Le top des dictateurs de BD

Plekszy-Gladz, le Grand Schtroumpf, Zorglub ou Babar, qui est le pire tyran de l’histoire de la bande-dessinée?

97,14% des voix, dimanche dernier, pour le président turkmène qui reste ainsi en bonne place dans le top des présidents élus. Gourbangouly Berdymoukhamedov (quel nom merveilleux) nous rappelle que dans certains pays, on est encore bien loin de l’Egypte, de la Tunisie ou de la Syrie et qu’on continue de respecter l’autorité. Quitte à en passer par des scores électoraux absurdes, qu’on n’ose imaginer en fiction. En BD, justement, on croise aussi une tripotée de dictateurs. Despotes inflexibles ou tyrans ridiculisés, voici probablement les dix plus célèbres. Je vous laisse juger du plus cruel d’entre-eux…

  • Plekszy-Gladz

Si Samson tirait son pouvoir de sa tignasse, nul doute que le dictateur bordure règne par la moustache. Le visage du tyran a beau être presque invisible (on ne le voit qu’une seule fois, au détour d’une case de l’Affaire Tournesol), sa moustache est partout. Sur les drapeaux de la Bordurie, dont elle est devenue l’emblème, sur les brassards de la police politique, un peu partout dans l’orthôgrâphe sî partîculiêre de lâ lânguê bôrdûre et même sur les pare-chocs des voitures. Avec les moustaches de Plekszy-Gladz, Hergé ne s’y est pas trompé: d’Hitler à Staline en passant par Saddam Hussein, les grands dictateurs du XXème siècle sont avant tout des moustachus. Vu à quel point il a mis son pays sous sa coupe, Plekszy-Gladz fait certainement partie de cette lignée là.

  • Zorglub

Zorglub est le dictateur le plus saint-simonien de la liste. Sa croyance effrénée dans le progrès technologique le pousse à tous les dérapages. Il est l’un des personnages secondaires récurrents de Spirou et Fantasio, débordant de projets mégalomaniaques. Dans le dernier album paru en 2011, la Face cachée du Z, il tente par exemple d’établir un empire pour riches sur la lune. Tout simplement. Pendant maléfique mais attachant du Comte de Champignac, il redevient par moments gentil, avant de évidemment de replonger dans ses travers dictatoriaux. Spirou et Fantasio devront d’ailleurs affronter d’autres autocrates dans leurs aventures comme Zantafio, cousin du second, alias le général Zantas. Certains pays qu’ils visitent ne sont pas vraiment des démocraties sympathiques non plus, comme le Touboutt-Chan.

  • Le Grand Khân

«Je suis devenu dictateur à l’insu de mon plein gré» pourrait dire Herbert de Vaucanson, paraphrasant Richard Virenque. A force d’accumuler tous les Objets du destin, souvent par hasard, le voilà à régner sur le monde de Terra Amata, celui qu’ont créé Sfar et Trondheim dans leur saga Donjon. Herbert ne voulait sans doute pas du pouvoir, il doit désormais l’assumer de manière cruelle, à tuer d’une pichenette et à devoir en permanence déjouer des tentatives d’assassinat. Jusqu’au bout, jusqu’à ce que le monde explose. Peut-être, alors, en sera-t-il enfin libéré. Mais pour le savoir, il faudrait que Sfar et Trondheim se bougent un peu plus les fesses au niveau des scénarios.

 

  • Les généraux Tapioca et Alcazar

Il ne fait pas bon d’être démocrate au San Theodoros. Quand un dictateur est renversé, c’est toujours un autre despote qui prend sa place. Comme dans un théâtre de Guignol, Tapioca et Alcazar semblent s’être partagés les rôles dans ce pays d’Amérique Latine imaginé par Hergé. Si on voulait faire une analogie historique, c’est un peu comme si à Cuba, Batista et Castro se renversaient mutuellement tous les 18 mois. Avec ses atours militaires, Tapioca est plus proche du premier tandis que la casquette et le goût des cigares d’Alcazar le rapprochent forcément du Lider Maximo. Deux dictateurs accomplis, véritables mines de conseils pour réussir un coup d’Etat en Amérique Latine. A la limite, on pourrait même dire qu’Alcazar est le pire des deux, car, au contraire de Tapioca qui annonce la couleur, Alcazar se veut  toujours porteur d’espoir. Des espoirs déçus, forcément.

