Trader, tu finiras Quasimodo!

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Quand la crise économique inspire les auteurs de BD

La crise économique est partout, même dans la BD. Comme n’importe quel autre medium d’importance, il était prévisible que le neuvième art s’empare de ce fait d’actualité qui nous touche depuis deux ans maintenant. Comment la BD parle-t-elle de la crise économique? C’est bien simple, elle est mangée à toutes les sauces, de l’action à l’humour en passant par le dramatique.

Ca peut paraître improbable, mais on parle de la crise actuelle dans le dernier album du Petit Spirou. Sorti il y a une poignée de semaines, Tiens toi droit, le tome 15 des aventures du groom en culottes courtes, paru chez Dupuis, s’ouvre l’habituelle histoire un peu longue qui introduit un nouveau personnage. Il fallait bien un peu de place pour la venue de Malogrodo, l’assistant de l’abbé Langelusse. Avec sa bosse, ses yeux en biais et sa tête de simplet, il a tout du personnage qui l’a inspiré: le Quasimodo de Victor Hugo. Mais avant de devenir un sacristain bossu, Malogrodo a connu une autre vie puisqu’il était… trader. L’histoire est un peu bossue tordue, mais, en résumé, il n’avait pas d’amis et ses yeux partaient de travers, donc son maître se moquait de lui. Du coup, comme il venait d’une famille pauvre, il décida de “d’vnir trader. Spéculer en bourse avec l’argent des vieux qui épargnent. Acheter et vendre en empruntant et me barrer sans rembourser“. Il réussit, devient célèbre, sauf qu’à force de délocaliser et de chercher toujours le profit immédiat, les épargnants se retrouvent au chômage, perdent confiance dans les banques et retirent tous leurs sous: c’est un bankrun, ce que proposait Cantona. Faillite, crise, Malogrodo tente d’échapper à ses créanciers, il saute par la fenêtre, chute et se retrouve avec une énorme bosse et des neurones en moins et de la gentillesse en plus. L’abbé Langelusse le recueille alors. Et comme dit le petit Spirou: “Et vous les copains, si vous croisez une âme perdue, soyez sympas…c’est peut-être un pauvre milliardaire malchanceux!”

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Rire de la crise, c’est aussi ce qu’a fait Fuide Glacial en sortant il y a tout juste un an une “Série Or” (une compilation des meilleures planches des albums édités chez Fluide) consacrée à la crise financière. “Votre rire vaut de l’or” titrait la couverture de ce numéro 49 qui figure un trader aux dents longues en train de gérer des “fonds de pensions Jean-Yves Ferri”, des “placements Edika” et de consulter le “listing Clearstream Soeur Marie-Thérèse”. Dans ce hors-série plutôt drôle, outre les planches classiques, on trouve quelques dessins et autres strips directement inspirés par la crise financière actuelle. Ainsi Lindingre, qui n’y va jamais avec le dos de la cuillère, nous apprend que “contrairement aux idées reçues, le bouclier fiscal ne fait pas le bonheur”. Dans le dessin qu’il légende ainsi, on voit une famille manifestement fortunée au pied d’un sapin de Noël. Le père, cigare aux lèvres et impassible, est entouré de ses enfants qui lui demandent : “Hé Daron! Quand est-ce que tu te fais lourder de ton job?”, “Putain, fais péter le parachute doré. Merde!!!” et “Y’en a marre de tes cadeaux de daube à même pas 20 briques”. Ce n’est pas fin, mais moi ça me fait rire.

Largo Winch est évidemment touché par la crise

La crise économique actuelle est aussi directement évoquée dans le dernier Largo Winch, Mer Noire, également chez Dupuis, qui est sorti le mois dernier. Alors que le héros de Jean Van Hamme fête ses vingt ans d’existence avec cet album, tout se passe mal ; comme d’habitude.

Le groupe W, que dirige Largo Winch, est en effet pris lui aussi dans la tourmente financière consécutive à la crise des subprimes. La page d’ouverture de Mer Noire rapporte une longue lettre qu’écrit Largo à ses 480.063 salariés dans le monde entier (presque la rédaction de Slate.fr, quoi). Le patron, 7ème fortune mondiale, explique assez précisément l’origine de la crise actuelle qui fait couler “26.000 milliards de dollars en bourse”. Puis, plus loin dans l’album, il explique sa stratégie pour faire face à la crise. Et c’est là qu’on se rappelle que Largo Winch est une BD.

Plutôt que de licencier à tour de bras comme le ferait n’importe quel chef d’entreprise du monde réel, Largo décide de réduire de moitié les revenus de ses présidents de filiale pour préserver l’emploi et le salaire des autres. Comme si François-Henri Pinault, qui dirige le groupe PPR, décidait de sucrer la moitié des appointements d’Alexandre Bompard, le nouveau PDG de la Fnac. Au-delà de la gestion de la crise, cela reste un Largo très classique, des explosions, du complot, des comptes en Suisse et des jolies pépés.

