff, et plus généralement à toute la petite couronne de Paris. Plus récemment, Margerin a essayé de rajeunir sa banlieue avec Momo le Coursier qui, comme son nom l’indique, met en scène un personnage typique de la banlieue parisienne : le coursier rebeu. Ca fait sourire, mais c’est un peu moins bien que les Lucien.

Même époque que Lucien, fin des années 70, début des années 80, avec le Joe Bar Team, une des mes BD humoristiques préférées, où des gus au fin fond d’une banlieue indéterminée perpétuent la tradition du vrai motard. Presque aussi souvent le long du zinc que sur la route, c’est l’image d’un quartier joyeux, où les gens sont débonnaires et sincères, à la fois obsédés par la mécanique et les filles, étant globalement aussi maladroits avec l’un ou l’autre.

Dans la veine du rire en banlieue, je me dois d’évoquer Manu Larcenet avec son Nic Oumouk qui détourne parfaitement les clichés de la wesh-attitude pour en dresser une chronique amusée et rigolarde. On retrouve aussi les barres d’immeubles dans Le Combat Ordinaire, une série que je ne présente plus. Et puis il y a Relom, qui signe Cité d’la balle, qui explore un peu le même univers que Nic Oumouk, et à qui France 3 a consacré un petit reportage :

Et on ne peut pas parler de banlieue amusante sans évoquer un poids lourd de l’édition: Titeuf de Zep. Se déroulant dans une banlieue indéterminée, la série fait se côtoyer des écoliers lambda dans leur cour de recré. Elle a dominé la décennie 2000 et chacun de ses albums a été un carton. Inutile de s’attarder, tout a déjà été dit et écrit. J’étais malheureusement trop vieille déjà pour tomber amoureuse du petit gars à la houpette et devenir fan, mais, quand par hasard je tombe sur un album, je le lis toujours avec plaisir ses blagues potaches, très portées sur la scatologie et le sexe. Tout ce qu’on aime.

Laureline Karaboudjan

Illustration : Extrait de Ghetto Poursuite de Rim’K

Planche BD extraite du Combat ordinaire

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