«Il faut de l’avenir à notre futur»

Slogans ridicules, propositions farfelues sont au programme de La Course à l’Elysée, un jeu de société politique des auteurs de la BD Quai d’Orsay.

A quelques jours du premier tour, la tension est à son comble (ou pas). Tous les soirs le sujet revient à table ou dans les bars: “Et alors, et toi, pour qui tu votes?” “Poutou, mais tu sais, depuis longtemps hein, pas depuis le Des Paroles et des Actes de la semaine dernière…” “Non, mais Poutou, c’est une blague?” “Non, sérieusement”. Bref, au bout d’un moment, c’est fatiguant de se répeter.

Un jeu de société, La Course à l’Elysée, qui vient de sortir, propose enfin une alternative et permet de s’engueuler sur des cas concrets. Créé par les auteurs de l’excellente BD Quai d’Orsay, Abel Lanzac et Christophe Blain, ce jeu met en scène six candidats qui tentent de gravir les marches de l’Elysée jusqu’au deuxième tour de l’élection présidentielle, puis à la fonction suprême. Au hasard, on incarne donc le Parti anti-capitaliste, les Alter-écologistes, le Parti social-démocrate, le Parti conservateur, le Centre et le Parti nationaliste.

Le principe est simple: pour gravir les marches de l’Elysée, on alterne entre des cases coulisses et des cases débats. Les premières sont d’assez banales peaux de bananes à glisser à vos adversaires ou bonus pour vous aider à monter dans les sondages. L’essence du jeu se trouve dans les secondes. Il s’agit avant tout de piocher un thème de débat, souvent un fait d’actualité imaginaire mais proche de la réalité. Par exemple “Trois meurtres à Toulouse après un règlement de comptes” (si, si, cette proposition quelque peu prémonitoire est vraiment dans le jeu).

A partir de ce thème de débat, il s’agit de choisir un adversaire et de défendre une mesure précise que l’on a, elle aussi, piochée au hasard. Le tout en arrivant à placer le slogan de son parti, car c’est en le martelant que l’on frappe les esprits. Évidemment, tout le sel du jeu réside dans les situations absurdes que cela entraine. Par exemple lorsque l’on est candidat nationaliste et qu’il s’agit de réagir aux mauvaises conditions de détention dans les prisons en prônant la légalisation du cannabis: “C’est une mesure juste, ainsi les prisonniers seront moins stressés. Et bien entendu, ces drogues douces seront distribuées aux Français avant tout”.

Une expérience surréaliste

En parlant de drogues douces, j’ai testé le jeu lundi soir, avec des ami(e)s, je dois avouer que nous avons beaucoup ri. Les gens s’amusent vraiment à incarner les personnages, ça parle fort, cela devient vite outrancier et très divertissant. Nous sommes tombés dans des grands moments de débats démocratiques avec des phrases chocs et des slogans hallucinants. Petit florilège : “Il faut de l’avenir pour notre futur”, “Pour résoudre le problème des banlieues, je propose de relancer la filière nucléaire afin de procéder à des frappes thermo-nucléaires sur les quartiers”, “Pour répondre à la violence de notre société, il faut créer un statut spécifique de l’animal contre les maltraitances”, “Il faut un président du monde, ni de droite, ni de gauche” ou encore, pour reprendre la parole en plein débat, “C’est bon? Je peux parler? Un autre monde est possible?”.

J’avais noté mentalement pleins d’autres phrases mais là mes souvenirs sont un peu embrumés. En tous cas voilà autant de sorties, autant de tirades qui n’ont rien à envier aux plus célèbres phrases des débats politiques passés. A côté, on doit même admettre que le “monopole du coeur” ou le “Taisez-vous Elkabbach” font presque pâle figure. A cet égard, La Course à l’Elysée, outre être un bon divertissement, fait presque figure d’expérience surréaliste. Le jeu agit en tout cas comme une métaphore plutôt bien sentie de la vie politique (on devrait même dire politicienne), qui pousse les candidats (les vrais) à devoir réagir à tout et n’importe quoi avec des promesses plus ou moins acrobatiques.

Plusieurs petits points à préciser toutefois:

  1. Il vaut mieux jouer avec des gens qui ont du recul et le sens de l’auto-dérision. Peut-être que tout le monde n’a pas envie de défendre des idées du FN, même si c’est pour de faux. Mais quel plaisir, à l’inverse, de voir votre ami centriste depuis toujours défendre des positions extrêmes ou un copain gaucho se faire l’avocat de l’UMP.
  2. Il faut des gens du même niveau. Comme c’est un affrontement permanent, pour les timides et ceux qui s’intéressent peu à la politique, cela ne va pas être très drôle face à des personnes qui partent dans des envolées lyriques. Ce n’est pas forcément le meilleur qui gagne, puisque comme ce sont les autres adversaires qui notent les affrontements, aucun joueur n’a intérêt à ce que quelqu’un monte trop vite.
  3. Le jeu est un peu court, le second tour aurait pu être mieux imaginé et les cartes coulisses ne sont pas assez variées.
  4. Je m’attendais à plus de jolies illustrations de la part de Blain, là c’est un peu froid. On sent qu’il est plus venu donner un coup de main qu’il n’a participé pleinement à la réalisation du jeu.
  5. C’est le moment où jamais d’y jouer, au moins jusqu’aux législatives. Le jeu peut tout à fait se jouer hors période électorale, mais il risque d’y perdre un peu de son sel.

Laureline Karaboudjan

Illustration : extrait de la boîte du jeu La Course à l’Elysée, DR.

lire le billet