Le gouvernement des héros de BD

A quoi va ressembler le gouvernement d’Hollande? S’il avait la bonne idée de me nommer Premier ministre, il ne serait pas déçu…

C’est maintenant que les ennuis commencent“. Après avoir été élu, François Hollande a repris la fameuse formule attribuée à Léon Blum. Et parmi les soucis de tout président nouvellement désigné, la composition du gouvernement figure généralement en haut de la pile. Puisque j’ai de la sympathie pour le nouveau président (malgré mon inefficace appel à voter pour son concurrent), je propose à Hollande de lui donner un sacré coup de main. Qu’il me nomme Premier ministre: je lui fait un gouvernement sur mesure, avec mes héros de BD favoris!

Premier Ministre
Laureline Karaboudjan. Hé ouais!

 

 

 

Ministre de l’Economie, des Finances et du Budget
Bernard Tapie dans les années 1990, c’était petit joueur. Ce qu’il faut, c’est un homme d’affaires d’envergure au gouvernement pour reprendr en main l’économie et les finances du pays. Largo Winch est le meilleur pour ce faire : il a tout appris sur le tas et est incollable sur les rouages de la finance. Et côté volontarisme, on est servis puisque c’est un homme d’action avant que d’être un homme d’actions. Il faudra juste le naturaliser pour qu’il devienne français…

 

 

Ministre de la Défense
Il faut faire des économies budgétaires, et sous un gouvernement de gauche, la Défense est l’un des premiers budgets visés. Ça tombe bien, le caporal Blutch, tout militaire qu’il soit, n’est pas opposé à réduire le train de vie de l’armée. D’ailleurs, à l’écouter, on la supprimerait complètement. Tout comme on interdirait les bataille, on bannirait les conflits, on supprimerait les guerres. Et pas parce que ça coûterait moins cher…

 

 

Ministre des Affaires étrangères
Ah le Yémen, l’Afghanistan, Samarkand, la Mélanésie, l’Abbyssinie, Corto Maltese, voyageur poète incarnera la France à l’étranger. Même s’il est britannique et de père italien, on le naturalisera pour le bien de la République. Il en sera la voix universelle, celle qui défend les faibles contre les puissants, celle qui est humaniste mais en même temps triste, car elle est consciente de l’ampleur de la tâche, elle sait que le monde est un bâteau ivre sur lequel il est difficile de rester debout.

 

 

Ministre de l’Intérieur
Terminés les tambouilles, les affaires de Tarnac et les super-flics-cowboys éloignés de la population: la gauche au pouvoir marque le grand retour de la police de proximité, et, qui de mieux pour l’incarner que l’Agent 212 de Daniel Kox et Raoul Chauvin. Débonnaire et gaffeur, il sera parfait pour recréer du lien avec la communauté, tout en gardant un réel amour de la loi. Et comme avec un good cop, il en faut un bad, il sera associé à l’Agent Longtarin. A la DCRI, Squarcini sera evidemment remplacé par les Dupont et Dupond.

 

 

Secrétaire d’Etat aux Prisons
Là encore, c’est la prime à l’expérience. Qui de mieux pour s’occuper des prisons que quelqu’un qui s’en est échappé des dizaines de fois? Joe Dalton serait donc le candidat parfait pour ce poste.

Garde des Sceaux
Les policiers manifestent depuis des semaines contre une justice considérée comme trop indulgente avec les voyous et trop sévère avec les forces de l’ordre. Pour leur donner des gages, rien de tel que de nommer Matt Murdock, alias Daredevil, au ministère de la Justice. Oui, encore un naturalisé : ça fera les pieds à Jean-François Copé. Mais c’est le candidat idéal au poste, le seul à même de réconcilier ambiance feutrée des tribunaux avec la dure réalité du terrain. Avocat le jour, il fait régner l’ordre la nuit, avec des méthodes pour le moins musclées. Et comme il est aveugle comme la justice, il remplit le quota d’handicapés au gouvernement.

 

 

Ministre du Travail
A l’instar de Blutch à la Défense, Gaston Lagaffe se voit tout naturellement attribuer le ministère du Travail. Premier champ d’action : le stress et la santé au travail, qu’il devrait considérablement améliorer avec un programme ambitieux de fabrication d’avions en papier et de courses de chaises roulantes. Puis le Ministre instaurera des siestes obligatoires, avant de réduire le temps de travail de 35 à 10h hebdomadaires. Pour travailler tous, il faudra travailler moins et rigoler plus.

 

Secrétaires d’Etat au Logement
Les Bidochons ont tout connu. Le camping, la maison individuelle, l’habitat en loyer modéré. Sorte d’incarnation de Nadine Morano en BD, ils sont la classe moyenne (basse) française et sont donc tout à fait aptes à juger de ses envies en terme de logements.

 

 

Ministre de la Santé
Hollande n’a cessé de l’affirmer, il faut renforcer la santé de proximité. Pour cela, les Femmes en Blanc sont toutes désignées. Les modestes infirmières seront chargées de faire fleurir les maisons de santé sur toute territoire national et de rendre les couloirs d’hôpitaux beaucoup moins tristes que ce qu’ils sont.

 

Ministre de l’Education Nationale
Luc Chatel l’a montré, pas besoin de connaître la règle de trois pour être ministre de l’Education nationale. A ce titre, l’élève Ducobu sera parfait pour mener les réformes pour éviter le décrochage scolaire des jeunes en difficultés, car il saura faire partager son expérience et les bonnes méthodes pour s’en sortir.

 

Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche
L’inventeur Léonard a une légitimité totale. Il a totalement saisi l’importance de tout donner dans la science pour la compétition internationale et de savoir allier recherche fondamentale et recherche appliquée. Et il est également compétent question enseignement, Disciple peut en témoigner. Bon, évidemment, sa nomination comporte quelques risques. Il risque de ne pas pouvoir s’empêcher de mener des expériences et cela embêtant s’il faisait sauter le futur campus de Saclay.

 

Ministre de la Culture
Pas besoin d’expérience ou de sens politique pour être ministre de la culture, la nomination de Frédéric Mitterrand l’a bien prouvé. Non, il faut quelqu’un qui aime les Arts, les Lettres (lire ces deux mots avec une patate chaude dans la bouche), qui est Fantasque et qui fera rayonner la Culture Française à travers le monde. La Castafiore, cantatrice de renommée internationale, est parfaite pour incarner ce rôle et pour chanter des vieux discours de Malraux: «Entre-ici Houellebecq!!!!»… Seul problème, elle n’est pas à l’abri d’un scandale, et ses relations troubles avec des dictateurs comme Kadhafi pourraient ressortir du coffre à bijoux.

 

 

Ministre des Sports
C’est l’Euro de foot dans un mois et l’équipe de France est tout sauf un gage de réussite. Il faut remédier à la situation de toute urgence. C’est pour ça que je nommerais Captain Tsubasa (ou Olive, d’Olive et Tom, si vous préférez) au ministère des Sports. Il aura pour mission de donner tous ses trucs aux Bleus: comment réussir des bonds de 3 mètres, comment frapper fort au point d’aplatir les ballons de foot etc. Je suis convaincue que le dopage n’y est pas pour rien, mais la fin justifie les moyens.

