Le jury d’Angoulême vient de dévoiler sa sélection officielle pour le prochain festival qui se tiendra du 27 au 30 janvier prochains. Toute la liste est ici. Voici quelques unes de ces BDs qui m’ont le plus marquée cette année (si je ne parle pas des autres, c’est soit que elles ne me paraissent pas être une des meilleures BDs de l’année, soit parce que je ne les ai pas (encore) lues). Comme le jury a globalement bon goût, on retrouvera certaines de ces BDs dans mon top de l’année que je ferai début décembre (je me spoile moi-même d’une certaine manière). Pour ne pas faire de jaloux les albums sont dans l’ordre d’apparition dans la liste du festival.
On peut noter l’absence de quelques poids lourds de la BD et qui sont habituellement nominés à ce genre de prix comme le Spirou de Trondheim, le Tome 4 de Blacksad (chroniqué ici) ou Chagall de Sfar. Perte de vitesse ou volonté délibérée de changement de la part du jury? Il faut dire que ces dernières années, les prix avaient tendance à rester dans le giron des mêmes auteurs (les deux cités plus haut auxquels on peut ajouter Sattouf ou Larcenet), qui ne manquent pas de talent (bien au contraire) mais qui représentent des courants assez similaires. Et puis bon, ça faisait parfois un peu copinage. Quoiqu’il en soit, on devrait voir de nouvelles têtes récompensées cette année, et c’est très bien. A moins que Blain avec son Quai d’Orsay… Le site Bodoï a déjà lui commencé ses pronostics.
Décidément, Walking Dead cartonne. La série télévisée vient de commencer à être diffusée aux Etats-Unis (les deux premiers épisodes sont pas mal du tout d’ailleurs, très fidèles) et on est déjà au douzième album en France. Il y a toujours des moments qui m’énervent, certains dialogues, le fait que les mots importants soient en gras, j’ai l’impression d’être prise pour une idiote. Et pourtant, à chaque fois on est emporté par le scénario, on dévore les pages comme des zombies affamés et on frissonne. Même pour le Tome 12, sans doute le moins gore de tous, puisque nos héros découvrent un village encore à l’abri, où ils vont essayer de réapprendre à vivre. On se doute que l’accalmie ne va pas durer.
Si je ne suis pas complètement emballée par le dessin, je ne peux que saluer l’ambitieuse tentative de Trois Christs. A partir de cases et de dialogues similaires, mais réorganisés, Valérie Mangin et Denis Bajram créent trois histoires différentes autour du Suaire du Christ. Une manière de montrer qu’il n’y a pas qu’une seule vérité, mais de multiples façons de la raconter. Une démarche proche de l’OuBaPo, mais qui s’exprime dans une bande-dessinée volontiers grand-public, accessible et divertissante.
Sur Quai d’Orsay, j’ai écrit une chronique complète. Ca m’arrive rarement. Un excellent album, tout simplement, qui met en scène un jeune thésard embauché dans le cabinet de De Villepin, lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères. Vivement la suite.
“Hmm. Mon fils… A nous deux nous pourrions fléchir l’Empereur et gouverner la galaxie.
On prend le contrôle de la force. TCHAC!
On fonde un nouvel ordre de chevalerie. TCHAC!
On rétablit la paix jusqu’aux confins des systèmes. TCHAC!”
J’avais bien aimé le premier tome de la série, intriguée par cet étrange péplum onirique qui met en scène une équipe de super-légionnaires, servi par les dessins naïf des auteurs qui font tout à quatre mains. J’ai trouvé le deuxième album encore meilleur. Les invincibles soldats de l’empire se retrouvent confrontés à un troublant ennemi: des amazones. Au-delà des combats, ce nouvel adversaire est l’occasion d’aborder, par touches, de grandes thématiques: les rapports hommes-femmes, le sexe et le sang, l’amour et la mort. Le tout avec beaucoup d’économie et (donc?) de puissance. A noter que Bastien Vivès a remporté déjà l’année dernière le Prix révélation pour Le Goût du Chlore. Le petit jeune qui monte.
