La musique fête la BD

Symboles de l’influence culturelle du neuvième art, les héros de BD sont souvent mis en chansons.

Quels sont les deux points communs entre Bob Morane, Bécassine, Superman, Spiderman ou les Dalton? Le premier est évident: ce sont tous des héros de bandes dessinées. L’autre est un poil plus inattendu: ils ont tous été un jour mis en scène dans des chansons. De la variété de Joe Dassin au rap d’Eminem, pas un style musical n’a rendu, à sa manière, hommage au neuvième art. En ce jour de fête de la musique, voici ma playlist bédéphile (que vous pouvez aussi écouter sur Spotify).

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Grand Fossé chez les Uderzo

Le déchirement familial chez les Uderzo a fait deux victimes: Astérix et les lecteurs.

L’album d’Astérix Le Grand Fossé met en scène un petit village gaulois coupé en deux, avec de chaque côté un chef intransigeant qui réclame la souveraineté sur l’autre moitié du village. Évidemment, cet affrontement est ridicule: dans le fond les deux partis sont bonnet blanc et blanc bonnet et il faudra l’ingéniosité d’Astérix, Obelix et Panoramix ainsi qu’un amour fou entre deux jeunes tourtereaux, pour résoudre la situation.

Si dans la BD, cela finit bien, dans la vraie vie, c’est souvent un plus compliqué. La famille Uderzo aurait ainsi bien besoin d’un peu d’amour et de nos compères gaulois pour ramener la paix dans la chaumière. Dans une enquête très intéressante parue cette semaine, Le Nouvel Obs décrit la manière dont Uderzo se déchire avec sa fille depuis de nombreuses années. L’affaire était connue. Avec l’article de l’hebdomadaire, on comprend à quel point la situation est « pathétix ».

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La revanche des roux

Sur-représentés en BD, les roux y sont également plus valorisés que dans la vraie vie.

Le saviez-vous? Paul Scholes, le joueur de Manchester United, a décidé de prendre sa retraite. Bon, moi je ne le savais pas, mais je l’ai appris grâce à un article de Plat du Pied Sécurité , le blog de foot de Slate. Et, voyez-vous, bien que je ne suive pas spécialement le foot, ça m’a touchée. Car tout l’article se concentre moins sur les crampons de l’anglais que… sur la couleur de ses cheveux. Avec cette assertion pour le moins rapide : “les roux ne sont pas sexys“. Le hasard de la vie faisant que je suis moi-même rousse, cette phrase m’a fait rire tellement elle est fausse. Mais dans les commentaires, des gens bien plus furieux que moi ont animé le débat. Je vous passe tous les développements mais à un moment, l’auteur de l’article finit par en appeler à mes lumières (?) concernant les roux en bande-dessinée. Dont acte.

Si dans la vraie vie, nous ne sommes pas très bien servis en tant que roux, il en va tout autrement en BD. A commencer par les effectifs. Alors que les roux et rousses ne représenteraient qu’entre 1 et 2% de la population mondiale, on en trouve une tripotée dans les aventures dessinées. Une rafale d’exemples ? Obélix, Spirou, Boule (le copain de Bill), le sergent Chesterfield (des Tuniques Bleues), Jérôme K Bloche, Shanks le Roux (du manga One Piece), Lanfeust, Soda, Mortimer… Et chez les filles, citons par exemple Mélusine, Nadia (la copine de Titeuf) et, bien sûr, Laureline (la compagne de Valérian). Il est évidemment impossible de faire un décompte précis de la proportion de roux comparés aux blonds et aux bruns (sans parler des héros aux cheveux bleux ou verts) dans l’univers de la bande dessinée, mais ils semble bien qu’ils soient bien plus visibles que dans le monde réel.

La fascination du orange

Il ne faut pas chercher bien loin pour comprendre cette invasion de cheveux de feu en BD. La teinte rousse des cheveux, couleur chaude par excellence, est très graphique. Couché sur le papier, un héros roux aura une présence souvent plus forte qu’un équivalent blond ou brun, parce que le orange de ses cheveux attirera plus le regard. Un roux en BD, ça pète, tout simplement. Il est par ailleurs intéressant de noter la largeur de la palette chromatique à disposition des dessinateurs de BD pour représenter la rousseur. Comme le roux est la couleur de transition entre les deux pôles que sont le brun et le blond, de nombreuses déclinaisons sont possibles : depuis les cheveux cuivrés, limite violets, d’un Soda jusqu’au quasi-blond vénitien de Nadia, en passant par le orange carotte de Chesterfield ou de Spirou. Le blond et le brun offrent une gamme de possibilités nettement moins étendue.

Notons pour l’anecdote que cette fascination du roux dépasse les frontières de la BD et peut s’appliquer aux arts graphiques en général. Est-ce pour cela que la photo la plus chère du monde, un cliché de Cindy Sherman vendu aux enchères le 11 mai dernier à New York pour la bagatelle de 2,76 millions d’euros, est un hommage à la rousseur, avec son orange omniprésent ?

Sexy-rouquins

Non seulement les roux sont sur-représentés en bande-dessinée, mais ils ont également très souvent un rôle valorisant. Quand très peu de méchants de BD sont roux (peut-être que j’occulte inconsciemment, auquel cas vous me rafraîchirez la mémoire dans les commentaires), on ne compte plus ceux qui tiennent la tête d’affiche des séries dans des rôles positifs et variés. Mortimer est un scientifique de génie, Matt Murdoch (alias Daredevil) un avocat de talent doublé d’un super-héros redoutable en dépit de sa cécité.

Et, contrairement aux clichés qui collent aux roux, certains sont plus que craquants en BD. Prenons Spirou, Shanks le Roux, Lanfeust ou Soda par exemple, soit, dans l’ordre d’apparition, un aventurier, un pirate, un héro, et un flic qui fait croire à sa mère que c’est un gentil prêtre. Difficile de faire plus sexy pour gagner sa croûte non? De tous, c’est sans doute Spirou qui est le plus célèbre. Il a en quelque sorte légitimé l’idée qu’un héros puisse être roux. Après lui, le boulevard était ouvert. Shanks est une réincarnation de Barbe Rousse dans One Piece. Beau gosse, toutes les filles (dont moi) ont un peu le béguin pour lui. Lanfeust est un peu niais, mais il sauve le monde, puis la galaxie. C’est important, il ne faut pas l’oublier. Quant à Soda, il aime sa maman et porte les Ray-Ban comme personne. Chez les filles, je pourrais déblatérer longtemps sur Laureline, mon homonyme qui parcourt l’espace-temps avec Valérian. Mais une recherche Google images sera bien plus éloquente qu’un inutile paragraphe.

Tout ceci ne doit pas faire oublier que dans la vraie vie, être roux peut tout de même être mal vécu. C’est ce que veut nous raconter Fabrice Erre dans Le Roux, une des seules BD à ma connaissance à aborder cette question frontalement. A travers le personnage de Pierre Leroux, qui comme son nom l’indique a les cheveux oranges, c’est tout le sujet du droit à la différence qui est évoqué. Le héros rouquin, lassé des moqueries, décide de se faire le porte-parole des roux et de revendiquer fièrement sa couleur de cheveux. Quitte à blâmer ses semblables qui s’éloignent du droit chemin. Ou comment on peut devenir intolérant à vouloir trop combattre l’intolérance au point de tomber dans l’affirmation identitaire.