La Grande Dépression en BD

ll n’est pas étonnant que les cases et les bulles aient été utilisés pour tenter d’expliquer les ressorts de la crise financière. Dès le déclenchement de la crise des subprimes, un dessinateur amateur s’est amusé à en décortiquer tout le mécanisme à travers une bande-dessinée. Le dessin est très, très sommaire mais le fond est vraiment exprimé clairement. Les petits camarades de Rue89 l’ont même traduite en français pour les anglophobes. Bref, c’est pas très beau, mais c’est bien plus digeste que le bouquin d’un analyste financier.

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Et puis, si la crise économique actuelle inspire les auteurs de BD, ce n’est pas la seule. La banqueroute de 1929 a évidemment connu un certain nombre d’échos, directs ou indirects. Signalons par exemple l’excellente série Berlin, de Jason Lutes, où l’auteur décrit dans une élégante ligne claire la capitale allemande pendant l’entre-deux guerres. La misère qui frappe le peuple allemand et la montée du nazisme concomitante sont très bien racontées, dans une saga passionnante. La BD s’est aussi intéressée aux Etats-Unis pendant la Grande Dépression. Si l’ont peut penser à la bonne adaptation des Souris et des Hommes de Steinbeck chez Delcourt, citons également Toute la poussière du chemin, paru cette année chez Dargaud. Wanter Antumes et Jaime Martin racontent l’histoire de Tom, un américain qui a tout perdu suite à la crise de 1929.

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Il erre sur les routes du sud des Etats-Unis où il ne voit que violence et ségrégation. Dans ce contexte très difficile, c’est son humanisme qui va l’empêcher de perdre pied. Les bourses peuvent s’effondrer, il restera toujours le cœur des hommes.

Laureline Karaboudjan

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Peut-on aimer la BD et être féminine et sexy ?

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Le nouveau magazine de Fluide Glacial, Fluide Glamour, tente de séduire les femmes et les hommes par un magazine mêlant BD et thèmes sexys.

On peut être féminine et poutrer du zombie.” Cette affirmation, sans doute l’une des plus féministes que j’ai pu entendre ces dernières années, a été prononcée par une jeune femme dans le documentaire Suck My Geek. Fluide Glamour, à sa manière, pose un peu la même question existentielle. “Fut une époque, Fluide Glacial avait un taux de testostérone suffisant pour terrasser le XV de France. (…) Les temps ont bien changé!” explicite l’éditorial de ce hors-série qui semble avoir vocation à devenir un périodique à part entière. Un magazine de BD pour filles ? Pourquoi pas.

Le magazine, dans l’espace déjà bien chargé des féminins, va donc chercher à se faire une place au soleil en misant sur ce qui est une vraie tendance depuis quelques années : les filles se mettent à la BD. Pour cela, il a fait appel à un nombre d’auteurs masculins et féminins confirmés, que ce soit pour la BD, Pénélope Bagieu, Dupuy et Berberian ou Riad Sattouf, que dans les textes, orientés sexy, grâce à Maiä Mazaurette du blog Sexactu ou la réalisatrice de porno Ovidie. A vrai dire, Fluide Glamour d’une façon ou d’une autre, ne parle presque que de sexe. Il parait que ça fait vendre.

Longtemps, il faut bien se l’avouer, la BD était un truc de mecs. Ils scénarisaient, ils dessinaient et ils étaient lus par des hommes. Je ne vais pas m’étendre sur les multiples témoignages de cette réalité à travers les œuvres, que ce soit dans la représentation de la femme dans la bande dessinée (quoique le diagnostic soit plus nuancé que « ils-ne-dessinaient-que-des-héroïnes-à gros-seins ») ou dans l’absence complète de vie sentimentale de certains héros, l’exemple le plus probant étant Tintin. Les héros de bande-dessinée classique transpirent la masculinité. D’un point de vue psychologique, ce sont de véritables projections fantasmatiques d’attributs supposés masculins, qu’il s’agisse de la force, du courage ou du goût de l’aventure. Pour schématiser, l’univers des auteurs de BD est traditionnellement plutôt un univers d’hommes frustrés qui projettent leurs manques sur des héros.

Mais, petit à petit, et c’est sans doute lié à l’acceptation de la culture geek en général (traditionnellement masculine), à laquelle la BD est assimilée, le public féminin du neuvième art s’est agrandi. Les filles lisent à présent des bande-dessinées en nombre, au point qu’un marché les visant explicitement s’est créé. Au Japon, ce sont les shojo destinés aux adolescentes, en France c’est la vague depuis quelques années des BD girly, portées par le succès du blog Pénélope Jolicoeur. L’auteur, Pénélope Bagieu, fait maintenant partie des plus grosses ventes en librairie et a essaimé toute une génération de dessinatrices qui reprennent à la fois le même graphisme et les mêmes recettes : de l’introspection (le terme est peut-être indulgent, certains parleront plutôt d’egotrip), des « tranches de vie » quotidienne façon Bénabar, et du vernis à ongle et des thermos de thé. Et le sexe, évidemment, comme dans Fraise et Chocolat d’Aurélia Aurita ou la série à succès Péchés Mignons scénarisée par Maïa Mazaurette. Des filles qu’on retrouve justement toutes dans Fluide Glamour.