Ministre de l’Ecologie
L’écologie, finalement c’est simple. On plante des arbres, c’est bien, on les déracine, c’est mal. C’est ce qu’a compris Idéfix qui ne cesse de faire les gros yeux à Obélix qui a tendance par mégarde à en aracher un ou deux de temps en temps, comme si c’était des paquerettes. Ce n’est donc pas un hasard qu’il ait été porté en étendard de la reforestation par l’association Coeur de Forêt en 2011. Dans le Domaine des Dieux, il est le premier à alerter sur la nécessité d’une urbanisation en harmonie avec la nature, une question importante pour les années 2010.

 

 

Ministre de l’Agriculture
La caution terroir et catho du gouvernement sera Soeur-Marie Thérèse. La plus rock’n roll des nonnes s’y connait en matière d’agriculture avec le potager du presbytère et elle impulsera deux directions principales: le soutien actif à la viticulture et la création d’une filière française du cannabis. Et tant pis si c’est pas éligible à la Politique agricole commune…

 

 

Secrétaire d’Etat à la Mer
Hollande l’a dit, il y aura un vrai secrétariat d’Etat à la mer. Le Capitaine Haddock sera nommé, évidemment. Faut-il expliquer pourquoi?

 

 

 

 

Laureline Karaboudjan

Illustration : Photomontage perso, DR.

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Les Maximonstres pleurent leur père

L’illustrateur américain Maurice Sendak vient de mourir à l’âge de 83 ans. Le monde perd l’un des plus grands auteurs de livres pour enfants.

La nouvelle vient de tomber et en un instant, c’est toute ma jeunesse qui s’est envolée. L’auteur de livres pour enfants Maurice Sendak est décédé ce 8 mai 2012 à l’âge de 83 ans. Il s’est rendu notamment célèbre pour avoir créé, en 1963, Max et les Maximonstres, un livre que des générations de bambins, dont je fais partie, ont eu entre les mains. Je me souviens qu’à l’instar de quelques rares autres ouvrages, comme Chien  Bleu de Nadja ou les livres de Tomi Ungerer, il faisait partie de mes préférés. Tout simplement parce que ce n’était pas un livre pour enfants comme les autres.

Dans un monde jusque là dévolu aux princesses lisses sauvées par des chevaliers sans défauts, Max et les Maximonstres a fait l’effet d’un pavé dans la mare. Max, le héros, est un enfant égoïste et cruel, vêtu d’un costume de loup et qui s’amuse à poursuivre son chien avec une fourchette. Après avoir menacé de manger sa mère, ses parents le renvoient dans sa chambre pour le punir, ce qui le rend furieux. Il s’enfuit alors dans une jungle imaginaire, peuplée de monstres effrayants qu’il soumet à son règne. Mais l’ennui, la pire affection qui puisse guetter les souverains, finit par le rattraper et il regagne finalement le monde réel.

C’est un livre exceptionnel à plusieurs titres, à commencer par ses qualités graphiques. Dans un style qui évoque Bosch ou Dürer, Sendak dépeint des monstres sympathiquement effrayants et effroyablements sympathiques. Des monstres inoubliables et un univers phantasmagorique qui restent dans l’esprit de chaque enfant qui a posé ses yeux sur eux. Il n’y a pas de hasard: Sendak se serait décidé à dessiner après avoir vu le Fantasia de Disney.

Max et les Maximonstres est également remarquable parce qu’il a ouvert des portes jusque là closes sur l’inconscient des enfants. Le livre fut d’ailleurs jugé dangereux par certains psychologues à sa sortie et fut notamment déconseillé par la célèbre pédo-psychanalyste Françoise Dolto. Là encore, il n’y a pas de hasard: Maurice Sendak partageait sa vie avec un psychanalyste, Eugene Glynn, qui fut son compagnon jusqu’à sa mort, il y a cinq ans de cela. Max et les Maximonstres est un livre révolutionnaire qui garde toute sa force près de 50 ans après sa sortie, même s’il a hélas récemment été plutôt mal adapté sur grand écran. Le meilleur hommage qu’on puisse rendre à son créateur, c’est encore de se replonger dedans aujourd’hui, pour se rappeler des enfants que nous étions.

Laureline Karaboudjan

Illustration : extrait de Max et les Maximonstres, DR.

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Gringos Locos, la BD qui a échappé au pilon

Gringos Locos, un album qui met en scène les dessinateurs Morris, Franquin et Jijé, sort aujourd’hui. L’ouvrage a pourtant failli ne jamais voir le jour.

Yann et Schwartz, le tandem d’auteurs de l’excellent Spirou, le groom vert de gris (dont je vous avais parlé ici), reviennent dans les bacs avec Gringos Locos. L’album parait aujourd’hui et raconte l’épopée de trois auteurs mythiques du Journal de Spirou, Morris, Franquin et Jijé, partis aux Etats-Unis puis au Mexique en 1948 pour tenter de séduire Disney avec leurs dessins. Faire de dessinateurs des héros de BD (à l’instar certes des Aventures d’Hergé de Bocquet, Fromental et Stanislas) n’est pas la seule originalité de l’album. Il est également accompagné d’un fascicule de “droit de réponse” et d’un avertissement en guise d’incipit.

L’album que vous tenez entre les mains n’est pas pour autant un documentaire scientifique ou un biopic historique. Il s’agit, en premier lieu, d’une aventure historique Les personnages, bien qu’inspirés de figures ayant existées, doivent avant tout à la libre interprétation des narrateurs”, explique un «avertissement au lecteur» en début d’album.

Et encore, c’est là un moindre mal. Il y a quelques mois, Isabelle Franquin, la fille du créateur de Gaston, et les enfants de Josph Gillain (Jijé) avaient carrément exigé la destruction pure et simple des albums déjà imprimés. D’après levif.be, ce ne sont pas moins de 35 000 exemplaires qui étaient ainsi menacés de partir au pilon sans autre forme de procès. Parmi les plus virulents, Benoît Gillain assurait ainsi au Soir: “Quand un collectionneur français nous a amené les planches publiées dans les journaux, la moitié de la famille a souhaité que cet album soit détruit et ne sorte jamais.

Caricature blessante et malhonnête
Pour l’héritier de Jijé, la caricature truculente qui est faite de son père est à la fois fausse et blessante. “Les auteurs n’ont jamais connu mon père. Il n’avait rien à voir avec ce grossier personnage. L’image qu’on donne de lui est malhonnête. Derrière des faits à peu près exacts, on dessine quelqu’un qui jure tout le temps alors qu’il n’a jamais prononcé un gros mot de sa vie. Il porte un tricot de corps avec des bretelles, court parfois en caleçon : je ne l’ai jamais vu comme ça !”. Dans ce concert de reproches, seule Francine Morris, la veuve de l’auteur de Lucky Luke, a apprécié la bande-dessinée de Yann et Schwartz.

