La Dame de Rangoon est en visite officielle en France cette semaine, l’occasion de se replonger dans les BD qui évoquent la Birmanie.
La visite est historique et chargée de symboles. Après avoir pu enfin récupérer son prix Nobel de la Paix, 21 ans après son attribution, l’opposante birmane Aung San Suu Kyi entame ce mardi une visite officielle en France. Reçue avec les honneurs réservés à un chef d’Etat, la Dame de Rangoon doit rencontrer le président François Hollande, le ministre des Affaires Etrangères Laurent Fabius ou encore intervenir devant le Parlement. Aung San Suu Kyi aura à coeur de raconter la situation politique de son pays –où la dictature militaire se décrispe à peine– elle qui a si longtemps été contrainte au silence et à l’assignation à résidence.
Plusieurs auteurs de BD se sont aussi fait les porte-voix des problèmes que rencontre le Myanmar (le nom officiel du pays), et la visite officielle d’Aung San Suu Kyi donne l’occasion idéale de se replonger dans leurs albums. Voici une petite sélection…
Sortie il y a quelques semaines, Lunes Birmanes se présente au premier abord comme une BD d’aventure classique. On y suit les périgrinations de Thazama, un membre de l’ethnie zomi, qui vit dans un village reculé de l’Ouest du pays. Avec quelques passages obligés du genre: adolescent, il est parainé par un vieux sage du village, il a un tatouage de tigre qui s’anime en rêves et semble lui donner des super-pouvoirs. A la lecture des premières pages, on s’attend à une sorte de manga épique et picaresque, où le héros venu de la campagne va devoir se frotter aux rigueurs de la ville au travers d’un voyage rythmé de péripéties. C’est presque ça…
Car si Thazama va bien quitter son village pour Rangoon, ce n’est pas pour quérir quelque artefact fantastique mais sous la pression bien réelle du pouvoir militaire birman. Alors que la répression sévit dans les campagnes, à l’encontre des minorités ethniques, Thazama monte à la ville et participe au mouvement étudiant de 1988. Le début d’un très long calvaire, où le héros va subir maintes et maintes fois la violence d’Etat, de passages à tabac en détentions arbitraires, voire à la torture. Une violence que les auteurs montrent crûment, sans fard, et qui ne laisse pas insensible.
Outre les passages birmans de la BD, ce qui m’a paru particulièrement intéressant c’est le moment où le héros parvient à fuir la Birmanie pour trouver refuge dans les pays voisins, notamment en Thaïlande et en Malaisie. Le traitement qui lui est réservé n’est en fait guère plus réjouissant que dans son pays d’origine: les étrangers en situation irrégulière sont traqués par une police brutale et sont relégués au travaux clandestins des plus pénibles. Dans son périple, Thazama se retrouve même réduit en esclavage par des pécheurs.
L’enchaînement des scènes dégradantes peut donner la nausée et donner l’impression que les auteurs en font trop. Hélas, tout est véridique, comme l’explique une post-face illustrée de photos à la fin de l’ouvrage. Le personnage de Thazama est un concentré de Birmans bien réels que Sophie Ansel, qui est journaliste avant que d’être auteure de BD, a rencontré et dont elle a recueilli les témoignages. Si la BD m’a parue parfois maladroite, elle ne laisse pas insensible et se veut accessible au plus grand nombre.
Je m’étendrai moins sur la BD de Guy Delisle car elle est bien plus connue (et que j’ai déjà eu l’occasion de vous en parler un peu sur ce blog). Si ce n’est, à mon avis, pas son meilleur carnet de voyage (Pyongyang et Shenzen me semblent plus aboutis, peut être parce que plus resserés), Chroniques Birmanes reste un témoignage très intéressant sur le pays. Avec son trait à la fois simple et très expressif, l’auteur raconte l’année qu’il a passé sur place comme expatrié, sa femme étant administratrice de Médecins sans frontières. Guy Delisle, lui, est homme au foyer avec tout le loisir de dessiner ce qu’il voit… en promenant son fils en poussette.
L’aspect purement familial de ces Chroniques, à l’instar d’un blog BD intime, peut parfois agacer alors qu’on aimerait en lire toujours plus sur la vie quotidienne en Birmanie et sur les manifestations plus ou moins subtiles de la nature du régime en place. L’auteur glisse tout de même un certain nombre d’anecdotes très parlantes, souvent pour illustrer l’absurdité presque légendaire du pouvoir birman. A ce propos, une incise pour vous recommander Happy-World, un très bon webdocumentaire sur le pays, qui fonctionne un peu sur les mêmes ressorts. Et en plus l’illustration y a une vraie place, ce qui justifie que je vous en parle sur un blog dédié à la BD.
