Ils sont nombreux à reprendre du service après la retraite
Les négociations sur les retraites battent leur plein et le sujet risque de faire la une des quotidiens de nombreuses fois encore d’ici la fin de l’année. A l’heure où je ne sais pas encore si 1) je vais travailler jusqu’à 70 ans, 2) j’aurais une pension suffisamment élevée pour m’acheter des BDs à la retraite, 3) il y aura des manifs à la rentrée, je me suis demandé ce que faisaient les héros de BD à la retraite. Et je me suis rendue compte qu’en fait, ils sont très nombreux à mener une vieillesse active, et à travailler bien après l’âge légal du départ à la retraite.
Prenez par exemple Panoramix, le druide à l’âge avancé du petit village gaulois bien connu. Il est loin de chômer: toujours au dessus de sa marmite, il est, plus que n’importe quel autre habitant, la pièce essentielle du village d’Astérix. N’en déplaise à Cétautomatix le forgeron et Ordralfabétix le poissonnier, Panoramix est le travailleur à la valeur économique la plus importante car il prépare l’inestimable potion magique. Pourtant, il a dépassé depuis longtemps l’âge de la retraite…
Panoramix est le représentant le plus connu d’un archétype de personnage de bande dessinée: le vieux savant. La bande dessinée populaire franco-belge n’en finit plus de présenter ce type de personnage. Le comte de Champignac, dans la série Spirou et Fantasio, est un savant aux multiples inventions, qui se décrit dans Il y a un sorcier à Champignac, l’album où Spirou le rencontre, comme un “septuagénaire rhumatisant“. Pourtant, sa vivacité d’esprit est intacte et le fantasque scientifique, qui ne semble pas tenir en place, n’a de cesse d’entraîner le groom du Moustic Hôtel dans toujours plus d’aventures. Vif d’esprit, Léonard le Génie l’est aussi. Malgré sa belle barbe blanche, Léonard est encore très actif, bien plus que son jeune disciple qu’il réveille fréquemment en trombe. Léonard, c’est bien sûr De Vinci, le savant ultime. Dans la figure du vieux sage, on retrouve aussi le Grand Schtroumph, qui lui aussi semble avoir depuis longtemps dépassé l’âge de la retraite. Malgré son grand âge, il continue de diriger les petits hommes bleus, dans une joyeuse dictature communiste. Mais en politique, cela fait longtemps qu’on a repoussé l’âge de la retraite.
Des petits vieux bien de chez nous…
Bien-sûr, tous les vieux représentés en bande dessinée ne sont pas des savants suractifs. Le petit vieux en charentaises a aussi sa place dans les cases de BD. Prenez par exemple le grand père de Cédric, dans la série éponyme. Il passe son temps à ronfler sur le fauteuil familial ou, quand il est réveillé, à râler, en bon petit vieux qu’il est. Dans le Retour à la Terre, Manu Larcenet s’amuse avec le cliché de la vieille sorcière désagréable en mettant en bulles le personnage de la Mortemont. La voisine du jeune couple qui s’installe à la campagne me rappelle ma grand-mère, insupportable en apparence mais qui cache un grand coeur dans le fond. Surtout Mortemont a été une grande résistante pendant la guerre, et ça, c’est la classe, même si du coup elle confond l’immeuble de Dargaud et celui de la Kommandantur.
Les petits vieux bien de chez nous, Rabaté s’en est fait une spécialité. Ils peuplent un certain nombre de ses oeuvres, comme les Amants de Lucie ou les Cerisiers. Dans Les petits ruisseaux, une de ses BD les plus connues, le héros, Emile, est un retraité de province comme un autre. Il va à la pêche et boit des coups au bar du coin. Et comme beaucoup de petits vieux, il est veuf donc seul. Tout juste a-t-il un ami, Edmond, qui lui fait un jour découvrir une agence de rencontres. Emile va reprendre goût à l’amour, prouvant que même une fois l’âge de la retraite largement dépassé, il est toujours temps de (re)faire sa vie. A l’instar de Rabaté, de plus en plus d’auteurs mettent en scène des vieux ordinaires dans leurs albums.