Finalement, un accord a pu être trouvé et la BD parait bien aujourd’hui, augmentée de son cahier “droit de réponse”. On ignore quels ont pu être les termes du débat entre Dupuis et les héritiers des auteurs en question, mais il est certain que la maison d’édition de Marcinelle, en banlieue de Charleroi, n’avait pas intérêt à se fâcher avec la brochette d’ayant-droits. En jeu, c’est l’image de marque de Dupuis qui aurait pu être écornée à travers ses personnages les plus connus (et par ailleurs véritables filons éditoriaux) qui appartiennent aux fonds Jijé et Franquin.

Dupuis semble même avoir pris son parti de la solution qui a été trouvée puisque sur son site, l’éditeur explique que “le premier tirage de cet ouvrage (45 000 ex) est enrichi d’un document de 10 pages réalisé en collaboration avec les familles Gillain et Franquin. Sous le titre “Droit de réponse et quelques questions“, Benoît Gillain témoigne sur ce voyage effectué l’année de ses 10 ans. Ce fascicule est illustré de photographies inédites extraites des archives familiales”.

Une bonne BD avant tout
Et l’album dans tout cela? Il n’est pas mauvais du tout et c’est sans doute le principal. On retrouve cette capacité de Yann et Schwartz de jouer avec de multiples références belges des années 40/50, la langue utilisée est parsemée d’expressions bruxelloises et si parfois le lecteur français ne comprendra pas exactement tous les mots (notamment les insultes), il tombera dans une ambiance agréable. Le récit est un pur road trip qui mène les héros de la côte Est à San Diego puis jusqu’au Mexique. C’est vivant et bien mené -même si ce n’est sans doute pas la BD de l’année non plus- et je suis curieuse de voir ce que donnera le deuxième tome, si les deux auteurs arriveront à trouver un sens à l’aventure où si cela tournera un peu en rond.

Découvrir la face cachée, ou tout du moins la face rêvée de ces trois mythes de la BD belge est tout de même plus qu’agréable car assez rare. Peut-être que Jijé ne jurait pas ainsi, peut-être que Morris n’allait pas si souvent aux putes et Franquin ne pouvait sans doute pas être aussi dégingandé que Gaston Lagaffe. Yann et Schwartz ont utilisé leur liberté d’auteurs pour nous proposer un récit enlevé et pour montrer une image de monstres sacrés de la BD bien différente de celle que l’on a lorsqu’on lit Spirou ou Lucky Luke. On s’attache à ces personnages, rendus furieusement sympathiques, car pleins de défauts, donc délicieusement humains.

Laureline Karaboudjan

Illustration : extrait de la couverture de Gringos Locos, DR.

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Sauvez la BD, votez Sarkozy!

Oubliez les programmes et les postures, seul compte le potentiel en tant que personnage de BD. A ce titre, Sarkozy est champion toutes catégories.

Normalement, je ne prends pas de position politique (ou peu), mais là, je me sens obligée d’intervenir. Alors que Nicolas Sarkozy est abandonné par tous ses anciens amis people, même Johnny!, je me dois de le soutenir. Oui, je vous en conjure, le 6 mai, votez Nicolas Sarkozy! Non pas pour sauver le vrai travail ou pour faire barrage au droit de vote aux étrangers, mais parce que c’est le dernier espoir de sauver la bande-dessinée politique. Le président-candidat a annoncé qu’il se retirera de la vie politique s’il perd. Il sortira donc de l’agenda médiatique et on risque de perdre un personnage de BD formidable. Probablement le meilleur de la cinquième République.

Petit, pugnace, hargneux, colérique, souvent vulgaire, Sarkozy n’avait même pas besoin d’être caricaturé pour que cela saute aux yeux: il semble tout droit sorti d’une case de bande-dessinée. Ce n’est pas pour rien qu’il est si souvent comparé à Iznogoud… C’est du pain-béni pour les auteurs de BD qui ne se sont pas privés d’accommoder le président à toutes les sauces. D’autant que Nicolas Sarkozy est une figure clivante. Jamais on n’aura autant aimé ou détesté un président de la République. Sauf peut-être Mitterrand. Ce qui est sûr, c’est qu’on n’aura jamais sorti autant de BD sur un président que sur Sarkozy.

Des BD à foison sur Sarkozy
Il suffit de se rendre dans n’importe quelle librairie spécialisée pour s’en rendre compte: la production est aussi foisonnante qu’inégale. Signalons par exemple la récente et bonne adaptation des “Chroniques du règne de Nicolas 1er” de Patrick Rambaud en bande-dessinée. Ou bien la floppée de BD “La face kärchée de Sarkozy”, “Sarkozy et les femmes” ou “J’aurais voulu faire président”, qui ont toutes comme point commun d’avoir été rédigées non pas par des scénaristes habituels de BD mais par des journalistes (Thomas Legrand, Renaud Dély, Philippe Cohen) ou l’avocat de Charlie Hebdo (Richard Malka).

Plus traditionnelles, il y a aussi les BD qui sont le fait de dessinateurs de presse, comme la série “Silex and the city” de Jul ou “Les Sarkozy gèrent la France” de Luz. Là encore, les titres sont extrêmement nombreux et les albums ont tous plutôt bien marché.

Même le journal de Spirou s’y est mis. Après un numéro spécial anti-partition de la Belgique, il en sort un pour “Sauver la France“, “l’histoire d’une élection très.. heu…” avec plusieurs BD courtes consacrées à ce thème. Si Hollande est bien en couverture avec le président-candidat, c’est Sarkozy qui revient en permanence dans les pages intérieures, preuve qu’il a beaucoup plus inspiré les dessinateurs. Certains comme Bourhis et Spiessert imaginent que Nicolas Sarkozy se reconvertit en dessinateur de BD après l’élection, ayant découvert le vrai bonheur. Bouzard lui se voit en conseiller rural du président à coup de poêlée de petits pois mange-tout et de verre de gnôle.

Hollande, cet anti-héros
A l’inverse, François Hollande semble dénué de toutes les qualités propres à en faire un personnage de BD. Il incarne une certaine mollesse, adopte une posture de “candidat normal”, ne traîne pas de grosses casseroles de type Fouquets ou yatch de Bolloré et en plus, il se charge tout seul de faire des blagues. A priori, il n’offre pas de matière très alléchante pour les dessinateurs de BD.

Mais sait-on jamais. En incarnant la fonction présidentielle, le député de Corrèze prendra une autre dimension et sera sous le feu des projecteurs. Nul doute qu’alors certains traits seront plus saillants et que son potentiel de caricature s’en trouvera renforcé. Et surtout, il ne faut pas oublier les personnages secondaires. Un ministre comme De Villepin a su inspirer “Quai d’Orsay”, la meilleure BD politique de ces dernières années.

Le gouvernement que formerait Hollande s’il était élu pourrait regorger de personnages de ce type. Manuel Valls semble tout désigné pour reprendre le flambeau du petit colérique qu’incarnait Sarkozy. Surtout si le maire d’Evry est nommé ministre de l’Intérieur. Du haut du perchoir de l’assemblée qu’on semble lui promettre, Ségolène Royal pourrait de nouveau faire le bonheur des caricaturistes. Même s’il n’entrerait sans doute pas au gouvernement, gardons un oeil sur Mélenchon, parfait poil à gratter.