En début d’année, j’étais passée à côté de cet album. Grave erreur! De la science fiction comme on l’aime, capable de créer un monde unique et d’être en même temps intimiste, d’aborder des thèmes philosophique tout en étant très agréable à lire. Je n’en parle pas beaucoup car j’ai prévu de revenir dessus plus longuement. Bientôt… Mais vous pouvez déjà la voler, l’acheter ou vous la faire offrir sans risque. Un des meilleurs albums de l’année.
Sans doute une des BDs les plus émouvantes. L’auteur y retrace sa longue maladie, ses pertes de mémoires et ses doutes. Je l’avais déjà conseillée avant les vacances: “Un récit aux dessins simples, épurés, très émouvant, parfois un peu poétique, sans tomber dans le pathos. Dans les dernières plages, j’avais les larmes aux yeux”. Après une deuxième lecture, je ne retire rien de tout ça, bien au contraire.
Voilà une autre BD que j’avais déjà conseillée cette année (c’est quand vous voulez pour que je sois jurée à Angoulême…). L’histoire d’un ancien super-vilain qui s’est rangé, a balancé ses anciens comparses pour bénéficier d’un programme de protection gouvernementale et changer de vie. Mais il s’emmerde sec en employé de bureau modèle, sans relief, méprisé par ses collègues de la gent féminine. Alors c’est trop fort, il replonge. Ed Brubaker continue de faire montre de tout son talent au scénario en racontant une histoire vraiment bien ficelée, qu’on lit sans discontinuer. Haletant.
La fresque historique sur la Deuxième guerre mondiale, entamée par Nury et Vallée avec Il était une fois en France, approche du terme sans s’essouffler. Le destin de Joseph Joanovici, héros trouble au possible, à la fois juif et collabo, n’en finit plus de rebondir puisque le voilà confronté à la Résistance. A travers le parcours de ce personnage atypique, les auteurs dépeignent de manière originale et précise une des pages de l’histoire de France les plus traitées en BD. Un bel exploit qui rencontre également un gros succès de vente. La recette idéale pour être récompensé en Charente?
On ne présente plus Joe Sacco, l’auteur américain qui s’est fait une spécialité des reportages BD en zone de guerre, comme Gorazde ou Palestine. Dans Gaza 1956, le dessinateur-baroudeur-journaliste ajoute une corde à son arc : il se fait historien. L’auteur se penche sur une « anecdote » entendue au cours d’un de ses voyages dans la bande de Gaza : le massacre de 275 personnes complètement oublié par les livres d’Histoire. Joe Sacco décide de mener l’enquête et livre un travail tout simplement impressionnant. Témoignages nombreux, fouillés et recoupés aident l’auteur à disséquer véritablement l’événement. Ses talents de narration et de dessin lui permettent, en plus, de le rendre passionnant.
De Peeters, on se souvient de l’excellent Pilules Bleues. Château de Sable est lui un drame à huis clos à ciel ouvert. Ca ne se passe pas dans un manoir comme à Cluedo, mais sur une plage, et le principal ennemi est le Temps qui enferme et dévore tout le monde à une vitesse folle. A chaque demi-heure, les héros vieillissent de plusieurs années, et ils ne sont pas immortels, loin de là. L’horloge biologique de chacun des prisonniers involontaires va sonner de manière implacable. Comme vous vous en doutez, ça finit mal, mais c’est très beau.
Laureline Karaboudjan
PS: Rappelons qu’il y a aussi une sélection jeunesse (avec notamment le bon dernier Spirou) et une sélection patrimoine.
Illustration : Extrait de l’affiche du festival d’Angoulême 2011 dessinée par Baru, DR.
lire le billetLa religion sert souvent des scénarios où se mêlent complots, ésotérisme et fantastique.