Laureline Karaboudjan

PS: Tintin est-il roux?

Tout tintinophile s’est déjà posé la question: le reporter belge est-il blond ou roux? Selon le site Rousseur.org, notre journaliste préféré est roux. «Des doutes ? Dans plusieurs BD, il apparaît clairement roux même si ce n’est pas flagrant», y explique-t-on de façon un peu nébuleuse. En tous cas, la question est sujette à de grands débats sur YahooAnswer.

Effectivement, selon les albums il est plutôt roux ou blond, question de rendus d’impression sans doute. Mais pour les adaptations en dessin animé, les auteurs avaient plutôt choisi le roux. Ce qui semble d’ailleurs être le cas également pour le film de Jackson et Spielberg (dont la bande-annonce est sortie récemment et m’inquiète grandement). Du coup, je suis perturbée. Je l’avoue, pour moi, il avait toujours été blond. Cela correspondait plus à son profil idéologique et les conséquences néfastes que cela a pu impliquer aux époques les plus sombres de notre histoire. Je termine ma chronique sur les roux avec un point Godwin. Et oui.

Illustration : DR.

Bonus track (trouvée ici) :

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Le fantasme de la femme de chambre

Spirou pourrait aussi porter plainte pour tentative de viol.

Entendons-nous bien. Ce qu’aurait subi la victime présumée au Sofitel dans l’affaire Strauss-Kahn est un drame inadmissible et, de ce point de vue là, je me range plus du côté de Slate.fr ou de L’imparfaite, que de Jack Lang et Jean-François Kahn. Cela dit, je trouve intéressant de voir qu’au-delà des clichés, le fantasme de la femme de chambre est vraiment très largement repris par la bande-dessinée (et d’autres arts évidemment). DSK, donc, l’aurait eu cette obsession. Voyons-voir ce qu’il aurait pu lire pour perdre tout sens de la mesure.

Juchée sur des talons plus ou moins hauts, engoncée dans un uniforme aussi strict que suggestif, la french maid a un potentiel érotique évident que les auteurs de BD affriolantes n’ont pas manqué de mettre en scène. D’ailleurs les éditions Tabou ne s’y sont pas trompées puisque c’est une femme de chambre qui fait la couverture du premier tome de leur Histoire en images de la BD Erotique. Les jambes galbées, la tunique légèrement soulevée par un courant d’air, elle regarde à travers le trou d’une serrure des ébats que l’on imagine à une paire de chaussures masculines laissée du côté prude de la porte.

Les héroïnes de BD érotiques en petit tablier blanc ne manquent pas. Citons par exemple Lydia, soubrette de luxe, une série des années 80 qui met en scène Lydia et sa copine Anna, toutes les deux employées dans un grand hôtel de luxe (suivez mon regard). Evidemment, à chaque fois qu’elles poussent une porte pour faire le room-service, les chambres sont encore occupées et leurs résidants eux-mêmes souvent bien occupés. Et comme elles ont le sens du devoir, Lydia et Anna ne manquent pas de participer aux ébats qu’elles dévoilent.

Plus récemment, Xavier Duvet a sorti Le journal d’une soubrette, une BD délicatement dessinée à l’aérographe dans un style hyper-réaliste. Là encore, le “scénario” résonne étonnamment avec l’actualité. Clara, l’héroïne, est une jeune française désargentée qui part tenter sa chance à… New-York. Si elle ne travaille pas dans un hôtel mais au service d’une grande bourgeoise de Big Apple, Clara ne manquera pas de se retrouver dans des situations que la morale réprouve. Et, parce que j’aime beaucoup cette BD, je ne résiste pas au plaisir de rappeler que dans les Filles Perdues d’Alan Moore et Melinda Gebbie, une femme de chambre fait également des folies de son corps dans l’hôtel autrichien où se déroule l’intrigue.

Rapports de domination

Par définition, la femme de chambre est issue d’une classe sociale moins élevée que les personnes qu’elle sert. Le rapport dominant/dominé est on ne peut plus explicite et participe évidemment de la popularité de ce type de personnage dans la BD érotique. Et si l’on remonte avant la naissance de la bande-dessinée, l’inégalité de classe est habituelle de l’imagerie érotique occidentale. L’oeuvre érotique de Thomas Rowlandson, un graveur anglais du début du XIXème siècle, en est l’illustration parfaite. Les personnages masculins sont tour à tour officiers de la Marine, gentlemen-farmers ou membres de la haute société. Les femmes, elles, sont de classe inférieure et souvent des servantes.

Au Japon, c’est un peu différent puisque c’est bien sûr l’archétype de la courtisane, la geisha, qui domine. On les retrouve dans de très nombreuses es estampes shunga (“images de printemps”), ainsi qu’on appelle les dessins érotiques qui ont fleuri à partir du XVIIème siècle. Si elles ne sont pas exactement servantes, les geishas partagent avec les femmes de chambre le port de l’uniforme. C’est un élément clé du potentiel érotique de ces personnages en tant qu’il matérialise ce rapport de domination. Pour la soubrette en particulier, d’un point de vue strictement graphique, le noir et le blanc du costume ainsi que sa mise parfaite lui confèrent un côté strict qui en fait un objet de convoitise d’autant plus grand. Des caractéristiques que l’on retrouve dans le costume de la nonne, autre grand classique de la BD érotique.

L’excellente série (pas érotique) d’Hubert et Kersacoët, Miss pas touche, illustre bien l’érotisme du costume de la soubrette. Dans les années 1930, Blanche se fait engager au Pompadour, un bordel parisien de luxe, pour enquêter sur l’assassinat de sa soeur. Problème, celle qu’on surnomme “miss pas touche” est prude personne. Heureusement, la mère maquerelle lui a trouvé un rôle parfait, sans rapports sexuels : elle sera “la vierge du bordel”, fantasme inaccessible chargé de distribuer coups de cravache et de talons à des hommes avides de masochisme. Pour ce faire, elle est habillée… en femme de chambre, dans une inversion du rapport de domination.

Spirou, groom harcelé

Dans la même idée d’inversion du rapport de domination, une autre BD (pas érotique non plus) récente me vient à l’esprit. Je vous ai déjà dit tout le bien que je pensais de Spirou Le Groom vert-de-gris de Yann et Schwartz. Dans cet album qui a pour cadre la Seconde guerre mondiale, l’hôtel où est employé Spirou est transformé en QG de la Gestapo. Et notre groom est littéralement harcelé par une grande et belle blonde allemande, officier de la Wehrmacht, appelée Chickengrüber. Il doit faire montre d’une diplomatie incroyable, voire parfois fuir carrément pour arriver à échapper à son appétit sexuel débordant. Par exemple lorsqu’elle l’appelle au beau milieu de la nuit pour une prétendue souris dans sa chambre, prétexte pour l’accueillir en petite tenue et tenter de mettre le grapin sur le jeune groom.