…Qui sauvent parfois le monde
Quoiqu’il en soit, les vieux restent tout de même souvent des personnages secondaires en bande dessinée. Mais quand ce n’est pas le cas, c’est souvent très intéressant. Dans la BD d’aventure, le principe, quel que soit le lieu ou l’époque est à peu près toujours le même. Le héros, après une longue vie d’aventures, a décidé de se retirer dans son ranch/sa ferme/son île. Mais, car il y a toujours un mais, la population ou une de ses anciennes conquêtes vient le supplier de reprendre du service. Il a une barbe blanche, il est fatigué, mais car il a conscience que l’avenir du monde repose sur ses épaules. Donc il be back, tout ça.
Le cas le plus emblématique est celui de Bragon, dans la Quête de l’Oiseau du Temps, qui, pour la belle chevelure rousse de la princesse sorcière, va repartir sur les chemins. En quatre tomes, la Quête de l’oiseau du Temps de Loisel et Le Tendre reste l’une des références francophones en matière d’heroic-fantasy. A noter que depuis les années 2000, ils ont lancé un nouveau cycle “Avant la quête”, qui relate l’histoire de Bragon jeune. Toujours en heroic-fantasy, même si on s’éloigne un peu de la BD, dans le livre illustré Le dernier Héros de Terry Pratchett, Cohen le Barbare va défier les dieux. Agé de plus de cent ans, il évolue dans un monde qui connait son siècle de la Roussette (équivalent de notre siècle des Lumières) et qui n’a plus besoin de vieux héros fatigués comme lui. Pourtant, jusqu’au bout, sur un mode très comique, lui et ses camarades entretiennent les vieilles traditions: violer, piller, torturer, ravager des villes. A lire aussi absolument le roman Les Tribuations d’un mage en Aurient où, avec la horde d’Argent, il deviendra Gengis Cohen…
Pas besoin de vivre dans le petit monde des elfes pour être un héros fatigué. Plus près de chez nous, la BD Nic Oumouk de Larcenet met en scène un jeune gars de banlieue. L’un de ses adversaires/amis se nomme Edukator, un ancien prof qui le soir se déguise en super-héros pour corriger les jeunes délinquants. Mais pas corriger au sens de Pascal de Grand-Frère. Non, quand Nic Omouk est en train de taguer un mur, Edukator surgit par derrière non pas pour l’en empêcher, mais pour lui corriger ses fautes. Et puis n’oublions pas que comme toute rock star qui se respecte, Lucien continue de jouer malgré ses cheveux blancs.
Super-héros mités
Avouons-le, un vieux c’est bien, mais un vieux déguisé en super-héros, c’est mieux. Il n’est ainsi pas rare de voir des artistes s’amusant à vieillir nos super-héros traditionnels. Tout de suite, ils sont donc moins crédibles, comme dans cette série de Donald Soffritti :
D’autres images ici.
Parfois, les super-héros vieillissent aussi dans des comics très sérieux, comme le célébrissime Watchmen. Sans revenir longuement sur l’histoire, elle met en scène les Vigilants qui, après une période faste où ils ont protégé le peuple, se sont vus stigmatisés, puis interdits. Âgés, ils reviennent finalement un à un aux affaires. Enjeu: leur propre survie. Oser vieillir les super-héros n’est pas anodin. C’est pratiquement systématiquement associé à une certaine idée de la décadence. Si le super-héros doit retourner au boulot, c’est que le monde/ l’Amérique ne fonctionne plus correctement. La société a échoué, elle est en déclin et, dans la plupart des cas, ils ne peuvent qu’accompagner cette chute.
Finalement, c’est un peu à l’image de ce qui nous arrive en ce moment, non? Refaire travailler les vieux, jusqu’au bout, pour accompagner le long déclin de notre civilisation… Les costumes fluos en moins.
Laureline Karaboudjan
Illustration : Le Hibou dans Watchmen, DR
Et Carment Cru, la petite vieille anarchiste….
Ils ne vieillissent que quand ils quittent les cases..
Comment ne pas mentionner Batman: The Dark Knight Returns ( 4 tomes) réalisé par Frank Miller publié en 1986 ?
On y lit la problématique du héros vieillissant, en proie avec ses démons et ses détresses liées à son affaiblissement.
A lire.