  • Mongul

Mal prononcé, Mongul pourrait être une petite commune sympathique du Lot-et-Garonne. Mais finalement on  préfère l’option «dictateur extraterrestre». Apparu en 1980 dans l’univers de Superman, Mongul tente alors de récupérer le pouvoir sur sa planète, après avoir été déchu par son peuple. Pour cela, il développe une super arme, une planète artificielle nommée Warworld et censée pouvoir tout détruire (“ah oui, comme l’Etoile noire”). Je vous le résume vite mais à un moment il essaie de détruire le soleil de la Terre, comme ça, tranquillement. Mais comme vous l’avez remarqué, il s’est levé ce matin, donc ça n’a pas dû marcher.

 

 

  • Basam Damdu

Quand Jean-Luc Mélenchon met en garde contre les dangers de la théocratie tibétaine, a-t-il en tête les premiers albums de Blake et Mortimer? Dans la trilogie de l’Espadon imaginée par Jacobs, Lhassa est devenue la capitale du monde non-libre, celui de l’Empire Jaune que dirige l’inflexible Basam Damdu. Assis sur un arsenal nucléaire capable de désintégrer la planète en quelques heures, disposant des dernières avancées de la technologie militaire comme le terrible gaz GX3, Basam Damdu est l’archétype du mal absolu. Le genre de tyran à vouloir faire sauter la terre en même temps que sa chute…

 

 

 

  • Babar

Je sais, il y a quelques mois j’ai défendu Babar contre Luc Chatel. Mais je soulignais déjà que cela reste un monarque qui ne semble pas du tout pressé de proposer un régime démocratique. Pourquoi le faire?, me direz-vous… Son peuple l’aime, il est l’égal de Frédéric II, un roi éclairé. Et si le Prussien a bâti le château du Sans-Souci, Babar a aussi des tendances mégalomaniaques puisqu’il a donné à sa capitale le nom de sa femme. N’est-ce pas au plus intelligent, justement, de prendre conscience qu’il faut laisser choisir l’éléphant lamba par lui-même, quitte à ce qu’il se trompe ? Vite, un référendum à Célesteville !

 

  • Le Grand Schtroumpf

Les Schtroumpfs sont des fascistes selon un auteur récent qui cherchait juste le buzz. Ah bon, je pensais qu’ils étaient communistes. Ce qui est certain, au moins, c’est que le grand Schtroumpf ne semble pas pressé de partager le pouvoir. Il règne sur le village à travers un système de lois orales bien pratiques, et, dès qu’il disparaît, c’est le bordel. Les tentatives de régime alternatifs comme celui du Schtroumpfissime sont des graves échecs. Surtout, un peu comme Staline faisant réécrire l’encyclopédie officielle chaque année, le Grand Schtroumpf ne parle jamais du passé. Pourtant, de nombreuses questions se posent. Sachant qu’il a 542 ans et que les autres ont 100 ans en moyenne, que s’est-il passé pendant quatre siècles et demi? A-t-il vécu seul? A-t-il éliminé un à un ses rivaux? Derrière l’aspect champêtre de ce petit village, se cache-t-il un infâme génocide?