Le nom de Chickengrüber ressemble d’ailleurs étrangement à celui de Schicklgruber, le premier nom du père d’Hitler. De là à dire que les tentatives de viol de la grande allemande sur le petit groom sont une métaphore de ce que l’Allemagne faisait subir à la Belgique, il n’y a qu’un pas que je franchis allègrement. Ou alors Chickengrüber est simplement un jeu de mot pour parler d’une belle “poule”…

Spirou et Nafissatou Diallo, la femme de chambre du Sofitel qui accuse DSK, même combat ? L’exemple vient en tous cas illustrer que, plus qu’un rapport de domination homme/femme, c’est bien une domination de classe qui régit les rapports entres maître et femmes (ou hommes) de chambre. Et c’est cela qu’il faut aussi combattre.

Laureline Karaboudjan

Illustration : Extrait d’une couverture de Lydia, soubrette de luxe, DR.

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Il faut laisser sa chance à Gastoon

 

Une nouvelle série pour enfants met en scène le neveu de Gaston Lagaffe. Les fans enragent, moi pas.

Quel est le meilleur moyen de s’attirer les foudres des fans de BD? S’attaquer à un personnage mythique. En l’occurrence Gaston Lagaffe, le plus célèbre des personnages de Franquin. Depuis deux semaines, un projet de couverture circule sur le web et sème le trouble. On y voit un enfant aux traits et aux vêtements similaires à ceux du fameux gaffeur et en train de s’adonner à un de ses passe-temps préférés : le ballon sauteur. En arrière plan, on reconnaît, également sous des traits juvéniles, d’autres personnages de la série: Jules-de-chez-Smith-d’en-face, Mademoiselle Jeanne ou Prunelle, le supérieur colérique de Gaston Lagaffe.

Sous l’intitulé “Gastoon”, les éditions Marsu productions s’apprêtent en fait à lancer une série dérivée de l’oeuvre de Franquin. Ainsi que le titre “Gaffe au neveu” le laisse entendre, il s’agit des aventures du jeune neveu de Gaston Lagaffe, que l’on suppose aussi maladroit et tête-en-l’air que son oncle. Comme l’explique un responsable de la maison d’édition à Libération.fr, le “seul but est de valoriser l’univers de Franquin qui est un auteur qu’on adore et dont le travail nous inspire beaucoup de respect” le tout “dans un univers enfantin et d’écolier” destiné à toucher un public plus jeune que celui de la série originale.

Un projet vu d’un très mauvais oeil par les fans de Gaston Lagaffe, qui se déchaînent sur Twitter et autres blogs. “JE NE VEUX PAS LE SAVOIR, C’EST NON” fulmine cet inconditionnel sur son blog. “Combien de temps doit-on attendre avant de violer un cadavre?se demande carrément cet autre fan sur son blog, estimant alors même que l’album n’est pas sorti que “Gastoon fait le minimum syndical et pompe à mort l’univers de Franquin, parce que c’est plus facile (mais bon, c’est peut-être adressé aux acheteurs des Blondes, donc on se met au niveau)”. Bref, comme prévu, haters gonna hate, à qui le rappeur Booba répondrait quelque chose du genre “si tu kiffes pas renoi tu lis pas et puis c’est tout”.

Stop ou encore?

Ce projet relance en tous cas l’éternel débat sur la seconde vie des héros de BD. D’un côté les tenants du repos absolu des héros à la mort de leur créateur. De l’autre ceux qui estiment qu’un héros peut continuer à vivre sous la plume et le crayons d’autres auteurs. Les exemples abondent des deux côtés. Le plus fameux héros figé, c’est probablement Tintin, dont Hergé a toujours dit qu’il refuserait que quelqu’un d’autre que lui puisse reprendre les aventures. Et de fait, au-delà même d’imaginer ne serait-ce qu’un instant une tentative de continuer la série, les éditions Moulinsart sont hyper pointilleuse sur la moindre utilisation de l’image de Tintin, n’hésitant pas à poursuivre en justice les auteurs de parodie.

A l’inverse, un personnage comme Spirou, pour reprendre un héros que Franquin lui-même a repris à son créateur, continue d’avoir des aventures. Certaines sont très réussies, comme les récents one-shot Le journal d’un ingénu et Le groom vert-de-gris, d’autres le sont moins, comme certains des derniers albums parus dans la série principale. D’autres grands héros ont été repris de la sorte, avec plus ou moins de bonheur, que l’on pense par exemple à Lucky Luke ou Blake et Mortimer. Et puis, s’il y a des exemples de bonnes suites par d’autres auteurs, il y a aussi des exemples de créateurs originaux qui sabordent tous seuls leur oeuvre. Typiquement : n’aurait-il pas mieux fallu qu’Astérix soit repris par d’autres auteurs plutôt que de subir ce qu’en fait Uderzo depuis 10 ans?

Concernant Gastoon, on pourra rétorquer qu’il ne s’agit pas de la suite d’une série existante mais d’un “produit dérivé”, expression employée à dessein pour souligner l’intérêt commercial de la chose. Quelque chose dans la lignée de Kid Lucky pour Lucky Luke, de Gnomes de Troy pour Lanfeust ou, surtout, du Petit Spirou pour Spirou. Ce dernier mérite qu’on s’arrête justement sur son cas. C’est l’exemple parfait d’une série dérivée d’un univers existant et qui a su acquérir son identité propre, détachée du grand frère et qui est, pour les plus jeunes générations, probablement plus connue aujourd’hui que la série originale. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour Gastoon? D’autant qu’un certain nombre d’ingrédients sont réunis: le cadre de la maison d’édition récipiendaire de la mémoire de Franquin, une équipe d’auteurs reconnus (Yann et le père et fils Léturgie) et un terrain fertile pour de nombreux gags.

Le risque de la muséification

Je ne dis pas que Gastoon sera forcément une bonne BD, cela sera même peut-être une daube commerciale. Je dis juste qu’avant de monter sur ses grandes bulles, il faut lui laisser sa chance et la lire. Ce débat est toutefois intéressant car il illustre une tendance à rechercher la muséification de la bande-dessinée francophone. En partant du principe que c’était mieux avant, on se refuse justement à aller de l’avant.

Je peux comprendre les réflexions inconscientes qui doivent traverser certains auteurs et lecteurs. La BD a mis tellement de temps à acquérir ses lettres de noblesse – et encore pour beaucoup cela reste réservé aux enfants – qu’ils s’arquent-boutent sur les grands totems sacrés auxquels on ne pourrait plus toucher, pensant sans doute ainsi protéger et légitimer le neuvième art. Ils oublient alors que la BD est aussi, et doit rester, populaire et proche des enfants, et qu’une oeuvre comme Gastoon est sans doute le meilleur moyen de permettre à des gamins d’entrer dans l’univers du héros flemmard, comme le Petit Spirou l’est pour Spirou. C’est peut-être le meilleur moyen de préserver la mémoire de Gaston Lagaffe.

Laureline Karaboudjan

Illustration : Extrait du projet de couverture de Gastoon, DR.

 

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Superman n’aurait pas tué Ben Laden

Le héros de comics était le surhomme de la situation à Abottabad. Sauf qu’il aurait livré Ben Laden à un tribunal.