Dieu existe. C’est un templier un peu cathare, mais un peu juif aussi, qui aime Jésus, mais parfois le tue, a couché avec Marie-Madeleine, mais parfois non, et a un fabuleux trésor qui se trouve au choix, dans une abbaye française, à Jérusalem, à Damas, au fond des mers voire à Paris. En tout cas, c’est ce que m’ont appris les bandes dessinées. A ne jamais croire l’exégèse officielle, à tout remette en question.
Très en vogue au début de la décennie passée, le genre ésotérico-religieux connaît un regain particulier en ce moment avec deux titres qui bénéficient d’une grosse promotion de la part de leurs éditeurs. Paraissent ces jours ci Trois Christs, aux éditions Soleil, scénarisé par Valérie Mangin et dessiné par Bajram (l’auteur d’Universal War One) et Julius chez Glénat, un préquel à la série à succès du Troisième Testament. Si cette rentrée se place donc sous le signe du 3 (chiffre ésotérique s’il en est), bien plus nombreux sont les albums où l’on croise templiers et francs-maçons à chaque coin de rue. Pourquoi un tel foisonnement éditorial?
Les réponses sont évidentes: le public en est friand, ça se vend bien. Surtout, le sujet est tellement large que les potentiels narratifs qui en ressortent sont inépuisables. De la grande histoire, la vie de Jésus le plus souvent, ou bien les templiers, à la plus petite, une relique dans une abbaye paumée. Trois Christs interroge justement cette idée de la multiplication d’une histoire sur un même thème. Le scénario est simple : la rencontre entre le Saint-Suaire, le linceul qui aurait recouvert le Christ, et un sculpteur médiéval. Sauf qu’au lieu de n’en faire qu’une histoire, la BD propose trois versions de cette même idée de départ, en réutilisant au maximum les mêmes dialogues et les mêmes cases. Et à partir de ce même matériel scénaristique prouver que 1. Dieu existe, 2. Dieu n’existe pas et 3. Dieu est radioactif.
“On a eu l’idée à l’époque du succès du Da Vinci Code, explique Bajram. On s’est rendus compte que beaucoup de gens ont adhéré au premier degré au discours du livre et l’ont pris pour argent comptant. En étant persuadés que le Da Vinci Code, quand il dit que la religion catholique est basée sur un mensonge et en brodant une histoire autour de cette idée, dit la vérité. En fin de compte ils retombent exactement dans le même panneau”. Un phénomène qu’on retrouve aussi, à en croire le dessinateur, chez les tenants du complot autour du 11 septembre. “On a voulu construire une BD sur cette problématique, en démontrant qu’il n’y avait pas de vérité figée, et qu’à partir d’une même situation, on pouvait en construire plusieurs”. reprend Valérie Mangin, la scénariste.
Si j’aurais sûrement préféré qu’elle se déroule sur trois tomes (et pas juste un gros tome) pour laisser plus de temps au scénario de se déployer, l’idée est remarquable et se rapproche, par ses contraintes formelles, de l’Oubapo, l’Ouvroir de Bande-dessinée Potentielle. Un travail de titan qui s’est matérialisé, pour les auteurs, par un énorme tableau à 800 entrées afin d’assurer une cohérence de l’oeuvre. “Je suis une très grande fan d’Alan Moore, notamment de Watchmen, assure Valérie Mangin, et j’avais envie de tenter un exercice de style similaire”. Quitte à faire un album ésotérique jusque dans sa forme, qui sert une démarche presque militante à écouter Bajram: “Au-delà de la religion, le propos c’est de dire aux gens de s’informer partout, de ne pas que regarder TF1 ou la deuxième chaîne. Pour se faire sa propre vérité, il faut lire aussi bien l’Huma que le Figaro, et surtout s’informer beaucoup. On est en train de passer de la croyance stupide de tout ce que disent les médias à un rejet complet tout aussi stupide”.