  • Adam Susan

Dans la catégorie des tyrans de BD franchement effrayants, Adam Susan est en bonne position. Haut-commandeur du Feu Nordique, un parti fasciste britannique d’inspiration religieuse, il règne d’une main de fer sur le Royaume Uni à la tête d’un état totalitaire. Dans sa panoplie de dictateur accompli, Adam Susan dispose d’un système de surveillance généralisé de sa population et d’un outil répressif des plus avancés, qui comprend notamment des camps de concentration pour les Juifs, les Musulmans, les Homosexuels et n’importe quelle personne qui s’opposerait à son gouvernement sans partage. Mais un homme finira par se lever contre lui, un justicier nommé V, dont le masque de Guy Fawkes est désormais célèbre dans le monde entier, entre autres car c’est le symbole des Anonymous. Remember, remember, the fifth of november

  • Jean-Ferdinand Choublanc

Oubliez les 20 arrondissements actuels, dans le Paris de 2023, il n’y en aura plus que deux. Le premier arrondissement central réservé à l’élite, le second périphérique où se massera la majorité, dans une misère crasse. A la tête de ce Grand Paris de l’iniquité, Enki Bilal a placé, dans sa trilogie culte Nikopol, le dictateur Jean-Ferdinand Choublanc. Mélange entre Mussolini et le roi Ubu, arborant des peintures faciales à rendre jaloux n’importe quel membre de Kiss, Choublanc est un dictateur très émotif, passant allégrement de la joie à la colère la plus complète. En tous cas, c’est un tyran qui a tellement de pouvoir qu’il n’aspire plus à rien d’autre qu’à l’immortalité. Mais quand il s’agit de dealer avec des Dieux, les affaires se compliquent forcément…

 

Laureline Karaboudjan

Illustration : Zorglub , DR.

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Les leçons politiques de Babar à Luc Chatel

Pour Luc Chatel, Hollande est Babar quand Sarkozy est Astérix. Le compliment n’est pas forcement pour qui on croit.

Les politiques parlent beaucoup, surtout en période de campagne électorale, avec un art consommé de la petite phrase. Prenez l’autre jour Luc Chatel voulant défendre son Président bien aimé et qui déclare, pour résumer, «Sarkozy c’est Astérix, et Hollande c’est plus Babar». Au premier abord, ça ressemble à la citation parfaite : deux références issues de la culture populaire et un contraste saisissant entre Astérix le courageux et brave (malgré sa petite taille) gaulois, face à un éléphant ventripotent, qui rappelle les fameux “éléphants du PS”. Mais pour tout amateur de BD (ou de livres illustrés en règle générale), la référence n’est pas forcément si bien choisie que ça. Quiconque a déjà lu Babar sait que la référence est en fait plutôt flatteuse pour Hollande.

Certes, Babar n’est pas un grand démocrate (mais Astérix non plus). Il n’a pas été élu et son règne est celui d’un monarque, avec tout l’apparât qui va avec. D’un point de vue historique, on pourrait dire que Babar va chercher chez Frédéric II de Prusse pour son côté monarque éclairé. Comme il n’est pas un roi légitime, issu d’une lignée monarchique ou de droit divin, mais qu’il est un despote dont le pouvoir repose sur le plébiscite, Babar est bonapartiste façon Napoléon III. Et Babar tient beaucoup de Léopold Sédar Senghor, premier président de la République du Sénégal, pour son côté «j’ai appris à connaître l’Occident en Europe et je reviens l’appliquer à ma sauce chez moi». C’est d’ailleurs l’aspect le plus critiqué de Babar, oeuvre dans laquelle certains commentateurs voient une apologie de la colonialisation.

S’il est vrai que l’éléphant renvoie au moins à un imaginaire colonial et qu’il est peu porté sur la démocratie, au-delà de ça, il ne semble n’avoir que des qualités comme gouvernant. J’ai tenté d’en lister quelques unes.

