Quatrième et avant-dernier volet du Top BD de la décennie, avec les albums classés de la 20ème à la 11ème place. Vous pouvez retrouver le reste du classement avec les BD de la 50e à 41e place, celles de 40 à 31 et celles de 30 à 21. Conclusion la semaine prochaine!
20.Blast, Grasse Carcasse (Manu Larcenet) – Dargaud – 2009
Blast vient de sortir, c’est la dernière oeuvre de Larcenet. Dans Le Combat ordinaire, le héros a un ami d’enfance, Bastounet. Gros, persuadé d’avoir raté sa vie, il part un jour sans retour. Sans que le lien soit formellement établi, Blast raconte un peu cette histoire sauf que le personnage, Polza Mancini, au lieu d’être un ouvrier est un écrivain gastronomique. Si, dans Le Combat ordinaire, il y a encore l’espoir, Blast, tout en encre de Chine, est une oeuvre très sombre. L’aboutissement d’un processus où l’homme devient clochard, où le présent, sous quelque angle qu’on le prenne, est sans issue. Polza est en garde à vue, il a fait “quelque chose à Carole“. Avant de tout avouer, il veut expliquer aux deux flics son parcours. Les raisons et ses blasts, ces moments où son esprit s’envole et qu’il atteint un stade d’extralucidité, que Larcenet traduit par des dessins de ses filles, les seuls instants en couleur dans un album en nuances de gris. Blast n’est que 20ème de ce top car il vient de sortir, car il y aura une suite et qu’il serait peut-être trop rapide de le classer plus en avant. Mais quelque chose me dit que dans le top 2010-2019 il sera plus haut. Beaucoup plus haut.
19. L’enquête corse (Pétillon) – Albin Michel – 2000
Pétillon a soupoudré la décennie des aventures de Jack Palmer. L’enquête corse reste ma préférée. C’est la plus drôle et la plus juste. Chaque dialogue est digne d’un Michel Audiard. La BD a connu un succès fou, au point d’être adaptée au cinéma dans un nanar bien de chez nous avec Jean Réno et Christian Clavier. Pétillon est un vieux de la vieille aujourd’hui. Mais sa capacité de toujours créer chaque semaine pour le Canard et une ou deux fois par an en format cartonné me surprendra toujours. Evidemment, les ficelles sont connues et on est rarement bouleversé. Mais, comme avec un bon Audiard, on sourit toujours, et, dans le cas présent, on ne peut s’empêcher d’aimer ces Corses qui savent reconnaître à l’explosion la distance et la longueur de la mèche.
18. Isaac le Pirate, Les Glaces (Christophe Blain) – Dargaud – 2002
Je suis une descendante de pirate, une vraie. C’est une histoire que je vous raconterai peut-être un jour. Donc, fatalement, j’ai une faiblesse pour les marins de tous bords, les tempêtes et les batailles. Quand on me demande mon prénom, je réponds toujours, Call me Laureline, référence à Moby Dick d’Herman Melville. Dans Isaac le Pirate, il y a tout ce que j’aime. Des pulsions sexuelles, des grands voyages, la mort. Rien que par sa couverture, Les Glaces est mon album préféré des cinq. Le navire dérive lentement, plus personne n’a vraiment de prise sur sa propre réalité. Les fantômes et la maladie les guettent, c’est certain. De là à dire qu’Isaac en oublierait sa bien-aimée, non bien évidemment. Mais il comprend, et nous avec lui, qu’il y a autre chose déjà.
17. Pyongyang (Guy Delisle) – L’Association – 2003
La République Populaire de Corée du Nord, ses paysages charmants, sa dictature, ses ateliers de dessin, sa dictature, ses monuments géants, sa dictature. Guy Delisle, après avoir raconté la Chine de Shenzen et avant de sortir ses Chroniques Birmanes, raconte son expérience nord-coréenne dans le meilleur de ses trois carnets de voyage. Pendant trois mois, l’auteur a encadré un atelier de dessin animé dans la dernière dictature stalinienne du monde. Ca n’a pas l’air funky comme ça – d’ailleurs, ça ne l’a pas vraiment été – mais ça a permis à Delisle de livrer un témoignage exceptionnel (très rares sont les Occidentaux à être admis en RPDC) sur la vie quotidienne de l’autre côté du 38ème parallèle. Le trait est simple, presque naïf, et sert du coup parfaitement un propos proprement hallucinant. Heureusement, dans l’enfer gris, l’auteur conserve humour et détachement. L’antidote au totalitarisme?
16. Lost Girls (Alan Moore, Melinda Gebbie) – Post Shelf Productions – 2006
Je le savais. Je l’ai toujours su. Alice cède volontiers à la concupiscence, Wendy se complait dans le stupre et Dorothy n’est qu’une petite cochonne délurée. Quand les héroïnes du Pays des Merveilles, de Peter Pan et du Magicien d’Oz se retrouvent dans un sanatorium autrichien à la veille de la première guerre mondiale, elles se racontent leurs histoires de cul. Trois âges (pour respecter la date de publication des trois ouvrages, ayant 20 ans d’écart chacun), trois expériences, une seule et même célébration de la vie quand l’Europe s’apprête à entrer dans une danse macabre. Une œuvre conçue en couple, puisque Melinda Gebbie, excellente aux pastels, est la compagne d’Alan Moore qu’on ne présente pas. Deux vieux amants qui, comme dans la chanson, savent “être vieux sans être adultes“.