L’histoire s’appuie sur des faits réels, puisque le Saint-Suaire existe réellement (lire le très bon article d’Henri Tincq sur le sujet). C’est aussi un des principes par excellence de ce type de BD. Comme dans le Da Vinci Code, il faut toujours s’appuyer sur les grandes lignes de la religion et quelques faits bien précis, à peu près sûrs historiquement. Le tout c’est que ces petits piliers de réalité permettent aux lecteurs d’y croire et de se dire : “Et si c’était vrai?” Après, plus la couche de fiction et d’invraisemblances est grosse autour, plus ça marche. Un peu comme pour la Bible en fait.
Le Christ mangé à toutes les sauces
Une des séries qui a lancé la récente mode ésotérique, le Triangle Secret, dont le premier tome est paru en 1997, fonctionne exactement sur ce principe. La série à succès, avec plus d’un million d’albums vendus, reprend tous les codes du genre. Le héros est un franc-maçon qui travaille à la restauration de vieux parchemins. Dans le cadre de son travail, il tombe sur un document fracassant qui remet en cause les fondements du christianisme. Évidemment, sa découverte déplaît à l’Eglise catholique qui charge des agents d’enterrer tout ça.
Pour le scénariste de la série, Didier Convard, la mode de l’ésotérisme tient à l’époque. “Quand le Triangle Secret est sorti on entrait dans le nouveau siècle. C’était l’occasion de faire un bilan sur 2000 ans d’histoire chrétienne. Et puis on est à une époque où tout est montré, que ce soit sur Internet ou à la télévision. L’ésotérisme au contraire offre de grandes zones d’ombres. Il faut des clés et des codes pour les décrypter. C’est peut-être ça que les gens recherchent”.
Didier Convard se voit comme un précurseur du genre. “Jusque là, l’ésotérisme n’était que peu servi par la bande dessinée. Personne ne l’avait pris comme base scénaristique alors qu’un public considérable n’attendait que ça. Le succès peut paraître paradoxal parce que ce sont des BDs où il y a finalement peu d’action et où l’on parle beaucoup, mais ça marche”. Une des clés du succès, c’est peut-être la précision des références de Didier Convard, qui ne se cache pas d’être lui-même franc-maçon. En tous cas, il assure que “hormis des attaques de l’extrême-droite, la BD a été bien reçue. J’ai même fait des conférences avec des prêtres”.
Dans le genre ésotérico-religieux, la chrétienté est mangée à toutes les sauces. Des plus fidèles «au Livre» aux plus abracadabrantesques, il y a vraiment toutes sortes de BD. La période la plus traitée est sans doute celle du Moyen-Age, car la plus sombre et la plus mal connue. Entre les templiers, les cathares, ou la sorcellerie, tout y est possible. Parfois on traîne du côté du début de la Renaissance et des papes décadents comme avec Borgia de Jodorowsky et Manara. Les auteurs apprécient aussi les allers-retours entre aujourd’hui et le passé très religieux. C’est le cas avec Le Décalogue, autre série au très grand succès éditorial, mais aussi dans le dernier Blake et Mortimer, La Malédiction des Trente Deniers. Là, c’est la grande foire aux complots, qui mélangent nazis sur le retour et l’or de Judas, le tout sur des îles en Grèce pour le décor paradisiaque.
Et les autres religions alors? En BD francophone, elles sont nettement moins traitées, du moins sur le mode de l’ésotérisme dont le christianisme semble être l’apanage. Sfar évoque très souvent le judaïsme et parfois l’islam dans son oeuvre, mais jamais pour servir un scénario fait de mystère et de kabbales. Evidemment, il existe une foule de BD éducatives sur la religion, qui privilégient la pédagogie à la fiction débridée. Bon, c’est souvent chiant comme une messe en latin, mais j’aurais sûrement l’occasion d’en reparler dans une prochaine chronique.
Laureline Karaboudjan
Illustration : Extrait de Trois Christs, DR.
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