Et puis, il est vrai qu’il faut parfois innover. Se reposer sur Nicolas Sarkozy revient à toujours appliquer les mêmes recettes, notamment comiques. Elles sont efficaces mais peut-être est-ce au bout d’un moment tourner en boucle. En Bd, le changement, c’est maintenant?

Laureline Karaboudjan

Illustration : extrait de la couverture des Chroniques du règne de Nicolas 1er, DR.

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«Il faut de l’avenir à notre futur»

Slogans ridicules, propositions farfelues sont au programme de La Course à l’Elysée, un jeu de société politique des auteurs de la BD Quai d’Orsay.

A quelques jours du premier tour, la tension est à son comble (ou pas). Tous les soirs le sujet revient à table ou dans les bars: “Et alors, et toi, pour qui tu votes?” “Poutou, mais tu sais, depuis longtemps hein, pas depuis le Des Paroles et des Actes de la semaine dernière…” “Non, mais Poutou, c’est une blague?” “Non, sérieusement”. Bref, au bout d’un moment, c’est fatiguant de se répeter.

Un jeu de société, La Course à l’Elysée, qui vient de sortir, propose enfin une alternative et permet de s’engueuler sur des cas concrets. Créé par les auteurs de l’excellente BD Quai d’Orsay, Abel Lanzac et Christophe Blain, ce jeu met en scène six candidats qui tentent de gravir les marches de l’Elysée jusqu’au deuxième tour de l’élection présidentielle, puis à la fonction suprême. Au hasard, on incarne donc le Parti anti-capitaliste, les Alter-écologistes, le Parti social-démocrate, le Parti conservateur, le Centre et le Parti nationaliste.

Le principe est simple: pour gravir les marches de l’Elysée, on alterne entre des cases coulisses et des cases débats. Les premières sont d’assez banales peaux de bananes à glisser à vos adversaires ou bonus pour vous aider à monter dans les sondages. L’essence du jeu se trouve dans les secondes. Il s’agit avant tout de piocher un thème de débat, souvent un fait d’actualité imaginaire mais proche de la réalité. Par exemple “Trois meurtres à Toulouse après un règlement de comptes” (si, si, cette proposition quelque peu prémonitoire est vraiment dans le jeu).

A partir de ce thème de débat, il s’agit de choisir un adversaire et de défendre une mesure précise que l’on a, elle aussi, piochée au hasard. Le tout en arrivant à placer le slogan de son parti, car c’est en le martelant que l’on frappe les esprits. Évidemment, tout le sel du jeu réside dans les situations absurdes que cela entraine. Par exemple lorsque l’on est candidat nationaliste et qu’il s’agit de réagir aux mauvaises conditions de détention dans les prisons en prônant la légalisation du cannabis: “C’est une mesure juste, ainsi les prisonniers seront moins stressés. Et bien entendu, ces drogues douces seront distribuées aux Français avant tout”.

Une expérience surréaliste

En parlant de drogues douces, j’ai testé le jeu lundi soir, avec des ami(e)s, je dois avouer que nous avons beaucoup ri. Les gens s’amusent vraiment à incarner les personnages, ça parle fort, cela devient vite outrancier et très divertissant. Nous sommes tombés dans des grands moments de débats démocratiques avec des phrases chocs et des slogans hallucinants. Petit florilège : “Il faut de l’avenir pour notre futur”, “Pour résoudre le problème des banlieues, je propose de relancer la filière nucléaire afin de procéder à des frappes thermo-nucléaires sur les quartiers”, “Pour répondre à la violence de notre société, il faut créer un statut spécifique de l’animal contre les maltraitances”, “Il faut un président du monde, ni de droite, ni de gauche” ou encore, pour reprendre la parole en plein débat, “C’est bon? Je peux parler? Un autre monde est possible?”.

J’avais noté mentalement pleins d’autres phrases mais là mes souvenirs sont un peu embrumés. En tous cas voilà autant de sorties, autant de tirades qui n’ont rien à envier aux plus célèbres phrases des débats politiques passés. A côté, on doit même admettre que le “monopole du coeur” ou le “Taisez-vous Elkabbach” font presque pâle figure. A cet égard, La Course à l’Elysée, outre être un bon divertissement, fait presque figure d’expérience surréaliste. Le jeu agit en tout cas comme une métaphore plutôt bien sentie de la vie politique (on devrait même dire politicienne), qui pousse les candidats (les vrais) à devoir réagir à tout et n’importe quoi avec des promesses plus ou moins acrobatiques.

Plusieurs petits points à préciser toutefois:

  1. Il vaut mieux jouer avec des gens qui ont du recul et le sens de l’auto-dérision. Peut-être que tout le monde n’a pas envie de défendre des idées du FN, même si c’est pour de faux. Mais quel plaisir, à l’inverse, de voir votre ami centriste depuis toujours défendre des positions extrêmes ou un copain gaucho se faire l’avocat de l’UMP.
  2. Il faut des gens du même niveau. Comme c’est un affrontement permanent, pour les timides et ceux qui s’intéressent peu à la politique, cela ne va pas être très drôle face à des personnes qui partent dans des envolées lyriques. Ce n’est pas forcément le meilleur qui gagne, puisque comme ce sont les autres adversaires qui notent les affrontements, aucun joueur n’a intérêt à ce que quelqu’un monte trop vite.
  3. Le jeu est un peu court, le second tour aurait pu être mieux imaginé et les cartes coulisses ne sont pas assez variées.
  4. Je m’attendais à plus de jolies illustrations de la part de Blain, là c’est un peu froid. On sent qu’il est plus venu donner un coup de main qu’il n’a participé pleinement à la réalisation du jeu.
  5. C’est le moment où jamais d’y jouer, au moins jusqu’aux législatives. Le jeu peut tout à fait se jouer hors période électorale, mais il risque d’y perdre un peu de son sel.

Laureline Karaboudjan

Illustration : extrait de la boîte du jeu La Course à l’Elysée, DR.

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Cape de fin

La saga De Cape et de Crocs s’achève avec la sortie de son dixième tome. Recettes d’une des meilleures BDs d’aventure des vingt dernières années.

Les meilleures choses ont une fin. Avec son dixième tome, qui paraît ce mardi 11 avril, la série De Cape et de Crocs touche à son terme, dix-sept ans après son tout premier tome. C’est en effet en 1995 qu’Alain Ayroles (à la plume) et Jean-Luc Masbou (aux pinceaux) sortent “Le Secret du Janissaire”, premier album de cette saga fantastique où, comme son nom l’indique, il est question de fleurets et d’animaux. Car les deux héros de la série, Don Lope de Villalobos y Sangrin et Armand Raynal de Maupertuis, sont un loup et un renard, aussi bons bretteurs l’un que l’autre et embarqués dans des aventures rocambolesques dans un XVIIème siècle imaginaire.

