Peut-on rire du 11 septembre?

Dans sa BD Le Bureau des Complots, Jérémy Mahot propose une interprétation conspirationniste et loufoque des attentats de New-York et Washington.

On ne pouvait rêver meilleure date de publication, et elle ne doit rien au hasard évidemment. La BD de Jérémy Mahot Le Bureau des Complots vient de paraître et traite du 11 septembre 2001 (là vous regardez votre calendrier et vous vous dites, “ah oui, c’est vrai, c’est aujourd’hui”). 11 ans après le 11/09, soit 3959 jours après l’évènement, c’est à dire trois-neuf cinq-neuf, donc 3×9 et 5×9, ce qui donne 27 et 45, que l’on soustrait pour obtenir 18, et 1+8=9 !!! Non, décidément cette date de publication ne doit rien au hasard…

Le postulat de cette BD est que cette attaque n’est pas l’oeuvre de 19 terroristes d’Al Qaida qui auraient détourné des avions mais l’aboutissement d’un complot bien plus obscur et complexe. Celui ourdi (on n’a pas tous les jours l’occasion d’utiliser ce beau verbe) par un mystérieux “bureau des complots”, une agence secrète américaine à l’origine de tous les soubresauts de l’Histoire contemporaine. La mort des Kennedy, Armstrong sur la lune, les épizootie de vache folle et de grippe aviaire, le tsunami en Thaïlande… rien de tout cela n’est arrivé par hasard. A chaque fois, c’est le bureau des complots qui est à la manœuvre.

Dans ce premier album de ce qui pourrait bien devenir une série, l’auteur a opéré une véritable synthèse de toutes les hypothèses conspirationnistes qui ont cours sur le sujet, et elles sont nombreuses. Ainsi, à travers sa propre théorie du complot, Jérémy Mahot parvient à expliquer la destruction de la troisième tour (elle abritait en fait les locaux du bureau des complots), le dysfonctionnement des batteries anti-aériennes du Pentagone, la fonte de la structure métallique des tours jumelles, etc. Le tout est à la fois cohérent et complètement farfelu, excitant parce que “hénaurme”.

Un humour corrosif
Mais surtout, c’est très drôle. Cette préparation secrète des attentats du 11 septembre devient le prétexte à de nombreux gags tous teintés de cynisme. Ainsi cet agent du bureau des complots qui vient d’être plaqué par sa femme, et qui découvre opportunément que l’homme avec qui elle est partie déjeune tous les jours dans un restaurant des Twin Towers. Ou lors de la première séance de briefing, lorsque vient la traditionnelle séance de questions et qu’un des membres du bureau des complots avance: “Est-ce que l’on ira en enfer pour ça? Je veux dire, moralement parlant, ça commence vraiment à soulever des questions chez moi et…”. Une balle dans la tête ne le laissera pas finir sa phrase.

Le bureau des complots n’a aucune morale, se fout royalement des conséquences de ses actes tant que ses buts sont atteints. Ajouté à cela un certain sens de l’improvisation et des faiblesses humaines chez chacun des membres, et ces petites têtes d’obus nous semblent toutes très sympathiques. Alors que ce sont des monstres. D’ailleurs, le directeur du bureau ne dit pas autre chose juste après que le premier avion soit entré dans une des tours jumelles (et qu’il ait poussé un cri de joie): “Comme aurait dit un ancien collègue à moi : à partir de maintenant, nous sommes tous des fils de pute”. “Hum c’est beau, c’est de qui?” demande une de ses collègues. “Kenneth Bainbridge, directeur des tests de la première bombe atomique”.

Je ne sais pas si cette BD sera traduite aux Etats-Unis et je serais curieuse de voir son accueil. A la fois du côté des commémorants mais aussi du côté des conspirationnistes, l’affaire paraît toujours bien trop sérieuse pour que l’on joue ainsi avec, mais, onze ans après, il est probable qu’une partie des lecteurs – moins engagés – ne seraient pas contre rire un bon coup sur ce sujet. D’ailleurs, il est bien possible que des BDs comiques sur le 11 septembre soient déjà parues et qu’elles aient échappé à mon radar. En avez-vous à signaler?

Laureline Karaboudjan

Note de bas de page: Pour les commémorations des dix ans, l’année dernière, j’avais déjà évoqué quelques BDs sur le 11 septembre: A l’ombre des tours mortes de Spiegelman, 12 septembre, l’Amérique d’après ou The Big Lie, un comics américain conspirationniste. Mais si l’on veut saisir le traumatisme profond de New York, allez aussi faire un petit détour vers DMZ de Brian Wood, dessinée par Wood et Riccardo Burchielli.

Illustration extraite de la couverture du Bureau des Complots, de Jérémy Mahot, DR.

3 commentaires pour “Peut-on rire du 11 septembre?”

  1. Comme disait Desproges: “on peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui”.

  2. Peut-on rire de tout ?….

    Peut-on rire des cancéreux, des sidéens, des femmes lapidées, des homosexuels tués par les Talibans, des habitants d’Alep écrasés sous les bombes, des athlètes paralympiques et de leurs prothèses ?…

    Personnellement je ne crois pas qu’on puisse rire de tout, surtout quand on ne risque rien à le faire.

  3. Oui, Bergson, on peut rire de tout. Rire ne veut pas dire ignorer, rire ne veut pas dire dénigrer, rire ne veut pas dire mépriser.
    On peut rire de tout, mais probablement pas avec vous.

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