Aung San Suu Kyi est évidemment évoquée à de nombreuses reprises dans l’album. Avec un traitement à la fois simple et fort: l’auteur passe plusieurs fois devant sa maison gardée et aux volets clos, devinant toujours mais n’apercevant jamais l’opposante. Bref, vu leur succès, vous avez probablement déjà lu les Chroniques Birmanes de Guy Delisle. Si ce n’est pas le cas, vous pouvez y aller les yeux fermés.
Comme son titre l’indique, cet ouvrage collectif, à l’instar de Lunes Birmanes, n’est pas placé sous le signe de la franche rigolade. Il s’agit là aussi d’un recueil de témoignages de Birmans victimes de la situation politique de leur pays, un ouvrage dont la multiplicité des auteurs fait la force. Si le livre est essentiellement composé de textes, plusieurs bandes-dessinées entrecoupent l’ouvrage Outre José Muñoz, qui signe aussi de son style caractéristique la belle couverture de l’album, on retrouve des planches d’Olivier Bramanti, Markus Hubert, Olivier Marboeuf, Sera ou encore Sylvain Victor.
L’ouvrage est volontiers militant et tente de convaincre son lecteur avec des exemples très variés. On retrouve ainsi la parole d’ONG, mais aussi d’une réfugiée au Bangladesh, de populations victimes de l’installation d’oléoducs par Total ou d’un déserteur de l’armée. Autant de points de vue qui dressent un portrait
Un autre regard sur la Birmanie
Ces trois bandes-dessinées offrent chacune un regard réaliste sur la Birmanie d’aujourd’hui. Mais traditionnellement, les évocations du pays en bande-dessinée sont plus folkloriques. La Birmanie en BD, c’est avant tout le décor idéal pour des aventures exotiques. Le pays sert par exemple de cadre à un des plus fameux épisodes des aventures de l’aviateur Buck Danny: la trilogie composée des Tigres Volants, de Dans les griffes du Dragon Noir et d’Attaque en Birmanie. En pleine Seconde guerre mondiale, le pays est aux main des Japonais et offre un théâtre tout à fait propice à des courses-poursuites dans la jungles, avec tous les dangers que l’environnement peut comporter.
Citons aussi Elle ou dix mille lucioles, le tome 14 des aventures de Jonathan, la série de l’auteur suisse Cosey, où le héros romantique traîne ses guètres en Birmanie. Là encore, c’est avant tout l’aspect exotique du pays qui est mis en avant: superbes paysages, pagodes dorées et maisons sur pilotis, moine bouddhiste plein de sagesse et femmes enivrantes. Une évocation qui a aussi son intérêt (notamment philosophique), mais qui est bien différente des BD-reportages sur la situation politique birmane.
Laureline Karaboudjan
Illustration extraite de Lunes Birmanes, de Sophie Ansel et Sam Garcia, DR.
lire le billetLe pilote de chasse est un héros, à la télé comme en BD.
C’est la guerre! Musique de Wagner et tout le tintouin. La coalition menée par la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis bombarde, depuis dix jours, la Libye de Kadhafi. Il s’agit, en théorie, d’imposer une “zone d’exclusion aérienne” selon les termes techniques de la diplomatie onusienne. En tous cas, depuis le début de l’intervention, les écrans de télévision français se sont remplis d’images d’avions: les avions au décollage de Saint-Dizier, les tirs de la DCA dans la nuit tripolitaine -lorsque j’écris “tripolitaine”, j’ai déjà l’impression de voyager, pas vous?- les bombes qui s’abattent dans le désert libyen. Ajdabiya, Ras Lanouf, Brega, Ben Jaouad, et bientôt sans doute Syrte, inventaire à la Prévert de villes qui tombent. Aux côtés des insurgés, joyeux et désorganisés, tel Fabrice del Dongo se rendant à Waterloo, émerge de cette rafale d’images un autre héros: le pilote de chasse.
Comment pourrait-il en être autrement? Le pilote d’avion fait partie, à l’instar de l’agent secret ou du détective privé, de la galerie des héros d’aventures traditionnels. Et la contribution de la bande-dessinée à la construction de cette image n’est pas mince. Ses missions à travers le monde (et même au-delà) sont autant de prétextes à de trépidantes aventures.
Les plus connus sont Buck Danny, Dan Cooper et Tanguy et Laverdure. Le premier est né au lendemain de la Seconde guerre mondiale dans le journal de Spirou, sous la plume de Charlier et Hubinson. Buck Danny est un pilote de l’aviation américaine dont les aventures débutent en Asie du Sud-Est où il est est opposé aux “Japs”. Dan Cooper est lui un pilote canadien créé en 1954 par Albert Weinberg pour le journal de Tintin afin de concurrencer Buck Danny. Quant au duo Tanguy et Laverdure, ce sont deux pilotes français censés concurrencer les deux précédents dans… Pilote. Très tôt, la BD d’aviation s’est ainsi popularisée, au point que chaque journal de bande-dessinée se devait d’avoir sa propre série.
