Un retour à la terre est-il possible ?

RetourTerre

Les BDs qui vantent la campagne sont nombreuses. Mais sont-elles réalistes ou juste un doux rêve d’urbains déracinés?

Ah l’été en France… Si doux, loin de Paris la pluvieuse, et si tranquille quand on ne risque pas une dénaturalisation forcée. On souhaiterait que cela ne s’arrête jamais. Mais la mi-août vient de passer et le souffle du boulet boulot caresse perfidement la nuque de la plupart d’entre nous. Peu pourtant ont envie de reprendre l’avion ou la voiture et de quitter la plage, l’étranger ou la mansarde familiale et protectrice. Certains parmi vous, lecteurs, sont même tentés de toute plaquer et de rester à la campagne, loin de la pollution et du bruit de la ville.

Cette tentation du retour à la terre est particulièrement présente en BD, notamment ces dernières années. En témoigne le succès des albums humoristiques de Larcenet et Ferri, Le Retour à la Terre, justement. Déjà 5 albums parus depuis 2002 et un engouement qui ne se dément pas.

Face au sérieux Combat ordinaire, plus poussé dans l’introspection et menant une réflexion sur la fin d’une certaine société française, Le Retour à la Terre trace dans une successions de gags les péripéties d’une famille d’urbains venue s’installer dans un trou perdu. Les idées de la plupart des scénettes sont souvent simples mais elles fonctionnent car elles font appel à toutes nos références caricaturales. D’un côté les urbains perdus incapables de s’occuper d’un jardin, d’un potager, de couper du bois ou de différencier un taureau d’une vache. De l’autre la vieille fermière qui ressemble à une fermière, le paysan béat qui pense que “Google” désigne le bruit d’une bouteille que l’on vide, le maire pas très ouvert d’esprit au fonctionnement mafieux, la fête du cochon, etc…

Au fur et à mesure des albums, cela se complexifie évidemment (ah ces sacrés Atlantes…), mais l’idée reste toujours la même. La Vraie vie, comme le titre du premier album (ou un ancien slogan d’Auchan… pardon, aux champs), est à la campagne et pas à la ville. Il faut donc y retourner pour y retrouver les vrais valeurs.

A la recherche de la vraie vie

Si le Retour à la Terre en est le symbole, cette « recherche de la vraie vie » se retrouve en filigrane dans la plupart des BDs traitant de la campagne. S’il y a peu d’oeuvres venant d’auteurs du cru, de paysans racontant leur quotidien, parfois difficile, on retrouve beaucoup d’albums où l’on envoie le héros prendre le frais au vert à la recherche d’un monde fantasmé que dessinateurs et scénaristes urbains ont sûrement connu étant gamins.

Dans l’humour, ce phénomène est habituel, car il permet des gags faciles. Lucien se met au vert de Franck Margerin est ainsi l’un de mes albums préférés de cette série. Le pauvre héros feignant et ultra-urbain à la banane si caractéristique n’arrive pas à s’adapter à l’univers paysan, le vrai: celui où il faut se lever tôt et travailler dur. Un peu plus poétique, il y a Gaston Lagaffe évidemment. L’éternel inadapté à la vie dans une rédaction bruxelloise fuit régulièrement la ville pour se réfugier à la campagne. Les paysans l’adorent. Avec son instrument à cordes étrange il fait fuir les nuisibles (bon, les vaches aussi) et dérèglent les instruments des avions militaires qui passent leur journée à faire les kékés au-dessus des fermes. Là-aussi, on retrouve l’image d’une campagne bucolique, un peu déconnectée des réalités de la vie.

Et encore plus proche des paradis articifiels, n’oublions pas évidemment le Génie des Alpages, par F’murr où là tout n’est que non sens et sens dessus dessous, loin de toute volonté de représenter une crédible vie de berger.

Certains auteurs tentent de comprendre la réalité de la campagne. Ainsi Etienne Davodeau, qui raconte la vie passionnante de ses parents ouvriers dans la région très traditionaliste des Mauges, en Anjou, dans les Mauvaises Gens. La aussi, par la manière même de raconter son histoire, l’auteur cherche à comprendre un monde qui a disparu et dont, il est nostalgique. Dans Rural !, rebelote, Davodeau y raconte la vie de paysans alternatifs, adhérents à “la Conf”, qui se battent pour faire vivre leurs cultures bio. Dans ce petit monde de la campagne, l’élément perturbateur c’est la ville destructrice, personnifiée par la construction d’une nationale. Ah le progrès, implacable, sans âme, à la solde des riches élus locaux propriétaires terriens, on connaît la musique….

Le héros qui va de la campagne à la ville

Le chemin inverse est aussi possible. Pour sauver la ville – donc la société – de la destruction, il est courant de faire appel à des héros venus de la campagne. Évidemment il a tout pour lui: il est souvent jeune – et blond aux yeux bleus-, il est vierge à la fois sexuellement et dans le sens où il n’a pas été corrompu par la civilisation décadente. Il a donc un coeur d’or et est prêt à défendre la veuve et l’orphelin. Parmi eux, on retrouve nos amis Astérix et Obélix, éternels puceaux, qui s’empressent de retourner toujours dans leur village, pour un bon banquet, après une escapade à Lutèce ou Rome, parce que c’est en Armorique qu’est la vie, la vraie. Et quand la ville tente de s’approcher du village, comme dans Le Domaine du Dieux, c’est un cuisant échec. Mais il y aussi Thorgal, l’ange brun qui veut vivre à l’écart de la violence des villages vikings, violence qui le rattrape toujours irrémédiablement.