Bien-sûr, un commando héliporté, suréquipé et surentraîné, dont on peut suivre les opérations en temps réel depuis une salle de la Maison Blanche, ça a de la gueule. Mais on ne m’ôtera pas de l’idée que l’homme, ou plutôt le surhomme, de la situation pour intervenir dans la résidence de Ben Laden, c’était Superman. Ne serait-ce qu’en terme de symbole, qui d’autre que Superman, incarnation suprême de l’Amérique, aurait été mieux placé pour mettre une trempe au super-terroriste? Après tout, au cours de la Seconde guerre mondiale, c’est bien le super-héros en rouge et  bleu que convoquaient les auteurs de comics pour rosser l’ennemi public numéro 1 de l’époque : Adolf Hitler.

Mais si Superman avait du intervenir au Pakistan, les choses se seraient probablement passées autrement pour Ousama Ben Laden. Et en tout état de cause, le terroriste n’aurait pas été tué. D’abord parce qu’il le peut : avec ses super-pouvoirs, nul doute que le héros dopé à la kryptonite aurait pu exfiltrer Ben Laden sans effusion de sang. Mais surtout, Superman n’aurait pas tué Ben Laden car ce n’est pas dans son éthique de tuer des gens. Car si le super-héros a la capacité d’intervenir sans donner la mort, l’inverse est tout aussi vrai. Pourtant, dans ses aventures, il me semble qu’à aucun moment celui qu’on appelle Clark Kent dans le civil ne tue un de ses adversaires. Car Superman est avant-tout un héros moral.

Je pourrais convoquer des philosophes pour traiter de la question. Spontanément, je pense à Nietzsche et ses concepts de volonté de puissance et d’Übermensch, mais également à Emmanuel Kant pour traiter de la morale. Mais certains font ça mieux que moi, comme ce professeur de philo américain qui n’hésite pas à utiliser une aventure de Superman comme exemple de la pratique du jugement au sens de Kant, ou, bien-sûr, l’écrivain italien Umberto Eco qui évoque le super-héros à propos de Nietzsche dans son livre De Superman au surhomme. Ce qui est certain, c’est que Superman, au-delà de ses muscles, incarne une certaine vision du “bien”, très empreint de tradition judéo-chrétienne ce qui explique son aversion au meurtre.

Superman aurait agi sous mandat de l’ONU

Superman à la place du commando américain à Abbottabad : très bien, mais Superman en a-t-il seulement envie? Rien n’est moins sûr depuis la parution de  sa 900ème aventure aux Etats-Unis, ou après une dispute avec le gouvernement américain, le Man of Steel envisage de renoncer à la citoyenneté américaine. Evidemment, les lecteurs conservateurs s’indignent de voir un des symboles des Etats-Unis tergiverser de la sorte. Car Superman, ne l’oublions pas, est l’incarnation absolue de l’ American dream. Parfait, puissant, sauveur des faibles et des opprimés, il est symbole de réussite et n’a pas de vice. Il est ce que l’Amérique voudrait être. Il a d’ailleurs été créé à une époque où le pays avait besoin d’espoir, dans les années 30, après la crise économique. Ses deux auteurs viennent eux de la Manufacturing Belt, de Cleveland, de la classe moyenne.

Si Superman renonce à la nationalité américaine, cela peut signifier deux choses. Soit cela veut dire qu’il n’a plus envie d’incarner ces valeurs primordiales. Soit il estime que les Etats-Unis ne représentent plus ces valeurs et qu’il faut donc s’en séparer. C’est plutôt cette deuxième option qui semble prévaloir puisque Superman explique dans cette aventure être “fatigué de voir mes actions interprétées comme des instruments de la politique américaine“. Aussi, si Superman avait du intervenir à Abbottabad, il l’aurait probablement fait sous mandat de l’ONU. Et l’on imagine mal une résolution des Nations Unies autorisant le meurtre de qui que ce soit, fusse Oussama Ben Laden.

Superman, ce communiste sado-maso

Ce n’est en tous cas pas la première fois que le super-héros fait des infidélités à l’empire. Dans l’excellent Superman Red Son, les auteurs se demandent ce qu’il serait adevenu si Clark Kent était né en URSS. Grace à sa super intelligence, il finit par diriger une nation qui crée un communisme juste et parfait, et le répand à travers le monde. Un seul pays résiste alors à la doxa mondiale : les Etats-Unis capitalistes.

Autre anecdote, dans les années 50, Joe Shuster, l’un des deux créateurs, alors en difficulté financière, illustra anonymement un recueil de nouvelles SM avec des personnages ressemblant comme deux gouttes d’eau à Clark Kent et Lois Lane. On peut y voir le premier fouettant la seconde, manière narquoise de prendre ses distances avec les valeurs de Superman (à lire sur le sujet un long papier dans le dernier numéro de la revue L’imparfaite).

D’autres héros aussi ont déjà marque leur distance avec le gouvernement des Etats-Unis. Il y a quelques années, un autre symbole des Etats-Unis, Captain America, s’érigea contre le Super-Human Registration Act (Loi de recensement des surhommes) une métaphore évidente du Patriot Act de l’administration Bush. Dans le crossover Civil War, Captain America prend même la tête des réfractaires à cette nouvelle législation. Ils finissent d’ailleurs par affronter les troupes loyalistes menées par Iron Man dans un combat épique en plein New-York.

Ces libertés prises avec la politique officielle américaine par les super-héros déplaisent généralement aux conservateurs, qui considèrent grosso modo que les maisons d’édition de comics comme Marvel ou DC Comics sont des repères de démocrates ébouriffés. Ils ont donc le sentiment que leurs supers-héros sont confisqués et mis au service d’une idéologie partisane. Les supers-héros ne sont plus l’Amérique, ils sont devenus une vision de l’Amérique, et cela ne plaît pas forcément à tout le monde. Les conservateurs ont ainsi récemment mal pris qu’un héros français et musulman vienne seconder Batman ou que le nouveau dessin de Superman fasse passer Clark Kent pour un vampire hipster des quartiers branchés de New York, loin de son image virile et campagnarde originelle.

Il est loin le temps du Comic Code Authority, où une véritable censure s’exerçait sur les publications. Des regrets?

Laureline Karaboudjan

 

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Comment cacher un cadavre?

La BD n’a pas attendu le drame de Nantes pour regorger d’idées (noires) sur la question.

Le quintuple homicide de la famille nantaise fascine de manière morbide – forcément morbide – la France entière. Le tueur, peut-être le père en fuite qui est toujours présumé innocent rappelons-le, pensait sans doute se donner un délai de fuite plus important en cachant les cadavres sous la terrasse de la maison. Las, ils ont été découverts. La grande question de savoir quel est le meilleur endroit pour cacher un cadavre et, ainsi, réaliser le crime parfait, se pose donc à nouveau. Pistes de réponses avec quelques albums:

– Dans un lac.

Quand la mer est un peu loin, comme c’est le cas à Chicago, le plus simple reste le grand lac tout proche. Si les gangsters ont balancé autant de corps que les films et les BD le suggèrent, depuis le début du XXème siècle c’est un véritable cimetière sous-marin qui doit exister. Quand Tintin va en Amérique, Hergé ne déroge pas au cliché et son héros est jeté dans le lac sans ménagement, et manque d’y rester.