Au fil des albums, sortis en moyenne tous les deux ans, leurs péripéties les emmènent à la recherche d’un trésor au bout du monde, et même jusque sur la lune. La série est très populaire puisque ce sont près d’un million d’exemplaires des neuf premiers tomes qui auront été vendus. Un succès qui s’explique par les nombreuses qualités intrinsèques de la série, que j’ai tenté de répertorier.

  • Des personnages forts en gueule

De Capes et de Crocs n’aurait pas tenu sans un casting savoureux: Armand Raynal de Maupertuis, jeune renard séducteur, porté sur les lettres, éternellement amoureux, rusé et cabotin là où Don Lope est plus sérieux, tout en contenance, marmite de passion prête à exploser de temps en temps. Pour magnifier un duo, il faut un troisième larron et c’est le rôle d’Eusèbe, leur Spip ou Idéfix, un lapin, aussi mignon que reconnaissant pour ses deux sauveurs qui lui épargnent le fouet sur les galères. Si je trouve les personnages féminins un peu fades, Rais Kader, Cénile ou Le Capitan Mendoza, Le Prince Jean sans Lune, sont des adversaires variés qui reprennent toutes les thématiques des méchants traditionnels du théâtre.

  • Une intrigue touffue

Dix tomes, c’est long, et au bout d’un moment, on a tendance à oublier le point de départ: la quête du trésor des îles Tangerines, équivalent de l’Atlantide, dans une Europe du XVII ème siècle où les nobles sont forcément pédants, les commerçants avares, et les hommes d’armes amoureux des jolies femmes. L’intrigue de De Cape et de Crocs est faite de rebondissements incessants, de destinées croisées, de révélations familiales aussi fracassantes qu’inattendues et d’histoires d’amour aussi rythmées qu’un combat au fleuret. Bref, ça part dans tous les sens tout en gardant une grande cohérence, de quoi tenir le lecteur en haleine tout le long de la série.

  • Des illustrations fourmillantes

La série se distingue par le très grand soin apporté à chacune de ses cases. Au-delà de l’histoire et de son rythme, le lecteur averti peut s’amuser à scruter chacune des unités qui composent le récit à la recherche de détails plus ou moins loufoques. Il n’est ainsi pas rare dans De Cape et de Crocs qu’au second plan d’une case, on voie tel ou tel personnage faire une chute, tenter de faire les poches d’un autre ou d’effectuer une pitrerie quelconque. C’est d’ailleurs souvent le cas d’Eusèbe, dont le format réduit autorise d’autant plus facilement ce genre de clins d’oeils, qui rappelle un peu Idéfix lors de sa première apparition dans le “Tour de Gaule” où le petit chien est dans presque toutes les cases sans que personne ne le remarque.

Par exemple dans cette case, le petit détail du regard éloquent adressé par un pirate au philosophe Diogène, qui permet d’imaginer le pire.

Ou dans cette planche, les trois petites saynètes qui amènent aux trois claques.

  • Des dialogues savoureux

Le scénario rocambolesque s’accompagne de dialogues qui ne manquent pas de souffle. A ce titre, Armand Raynal de Maupertuis est le personnage le plus emblématique. Le renard s’exprime en effet très souvent, et notamment lorsqu’il ferraille, en alexandrins parfaits. Plus globalement, le vocabulaire employé dans la série est tout droit issu du XVIIème siècle, tout comme les tournures parfois alambiquées jusqu’au ridicule des phrases. Tout ceci est à la fois propre à installer une ambiance inimitable, qui donne son caractère à la série, mais aussi de produire un effet comique puissant. Les dialogues regorgent d’ailleurs de jeux de mots, à l’instar de Lanfeust de Troy, autre grand succès de la BD d’aventure, sorti à peu près au même moment que De Cape et de Crocs.

  • Des références multiples

Enfin, De Cape et de Crocs regorge de références littéraires, artistiques ou historiques. Il serait trop long de toutes les lister ici, et il appartient au lecteur de les dénicher toutes, au détour d’une case ou d’un dialogue. Notons tout de même que les hommages à la littérature française sont extrêmement nombreux, à commencer par le Roman de Renart (Maupertuis, le nom du héros roux, est le nom de la forteresse du Goupil, tandis que le “y Sangrin” que l’on retrouve dans le nom du loup fait référence à Ysengrin, le loup qui accompagne le renard dans le livre médiéval). Les deux autres grandes inspirations littérares sont Molière et Edmond de Rostand, dont le Cyrano de Bergerac transpire littéralement de tous les albums de la série. D’ailleurs, ce ne sont pas des albums, ce sont des actes. Enfin, parmi moult références artistiques, relevons cette superbe case, piochée dans l’acte 6

Qui ne sera pas sans vous rappeler l’Ecole d’Athènes de Raphael:

Bref, vous l’avez sûrement compris, je suis amoureuse de cette série (que j’avais classée 5ème meilleure BD de la décennie écoulée) et la sortie de son dernier opus était l’occasion idéale de vous faire partager mon enthousiasme. Et de regretter, déjà, que l’aventure soit finie.

Laureline Karaboudjan

llustration : extrait de la couverture du premier tome de De Cape et de Crocs, DR.

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Joyeux anniversaire Picsou Magazine

Le journal du canard avare , qui fête ses 40 ans, reste une porte d’entrée incontournable dans l’univers de la BD.

Quand j’ai appris la nouvelle, je vous avoue que j’ai été un peu étonnée. Avec son numéro d’avril, le 480, Picsou Magazine souffle… sa quarantième bougie. Le premier numéro français du canard des canards de Canardville est en effet sorti en mars 1972, tout en noir et blanc. Moi qui n’ai pas cet âge canonique, je n’imaginais pas que la publication soit aussi vieille. Même si j’avais le souvenir d’avoir, gamine, racketté mes parents pour acheter des Picsous moitié en couleur, moitié en noir et blanc dans les brocantes de ma belle province.

Je suis convaincue que tout ancien lecteur ou toute lectrice repentie de Picsou Magazine aurait cette difficulté à dater le magazine. Parce que c’est l’un des premiers titres de presse (c’est prestigieux dit comme ça) que l’on a entre les mains, le lien affectif qui se créée est très fort. Et l’on peine à imaginer que d’autres aient pu lire, avant ou après, “son” magazine.

Ils sont pourtant nombreux, les lecteurs de Picsou Mag. L’an dernier, la diffusion payée du magazine en France était de 98 198 exemplaires, tandis que le titre revendique la bagatelle d’1 705 000 lecteurs, selon l’AFP. D’après l’étude Junior Connect menée par Ipsos, Picsou Magazine serait le deuxième titre le plus lu par les garçons de 8 à 14 ans, juste derrière… Super Picsou Géant. Personnellement, je ne suis jamais partie en colonie de vacances sans les deux publications dans mon sac à dos !

Certes, au bout d’un moment, on passe à autre chose. Mais, à l’occasion, je n’hésite pas à me replonger dans une histoire de Picsou ou de Donald (comme beaucoup j’ai toujours moins aimé Mickey) quand je tombe dessus. Car beaucoup ne sont pas juste de simples histoires pour enfants mais ont une vraie qualité et ont inspiré de nombreux auteurs. Les premiers Picsou par Carl Barks sont une référence mais les meilleurs sont sans doute ceux de Don Rosa.