Péchés mignons et transvulvation

Fluide Glamour tente donc de surfer sur ces succès en librairie et de les traduire à travers un magazine. Publier les nouvelles tendances de la bande-dessinée tout en étant orienté assez cul, c’est tout à fait dans la tradition de Glacial. Aussi, sur le principe, Fluide Glamour est une excellente idée. Chaque semaine, un nouveau magazine féminin sort et ils sont à chaque fois assez affligeants. Depuis Causette je pense, il n’y avait pas eu d’initiatives vraiment pertinentes. Forts du constat qu’il existe un nouveau public de bande-dessinée et d’un casting prestigieux, le coup n’est en plus pas trop risqué pour l’équipe de Fluide.

Dans la réalisation, je suis moins convaincue… Passons sur les textes rapidement, puisque ce n’est pas vraiment mon domaine. Il y en a de très nombreux de la journaliste Maïa Mazaurette, que je lis régulièrement sur son blog, mais là ses articles ne sont pas très intéressants, trop courts, pas très bien écrits. Rédiger deux pages sur le fait de ne pas avoir réussi à entrer dans une soirée fétichiste, c’est marrant sur un blog, mais, et là je vais faire ma rabat-joie, au prix du papier, c’est un peu dommage. La meilleure idée du magazine reste pour moi l’article d’Ovidie sur Larry Flint. Sauf qu’à mon avis cela reste plus un sujet qui intéressera les hommes et, dans la réalisation, ce n’est pas formidable non plus.

Pour la BD, pareil, il y a à boire et à manger. J’ai vraiment apprécié celle de Margaux Motin et Pacco, en dépit des fautes d’orthographe qui l’émaillent. Neuf pages sur des démons sexuels qui vont être envoyés sur terre, à la fin, on a juste envie de savoir la suite, donc c’est réussi. Celle de Sibylline et de Vince sur le voyage d’un point G à un autre point G par transvulvation (oui, vous imaginez bien) est de bonne facture, et rappelle les bonne heures de Glacial. Et je dois avouer que j’ai affiché dans mes toilettes le poster de Pascal Brutal par Riad Sattouf… De l’autre coté, les strips extraits de Péchés Mignons, dessinés par Arthur de Pins, ne m’ont pas plu du tout. Je les trouve à la fois sans intérêt et globalement vulgaires. J’ai demandé à des garçons si ce n’était pas mon sur-moi féministe qui parlait, mais non, eux aussi ils sont du même avis. Osons-le, c’est un peu beauf. Au delà du dessin qui me gène et m’empêche d’aller beaucoup plus loin, les gags sont quelconques.  Peut-être suis-je dure dans la critique, mais pour 4,90€ une demi-BD, on est en droit, à mon avis, d’être exigeante.

A bas la BD de filles

Et puis, je dois bien avouer que j’ai globalement un problème avec la bande-dessinée genrée, qu’elle se revendique « BD pour filles » ou « BD pour garçons ». L’écueil évident de cette approche artistique c’est de tomber dans le cliché et la caricature. En l’occurrence, pour toute la vague de BD de filles que j’ai évoquée plus haut et dont Fluide Glamour est une sorte de compilation, c’est de vouloir nous faire croire que « la femme » se résume à une habitante de Paris intra-muros qui passe son temps à se faire les ongles de pied en envoyant des SMS avec son iPod vissé sur les oreilles. Tout ça me donne envie de ressortir mes vieux Agrippine, de Brétécher, qui d’ailleurs ne se revendique pas « BD de fille ». Pour moi, il y a simplement de bonnes ou de mauvaises BD, voilà tout.

Résumons: l’idée de Fluide Glamour est bonne et je les encourage à continuer. Mais, à leur place, je serai encore plus exigeante dans la qualité des textes et des BDs. Je comprends tout à fait la volonté de créer un magazine plus mixte que vraiment féminin, acheté finalement par l’homme comme une bonne excuse – “Tu vois chérie, je ne lis plus ces machos de Fluide“, mais ce n’est pas une raison pour tomber dans la facilité: c’est à dire demander aux quatre ou cinq femmes connues capables de dessiner et de parler de sexe à la va-vite. Creusez-vous la tête, cherchez d’autres auteurs, allez plus loin mesdemoiselles de Fluide Glacial. Vous le pouvez !

Amis lecteurs, peut-être suis-je trop dure, qu’en pensez-vous ?
Laureline Karaboudjan

Illustration : Extrait de Péchés Mignons, DR

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