Tous ces grands héros de la BD d’aviation partagent un certain nombre de caractéristiques: beaux gosses, honnêtes, souvent blonds et toujours bien coiffés, fidèles en amitié (et sûrement en amour, mais les BDs de l’époque n’en parlent que peu, histoire de ne pas pervertir la jeunesse). Bref, le pilote de chasse de bande-dessinée n’a, pour ainsi dire, pas de défauts. D’ailleurs on retrouve assez sensiblement ce même type d’imaginaires dans les photos fournies actuellement par les différentes armées aux agences de presse (et que l’on retrouve ensuite dans la presse).
Au-dessus des pilotes français, le 23 mars (Reuters), ci-dessous, Tanguy et Laverdure.
Le pilote un exemple à suivre, une figure admirable, comme on peut en retrouver dans les films de guerre hollywoodiens des années 50, avant les premiers films militaires désespérés, comme Full Metal Jacket ou Apocalypse Now.
Héros ringards
Aujourd’hui, ces pilotes traditionnels sont complétement ringardisés et c’est en souriant au charme désuet de leurs aventures que l’on parcourt, par exemple, l’intégrale de Buck Danny que ressort peu à peu les éditions Dupuis. Personnellement, je ne me lasse pas des “Grands dieux” et autres “Rascal” qui ponctuent les aventures du pilote américain, ni de ses talents multiples qui lui permettent, en quelques pages, de bombarder des bases ennemies, d’abattre deux ou trois chasseurs adverses puis d’aller sauver un camarade, mitraillette à la main, au fin fond de la jungle birmane.
Et puis, souvent, dans Buck Danny, la fiction s’emballe quelque peu. Notamment dans le tryptique ayant pour théâtre le Sarawak, un petit état de l’Asie du sud-est, où une mafia de la drogue prépare ses livraisons de poudre blanche. Le pacha du porte-avions des trois compères, Buck, Tumb et Sonny, prend même l’initiative de raser les champs de pavot, en mémoire de son fils disparu, victime de la drogue, et ce en dépit des ordres formels venant de Washington. Pas sûr que la même déconne soit possible sur le Charles-de-Gaulle au large de la Libye.
Mêmes intrigues tarabiscotées chez Tanguy et Laverdure. Je me souviens d’une aventure où ils déjouent un complot fomenté par le “Vampire”, un de leurs grands ennemis, dans cette France pompidolienne qui craint d’être détruite à coup de bombes atomiques. Supplétif des forces spéciales, Tanguy est évidemment de l’enquête, et finit par comprendre comment la bande de terroristes opère en toute impunité sur le territoire français: avec des avions à décollage vertical, les Harrier britanniques (d’ailleurs en opération en Libye je crois). C’est sûr qu’à côté de ça, les épiciers de Tarnac font pâle figure…
La classe de l’aviateur
Bien sûr, un certain renouvellement s’est opéré et des séries de BD d’aviation continuent de sortir aujourd’hui, au scénarios autrement plus réalistes. Signalons par exemple la série Le Grand Duc, de Yann et Romain Huguault, qui mélange pin-ups et avions soviétiques sur fond de Seconde guerre mondiale. La BD d’aviation conserve un public de passionnés, comme ceux qui se sont pressés à la récente exposition consacrée au genre dans une école d’aéronautique de la banlieue parisienne.
Mais les pilotes ne sont pas l’apanage de la BD d’aviation, et on en retrouve dans nombre d’aventures plus généralistes. Et, il faut bien le dire, ils ont eux-aussi très souvent la classe. Que l’on songe par exemple à Piotr Szut, le pilote du Mosquito qui tente de descendre Tintin et Haddock dans Coke en Stock avant d’être recueilli par les deux héros sur leur radeau. Avec ses cheveux d’un blond nordique et son cache-oeil de pirate, Szut a un look inimitable qui en fait peut-être le personnage le plus stylé de toute l’oeuvre d’Hergé. Le tout couplé a une grande force d’âme, qu’il démontrera à la fin de Coke en Stock ou dans Vol 714 pour Sidney.
En tant que jeune fille, je me dois aussi de rendre hommage au major Jones de XIII, ayant des traits de caractères assez rares malheureusement en BD pour une femme: une pilote de chasse indépendante, noire, courageuse et intelligente.
L’avion en lui-même peut lui aussi avoir son heure de gloire. S’il est peu probable qu’une BD rende hommage un jour à notre Rafale invendable, le mythe fondateur de Blake et Mortimer est lui tourné autour d’un avion, l’Espadon. Tout l’enjeu des deux premiers albums de la série est de savoir si le professeur Mortimer va construire à temps cet engin surpuissant qui permettra au monde libre d’inverser la tendance contre l’Empire jaune. Si les Rafales, Mirages et autres Eurofighters sont en train de sauver la Libye, l’Espadon, lui, sauve le monde. Tout simplement.
Laureline Karaboudjan
crédits photo: Un pilote français (Reuters) et Buck Danny
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