Bâtisseur et tolérant

Ah, les grands chantiers pour relancer la croissance que nous promettait le quinquennat… Et au final, on n’a rien vu, à part que l’EPR à Flamanville va bientôt se transformer en Aquaboulevard faute d’argent. Babar, au contraire, a construit sa capitale, Celesteville, de toutes pièces. Tous les équipements sont là: le palais, évidemment, mais aussi des écoles et une grande salle des fêtes. En plus, Babar n’est pas embêtant niveau urbanisme: chaque peuple construit sa maison avec son architecture propre à Célesteville, pour que chacun puisse vivre avec ses coutumes. Babar-Hollande est donc en plus un héros de la tolérance. Seul bémol, le nom de la ville, inspiré par sa femme Céleste, qui rappelle les délires mégalomaniaques de certains présidents africains. J’espère qu’Hollande ne nous construira pas une Valérieville.

Pacifiste, chef de guerre

L’histoire de Babar pourrait être celle d’une rancune tenace. Alors qu’il n’est encore qu’un éléphanteau, sa mère est abattue par des chasseurs humains. Plutôt que de se laisser guider par la haine comme Bambi, l’éléphant part vivre chez les hommes où il rencontre une vieille dame qui l’initie aux moeurs humaines. S’il ne conserve pas de haine envers les hommes, Babar, devenu roi, s’emploie à favoriser l’harmonie entre les différentes races d’animaux.
Pour autant, Babar ne se laisse pas marcher sur les pieds et il sait affronter les humains, mais aussi les rhinocéros, et sans potion magique ni Rafale. C’est un véritable chef des armées qui sait, quand il le faut, faire la guerre sans l’aimer.

Sait bien s’entourer

Combien de fois ai-je entendu cette phrase au comptoir? «Si encore, il n’y avait que Sarkozy, mais le problème, c’est aussi les gens autour de lui: Guéant, Hortefeux, Lefebvre, Dati, Morano. Ahh, Morano…» Babar, au contraire, sait très bien s’entourer. Il a toujours une oreille grande ouverte pour les conseils de Cornélius, vieux sage parmi les sages. Bien qu’un peu couard (et présent uniquement dans le dessin animé), le chambellan Pompadour est également toujours là. Sans oublier Zéphir qui est tout de même un singe qui arrive à pêcher une sirène et sauver du coup la fille de son ami, la princesse Isabelle, dans Les vacances de Zéphir. Prends ça Ulysse. Au fil des albums, les valeurs véhiculés sont celles d’une amitié immuable et d’une entraide permanente.

A la conquête de l’espace

Et pour l’anecdote, si Sarkozy a annoncé vouloir relancer la conquête spatiale, Babar est déjà allé lui dans l’espace, dans Babar sur la planète molle, où il rencontre d’ailleurs des extraterrestres. Françoise Brochard-Wyart, professeur à Paris VI notait d’ailleurs dans une émission d’Arte qu’avec cet album Laurent de Brunhoff avait subodoré le concept de matière molle avant que les physiciens ne le théorisent vraiment.

Conclusion, Luc Chatel a peut-être confondu Babar et Dumbo. Et encore, le Dumbo du début du dessin animé, avant qu’il devienne courageux lui aussi. Je ne développerai pas Astérix ici mais notons qu’en temps de crise économique, ce n’est pas la meilleure référence. Dans l’album Astérix et le Chaudron, notre héros se retrouve devant une dette à rembourser et il a beau tenter tous les métiers possibles, il est incapable de trouver de l’argent pas des moyens économiques traditionnels. Le seul qu’il trouve pour s’en sortir est de finalement prouver que l’argent qu’on lui avait prêté a été volée par les personnes qui lui avaient confié! Tiens, peut-être que Sarkozy devrait s’en inspirer vis à vis des banques finalement.

En général, Astérix vit dans une économie du troc et du partage, pas du tout capitaliste. La seule fois où il se prête au jeu économique, c’est dans Obélix et Compagnie où le druide et lui décident de faire exploser l’offre de Mehnirs pour créer une bulle spéculative (un peu comme les tulipes hollandaises) ce qui entraîne une déflation de la sesterce romaine. Prends ça sur les doigts, la main invisible.

Laureline Karaboudjan

Illustrations: extrait du dessin animé Babar, DR, et caricature publiée sur Désencyclopédie, DR.

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