Règle de base: toujours bien attacher et lester la victime, sinon elle risque de se réveiller ou, si elle est bien morte, de remonter très vite – trop vite – à la surface, comme dans l’album Skins Party de Timothé, récit déjanté d’une fête pour ados qui tourne mal, publié par Manolosanctis.

– Dans un trou en forêt.

C’est encore ce qu’il y a de plus classique : pour faire disparaître un corps, rien de mieux que de creuser un trou dans un coin isolé d’une forêt de la grande banlieue parisienne. Dans Brako, une BD du dessinateur Hippolyte adaptée d’un roman d’Hamid Jemaï, des braqueurs doivent se débarrasser des trois employés d’un fourgon de la Brinks qu’ils viennent d’attaquer. Le machiavélique organisateur du hold-up a prévu son coup et creusé un grand trou au fin fond de la forêt de Sénart (Seine-et-Marne), là où le guet-apens a été tendu. Ce que le chef du commando n’avait pas prévu, c’est qu’il finirait lui aussi dans le trou, en compagnie des trois corps, après avoir été trahi par un de ses partenaires.

– A manger aux animaux.

La technique a été popularisée au cinéma par le Père Noël est une ordure, dans lequel les lions du zoo de Vincennes finissent par se régaler d’un cadavre découpé en plusieurs morceaux. On retrouve à peu près la même chose dans la BD de Tardi et de Pennac La Débauche. A la fin de l’album, le tigre du Jardin des Plantes, à Paris, n’a toujours pas retrouvé l’appétit. Jusqu’à ce que son dompteur l’utilise pour accomplir une vengeance bien méritée et lui offre tout crus sur un plateau le couple diabolique de l’histoire. L’album se finit d’ailleurs sur la scène marquante du tigre en train de recracher une alliance.

Autre fin mémorable, celle de cet épisode d’Alix, la Tour de Babel, où des serpents dévorent la tête coupée d’Oribal, un roi parthe ami du jeune gaullois. Comme si c’étaient les serpents de Racine qui étaient passés à l’acte.

Et puis bien-sûr, je ne peux pas oublier Sin City, dans lequel Kevin, un tueur psychopathe, donne le restes de ses victimes à son chien-loup après en avoir mangé lui-même une bonne partie. Evidemment, il finira lui-même par être dévoré par son animal de compagnie.

-Dans une cave.

Dans Mathias, le dernier Jérôme K. Jérôme Bloche, le roux détective se retrouve kidnappé par erreur et enfermé dans une cave où il tombe nez à nez sur le corps d’un truand tout ce qu’il y a de plus refroidi. La cave, ou de manière plus élargie la pièce souterraine emmurée, est un grand classique, notamment des BDs ésotériques. Combien d’albums commencent par la découverte d’un squelette, «le templier qu’on avait jamais retrouvé qui va nous mener au Christ et au trésor perdu mais attention ouhlàlà des anciens nazis sont à nos trousses» ?

– Dans les murs d’un bâtiment.

Plus aboutie, la technique se rapproche de celle utilisée par le tueur de Nantes et son enfouissement de corps sous la terrasse. Bon, bien-sûr, c’est plus facile quand on est doté de pouvoirs surnaturels. A la fin de La Brigade Chimérique, l’excellente série de comics made in France, qui traite métaphoriquement de la montée du nazisme, on découvre comment le Dr Mabuse, le grand méchant de l’histoire, édifie sa gigantesque cité de Metropolis. Les murs des bâtiments sont tout simplement créés à partir des corps de Juifs déportés, qui forment des gargouilles hurlant à la mort. La vision est saisissante et l’évocation particulièrement réussie.

– Dans le désert.

Quoi de mieux qu’une vaste étendue pour abandonner un cadavre? Il n’y a sans-doute pas une série de western sans la découverte, un jour, d’un squelette au milieu des roches et des vautours. Dans l’épisode de Blueberry, La Mine de l’Allemand Perdu, l’ami du héros, Jimmy, est à la recherche d’or embarqué par ce fieffé menteur de Prosit Luckner. Mais sur la route, ils tombent sur un squelette rougi par le soleil, une balle dans l’omoplate. Le crime parfait sans doute. Sauf que dans le plus pur style “Omar m’a tuer”, avant de mourir, la victime a eu le temps de tracer un nom avec son sang sur un rocher… Luckner!

Après quelques rebondissements que je vous épargne, Jimmy se retrouve attaché en plein soleil, vile torture qui vise à le brûler vif. Chez Lucky Luke, on est plus amateur des fourmis et du miel.

– Dans des corned-beef.

Décidément, Tintin en Amérique est un album particulièrement périlleux pour le héros à la houppette. Avant de menacer de finir dans le Michigan, Tintin est invité à visiter l’usine de conserves Slift. Des vaches entières entrent sur des tapis roulants et ressortent en saucisses ou en corned-beef après être passées dans d’énormes broyeurs. Des broyeurs que Tintin va aller voir de plus près…

Heureusement, une grève subite arrête les machines et Tintin s’en sort indemne. Comme quoi, il ne faut jamais désespérer du mouvement social…

– Dans une oeuvre d’art.

Mais le meilleur moyen de cacher un corps est peut-être de l’exposer aux yeux de tous en le faisant devenir… une oeuvre d’art. Un procédé qu’a expérimenté Han Solo et que Tintin a failli connaître. Car c’est ce que propose Enddadine Akass, un mystérieux artiste gourou, dans l’oeuvre inachevée Tintin et l’Alph-Art. Dans les dernières cases croquées par Hergé avant sa mort, Tintin est menacé de finir compressé façon César. L’album s’achevant à ce moment là, on ne saura jamais ce qui est vraiment arrivé à notre héros, et nous sommes condamnés à rester dans l’incertitude.  En quelque sorte, c’est la mort de l’Art… ou l’art de la Mort.

Laureline Karaboudjan

illustration de Une, la Couverture de La Débauche de Tardi et Pennac

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Faut-il regretter l’Association?

Après 20 ans d’existence, l’éditeur de BD avant-gardiste est en pleine implosion, entre AG, grève et guerre des fondateurs. La simple marche de l’Histoire ?

Si vous aimez la bande-dessinée, vous connaissez forcément l’Association. Sinon, je peux vous dire qu’il s’agit d’une maison d’édition essentielle du paysage de la BD française, éditeur entre mille autres choses de Persépolis de Marjane Satrapi ou de La Vie secrète des jeunes de Riyad Sattouf, pour citer deux des plus grands succès.

L’originalité de l’Association est d’avoir été fondée en 1990 par un collectif de jeunes auteurs qui souhaitaient produire de la BD différemment, en rupture avec les codes traditionnels. Basée sur une structure associative (d’où son nom), la maison d’édition avait pour principe une gestion collégiale et un certain avant-gardisme dans ses choix éditoriaux. Tout allait pour le mieux au départ pour cet éditeur atypique, dont les codes-barres invitent les lecteurs à chanter que “l’humanité ne sera heureuse que le jour où le dernier bureaucrate aura été pendu avec les tripes du dernier capitaliste !”. Comme l’explique le responsable éditorial, Jean-Christophe Menu, dans sa thèse la bande dessinée et son double, «les principes esthétiques de L’Association se sont, dès le départ situés en antinomie absolue avec les critères dominants du “secteur”. L’idée principale était de se démarquer radicalement des caractéristiques ordinaires et réductrices de l’album standard». Mais depuis plusieurs mois, il semble que l’Association ait rencontré les limites de l’utopie.

