Polémique aux Etats-Unis pour la sortie du dernier album de Superman. Le camarade Clark Kent, normalement représenté comme un journaliste d’âge mur mais sexy ( un peu comme les rédac-chefs de Slate) avec des lunettes, apparaît là sous des traits rajeunis. Pour tout dire, il ressemble un peu maintenant à un héros de Twillight ou à Peter Parker, alias Spiderman. “Oui, et alors, de toute façon il vient de Krypton”, me direz-vous, sauf qu’aux Etats-Unis, ce changement abrupt ne va pas de soi.
Le nouveau Clark Kent
Le magazine The Week s’interroge ainsi, «Superman nous revient-il en tant que hispter?» Difficile de traduire le terme de “hipster”. Disons que cela désigne actuellement les gens qui sont tellement cools qu’ils peuvent porter des fringues ultra-ringardes et avoir l’air tendance. Le mieux est de regarder la vidéo Being a Dickhead’s Cool pour comprendre. “Hipster” aux Etats-Unis, c’est un peu comme “bobo” en France : quand le terme est utilisé c’est souvent de manière négative et la plupart du temps à tort et à travers. Et donc pour The Week, Superman, “ce symbole de la masculinité” revient avec des traits qui énervent les fans et les critiques. Clark Kent deviendrait un hipster de centre-ville, bien loin de l’américain moyen qu’il devrait incarner normalement. Et c’est ce qui était voulu par DC Comics, comme l’éditeur l’a expliqué : rendre le héros plus sexy, plus “moody” pour que les jeunes acheteurs s’y reconnaissent plus. Ainsi pour le magazine Death and Taxes, Superman devient une Superbitch (super salope) “ce n’est pas parce que les jeunes sont devenus des gothiques masochistes nymphomanes obsédés par la mort, le sang et les pénis effervescents de vampires que tous les scénaristes et les artistes ont besoin de créer tous leurs héros sur le modèle de Robert Pattinson (Twillight).» Et l’auteure de l’article d’expliquer qu’elle aurait préféré avoir un Superman acnéique et gros plutôt que ça.
Bien-sûr, tout le monde ne critique pas ce nouveau look. Sur CBS News, la journaliste Katie Couric rappelle que nous sommes en 2010 et que c’était peut-être le moment d’évoluer un peu, même si elle comprend que les fans soient surpris. Pour Glen Weldon de la National Public Radio, tout ça n’est que du blabla de médias prêts à polémiquer. Il rappelle que cet épisode n’est qu’un one shot peu relié à la série principale. Pour lui, ce qui est fondamental ce n’est pas la marque du jean de Superman, c’est son caractère, comme pour tous les autres héros de comics, et ça, ça ne peut pas changer.
Fondamentalement, il a raison. Mais la polémique reste intéressante, tout d’abord parce que, récemment, ce n’est pas la première du genre. En juillet dernier, le relooking d’une Wonderwoman affublée de leggings avait aussi fait débat. L’idée centrale reste toujours la même: on ne touche pas aux super-héros. Ce sont des icônes nationales et les modifier est un crime de lèse-majesté. Chacun incarne des valeurs types qui se recoupent, et tous ensemble ils forment une sorte d’idéal de l’American spirit.
Pour Superman c’est encore plus particulier. A l’instar de Captain America, il est l’Amérique à lui tout seul, il ne peut donc pas avoir de défauts. Dans leurs origines mêmes, les latitudes offertes aux personnalités de Spiderman, Batman ou d’autres, sont plus grandes. Ils sont toujours des cas particuliers, un morceau d’Amérique. Superman, lui, est le mythe américain entier. J’avais développé un peu plus cette idée ici.
C’est intéressant de voir que la polémique vient au moment des élections américaines qui ont fortement divisé et où l’enjeu a été de savoir, pour les électeurs, quelle société ils voulaient. Habiller d’une certaine manière Superman, comme un jeune cool de 20 ans hipster de centre-ville, c’est donc forcément le transformer en un étudiant démocrate, peut-être gay. Ce n’est alors plus un bon cadre qui travaille à la ville en conservant ses valeurs campagnardes, et qui est potentiellement autant républicain que démocrate (enfin plus républicain quand même).
A d’autres époques, plus apaisées, les modifications apportées à Superman seraient peut-être passées inaperçues. Rappelons-le, ce héros a déjà été communiste! C’était dans Superman Red Son, une excellente BD publiée en 2003. Pas de polémiques outre-mesure à l’époque. Alors qu’aujourd’hui, en pleine crise économique et de valeurs, il ne faudrait pas y toucher. Pour les vrais hommes virils, ce petit hipster ne semble pas capable de sauver le monde, et comme c’est l’incarnation de l’Amérique, cela veut dire qu’elle non plus. Drame.
Et chez nous?
En France, la question ne se pose pas pour les héros de bandes-dessinées. Tout d’abord, ils ont rarement rang d’icônes nationales (en plus, ils sont souvent belges). Surtout, les personnages, au contraire des Etats-Unis, appartiennent le plus souvent aux auteurs et non pas aux maisons d’édition. Ils risquent donc moins d’être changés à Touboutchan. Ce qui peut éventuellement faire jaser, ce sont plutôt les dérivés commerciaux qui peuvent en être tirés, comme la récente campagne de McDo avec Astérix. Polémique vaine alors que le vrai scandale, rappelons-le, est la médiocrité des derniers albums mettant en scène nos Gaulois.
Je ne vois que Spirou avec qui on pourrait établir un parallèle avec les personnages de comics. C’est le seul de nos héros principaux à suivre le temps présent (Astérix reste en -52, Lucky Luke et Blueberry à la conquète de l’Ouest, Tintin est mort avec Hergé, Blake et Mortimer se sont stabilisés dans d’uchroniques années 50). De plus, l’éditeur Dupuis, à qui appartient la série, fait se succéder les duos d’auteurs pour s’occuper du groom. Les derniers albums se passent dans le temps présent, avec les dernières technologies, et la physionomie des personnages ou le style du dessin n’ont plus grand chose à voir avec les premiers de Rob-Vel. Sauf que dans l’idée, Spirou reste accoutrée de son uniforme de groom et, fondamentalement, l’enchaînement action-innovation technologique est resté la sauce de base de chaque scénario (à ce titre, le dernier, Alerte aux Zorkons, est pas mal du tout dans le genre). Et comme Dupuis pense à tout, pour les nostalgiques des Trente Glorieuses, il y a le Petit Spirou (dont le prochain album, Tiens-toi droit, sort prochainement) et pour les adultes, la série Une aventure de Spirou et Fantasio par, qui confie le personnage à de grands auteurs de BD pour des résultats excellents.
Il n’y a que Tome et Janry à avoir essayé de changer profondément Spirou, au début par petites touches – il embrasse une fille dans Luna Fatale – puis radicalement, avec La Machine qui rêve en 1998. Là Spirou n’est plus Spirou, c’est à peine le héros principal de l’histoire, il est passif au lieu d’être sur-actif, on ne comprend pas tout, l’atmosphère est sombre et les dessins sont réalistes. Le tournant proposé n’avait pas vraiment pris auprès de public. Dommage, je le regrette encore.
Laureline Karaboudjan
Illustration : Montage avec l’ancien et le nouveau Clark Kent, DR.
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