15. Le Roi des Mouches, Hallorave (Mezzo, Michel Pirus) – Glénat – 2005
Le Roi des Mouches, à ne pas confondre avec Sa Majesté de la même espèce, c’est une sorte de gros trip à l’acide aux fondements particulièrement sombres. Le décor: un suburb américain lambda. Le héros: un adolescent paumé, complètement accro à ses pilules, au point de virer psychotique et d’adorer s’affubler d’un énorme masque de mouche. Et nous voici embringués pour une histoire où le sexe, la drogue et le rock’n roll ont rarement été aussi intimement liés en un cocktail démoniaque. Le dessin est très sobre et ne cache pas ses influences américaines (Burns ou Clowes). Il est sublimé par une mise en couleur toute particulière, aux tons psychédéliques. Les personnages se quittent, se retrouvent, se croisent, dans un scénario complexe, entêtant et addictif, vraie drogue dure. A lire en écoutant Joy Division ou les Black Angels.
14. Lincoln, Crâne de Bois (Olivier, Jérôme et Anne-Claire Jouvray) – Paquet – 2002
Chier. Putain. No Future. Lincoln est un cow-boy, fils d’une pute et d’un alcoolique. Élevé à coups de torgnoles, gueule cassée mais sacrément intelligent. Sacrément égoïste aussi. Et râleur. Bah ouais, Putain, Chier, pourquoi aimer la vie? Il rencontre Dieu qui croit en lui. Drôle d’idée. Il le rend immortel. Le Tout-puissant veut qu’il sauve le monde. Lui en a rien à faire. Chier, putain. Lincoln est la création d’une même famille, les Jouvray, aux dessins, au scénar et à la couleur. Le dessin est assez simple, les couleurs aussi, et le scénario est plaisant, mais chier, putain, ça marche. Peut-être parce qu’au delà d’un simple cow-boy râleur, cette BD dresse un tableau assez juste d’une certaine jeunesse. Un peu désabusée, un peu emmerdée, à la recherche du plaisir, pas vraiment de morale, ni de gauche ni de droite, mais qui, au final, ne peut pas s’empêcher d’avoir un grand coeur.
13. Spirou, le groom vert-de-gris (Yann et Schwartz) – Dupuis – 2009
Je crois que j’ai déjà un peu tout dit sur ce Spirou dans cette chronique. L’un des albums pour moi les plus réussis. Parce que Yann a réfléchi très longuement au scénario et que chaque case est un hymne à la bande dessinée, comme les films de Tarantino en sont au cinéma. Au point parfois d’en oublier le réel ? C’est ce que pensent certains esprits chagrins, comme Joann Sfar qui a accusé Yann d’antisémitisme latent et de prendre trop à la légère la Seconde Guerre Mondiale. Querelle de générations ? Peut-être. Moi, je continue de ne pas bouder mon plaisir, de lire et relire cette BD, car et c’est une évidence de l’écrire, c’est aussi par le rire que l’on prend conscience de l’horreur de la guerre.
12. Peter Pan, Crochet (Loisel)- Vents d’Ouest – 2001
Le deuxième Loisel de ma liste. La série que tous les amateurs de BD ont lu. Il fallait oser s’attaquer à cette oeuvre qui dans l’esprit de beaucoup tient un peu du monde des Bisounours, Disney oblige. Tragique par moments, certes mais Bisounours quand même. Avec Loisel, on est plus dans le Dickens, avec Peter Pan qui a une mère alcoolique et Jack l’Eventreur qui n’est jamais loin. Comme toujours il aura fallu une quinzaine d’années pour arriver au bout de ce cycle, sans doute plus symbolique des années 1990. Dans Crochet, on est dans une sorte d’apogée du principe de cette série. Des allers et retours permanents entre les mondes réels et féériques, de la couleur et du noir sans savoir où est le bien et le mal, des aventures physiques et un affrontement psychologique éprouvant. Et le crocodile, évidemment.
11. Le chat du rabbin, la Bar Mitsva (Joann Sfar) – Dargaud – 2002
Oui, d’accord, chaque nouvel album s’est retrouvé en tête de rayon dans les supermarchés culturels et le Chat du Rabbin, avec Titeuf et quelques autres, est sûrement un des plus gros succès commerciaux de la décennie. Mais est-ce immérité? Il suffit de se replonger dans le premier opus de la série pour se convaincre du contraire. Sfar met tous ses talents de conteur au service d’une histoire où les chats devisent de religion, les rabbins et les imams s’entendent et où l’on peut rire des Juifs sans risquer de procès mal-intentionnés. Une jolie fable sur la tolérance, bien écrite et érudite, illustrée par le trait inimitable de Sfar, le meilleur des dessinateurs qui ne savent pas dessiner. Ah, en ces mois hivernaux, je prendrais bien un thé à la menthe en caressant doucement le félin savant…
Laureline Karaboudjan
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