L’éditeur traverse en effet une grave crise. Au début de l’année, ses salariés ont fait grève pendant plus d’un mois, notamment pendant le festival d’Angoulême où l’on trouvait plus de tracts que de BD sur le stand de l’Association. En cause : l’annonce de la suppression de la moitié des postes de la petite maison d’édition par Jean-Christophe Menu, son responsable éditorial. Mais les problèmes de l’Association sont bien antérieurs. Ces dernières années, la plupart des fondateurs ont pris leurs distances (où ont été écartés, selon les interprétations), laissant peu à peu Jean-Christophe Menu diriger seul la maison d’édition. Aux divergences éditoriales s’ajoutent, comme souvent dans le milieu artistique, de grosses guerres d’égo.

Dernier avatar du conflit à l’Association : une assemblée générale, tenue la semaine dernière à Paris. D’après ce que raconte Liberation.fr, l’ambiance y était plus pourrie que jamais, les différents auteurs s’invectivant parfois franchement. Après plusieurs heures de débats et de vote, les membres de l’Association ont finalement élu un nouveau bureau où figure toujours Jean-Christophe Menu en compagnie de membres historiques, comme Trondheim, Killofer ou David B., qui contestent sa légitimité. Autant dire que l’éditeur n’est pas sorti de l’affaire.

Chacun veut son Association

Alors, l’Association à l’article de la mort? Peut-être, même si on ne lui souhaite pas. Faut-il s’en désespérer? Peut-être pas. Certes, l’Association a édité beaucoup de très bons albums et a permis à une génération d’auteurs aujourd’hui reconnus (Sfar, Trondheim, etc.) de sortir du bois. Elle a contribué à bouleverser les codes, à sortir la BD française d’une certaine routine, à explorer de nouveaux champs. C’est par exemple chez l’Association qu’ont été édités les remarquables ouvrages de Guy Delisle (Pyongyang, Shenzen) qui préfigurent par exemple ce que peut-être du journalisme en BD. C’est encore l’Association qui a permis à un Trondheim ses expérimentations narratives avec Lapinot. L’Association a tout simplement prouvé qu’on pouvait faire de la BD différente, qu’on pouvait raconter d’autres histoires, dans d’autres formats.

D’ailleurs, la plus belle preuve de l’influence de l’Association est à chercher… chez les autres éditeurs. Aujourd’hui, tout le monde se doit, dans une mesure plus ou moins grande, de “faire de l’Association” dans son catalogue, souvent au sein d’une collection spécifique. Parallèlement à cela, les auteurs historiques de l’Association sont, pour la plupart, allés publier leurs oeuvres chez de gros éditeurs, entre autres parce que les contrats y sont bien plus juteux. Et bien hypocrites seraient ceux qui leur jetteraient la pierre pour ça. Certains se sont même vus confier des responsabilités, à l’instar de Joann Sfar qui dirige la collection Bayou (Aya de Yopougon, Klezmer, etc.) chez Gallimard ou Lewis Trondheim, qui s‘occupe de Shampooing chez Decourt. Des collections où l’on retrouve des œuvres qui auraient très bien pu parfois s’insérer dans la ligne éditoriale de l’Association. Dans ce contexte, pourquoi regretter l’Association, puisque le type d’oeuvres qu’elle a permis de faire éclore est maintenant publié partout?

Jean-Christophe Menu déplore lui pourtant dans sa thèse publiée en 2010 cette récupération des idées de sa maison, le fait que chaque éditeur lance son département de «roman graphique», pour bénéficier de reprise dans la presse nationale qui ne s’intéresse pas ou très peu à la BD mainstream. Au passage il égratigne certains de ses camarades, expliquant ainsi que les «cofondateurs démissionnaires ne furent pas les derniers à nourrir les faux labels indépendants pour le compte de gros éditeurs (citons donc Trondheim créant Shampooing pour Delcourt)».

Le principe des éditeurs-copieurs


Il ne faut pas oublier non plus ce bon vieux principe des éditeurs-copieurs : la ligne éditoriale d’un éditeur est souvent moins dictée par des considérations propres que pour “contrer” ou “récupérer” tel ou tel succès. Aussi, si l’Association venait à disparaître, l’engouement des autres éditeurs pour la BD qu’elle a pu promouvoir pourrait disparaître ou tout du moins s’atténuer. On aime piquer dans l’assiette du voisin, mais encore faut-il qu’il y ait une assiette pour avoir envie d’y prendre des choses.

Ce raisonnement laisse à supposer que l’Association donne encore le “la” de la BD “indépendante”. Mais rien n’est moins sûr. D’une certaine manière, non seulement les gros éditeurs commerciaux ont rattrapé l’Association, mais ils l’ont même dépassé. Car si j’ai lu récemment de très bonnes choses publiées chez Delcourt, Glénat ou Dargaud (pour en citer trois gros au hasard) ou chez Atrabile, çà et là (comme Elmer) ou Cornélius (pour en citer trois petits), j’avoue avoir peine à me rappeler d’un excellent bouquin paru récemment à l’Association, à part le toujours efficace La Vie secrète des jeunes. L’un des plus remarqués en 2010 a été Coney Island Baby de Nine Antico, sélectionné en février dernier à Angoulême. En dépit d’une critique de la presse spécialisée très favorable, j’ai été déçue par cet ouvrage, qui s’apparente comme (hélas), de nombreuses biographies en BD, à de l’illustration un peu plate de notices Wikipedia. Est-ce que l’Association est encore avant-gardiste? Je ne sais pas.

Ce qui est sûr, c’est qu’il existe d’autres petits éditeurs indépendants à côté de l’Association. Je pense par exemple à la maison d’édition suisse Atrabile, dont les 5000 kilomètres par seconde ont remporté cette année le Fauve d’Or à Angoulême et qui fait un travail remarquable. Avec relativement peu de moyens, Atrabile parvient à éditer quelques ouvrages par an qui sont presque toujours très bons, notamment ceux de Frederik Peeters. L’auteur des Pilules Bleues étant une des têtes de proue de cette petite maison.

Au final, pour la grande majorité des lecteurs, l’important est d’avoir des bonnes Bds à lire. Le circuit de production et de symboles esthétiques précédant la parution, le lecteur ne le connaît pas et il n’en a cure. Surtout, beaucoup semblent capables aujourd’hui de passer d’une bande-dessinée mainstream à des Bds plus indépendantes, ce que ne semblent pas vouloir Jean-Christophe Menu, préférant élever des barrières entre les différents publics. Dans sa thèse, il raconte ainsi sa seule expérience grand public, le fait d’avoir participé à un Donjon, oeuvre scénarisée par Trondheim et Sfar et publiée chez un gros, Delcourt. «J’ai pu constater, lors des festivals, à quel point le public d’une série comme Donjon est différent du lectorat de ce que j’ai publier par ailleurs. Le public de Donjon correspond à ce que l’on imagine de pire comme lectorat fan de Bd: jeunes garçons collectionneurs mal dans leur peau, qui dans la majorité demanderont pour la dédicace, en guise de rituel, leur personnage préféré», explique-t-il.