La Jeunesse de Picsou, modèle du genre
Au début des années 90, il dessina et scénarisa La Jeunesse de Picsou, déclinée dans Picsou Magazine et que l’on peut aujourd’hui lire en albums reliés. Parmi les nombreuses histoires qu’a réalisées l’auteur américain, elle fait figure d’exemple. Outre le fait d’être extrêmement divertissante car tout en rebondissements, cette biographie du canard avare est nourrie de références qui dépassent l’univers de Picsou à proprement parler.

Sur la pauvreté dans l’Ecosse industrielle, sur la conquête de l’Ouest, les chercheurs d’or ou même la colonisation de l’Afrique du Sud, l’histoire traverse les époques et offre un regard sur les Etats-Unis de la fin du XIXème et du début XXème, comme peuvent le faire Lucky Luke ou Blueberry, avec souvent des accents qui mélangent Dickens et Jack London. On comprend d’où vient l’envie d’argent de Picsou, sa foi inébranlable, son amour perdu (mais pourquoi n’a-t-il pas ouvert la lettre de Goldie?), sa misanthropie, ses grandes erreurs, etc.

Parce qu’on y trouve des histoires comme celles de Barks ou de Don Rosa, d’un calibre autrement supérieur que les autres gags qui peuplent le magazine (il y a des histoires aussi franchement pourries), Picsou Magazine reste, à mon sens, une porte d’entrée idéale dans l’univers de la bande-dessinée. C’est probablement ce qui explique la survie du titre dans un paysage qui a vu les magazines “d’illustrés pour la jeunesse”, selon l’appellation traditionnelle, s’éclipser tous peu à peu. Bien sûr il ne faut pas oublier la force de frappe générale de Disney qui entre la télévision, les parcs d’attraction et le merchandising divers occupe beaucoup plus facilement l’espace. Avant d’être de la BD, Picsou Magazine est un outil de promotion de la marque.

Le seul équivalent de cette qualité reste le Journal de Spirou, mais son âge d’or n’est plus. Le Journal de Tintin, lui, a disparu depuis bien longtemps et Pilote n’existe plus que par des hors-séries aléatoires, par ailleurs plutôt réussis (pour commémorer mai 68 ou pour célébrer l’érotisme). Quant à Pif, pendant anticapitaliste historique de Picsou dont il partage la même culture du gadget, il a bien tenté un come-back en 2004 mais l’aventure aura été de courte durée. Le dernier numéro du nouveau Pif, avec sa fameuse machine à faire des œufs carrés, est sorti en 2008, avant la liquidation judiciaire l’année suivante.

Ces œufs carrés symbolisent tout simplement le décalage entre les deux titres. On trouvait en effet des œufs de ce type dans une histoire de Carl Barks, Perdus dans les Andes, datant de… 1949.

Laureline Karaboudjan

llustration : dessin de Picsou par Carl Barks, DR.

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Nous ne chavons pas où ch’est, Alégia !

Le muséo-parc qui vient d’ouvrir sur la bataille d’Alesia ne fait pas le poids face à Astérix pour raconter les Gaulois aux générations futures.

Alésia revient sur la carte. La célèbre bataille entre gaulois et romains, qui vit le chef gaulois Vercingétorix jeter ses armes aux pieds de César, est désormais commémorée par un “muséo-parc”, qui a ouvert ses portes hier en Côte d’Or, en Bourgogne. A mi-chemin entre le parc d’attraction virtuel et le musée à proprement parler, l’endroit a au moins un mérite, celui de

fixer enfin un lieu à la bataille. Une querelle anime en effet depuis 50 ans historiens et archéologues quant à l’emplacement exact de la défaite: à Alise-Sainte-Reine, là où s’est donc établi le “muséo-parc” ou à 180 km plus à l’est dans le Jura (tout comme il paraît que Lutèce était en fait à Nanterre). Et tant pis si on s’est probablement trompé de lieu, puisque l’essentiel n’est

pas dans la vérité historique.

Le mythe Vercingétorix

Car Alésia, c’est avant tout un évènement fondateur de l’identité nationale française, un épisode très symbolique. Le Premier ministre François Fillon en a livré une parfaite illustration lors de l’inauguration, la semaine dernière, en plein siège de l’appartement du forcené de Toulouse. En Bourgogne, il a évoqué “la résistance de la Gaule” et rappelé que la bataille avait été une “défaite fondatrice” de la France, “héritière des tribus gauloises“. Le Premier ministre le savait sûrement, il reprenait ainsi le récit national entamé par l’empereur Napoléon III, qui remis en avant, au cours de son règne, la figure de Vercingétorix. C’est lui qui, par exemple, a fait élever la statue du fier gaulois sur le site d’Alise-Sainte-Reine, au pied de laquelle on peut lire le très lyrique “La Gaule unie, formant une seule nation, animée d’un même esprit, peut défier l’Univers“.

Désormais, l’image qui s’impose du chef gaulois est celle du héros blond aux fières bacchantes et dont les yeux bleus ont croisé ceux de César d’égal à égal. Vercingétorix devient l’incarnation de la lose magnifique, de l’abnégation dans la défaite. Dans sa monumentale Histoire de France, Jules Michelet fait ainsi référence à Vercingétorix: “Le Vercingétorix conservant seul une âme ferme au milieu du désespoir des siens, se résigna et se livra comme l’auteur de toute la guerre. Il monta sur son cheval de bataille, revêtu de sa plus riche armure, et, après avoir tourné en cercle autour du tribunal de César, il jeta son épée, son javelot et son casque aux pieds du Romain, sans dire un seul mot.”

Des années plus tard, Lionel Royer représente cette scène dans un célèbre tableau.

Mais aujourd’hui, il y a fort à parier que c’est moins le tableau épique de Royer que sa géniale caricature par Goscinny et Uderzo, dans Le Bouclier Arverne, le 11ème album d’Astérix, qui fixe l’image de Vercingétorix dans l’esprit des plus jeunes.

Dans Le Bouclier Arverne, il est justement éminemment question d’Alésia. Le lieu de la défaite n’est pas un symbole d’unité, de fierté nationale : il est un lieu honteux, donc personne ne sait où il se trouve. “Nous ne chavons pas où ch’est, Alégia !” s’emporte le pourtant sympathique guide arverne d’Astérix et Obélix. “Alésia ? Connais pas Alésia ! Je ne sais pas où se trouve Alésia ! Personne ne sait où se trouve Alésia !explose même le chef du village Abraracourcix, blessé dans sa fierté de Gaulois. Car seulement deux ans se sont écoulés depuis la bataille, puisque les aventures des deux Gaulois sont censés se dérouler en -50.