Pour les plus jeunes, n’oublions pas Lanfeust de Troy, qui lui va sauver son monde dans une première série de huit tomes puis les étoiles, carrément, dans une seconde. Jusqu’au bout il restera ce bouseux de la campagne, mettant beaucoup plus de temps à s’adapter que la belle Ci’Xi. C’est aussi ce qui lui permettra de garder son innocence et d’éviter les fréquents passages des autres personnages du côté obscur de la force.

Mais parfois, cette innocence vire à l’absurde. Lapinot dans le premier album de Trondheim, Lapinot et les carottes de Patagonie, ne comprend absolument rien à ce qui lui arrive et aux divers éléments qui l’emmènent de sa campagne paisible, très pays de Oui-oui ou des hobbits, jusqu’à la ville, divisée en clans, castes et ravagée par des démons surgis de la terre. Son ignorance, sa naïveté et sa bêtise agacent régulièrement ses plus proches amis. Et d’ailleurs, contrairement aux précédents, il devra s’adapter, remettre un peu au placard sa stupidité paysanne pour vaincre ses ennemis. Il verra ainsi le monde différemment. Parfois, cet affrontement idéologique entre ville et campagne vire à la victoire de la ville, comme dans Donjon Potron-minet, scénarisé par Sfar et Trondheim et dessiné par Blain. Hyacinthe de Cavallère y est un jeune épris de justice qui va se voir l’âme totalement corrompue par la ville à force de coucher avec une pute et de vouloir faire le bien.

A la fin, l’appel de la forêt?

A force d’aller-retours entre la ville et la campagne, l’homme s’use. Les deux mondes, trop différents, le déstabilisent. Il peut alors choisir de fuir tout ça et de se réfugier encore plus loin, dans la forêt. L’autre jour, j’étais à Riga et j’ai croisé une jeune Allemande qui m’expliquait les yeux brillants qu’elle allait tenter de vivre en communauté dans la forêt en Equateur pour voir la différence. Comme elle lisait le français à défaut de savoir le baragouiner, je lui ai conseillé de lire Blast de Larcenet. Là aussi, le gros héros quitte la ville pour retourner à la campagne. Il aime y vivre seul, se nourrissant de barres chocolatées et de bonbons. Un jour, il tombe dans un bois sur une communauté isolée. Des damnés de tous les pays, des apatrides qui se retrouvent là pour vivre entre eux, proche de la nature. C’est la “République mange misère“. Là, le “président” de cette communauté essaye de convaincre le héros de les rejoindre, estimant qu’il ne s’en sortira pas tout seul. L’autre, dans un éclat de rire, refuse, ne voyant dans cette assemblée de pauvres bougres qu’une répétition de la société qu’il connaît déjà. Lui ne veut que retourner à la terre jusqu’au bout, seul.

D’ailleurs, je trouve suspect l’inclination que tu as à porter secours à celui qui n’en exprime aucun besoin…
Ne le prends pas personnellement, la condescendance est un trait commun à ceux qui ont la conscience tranquille. ..
L’autre, ta république, le monde! Tout ça n’a qu’un seul but… assurer ton confort moral! L’illusion frénétique de la vertu pour combler le vide… Si je vis dans la forêt, c’est que ça me tente, moi, le vide… C’est pour le faire grandir tellement qu’il me remplace de graisse…Tu vois que nous ne sommes pas de la même espèce…
La solitude…
Se parcourir pendant des heures sans rencontrer personne…
Pour un jour disparaître…
Pfuiiit

(un temps, pas un mot durant deux cases)

Gardez la votre République, jumelle de celle qui vous à mis dehors…
Je ne recherche plus ce genre de confort….
Je ne mendie plus ma place…

Laureline Karaboudjan

5 commentaires pour “Un retour à la terre est-il possible ?”

  1. Chaque nouvel article est un plaisir!! Encore du très bon!
    Ah oui, un célèbre bouzeux est oublié dans ce billet: Il s’agit de San Goku, lui non plus ne s’adaptera jamais à la civilisation!

  2. entre un “retour à la terre” fantasmé et la “vraie agriculture” “traditionnelle” – c’est a dire industrielle – telle quelle est il devrait(doit??) y avoir une place créatrice d’emploi de produits de qualité et d’un autre aménagement du territoire (que celui qui est aussi et qui peu ou prou pourrit la vie de beaucoup (si ce n’est de tout le monde))
    bref, entre traditionS et modernité(es?) à maniers avec beaucoup de pincettes

  3. @Gen De Yokosuka : Evidemment, San Goku est un excellent exemple!

  4. De Larcenet, on pourrait citer “la France a peur de Nic Oumouk” , où un jeune de banlieue – scénario aussi classique – est envoyé à la ferme…

  5. Laureline,
    vous avez oublié Guillaume Bouzard,
    le splendide isolé de Chizé !
    Presque toute son oeuvre joue sur une approche à multiple degré sur son village des Deux-Sèvres, ses digressions, son prétendu ennui, comment il le meuble par ses autofictions extraordinaires dans tous les sens du terme, avec son chien Floppy, ses aventures en Bretagne fantasmé, ses matchs de foot et ses bars, ses garagistes géants…
    Vous en pensez quoi, du coup ?

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