Crises politiques, attentat manqué, émeutes anarchistes… Il y a du V pour Vendetta dans l’air du temps.
Mardi soir, j’ai revu V pour Vendetta, le film tiré de la célèbre BD d’Alan Moore, que France 4 rediffusait. Loin de moi l’envie de me lancer dans un grand débat sur les qualités et les défauts du film produit par les frères Wachowski -vous savez, ceux qui ont fait Matrix- par rapport à oeuvre originale. Il a déjà été posé maintes et maintes fois, et je me bornerai à préciser que je préfère la BD au film. Alan Moore, lui, avait carrément refusé de voir le film à sa sortie, et n’est même pas crédité au générique. Ce qui m’a frappée, hier soir, c’est l’actualité de l’histoire d’Alan Moore, dessinée par David Lloyd. Toutes sortes d’actualités récentes résonnaient avec V pour Vendetta. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser à l’attentat manqué à Times Square en voyant sauter le parlement britannique. Mais avec une sérieuse différence de niveau tout de même. Là où les terroristes pakistanais ont échoué à faire sauter un 4×4, V, le terroriste anar de l’histoire, fait sauter Westminster avec un métro chargé d’explosifs. Un métro pourtant fermé par les autorités en place, mais qu’il a mis dix ans à rouvrir, histoire de ne pas faire les choses à moitié.
Et puis, il y a toute cette thématique insurrectionnelle qui ne pouvait pas ne pas me rappeler ce qui se passe en Grèce en ce moment. Le pays est devenu depuis quelques années le foyer d’agitation anarchiste le plus important d’Europe, à tel point que les anars français iraient se former là-bas. Anecdote, en mars 2009, un groupe grec a même “dédié” un attentat à Julien Coupat, un des auteurs supposés de l’Insurrection qui vient. La bande-dessinée de Moore est pétrie de références anarchistes. Parce qu’elle est raconte une résistance à une oppression, parce que son héros est tout de noir vétu et porte un masque de Guy Fawkes, le conjuré qui faillit faire sauter le parlement britannique le 5 novembre 1605. Remember, remember, the fifth of november… Parce que le dit héros signe ses bravades d’un V entouré, qui rappelle bien sûr le fameux A anarchiste.
L’ambiance de fin de règne qui agite l’Europe, qui fait la une des journaux depuis quelques semaines, je l’ai aussi retrouvée dans ce régime autoritaire vacillant que décrit Alan Moore. Bien sûr, l’Union européenne n’a pas grand chose à voir avec le néo-fascisme soutenu par l’église anglicane de V pour Vendetta. Mais dans le chaos qui bouillonne sous le vernis autoritaire, entre la fin annoncée de la monnaie unique et celle du pouvoir autoritaire de la bande-dessinée de Moore, j’ai retrouvé un peu les mêmes teintes crépusculaires.
BD d’une époque, BD intemporelle
V pour Vendetta est donc une BD d’actualité. Pourtant, elle a été imaginée au milieu des années 1980, dans un contexte bien précis et quelque peu différent de notre année 2010, celui de l’Angleterre de Thatcher. Alan Moore n’a jamais caché son opposition à la dame de fer, et a expliqué à plusieurs reprises que V pour Vendetta était une réponse directe au tour de vis conservateur thatcherien. Remember, remember, comme on dit dans la chanson de Guy Fawkes : l’Angleterre vit une transition libérale très brutale pour son économie, les mineurs sont en colère dans tout le pays et en toile de fond, il y a la guerre des Malouines. A l’autoritarisme de ce pouvoir répond toute une culture contestataire issue notamment de la vague punk qui déferle en Grande-Bretagne à partir de 1977 et du fameux Anarchy in the UK des Sex Pistols.
BD d’une époque, V pour Vendetta s’inscrit surtout dans une longue tradition de la contre-utopie, une tradition d’ailleurs très britannique. Citons bien-sûr 1984, le roman de George Orwell, modèle absolu du genre, adapté de nombreuses fois au cinéma. Les recettes de l’histoire sont les mêmes que celle de V pour Vendetta : un pouvoir totalitaire, crypto-fasciste (crypto-stalinien, d’ailleurs, dans l’oeuvre d’Orwell écrite en 1948), et une résistance clandestine qui s’organise. Récemment, c’est le groupe de rock Muse qui s’en est inspiré pour son dernier album, opportunément intitulé Resistance, qui se veut un mini-opéra rock autour de l’oeuvre d’Orwell. Vous avez forcément entendu Uprising, le single de l’album, matraqué depuis un an sur les radios.
La contre-utopie se nourrit de thématiques développées au XXème siècle, malheureusement propice à inspirer le genre, mais qui ont une portée universelle. Tout au long de la bande-dessinée, V distille ainsi des réflexions anarchistes intemporelles : “Les peuples ne devraient pas craindre leur gouvernement, c’est le gouvernement qui devrait craindre le peuple…“, une phrase de Thomas Jefferson à l’orée du XIXème siècle. Ou encore “L’autorité n’admet que deux rôles : le bourreau et la victime, transforme les gens en poupées qui ne connaissent plus que peur et haine, tandis que la culture plonge dans les abysses. L’autorité déforme ses enfants et change leur amour en un combat de coq… L’effondrement de l’autorité aura des répercussions sur le bureau, l’église et l’école. Tout est lié. L’égalité et la liberté ne sont pas des luxes que l’on écarte impunément. Sans ceux-ci, l’ordre ne peut survivre longtemps sans se rapprocher de profondeurs inimaginables“. Diogène, Montesquieu ou Proudhon auraient pu écrire ces phrases. Mais c’est signé Alan Moore.
Laureline Karaboudjan
Illustration : Un graffiti de V pour Vendetta à Leicester, posté sur Flickr par ginga ninja
Brillante analyse.
Merci.
[…] Ce billet était mentionné sur Twitter par Laureline K. Laureline K a dit: Anarchie vaincra! La Crise grecque sous le signe du V. http://bit.ly/cYnaWe […]
Ce n’est qu’un détail dans cette belle analyse mais V POUR VENDETTA n’est pas un film des frères Wachowski mais de James McTeigue. Les frères (aujourd’hui, il faudrait d’ailleurs plutôt dire les frères et soeurs, Larry étant devenu une fille) ne sont “que” producteurs et scénaristes du film. 😉
En effet, mais le film porte vraiment la patte des Wachowski, notamment dans les combats, au point que ça en soit parfois un peu caricatural. Je pense par exemple aux lancers de poignards au ralenti, façon bullet time dans Matrix. En tous cas c’est corrigé, merci pour votre vigilance !
Intéressant article … plus proche de nous, les évenements de Poitiers (10 octobre 2009). Bien que les organisateurs de la manifestation (pacifiste) n’aient rien en commun avec les responsables des dégradations, l’affiche faisait elle aussi directement référence à V pour Vendetta. (cf. : http://www.france-info.com/france-justice-police-2009-10-11-violents-incidents-anarchistes-a-poitiers-354402-9-11.html).
une petite histoire du A cerclé symbole de l’anarchie ici
http://www.rue89.com/oelpv/2010/01/08/lhistoire-veridique-dun-symbole-anarchiste-le-a-cercle-132602
« A cerclé, histoire véridique d’un symbole » – Editions alternatives, 128 pages en quadri 19×19 cm, 22 euros –
[…] connues, et j’ai même déjà eu l’occasion d’en évoquer dans mes chroniques (V pour Vendetta ou Breaking Free comme oeuvres de propagande anarchiste par exemple). D’autres le sont […]