Astérix et Obélix ont (sup)planté Vercingétorix

Pour l’anecdote, l’espace temporel pose question car Abraracourcix, le chef du village, est censé avoir participé à la bataille de Gergovie (en -52 comme Alésia) alors qu’il était encore jeune et maigre. Là, deux ans seulement après, théoriquement, il est tout gros et bien plus vieux. A moins qu’il n’ait subi un régime Dukan à l’envers, c’est louche. De plus, alors qu’Astérix et Obélix se rendent à Rome de nombreuses fois dans leurs aventures, il ne leur vient jamais à l’idée de tenter de libérer Vercingétorix, pourtant emprisonné là-bas jusqu’en -46.

Ou alors la vérité est ailleurs: peut-être qu’Astérix et Obélix ont tout simplement tué le chef arverne lors d’un de leurs voyages. Un épisode évidemment pas raconté dans les cases et les bulles de l’Histoire officielle, mais qui serait la meilleure explication au vedettariat d’Astérix et d’Obélix aux dépens du héros légitime. Les deux Gaulois auraient tué le père dans un geste freudien. Bon, je m’emballe.

Ce qui est sûr, c’est que Vercingétorix n’existe tout simplement plus dans la BD, même si on peut considérer que le beau Tragicomix en est sa métaphore la plus proche. La vraie incarnation des Gaulois, du «Nos ancêtres les Gaulois» enseigné par l’école républicaine, ce sont désormais Astérix et Obélix. En détournant le fameux mythe fondé autour de nos aïeux, Goscinny et Uderzo ont, à leur manière, sublimé l’incontournable référence. Si nos ancêtres sont les Gaulois, alors ils doivent être très Français. C’est à dire chauvins, mauvais joueurs, bagarreurs, râleurs, amateurs de bonne chère et volontiers rigolards.

Aujourd’hui, à un moment où le concept d’identité nationale revient en force dans le discours public, celui qui incarne le mieux cet ancêtre, et qui peut-être le raconte le mieux (ah, le Tour de Gaule), c’est Astérix, qu’on le veuille ou non. “Vercingétorix? Nous ne chavons pas qui ch’est, Vercingétorix !”

Laureline Karaboudjan

llustration : extrait du Bouclier Arverne, DR.

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Des bulles dans le djebel

Dix BD pour comprendre la guerre d’Algérie.

On célèbre, aujourd’hui, les 50 ans de la fin de la guerre d’Algérie. Le 19 mars 1962, le lendemain de la signature des accords d’Evian, l’un des conflits de décolonisation les plus durs de l’histoire prenait fin avec un cessez-le-feu. Pourtant, un demi-siècle plus tard, les plaies sont toujours ouvertes et la mémoire de la guerre continue d’alimenter les querelles entre la France et l’Algérie et au sein même des sociétés de chaque pays.

Le corollaire plus heureux, c’est que l’intérêt pour la guerre d’Algérie reste très élevé un demi-siècle après la fin des combats. Du coup, les documentaires, les livres d’Histoire ou les beaux bouquins de photos relatifs au conflit éclosent à foison et permettent, notamment aux plus jeunes, d’appréhender la guerre. La bande-dessinée n’est évidemment pas en reste ! Du coup, je vous ai concocté une petite sélection de 10 albums ou séries qui, d’une façon ou d’une autre, permettent de mieux comprendre cette période si particulière.

Azrayen de Lax et Giroud, Dupuis

Une référence absolue. Un grand scénariste (Frank Giroud) et un grand dessinateur (Lax) conjuguent leurs talents pour livrer une histoire passionnante, sortie initialement en deux tomes et aujourd’hui réunie en intégrale. Celle d’une section de harkis, menée par un lieutenant français, qui disparaît dans les montagnes Kabyles et qu’un capitaine de l’armée française tente de retrouver. La trame rappelle le chef-d’œuvre Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad et permet d’embrasser, à travers l’enquête menée par le héros, toute la complexité du conflit.

Carnets d’Orient, de Ferrandez, Casterman
Autre série incontournable que sont les Carnets d’Orient de Ferrandez. L’auteur, spécialisé dans les carnets de voyage, s’intéresse ici sur dix tomes à l’histoire de l’Algérie. Tous n’ont pas trait à la période 1954-1962, mais c’est tout de même le cas pour près de la moitié d’entre-eux. Parce que chaque album qui évoque cette guerre prend un point-de-vue différent, ils se complètent idéalement. Le tout avec des dessins sublimes.

 

 

L’Hôte, de Ferrandez d’après Camus, Gallimard

Ferrandez toujours, guerre d’Algérie toujours, mais cette fois-ci dans l’adaptation d’une nouvelle d’Albert Camus, “L’Hôte”. Comme j’aime beaucoup cet auteur et plus particulièrement cette nouvelle, je ne pouvais pas passer à côté de son adaptation en BD. Presque complétement dénuée de dialogues que cette nouvelle passe très bien en bande-dessinée, car elle nécessite une véritable réflexion sur le découpage, les plans, les regards, que Ferrandez a mené avec brio. Cette histoire d’un prisonnier fellagha amené par un gendarme français et accueilli pour une nuit par un instituteur isolé dans le djébel n’a jamais été aussi poignante.

 

 

Octobre Noir, de Daeninckx et Mako, Ad Libris
Je ne m’étendrai pas trop longtemps puisque j’ai écrit un billet il y a peu sur cette bande-dessinée. Quoiqu’un peu courte, elle a le mérite de mettre en valeur un épisode très particulier de l’histoire de la Guerre d’Algérie, celui de la journée du 17 octobre 1961 où des dizaines de manifestants pour l’indépendance de l’Algérie ont été jeté à la Seine à Paris. L’album prend la forme d’un thriller assez haletant ce qui le rend très accessible.

 

 

Retour à Saint-Laurent des Arabes, de Blancou, Delcourt.
Un album qui vient opportunément de sortir pour accompagner l’anniversaire de la fin du conflit. A travers un long reportage, l’auteur s’intéresse à la problématique particulière du devenir des harkis rapatriés en France à la fin de la guerre d’Algérie. Daniel Blancou interroge ses parents qui étaient instituteurs dans un camp de harkis du Gard. A travers leurs témoignages, on découvre le quotidien très difficile de ces anciens combattants “honteux”, parqués parfois pendant dix ans dans des camps. Le propos est précis et le découpage intelligent, pour un document qui s’annonce déjà incontournable sur le sujet.

 

 

Petite histoire des colonies françaises, tome 3, La décolonisation, Jarry et Otto T., FLBLB
Autre incontournable que cette Petite histoire des colonies françaises en 4 tomes et dont le troisième opus évoque la guerre d’Algérie. Contrairement aux précédentes BD évoquées, le propos est ici très didactique et volontairement désincarné. Les faits et les chiffres prennent le pas sur toute volonté de raconter une histoire avec des personnages et les dessins sont volontiers simplistes, presque abstraits. L’ensemble fonctionne très bien et on apprend énormément de choses.