Aimant beaucoup la série Donjon, mais ne m’etant jamais considérée comme une jeune fille mal dans ma peau, je dois l’avouer, le mépris qui transpire à travers ses lignes m’a profondément vexé. En les lisant, je me suis dit que Jean-Christophe Menu, et à travers lui malheureusement l’Association, n’avait pas tout compris à la modernité, restant enfermé dans des années 1990 fantasmées. Dommage.

Laureline Karaboudjan

Illustrations de une et intermédiaire, extrait de la couverture et de la 4ème de la bande dessinée et son double.


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Quand les poulets seront des humains

Une BD dénonce l’intolérance et revisite l’histoire contemporaine avec des gallinacés

A la fin de la Peste de Camus, le narrateur met en garde: la maladie – métaphore du nazisme – est partie, mais elle pourra toujours revenir. Elle pourra toujours nous faire basculer de l’autre côté et montrer ce que l’on a de pire, ou pour certains, de meilleur, en nous.

La BD Elmer de Gerry Alanguilan (un auteur de BD philippin, suffisamment rare pour être souligné), qui est sortie en France il y a peu, raconte à peu près la même histoire. Comment l’humanité réagit, refuse, accepte ou évolue face à un évènement qui chamboule son existence. L’évènement perturbateur de cette BD est aussi simple qu’irrationnel : un matin, les poulets se réveillent conscients. Les gallinacés sont tout simplement doués de raison comme des humains. S’en suit sur 140 pages le récit, passionnant, de cette révolution.

En BD, en général, l’animalisation ou le zoomorphisme sont des procédés courants et les exemples abondent. Parfois, les différentes races d’animaux incarnent des types de personnes, comme dans Maus, les chef-d’oeuvre d’Art Spiegelman sur la Shoah, où les juifs sont des souris et les nazis sont des chats. On retrouve, de manière moins marquée, ce processus dans la série Blacksad, où les différents personnages que croise le chat détective ont souvent un caractère lié à leur race animale. Autre cas assez courant, celui où certaines bêtes et les humains sont tous deux doués de conscience et cela ne choque personne. Pensons à Milou doué de parole dans les premiers Tintin, ou encore à Picsou, où les canards (entre-autres) et les humains se côtoient sur un pied d’égalité.

Mais je n’ai pas en tête d’exemples de BD autre qu’Elmer où l’auteur se demande ce qui se passerait si un animal que l’on rencontre tous les jours à la ferme ou dans nos assiettes devenait conscient et capable de s’exprimer. Le héros principal de cette série originale est Jake Gallo, un poulet journaliste et écrivain. Son père, Elmer, l’un des tout premiers gallinacés dotés de raison, vient à mourir et Jake récupère son journal intime. Il découvre ainsi, à travers le récit de son père, les premières années de la vie depuis la prise de conscience des poulets.

Ecrire. Seul Moyen. Oublier Pas. Essayer Oublier pas. Oublier déjà Morceau. Tête vide.

Ce sont les premiers mots d’Elmer dans son carnet. Le plus dur, au départ, est de comprendre que l’on est devenu intelligent. Se regarder, regarder l’autre, lever les yeux pour voir l’humain, et se dire : je sais, je comprends ce que je pense, et, toi aussi, tu vas comprendre. Evidemment, si les poulets ont du mal à faire ce chemin, c’est encore plus dur pour les humains.

Le poulet, métaphore de l’opprimé

L’homme est bête, nous le savons. Face à des poulets qui se mettent à parler et à se révolter contre les traitements inhumains qu’ils subissent, leur première réaction est de les tuer. Tous, ou presque. Il faut éliminer l’autre, celui qui est différent, celui qu’on ne comprend pas, celui qui nous fait peur.

Tous les hommes ne sont pas bêtes, nous le savons aussi. Certains, des résistants de la première heure, décident de cacher les volailles, d’essayer de les comprendre, puis de les défendre. Je ne veux pas tout raconter, mais après des carnages et plusieurs millions de morts, les poulets finissent par être reconnus comme étant égaux aux humains par les Nations Unies.

Vient ensuite la deuxième étape. Apprendre à vivre avec l’autre. Et ce n’est pas évident. Des Ligues de poulets revanchards ne veulent pas pardonner aux humains, et agissent comme des justiciers francs-tireurs, à la recherche des tortionnaires d’hier et d’aujourd’hui qu’ils massacrent à coups de bec. Mais, surtout, beaucoup d’humains ne supportent pas les poulets. Ils les accusent de prendre leur travail, leur place à l’école, voire leur femme, puisque les couples inter-raciaux se développent.

Au début, j’ai eu peur qu’Elmer soit une BD dénonçant l’élevage de poulets en batterie, ce qui m’aurait vite ennuyée. Evidemment, il ne s’agit pas du tout de celà. A travers cette histoire de poulets, c’est l’histoire contemporaine des hommes que ré-interprète Gerry Alanguilan. Les gallinacés sont utilisés comme une métaphore de l’opprimé, quel qu’il soit. Pêle-mêle, on pense à Auschwitz, à la lutte pour les Droits Civiques aux Etats-Unis, au Klu Klux Klan, discrimination à l’embauche… Autant d’images qu’Elmer suggère plus qu’il n’impose, grâce à une narration d’une simplicité désarmante. L’auteur ne souligne jamais lourdement les parallèles qu’il fait, et c’est pour ça qu’ils ont d’autant plus de force.

Une BD à mettre entre toutes les mains

Pour la majorité des humains,  au moment où le héros raconte le récit, les poulets sont une nouvelle source de culture, de diversité, d’intelligence, et les hommes ne s’en portent que mieux. Mais l’on sent toujours, à travers la BD, que rien n’est acquis, comme dans la Peste de Camus, et qu’à tout moment on peut re-tomber dans le dernier des commandements de La Ferme des Animaux de George Orwell: «Tous les animaux sont égaux, mais certains le sont plus que d’autres.»

Elmer est l’une de ces rares oeuvres qui vont au-delà de la BD. Elle est à mettre entre toutes les mains, surtout dans celles qui ne feuillettent jamais de bande dessinées, ou celles qui auraient très peur si les poulets devenaient vraiment conscients. Le père de Jake Gallo termine ainsi son journal intime:

«J’ai écrit cela parce que cela me semblait important. Je voulais le noter pendant que je le vivais: on oublie si facilement. Les gens ont la mémoire courte, et ce que j’ai écrit ici pourrait les aider à leur rappeler ce que nous avons vécu. Nous tous. Ce n’est pas seulement mon histoire, ou celle de ta mère et de ton oncle Joseph, ou celle de fermier Ben. C’est l’histoire de tous les gens qui ont traversé cette époque avec nous. C’est notre histoire. A tous. Et c’est important de ne pas l’oublier. »

Laureline Karaboudjan

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Buck Danny bombarde Kadhafi

Buck

Le  pilote de chasse est un héros, à la télé comme en BD.

C’est la guerre! Musique de Wagner et tout le tintouin. La coalition menée par la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis bombarde, depuis dix jours, la Libye de Kadhafi. Il s’agit, en théorie, d’imposer une “zone d’exclusion aérienneselon les termes techniques de la diplomatie onusienne. En tous cas, depuis le début de l’intervention, les écrans de télévision français se sont remplis d’images d’avions: les avions au décollage de Saint-Dizier, les tirs de la DCA dans la nuit tripolitaine -lorsque j’écris “tripolitaine”, j’ai déjà l’impression de voyager, pas vous?-  les bombes qui s’abattent dans le désert libyen. Ajdabiya, Ras Lanouf, Brega, Ben Jaouad, et bientôt sans doute Syrte, inventaire à la Prévert de villes qui tombent.  Aux côtés des insurgés, joyeux et désorganisés, tel Fabrice del Dongo se rendant à Waterloo, émerge de cette rafale d’images un autre héros: le pilote de chasse.

Comment pourrait-il en être autrement? Le pilote d’avion fait partie, à l’instar de l’agent secret ou du détective privé, de la galerie des héros d’aventures traditionnels. Et la contribution de la bande-dessinée à la construction de cette image n’est pas mince. Ses missions à travers le monde (et même au-delà) sont autant de prétextes à de trépidantes aventures.

Les plus connus sont Buck Danny, Dan Cooper et Tanguy et Laverdure. Le premier est né au lendemain de la Seconde guerre mondiale dans le journal de Spirou, sous la plume de Charlier et Hubinson. Buck Danny est un pilote de l’aviation américaine dont les aventures débutent en Asie du Sud-Est où il est est opposé aux “Japs”. Dan Cooper est lui un pilote canadien créé en 1954 par Albert Weinberg pour le journal de Tintin afin de concurrencer Buck Danny. Quant au duo Tanguy et Laverdure, ce sont deux pilotes français censés concurrencer les deux précédents dans… Pilote. Très tôt, la BD d’aviation s’est ainsi popularisée, au point que chaque journal de bande-dessinée se devait d’avoir sa propre série.

Tous ces grands héros de la BD d’aviation partagent un certain nombre de caractéristiques: beaux gosses, honnêtes, souvent blonds et toujours bien coiffés, fidèles en amitié (et sûrement en amour, mais les BDs de l’époque n’en parlent que peu, histoire de ne pas pervertir la jeunesse). Bref, le pilote de chasse de bande-dessinée n’a, pour ainsi dire, pas de défauts. D’ailleurs on retrouve assez sensiblement ce même type d’imaginaires dans les photos fournies actuellement par les différentes armées aux agences de presse (et que l’on retrouve ensuite dans la presse).

FRANCE/

Au-dessus des pilotes français, le 23 mars (Reuters), ci-dessous, Tanguy et Laverdure.

TetL

Le pilote un exemple à suivre, une figure admirable, comme on peut en retrouver dans les films de guerre hollywoodiens des années 50, avant les premiers films militaires désespérés, comme Full Metal Jacket ou Apocalypse Now.

Héros ringards

Aujourd’hui, ces pilotes traditionnels sont complétement ringardisés et c’est en souriant au charme désuet de leurs aventures que l’on parcourt, par exemple, l’intégrale de Buck Danny que ressort peu à peu les éditions Dupuis. Personnellement, je ne me lasse pas des “Grands dieux” et autres “Rascal” qui ponctuent les aventures du pilote américain, ni de ses talents multiples qui lui permettent, en quelques pages, de bombarder des bases ennemies, d’abattre deux ou trois chasseurs adverses puis d’aller sauver un camarade, mitraillette à la main, au fin fond de la jungle birmane.

Et puis, souvent, dans Buck Danny, la fiction s’emballe quelque peu. Notamment dans le tryptique ayant pour théâtre le Sarawak, un petit état de l’Asie du sud-est, où une mafia de la drogue prépare ses livraisons de poudre blanche. Le pacha du porte-avions des trois compères, Buck, Tumb et Sonny, prend même l’initiative de raser les champs de pavot, en mémoire de son fils disparu, victime de la drogue, et ce en dépit des ordres formels venant de Washington. Pas sûr que la même déconne soit possible sur le Charles-de-Gaulle au large de la Libye.

Mêmes intrigues tarabiscotées chez Tanguy et Laverdure. Je me souviens d’une aventure où ils déjouent un complot fomenté par le “Vampire”, un de leurs grands ennemis, dans cette France pompidolienne qui craint d’être détruite à coup de bombes atomiques. Supplétif des forces spéciales, Tanguy est évidemment de l’enquête, et finit par comprendre comment la bande de terroristes opère en toute impunité sur le territoire français: avec des avions à décollage vertical, les Harrier britanniques (d’ailleurs en opération en Libye je crois). C’est sûr qu’à côté de ça, les épiciers de Tarnac font pâle figure…

La classe de l’aviateur

Bien sûr, un certain renouvellement s’est opéré et des séries de BD d’aviation continuent de sortir aujourd’hui, au scénarios autrement plus réalistes. Signalons par exemple la série Le Grand Duc, de Yann et Romain Huguault, qui mélange pin-ups et avions soviétiques sur fond de Seconde guerre mondiale. La BD d’aviation conserve un public de passionnés, comme ceux qui se sont pressés à la récente exposition consacrée au genre dans une école d’aéronautique de la banlieue parisienne.

Mais les pilotes ne sont pas l’apanage de la BD d’aviation, et on en retrouve dans nombre d’aventures plus généralistes. Et, il faut bien le dire, ils ont eux-aussi très souvent la classe. Que l’on songe par exemple à Piotr Szut, le pilote du Mosquito qui tente de descendre Tintin et Haddock dans Coke en Stock avant d’être recueilli par les deux héros sur leur radeau. Avec ses cheveux d’un blond nordique et son cache-oeil de pirate, Szut a un look inimitable qui en fait peut-être le personnage le plus stylé de toute l’oeuvre d’Hergé. Le tout couplé a une grande force d’âme, qu’il démontrera à la fin de Coke en Stock ou dans Vol 714 pour Sidney.

En tant que jeune fille, je me dois aussi de rendre hommage au major Jones de XIII, ayant des traits de caractères assez rares malheureusement en BD pour une femme: une pilote de chasse indépendante, noire, courageuse et intelligente.

L’avion en lui-même peut lui aussi avoir son heure de gloire. S’il est peu probable qu’une BD rende hommage un jour à notre Rafale invendable, le mythe fondateur de Blake et Mortimer est lui tourné autour d’un avion, l’Espadon. Tout l’enjeu des deux premiers albums de la série est de savoir si le professeur Mortimer va construire à temps cet engin surpuissant qui permettra au monde libre d’inverser la tendance contre l’Empire jaune. Si les Rafales, Mirages et autres Eurofighters sont en train de sauver la Libye, l’Espadon, lui, sauve le monde. Tout simplement.

Laureline Karaboudjan

crédits photo: Un pilote français (Reuters) et Buck Danny

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