 

Le Combat Ordinaire, de Larcenet, Dargaud
Certes le classique de Manu Larcenet ne s’intéresse pas directement à la Guerre d’Algérie. Mais dans ce récit semi-autobiographique, le père du narrateur est un ancien appelé  et le conflit ressurgit alors que, justement, il est atteint de la maladie d’Alzheimer. Pour son fils, un trentenaire des années 2000, c’est une révélation, entre les non-dits de son père et la rencontre avec un voisin âgé, si gentil maintenant, mais ex-tortionnaire. Le tout traité avec tout l’humour et la justesse dont a su faire preuve Larcenet dans cette tétralogie culte.

 

Là-Bas, de Tronchet et Sibran, Dupuis
Des BDs qui s’intéressent aux Algériens, aux soldats français, aux harkis, aux manifestants jetés à la Seine… Et les pieds-noirs alors? Ils sont au cœur de la BD Là-Bas, qui met en scène Alain, un français d’Algérie obligé de quitter son pays natal à la suite de l’indépendance. Il découvre alors Paris et sa grisaille, entretient la nostalgie d’Alger et est hanté par des souvenirs pas forcément heureux. Au-delà de la seule situation des pieds-noirs, la BD parle du déracinement, servie par le dessin très expressif de Tronchet.

 

D’Algérie, de Morvandiau, Maison Rouge-L’Oeil Critique
Un peu à l’instar de Retour à Saint-Laurent des Arabes, l’album de Morvandiau est un récit autobiographique. Celui de la famille de l’auteur, qui a presque entièrement quitté l’Algérie après la guerre, hormis un oncle qui vit toujours sur place. Dans cet album, Morvandiau s’évertue à tisser des liens entre les deux pays à travers la destinée familiale et le récit d’épisodes appartenant à l’histoire intime qu’il relie à la grande Histoire. Passionnant.

 

 

Le chemin de l’Amérique, de Baru, Casterman
Auteur éminemment politique, Baru ne pouvait pas passer à côté de la guerre d’Algérie, qu’il a évoqué dans Le chemin de l’Amérique. Il y raconte l’histoire de Said Boudiaf, boxeur algérien qui se retrouve confronté à un choix : soutenir le FLN et l’indépendance de son pays ou servir de symbole à une Algérie française pacifiée. Il refuse de choisir et se retrouve évidemment rattrapé par les événements. Le récit est très efficace et permet, à travers l’exemple véridique de ce sportif pris dans la tourmente de l’Histoire, de mesurer toute la complexité du conflit.

 

Laureline Karaboudjan

illustration de une extraite des Carnets d’Orient de Ferrandez

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Jean Moebius Giraud est mort

Créateur de Blueberry, fondateur de Métal Hurlant et auteur génial de science-fiction, un  géant de la bande-dessinée s’est éteint. Hommage à chaud.

Sur la route de Coronado, j’ai suivi la piste pour arriver au Fort Navajo. Un aigle solitaire me surplombait, menaçant, annonçant sans aucun doute un tonnerre à l’ouest. On me surnommait l’homme à l’étoile d’argent, je n’étais qu’un cavalier perdu.
Et pourtant face à ce général tête jaune surgissant sur son cheval de fer, il aurait fallu être un homme au poing d’acier qui cesse d’être obsédé par une hypothétique piste des Sioux et une encore plus imaginaire mine de l’Allemand perdu.

Certes, je valais 500 000 dollars, j’avais tué le spectre aux balles d’or et Chihuahua Pearl était amoureuse de moi, complètement Arizona love. Mais j’avais peur. Que le Bandard fou me propose une ballade pour un cercueil un peu trop prolongé. Que ces hors-la-loi d’Angel Face, d’Arzach et de John Watercolor et sa redingote qui tue m’entraîne dans un cauchemar blanc. Avec, toujours, cette question: l’homme est-il bon?

Depuis ma jeunesse, on me nomme Blueberry le Yankee. Je ne suis pas un major fatal mais j’ai les yeux du chat, qui me permet de voir, au loin, descendant la Mississippi River, le cavalier bleu, ce tueur de monde au nez cassé.

A la recherche de l’Incal noir et de lumière au lac des émeraudes, j’ai dû prendre une déviation avec John Difool qui venait de faire une double évasion. Grâce à notre longue marche, nous étions devenus les maîtres du temps, libérés de la complainte de l’homme programme, prêts à lancer notre dernière carte contre la tribu fantôme. «Tous des magiciens !» hurlait alors à raison Lord Darcy, «c’est dans les yeux», ajoutait-il, mais ce n’était qu’un tireur solitaire, ce qui est en bas sur l’étoile pour le monde et les jardins d’Edena.

Dans cette galaxie qui songe, ce qui est en haut, au bout de la piste, tel le cristal majeur, est le désintégré réintégré. Sur l’île de la licorne, il marche les nuits de l’étoile, attendant The Long Tomorrow, prêt à l’emporter, lui, ce surfer d’argent, vers la citadelle aveugle, avec une escale sur Pharagonescia.

Profitant des vacances du Major, ce prince impensable, il doit séduire la déesse des quatre royaumes, sur ordre de Washington, nom de code: mission Sherman. Elle détient le secret d’Aurelys, essentiel pour prévenir le retour du Jouk. L’homme à la Nouvelle-Orléans lui a pourtant bien dit: attention, ce sont des terres aléatoires, les immortels de Shinkara rôdent ! Et le seigneur d’Onyx préférera offrir en sacrifice à l’alligator blanc la folle du Sacré-Coeur plutôt que de tomber dans ce piège de l’irrationnel. Et Stel, le bon roi, n’est plus là pour nous protéger des griffes d’ange. Il a été remplacé par l’homme de Ciguri, le mauvais roi, que tout le monde surnomme Little Nemo.

Certes, je suis devenu Mister Blueberry, mais je suis dans la merde jusqu’au cou ! Les colts, fantômes et zombies font peser une terrifiante ombre sur Tomstone. J’entends le tonnerre au sud, c’est Géronimo l’Apache, revenu fou de la Sorbonne, prêt à rendre la frontière sanglante, dans la nuit noire. Il n’y a plus de nouveau rêve, plus de Sra, plus de réparateurs, plus d’aventuriers du trou blanc, juste de la poussière – Dust ! –  à OK Corral et un chasseur qui déprime.

A l’intérieur de Moebius, nous sommes tous des Icare, version irlandaise ou pas, des arpenteurs recensant la faune de mars. Pendant ce temps-là, Zaza et Moeb aiment Cherbourg, peut-être est-ce le principal.

Jean «Moebius» Giraud est donc décédé. Dans mille galaxies et au fin fond de l’ouest américain, on pleure sa mort aujourd’hui. Je reviendrai sans doute en début de semaine prochaine plus longuement sur son oeuvre, je voulais juste, ici, à chaud, réagir sur sa mort avec un texte reprenant les titres de tous ses albums. J’espère qu’ils ont eu pour vous un effet madeleine de Proust, cela permet aussi de prendre conscience de la très grande production de cet auteur. Globalement, dans le déroulé de ce texte, j’ai respecté l’ordre de production de ses albums. Rien qu’avec les titres, on reconnaît les périodes plus Giraud que Moebius, et inversement.

Laureline Karaboudjan

llustration : dessin de Moebius extrait du livre d’illustrations Venise Céleste, DR.

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